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395Le bouillonnement actuel aux USA ne date pas, comme l’on sait, de Occupy Wall Street. Nos lecteurs ont pu suivre la progression, depuis le printemps 2009, de Tea Party que nous avons toujours pris soin de prendre pour ce qu’il était : d’abord un mouvement populiste, très vite touché par des interférence douteuses (pressions du parti républicain, interférences du Big Business) mais qui n’a jamais perdu sa vertu et son efficacité initiales. Aujourd’hui, avec le formidable élan d’Occupy Wall Street, se pose effectivement la question, que nous avons nous-mêmes effectivement envisagée, des rapports entre les deux mouvements.
Nous pensons que cette question va devenir de plus en plus actuelle, et de plus en plus polémique à mesure des pressions, et des réactions contre ces pressions, exercées par le Système dont l’intérêt évident est de garder ouverte cette différence souvent antagoniste perçue selon les vieux réflexes dépassées des idéologies des XIXème et XXème siècles. Nous notons plusieurs interventions qui vont dans le sens d’une plaidoirie implicite ou explicite pour un rapprochement entre ces deux mouvements. Un tel rapprochement donnerait à l’ensemble une vigueur peut-être irrésistible et aurait surtout la vertu exceptionnelle d’exposer les deux “ailes” du “parti unique” à des tensions internes extrêmement fortes et particulièrement intéressantes.
(Nous continuons à tenir la position déjà ancienne, – près de 15 jours, une éternité par les temps qui courent ! – du vice-président Joe Biden sur cette question comme particulièrement remarquable, et matrice de questions intéressantes sur la position et les intentions de Biden autant que sur la fragilité de la cohésion à l’intérieur du “parti unique”. On la mentionnait le 7 octobre 2011 : «…Mais, sans aucun doute, la prise de position la plus surprenante et la plus remarquable est celle de Joe Biden. Le vice-président ne fait rien de moins que dresser une équivalence presque complète entre Occupy Wall Street et Tea Party, dans un sens approbateur pour les deux.» [Ron Paul a une position symétriquement proche, – républicain qui affirme son soutien à OWS, mais une telle position de la part de Ron Paul ne peut étonner, au contraire de celle de Biden.])
• Il y a d’abord l'intervention de William Pfaff, ce chroniqueur et historien US de si grande qualité. Nourri à une grande et vieille expérience de l’histoire de son pays, et conduit à un certain scepticisme à cet égard, Pfaff a d’abord nettement signifié, à sa grande tristesse d’ailleurs, qu’il ne croyait pas à la réussite de Occupy Wall Street (voir le 6 octobre 2011 : «Why Americans' Indifference to Street Protests?»). (Sa tristesse de devoir prévoir une telle issue, selon sa conviction, était nettement perceptible et même renforcée d’une réelle fureur, inhabituelle chez un homme de cette pondération cultivée, notamment par le terme “rascal”, peu amène, qu’il emploie dans cette phrase : «Can the Wall Street sit-downers inspire a national popular rising to throw today’s rascals out?») Avant-hier (le 19 octobre 2011), Pfaff publie un article sur cette question en avançant avec netteté et fermeté que Tea Party et Occupy Wall Street sont sans aucun doute les deux ailes d’un mouvement populiste général et puissant qui s’oppose directement, et symétriquement pourrait-on dire, à l’élite washingtonienne et au Système, comme cela est dit dans le titre. Justement, nous préférons largement le titre de cet article sur son site («The Tea Party and Wall Street Protesters Versus the System») que celui qui a été choisi pour la reprise de ce même article sur Truthdig.com («Occupy Wall Street and Tea Party Movements More Alike Than Not») ; le premier va au cœur du problème tandis que le second ne fait qu’indiquer comment aller au cœur du problème… Si Pfaff reste sans doute réservé sur les chances de succès de ce mouvement populiste as a whole (en fait il ne dit mot sur ce point), l’analyse qu’il développe montre que son état d’esprit a changé depuis le 6 octobre… Quelques extraits de l’article de Pfaff.
«There is something else that goes unrecognized. Few Americans are willing to acknowledge that Occupy Wall Street and the tea party movement are two manifestations of the same explosive American anger at the American government and the modern corporate system.
»Both movements are essentially populist protests. The OWS people want to break the power of finance and the rich in America. So do tea party voters. To the extent that the tea party represents victims of the economic crisis—and probably most of its members are such victims, having lost jobs, businesses or homes, they feel the crisis more keenly and have more reason to hate the people who did this to them, than do the people of the OWS movement. The latter are more likely to be middle and upper-middle class people, better educated, liberal in political and cultural outlook, and in the long run more likely than the tea partyers to have the skills to find new jobs.
»Both movements blame “the bankers” for what has happened. Both also blame “the politicians in Washington.” They just blame different politicians. The tea party people identify the enemy as liberals, Democrats, mainstream journalists, people who live in Washington, New York and Los Angeles, and are in one way or another in league with banking, international finance and cosmopolitan society.
»The OWS people hate “the bankers” whom they identify with greed, financial manipulation (often crooked) and the oppression of the rest of their countrymen. They see their enemies as rightists: the tea party, fundamentalist Protestants, cultural conservatives, Republicans, warmongers, and self-righteous and xenophobic patriots. These days, a lot of them have saved some hate, or grief, for Barack Obama, who, they believe, has betrayed them.
»
»Both sides are obsessed with the other and cannot recognize what they have in common, which is victimization by a finance- and corporate-dominated American business establishment in effective control of the United States government, whose elected officials now are themselves victims of a system of campaign contributions, upon which their careers depend. They have only themselves to blame—politicians of both parties, and their Supreme Court—having deliberately removed all regulation or limit from what is now a fundamentally corrupt electoral finance system.
»The two protest movements have erupted without easily or specifically identifiable causes, but out of general and widely shared political resentment and economic distress. They began without coherent reform programs. They may never find such programs. The tea party found easily recognizable enemies in Barack Obama, the liberals who supported him, the liberal media, and of course the Democratic Party, then in power in Congress. The Wall Street occupiers have found their enemies even more easily. They have even named themselves after them.»
• Dans le même sens et d’un auteur également estimable, mais d’une orientation différente de celle de Pfaff, on notera la chronique de Justin Raimondo du 17 octobre 2011. Raimondo s’attaque à l’alerte anti-iranienne d’il y a quelques jours, la réduisant à sa juste proportion de complet montage pour détourner l’attention de la poussée populiste. C’est là, effectivement, qu’il met en évidence, lui qui est partisan de Tea Party, la complémentarité de Tea Party et de Occupy Wall Street. Quant à la farce de l’alerte à l’Iran, elle est à mesure de l’extraordinaire petitesse et pauvreté des robots qui nous dirige ; rien à voir, tout de même, soyons sérieux, avec la Deuxième Guerre mondiale, ni avec FDR du côté des dirigeants-Système… Plus personne ne se souvient du montage anti-iranien d’il y a cinq jours mais tout le monde a à l’esprit la vague de populisme antiSystème aux USA. (En passant, et rendons cette grâce aux commentateurs US, par opposition aux fétus de paille germanopratin : ils ne vont pas immédiatement sombrer dans la nausée et les vapeurs de salon dès que le mot “populisme” est prononcé. Ils savent de quoi il retourne.) Raimondo :
«What they have learned from history is how their predecessors managed to stay on top in an existential crisis such as the one we are facing today. Confronted with economic collapse and the failure of his “New Deal” policies to lift the nation out of its downward spiral, Franklin Delano Roosevelt turned his energies toward dragging a reluctant America down the path to another worldwide conflagration. War hysteria was a useful tonic to lift the nation’s spirits, and rationing masked the effects of the downturn by equalizing scarcity. The wartime “emergency” paved the way for the New Dealers to complete their takeover of the US economy – and shut down their critics, especially on the “isolationist” right.
»War with Iran would solve many of the present administration’s problems, in the short term… […]
»War, in short, is the ultimate government bailout, which our political class hopes and prays will save their political asses. I can hear the Dear Leader now, as he explains how war must “unite” all Americans, and this new “unity” will be echoed on both sides of the political spectrum, as media outlets from Fox News to MSNBC urge us to “become one” and smite the Iranian foe. With the ever-present Israel lobby out in force to maintain the party line, and rein in any dissenters, politicians of the left as well as the right will march to war in lockstep. Every crisis is an opportunity, as one of Obama’s sleazier former top lieutenants put it, and in this instance you can bet our rulers intend to utilize the latest manufactured “crisis” in US-Iranian relations to perpetuate their incompetent and vulgar reign.
»Gorbachev sought to co-opt the anti-Soviet revolutionaries by initiating a campaign of glasnost, and ushering in the era of perestroika. It didn’t work: indeed, it may have hastened the demise of the Leninist project. Our own rulers, however, are much cleverer than that, or so they seem to believe: they think they can latch on to and capture the populist movements that are rising on the left and the right. The Republicans are doing their best to co-opt and tame the so-called tea party movement, and the President himself is actively courting the Wall Street occupiers. By stamping these movements with partisan labels, the two parties hope to de-radicalize and derail them in the process of using them – and keep them divided along out-dated “left/right” lines, so that they never realize how closely their complaints complement each other. For their anger – and anger is the chief motivating factor in politics – is directed at a single foe: the elites who have reigned over the American empire since the end of World War II…»
• On notera, dans un très récent texte de Tom Engelhzardt, le rapport qui est fait d’une visite de travailleurs du bâtiment, en général des “durs” républicains qui n’aiment guère les jeunes intellectuels révolutionnaires, à OWS samedi dernier (sur
«I was at the edge of Zuccotti Park the other day when members of SEIU 32BJ, the building workers union, arrived, a sea of yellow T-shirts and signs. With a new contract on the horizon, they had been demonstrating on their own in the Wall Street area and decided “spontaneously” – so several told me – to march to the park. (As one SEIU organizer put it, “Our members really get it, the connection between this and us.”) The energy was sky-high, the excitement palpable, the chanting and cheering loud as they looked down on what could only be described visually as a hippie encampment.
»Had this been the 1960s, conflict would undoubtedly have followed. I found myself with a burly white guy wearing a red Communications Workers of America T-shirt on one side of me and a young black woman with a yellow SEIU T-shirt on the other. He promptly commented with indignation and accuracy: “You know, we were saying the 1% and the 99% for like five years and nobody paid attention because we’re unions, we’re the wallpaper!” I braced myself for the coming diatribe against the Zuccotti Park protesters for appropriating the slogan and grabbing the glory. Instead, he continued with unmistakable enthusiasm, “You know, it’s great that these kids have taken it and put it on the map!” At which point the young woman next to me chimed in with equal enthusiasm, “It’s not just the unions any more! It’s bigger than that!”»
• Enfin, on terminera par une intervention remarquée au cœur même de la contestation, devant le “camp de base” de OWS à Wall Street même, du professeur de Harvard Lawrence Lessing. Il devait avoir à l’esprit un très récent sondage du National Journal, montrant la popularité et la notoriété toujours grandissante de OWS, avec 60% des personnes interrogées approuvant OWS. Dans ce chiffre, – surprise, surprise, – on trouve un tiers de personnes se déclarant du parti républicain… RAW Story a rapporté, le 19 octobre 2011 cette interventions de Lessig, qui se résume à ceci : Tea Party fait partie des 99% en révolte…
«Speaking to a crowd gathered for “Occupy D.C.” this week, Harvard professor Lawrence Lessig touched upon that small but rising tide, which says and says again that the tea party is also part of the 99 Percent. “What is inspiring about this movement is its potential… to rally our country around an idea that we all believe fundamentally: this government is corrupt,” he said. Pointing to the need to constantly raise funds for a member of Congress or a political party to maintain their power, Lessig called out the system of campaign finance as plain, open-air corruption, giving America’s elite enough say-so over Congress that they could even ensure a member is booted from office if they don’t go along with the agenda of wealth.
»“That is terrifying,” Lessig said. “[2008] is the first time in American history where we have seen a collapse followed by no fundamental re-regulation of the financial services sector, because they have the power to block change from either the Democrats and Republicans.” “They hold this country hostage because of that power, because of that corruption,” he continued.
»He went on to recall a time he went to a tea party conference, only to hear legitimately angry, homespun grassroots activists talk about this very problem in the same manner as the “Occupy” groups, who he said should put aside what they believe as far as gay rights or abortion or other social wedge issues. “You can build this movement to unite America around this idea that the time for crony capitalism must come to an end,” Lessig said. “There is no one on the left or the right who defends the system of crony capitalism, they just practice it. And you, the movement you’ve begun, can begin the recognition across America of why and how we need to end that corruption. You do that by framing this in a way that they can hear you, and inviting them in to your conversation by explicitly bringing them in.”»
Dans sa présentation de l’intervention de Lessig, RAW Story notait une réelle montée d’un appel “à l’unité” aux USA aujourd’hui, entre les deux ailes du populisme : «…there is another, quieter voice that’s rising, urging unity to fight the greed on Wall Street.» Il s’agit d’une situation unique dans l’histoire du populisme aux USA, histoire qui est variée, diverse, agitée, mais qui n’a jamais rencontré une occurrence où deux courants populistes d'une telle puissance chacun, si marqués à droite et à gauche, se développant chacun de leur côté, avec un certain décalage mais sans que l’un ne remplace l’autre, et dans des circonstances extrêmes pour l’un et l’autre qui devraient les opposer, et, pourtant tout cela débouchant sur une poussée nouvelle à l’unité. Il faut par conséquent que les circonstances soient très graves, que les dynamiques à l’œuvre soient d’une puissance considérable mais en même temps très adaptables, que le climat psychologique soit effectivement explosif. Aucune de ces propositions ne nous effraie ni ne nous semble improbable, parce que nous plaidons continuellement en faveur autant de leur activation que de la reconnaissance de leur existence potentielle.
Comme d’autres cas déjà envisagés et impliquant Tea Party et Occupy Wall Street dans d’autres situations relatives, y compris une situation conflictuelle, cette hypothèse d’un rapprochement Tea Party-OWS est également explosive. Les revendications indirectes ou les non-revendications des deux mouvements aboutissent en fait, par leur dynamique propre, à une seule et unique revendication, – et une telle poussée unitaire sera ainsi comprise par le Système, si elle a lieu, – qui est tout simplement la revendication de la destruction du Système. Impossible ? Impensable ? Ces appréciations ne sont pas d’actualité. Nous parlons de ce qui serait ou de ce qui sera, selon ce qu’il adviendra de cette éventualité unitaire ; et qu’il n’y ait pas de solution prévisible ne nous importe pas, parce que nous sommes dans des situations que la raison humaine (pervertie, certes) n’appréhende plus, ne comprend plus, parce que ces situations viennent de domaines hors de sa portée, et sous l'inspiration complète de ces domaines. Si l’on est tenté, dans l’éventualité exposée, par l’hypothèse d’une riposte brutale du Système, c’est que l’on fait, là encore, trop confiance à cette même raison pour les prévisions. Le Système ne cesse de montrer son aveuglement, son incapacité de réagir, ce qui dissimule en fait son impuissance à réagir… D’où notre interprétation dans la perspective de cette possible unité : Tea Party et OWS, en réalités créations indirectes des catastrophiques dynamiques du Système, constituent finalement des outils privilégiés de la dynamique d’autodestruction du Système.
L’alliance Tea Party-OWS n’est certainement pas, bien entendu, la seule hypothèse à envisager, mais elle prend du poids et du crédit. Pour le reste (pour les autres hypothèses hors celle-ci), la plupart des autres possibilités mènent de toutes les façons à la même impasse de l’affrontement avec le Système, avec le même résultat. La logique de l’autodestruction est en train d’atteindre sa phase irrésistible.
Mis en ligne le 20 octobre 2011 à 10H46
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