USA, mode d’emploi

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USA, mode d’emploi


19 avril 2003 — La question qui se pose aujourd’hui à toutes les diplomaties sérieuses du monde, et cela hors du champ des éditoriaux moralistes, est celle-ci : comment traiter avec les USA ? Il est en effet hors de question de ne plus avoir de rapports avec cette immense puissance et il est difficile pour certains d’avoir les rapports de soumission complète d’un Aznar ou d’un président polonais, d’autant que l’avantage de cette démarche reste à démontrer.

Il y a, par contre, la méthode russe. On la devine à partir de cet écho paru dans l’hebdomadaire Air & Cosmos n°1885 du 11 avril 2003 :


« Gesticulations russes

» La Russie n'apprécie pas du tout la guerre lancée unilatéralement par l'administration Bush contre l'Irak. Et pour le faire savoir les forces stratégiques russes ont lancé, entre le 17 et le 28 mars, un des plus grands exercices de mobilisation de son unité de missiles stratégiques ''Vladimir''. Exercice qui s'est terminé avec tir réussi d'un missile mobile Topol de Plessetsk en Sibérie vers un objectif situé au Kamtchatka. Il a été suivi par des exercices de combat de la 371 armée aérienne qui dépend des forces stratégiques. Enfin le ministre de la Défense a rendu visite au centre nucléaire de Sarov où les derniers développement des armements nucléaires lui ont été présentés. »


Le titre apparaît éventuellement ironique, et si c’est le cas il ne devrait pas l’être. (Le Pentagone ne met sans aucun doute aucune ironie dans l’observation de tels exercices russes.) Cette décision russe d’effectuer des manoeuvres stratégiques à un tel moment de tension ressuscite les rapports de Guerre froide où la capacité politique s’appuyait sur la manifestation des capacités militaires potentielles. Les Russes rappellent leur statut de puissance nucléaire centrale pour donner du poids à une position diplomatique qui en manque singulièrement par ailleurs. Ils font cela parce qu’ils sont engagés dans le camp dit “de la paix”, c’est-à-dire le camp anti-américain, quelles que soient leurs évolutions diplomatiques tactiques et leurs variations. Ils utilisent leur hard power (quincaillerie nucléaire) pour tenter de renforcer leur soft power (capacités d’influence diplomatique)

La France, autre puissance nucléaire engagée dans ce même camp, songe aujourd’hui à nuancer sa position diplomatique, à la rendre plus “pragmatique”, — un peu vite, d’ailleurs, car l’important dans la matière est l’évolution de la situation en Irak d’après-guerre, et cette situation est de plus en plus incertaine avec l’évolution des “pouvoirs religieux” dans le pays, et le “pragmatisme” dans ce cas pourrait ressembler à un jeu de dupes en plus d’être un développement à l’honorabilité douteuse. D’une façon plus générale, on observe dans le comportement de la France que ce pays n’a pas encore compris que son outil militaire, extrêmement puissant au niveau stratégique par rapport à sa taille, et surtout au niveau nucléaire, doit être un élément actif de sa diplomatie. (Jusqu’ici, les Français restent surtout dans l’idée d’une puissance stratégique perçue comme outil de dissuasion militaire passif, et rien d’autre.)

On a vu ce phénomène lorsque le porte-avions Charles-de-Gaulle a appareillé vers la Méditerranée orientale au début de l’automne dernier : la plupart des commentaires présentaient ce déplacement comme l’amorce d’une action, c’est-à-dire d’un engagement français aux côtés des Américains (c’était l’époque où la position française était imprécise et certains avançaient que la France finirait effectivement par rejoindre le camp US). Un tel déploiement pouvait être perçu, au contraire, et aurait dû être perçu comme une manoeuvre de présence, voire de surveillance de la situation stratégique en Irak. (Certains l’ont présenté, vainement, et souvent sans conviction, de cette façon.) Durant la Guerre froide, les Soviétiques agissaient de la sorte, avec des présences militaires (navales) très visibles proches des interventions militaires US, sans qu’il s’agisse d’une intention d’action. (Les Russes ne peuvent plus faire cela, n’ayant plus de forces navales de projection de forces, au contraire des Français.)

Aujourd’hui, qu’on le déplore ou pas, c’est l’Amérique qui impose les règles du jeu, qui sont aussi, qu’on le veuille ou non, celles de l’affrontement. Ces règles sont essentiellement militaires. Si certains pays veulent échapper aux pressions US ou se manifester contre elles, ils doivent manifester leur puissance dans le même domaine, pour renforcer leur position aux yeux des Américains dans le langage que seuls les Américains comprennent, et ainsi disposer d’une position plus puissante pour s’affirmer dans d’autres domaines. De cette façon, les efforts militaires français actuels sont extrêmement importants, comme le seraient des efforts militaires européens, s’il y en avait. Ils doivent être envisagés, non pas, ou non seulement, comme les moyens d’une puissance militaire, mais comme les outils de renforcement d’un pouvoir de présence active et d’influence, — la hard power, outil au service de la soft power.