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30 juin 2005 — Nouveau thème en vogue : Américains et Iraniens sont faits pour s’entendre. Deux faits, d’ailleurs contradictoires. Mais qui s’inquiète vraiment des contradictions dans notre époque ?
• Les Iraniens, dans la rue, sont souvent sympathiques aux conceptions américaines. Premier point, déjà signalé par différentes observations avant l’élection. « A poll secretly commissioned by a parliamentary committee in 2002 found that nearly two-thirds of Iranians supported détènte. That led to the jailing of one pollster who was, ironically, a student during the 1979 Islamic Revolution, and who helped plot the US Embassy takeover. Americans are constantly greeted by Iranians on the streets with handshakes, kisses, and hugs. Declarations of warmth toward the American people are just as common. »
• L’élection d’un ultra-conservateur comme président iranien, avec une forte conviction religieuse, définit après tout un type de dirigeant proche de GW Bush. Second point, celui-là directement hérité de l’élection.
The Christian Science Monitor (déjà cité ci-dessus) consacre une analyse à ce phénomène de l’étrange proximité des deux pays, résumée par le sous-titre de l’article (« Despite harsh rhetoric, some say Iran may be the most pro-US nation in the region »), — qui peut aussi être défini, d’une autre façon si l’on veut, par le titre lui-même, renvoyant aux paradoxes faciles affectionnés par les analystes américanistes : « Why the US and Iran love to hate each other ».
L’idée est double, — ou plutôt il y a deux idées:
• La première est que les Iraniens s’opposent de plus en plus au régime islamiste en place et qu’ils se réfèrent, contre “contre-modèle”, à la démocratie américaine. Il s’agit là d’un thème assez vieux, déjà utilisé par les néo-conservateurs pour promouvoir une attaque de l’Iran : cette attaque, selon eux, provoquerait un ralliement massif des Iraniens aux Américains, contre le régime en place. C’est la thèse qui a soutenu l’attaque contre l’Irak (les Irakiens se lèveront, enfin libérés, et accueilleront les US en libérateurs contre Saddam le dictateur), avec le succès qu’on sait. C’est a peu près le seul crédit qu’on serait tenté d’accorder à cette thèse/cette analyse.
• La seconde est que les durs iraniens qui sont au pouvoir ont besoin d’une Amérique qu’ils désignent comme “le Grand Satan” et qu’ils accusent de fomenter une attaque contre l’Iran pour tenir malgré tout la population contre un ennemi extérieur, comme GW Bush a besoin d’un régime ultra-dur en Iran pour continuer à menacer d’attaquer et à mobiliser les Américains.
A partir de ces deux idées de base, la réflexion va tout de même plus loin et s’attaque aux conceptions même des deux pays. Il s’agit bien entendu de la sempiternelle rhétorique des “pays élus” et, surtout, d’un parallélisme psychologique entre les dirigeants des deux pays.
« But beneath the anti-US façade is a nation that has much in common with its stated nemesis — from an ambitious self-image and public reliance on the divine, to a habit of often defining itself in terms of its enemies.
» In some ways, the duel is between two peoples who hold national pride and their own brand of manifest destiny above all else. The result is a clash over nuclear and national ambitions, which both might better understand if they held up a mirror.
» The current leaders of Iran and the US have a "common mind-set," says Javad Vaeidi, editor of the conservative Diplomatic Hamshahri newspaper. "They look at the world in black and white; they think they have a duty from God and are on a mission ... and both think they are emperor of the world." »
Effectivement, les Américains de Bush et les Iraniens des mollahs semblent raisonner d’une façon similaire (ce qui réduit d’autant, par contraste, la thèse de l’importance comme facteur politique du peuple amoureux de la démocratie américaine). Ces idées sont courantes chez les Iraniens en place. « “In terms of political discourse, Bush and [Iranian] conservatives are very similar — they try to use religious language for political targets,” says Hamid Reza Jalaiepour, a political sociologist at Tehran University. “In the US, having a system that thinks religiously is not bad.... I prefer people in the US who go to church,” says Amir Mohebian, political editor of the conservative newspaper Resalat. »
D’autres vont encore plus loin dans le rayon des équivalences, comme l’analyste politique Saeed Laylaz: « There are three ideological capitals, in Tehran, Tel Aviv, and Washington. They are apparently against each other, but they love each other. They need each other. We need a foreign enemy to control the country. »
Toutes ces vaticinations psycho-politiques appuyées plus sur des clichés que sur des événements historiques réels, nécessairement changeants et difficilement étiquetables, ne sont pas sans intérêt, mais elles ne sont aucunement décisives. On en vient vite, lorsque surgissent les hypothèses de meilleures relations entre Iran et USA, voire d’une alliance entre les deux, aux questions plus simples et fondamentales de la réalité politique. La lumière de la réalité éclaire le tout et le spectacle s’éloigne de ces exercices de réflexion où le maniement du paradoxe donne l’illusion de la grande pensée.
Ces remarques de Javad Vaeidi posent, peut-être involontairement, les données du problème qui se trouve derrière ces réflexions diverses. « If the Americans have the right to become emperor of the world, Iranians think they have the right to be the emperor at least of their region. If we can find the best way to bring these two hegemons together, it will be good. America recognized this role for the Shah's regime, but as an agent [of the US], not an ally. If the US can consider Iran an ally, not an agent, it can work. The message to the American government is: You have to accept our existence. »
On en revient donc à la réalité du monde, et celle-ci est déterminée par les exigences de la puissance dominante, dont la politique extérieure déborde évidemment sa seule zone géographique. (Question de base : y a-t-il trois porte-avions de la marine iranienne au large des côtes US, prêts à frapper les USA, comme il y a trois porte-avions de l’U.S. Navy au large de l’Iran, prêts à frapper l’Iran ? Voilà une de ces différences décisives que nous offre la réalité.)
Comment être “empereur chez soi”, comme veulent être les Iraniens, si les Américains sont (“ont le droit d’être”) “empereurs du monde” ? (Comment demander aux américanistes d’accepter l’existence de l’Iran, eux pour qui n’existe au fond rien d’autre que l’Amérique ?) Curieux que l’analyste ne voit pas l’incompatibilité à la fois mathématique, géographique, psychologique, pathologique, etc., de la proposition, — à moins qu’il ne fasse de l’ironie au second degré… Quoi qu’il en soit, voilà qui met un point final aux perspectives d’accord paradoxal entre l’Iran et les USA.
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