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13 mars 2005 — USA et Europe s’entendent sur l’Iran : les Européens seront plus durs dans leurs exigences, avec le soutien des USA ; les USA seront plus soft à l’égard (à l’encontre?) de l’Iran pour offrir une “récompense” en cas d’accord. C’est l’accord de rêve pour les diplomates.
Cessons de rêver: l’entente qui se veut stratégique est tactique, elle cédera plus tard sous la poussée maximaliste des Américains, soit à l’ONU (grâce à John Bolton qui a bien été nommé pour attiser la crise iranienne), soit sur le terrain. Les Américains en reviendront évidemment à leur exigence, qui est celle du “regime change”. La crise Europe-USA sur le thème iranien (avec les Britanniques peut-être flottants ou pas, on verra) renaîtra, plus forte, bien plus forte qu’aujourd’hui. Les Européens n’ont toujours pas compris (ou bien ils gardent ce constat pour eux) que le “regime change” est déjà arrivé, à Washington en fait, et depuis un certain temps, et qu’il implique structurellement la politique maximaliste à l’encontre des autres qu’on décrit in fine ici.
L’une des questions dans le cadre de cette “entente” est de savoir combien de temps les néo-conservateurs, les durs type Bolton, Rumsfeld et Cheney, les extrémistes évangélistes chrétiens qui ont réélu GW, supporteront ce type de commentaire du New York Times du 12 mars (commentaire qui prend en compte la reculade US sur le Hezbollah), autant que les observations que ce journal rapporte de la part d’“officiels” américains:
« The announcement was the second time in a week that the United States had softened its approach toward a longstanding adversary while insisting that its basic view had not changed. Earlier in the week, the administration toned down demands on Hezbollah in an effort to concentrate on getting Shiite backing for a Syrian withdrawal from Lebanon.
» “Nobody is blind to Hezbollah's past activities,” said a senior administration official involved at the highest level on Middle East policy, asking not to be identified because he did not want to be seen as undercutting administration approaches.
» “The question is whether it pays for us to play into the hands of those who want to set us up in a confrontation with them,” he added. “If we want to increase pressure on Hezbollah to move away from terrorism, and support a Syrian withdrawal from Lebanon, it's important for us to be careful about our rhetoric.”
» Sometimes, awkward-looking tactical adjustments are necessary, the official said. “We are not changing our fundamental views about Iran or Hezbollah,” he added. “Our strategy is clear. What we're looking at is how you adapt your diplomacy to fit the needs of the moment. It's what diplomacy is all about.” »
Par ailleurs, ces mêmes déclarations montrent bien combien l’évolution américaine est tactique, combien « our strategy is clear », — c’est-à-dire que le Hezbollah, la Syrie, l’Iran, etc, restent totalement infréquentables, rogue states ou organisations terroristes qu’il faut éliminer. “Regime change”, évidemment.
L’Europe pourrait s’affirmer satisfaite: la nouveauté est qu’elle a fait reculer les USA (bien qu’elle ait elle-même reculé, — mais comme elle le fait tout le temps, on ne peut le compter comme une nouveauté). Elle s’en satisfait certainement, mais secrètement. Elle aurait tort de s’arrêter à cette satisfaction qui n’est que tactique, et nécessairement très temporaire. Ce qui a fait reculer les USA, c’est leur propre impuissance: absence de moyens de pression, notamment et essentiellement militaires (l’Irak explique tout cela), erreurs habituelles (l’influence du Hezbollah au Liban mal mesurée ou pas mesurée du tout), — c’est-à-dire leur faiblesse intrinsèque, dans laquelle l’Europe n’a aucune part active ou calculée.
Cas classique du “reculer pour mieux sauter”. L’entrée des USA dans le jeu iranien avec les Européens signifie: 1) des Européens plus exigeants avec les Iraniens, et de fortes chances pour que l’Iran soit incité à moins céder; 2) des menaces de sanctions anti-iraniennes, voire plus, en cas d’échec, qui contribuent également à dramatiser le climat.
D'une façon générale: l'accord concerne plus les relations euro-USA (comment concilier les deux positions) que l'Iran lui-même, que l'on place devant une situation beaucoup plus dure. (Preuve que la vraie crise est euro-américaine; seulement, il y a aussi une crise iranienne...)
Le scénario probable n’est pas optimiste. Dans les mois et semaines qui viennent, les Américains vont poursuivre leur jeu habituel, après cette reculade tactique: un soutien du bout des lèvres des européens, même si les lèvres sont plus serrées; une dialectique anti-iranienne redoublée. Au bout du compte, à moins d’un miraculeux accord avec l’Iran, c’est une aggravation brutale de la crise, avec l’option américaine de sanctions maximales assorties de menaces d’actions militaires, et des réticences grandissantes des Européens (de certains Européens). C’est-à-dire, en fin de course, une nouvelle crise entre l’Europe et l’Amérique, cette fois sur des bases bien plus radicales.
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