Utopie-2 : Fuir la cité concentrationnaire

Les Carnets de Patrice-Hans Perrier

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Utopie-2 : Fuir la cité concentrationnaire

Nous poursuivons, ici, la réflexion amorcée dans le cadre de notre série sur le monde des UTOPIES. Dans un contexte où la citoyenneté est menacée jusque dans ses fondations les plus pérennes – la rente immobilière comme outil de contrôle – nous avons cru bon de questionner l’urbanisme au niveau de ses rêves et de ses utopies contemporaines.

Cette deuxième pièce à conviction de notre série traite de la vision utopique et humaniste de Frank Lloyd Wright, probablement le plus grand architecte américain de tous les temps. Penseur d’une architecture proche de la nature, émule des précurseurs d’un retour aux sources – à l’instar d’un Henry David Thoreau – Wright s’insurge contre la cité concentrationnaire du grand capital apatride. Il nous invite à faire l’école buissonnière, histoire de suivre les pas des premiers pèlerins et autres défricheurs d’une société américaine archaïque, celle qui témoignait du désir d’émancipation des pionniers fuyant une Europe despotique. La réflexion du grand architecte est encore plus d’actualité, à une époque où plusieurs de nos concitoyens souhaitent façonner de nouvelles cités, de nouvelles communautés humaines et un bios politikos vierge de toute déchéance.

Je vous propose une recension du célèbre essai « LA VILLE ÉVANESCENTE » de l’architecte Frank Lloyd Wright.

Par delà les fortifications

Les faubourgs ouvriers de la fin du XVIIIe siècle représentent beaucoup plus que la simple destruction des fortifications des villes de la bourgeoisie féodale. C’est le début de la conurbation, dans un contexte où les forces productives s’implantent de plus en plus à l’extérieur de la cité dite classique. Les moyens de locomotion permettent une plus grande mobilité de la main d’œuvre et assurent aux cités un approvisionnement en matières premières sur un mode continu. La cité – The City (la cité dans la cité de Londres) – deviendra une place forte en termes d’échanges économiques et de spéculation boursière. Une place financière. La production est relocalisée en périphérie avant d’être exfiltrée vers les pays en « voie de développement » à la fin du XXe siècle.

Si l’équilibre qui pouvait régner entre la campagne et la ville a été rompu, il n’en demeure pas moins que c’est la rente foncière qui domine l’organisation urbaine. À une certaine époque, seuls les censitaires avaient droit de vote puisqu’ils honoraient le CENS (paiement d’un loyer en échange du droit d’occupation du sol – protection féodale en termes moins élégants) aux Seigneurs locaux.

Le droit de vote est un leurre

Avec l’avènement du suffrage universel – le droit de vote des Montréalais est apparu en 1970 – tous les citoyens peuvent voter, en échange de l’impôt sur le revenu et des taxes foncières qu’ils paient. Rien n’a véritablement changé, alors que les grands propriétaires terriens dominent toujours le jeu.

L’urbanité, malgré bien des théories et des expérimentations, désigne les conditions de vie des citoyens concentrés à l’intérieur d’espaces qui finissent par rétrécir par la force des choses. Les urbanistes, supposés être les médecins de la cité, ne sont, dans les faits, que les gestionnaires de l’organisation spatiale (cadastres et autres mesures d’évaluation de la propriété foncière) confrontée aux activités de la spéculation immobilière. C’est ce qui explique pourquoi ces derniers ont longtemps été détestés par les architectes, eux qui s’occupent de l’aménagement des cités.

Les départements d’aménagement font – sauf avis contraire – toujours partie des facultés d’architecture. Il est amusant de voir que certains technocrates auront mis sur pied des cursus dédiés au design urbain, sorte de matière hybride à mi-chemin entre l’architecture et l’urbanisme.

De nos jours, l’expression développement urbain est sur toutes les lèvres et constitue un immense fourre-tout qui permet à la mystification de se perpétuer. Un peu comme si les édiles (ceux qui sont élus par les « cochons de payeurs ») jouissaient du privilège de concevoir la transformation de la cité. Tout cela est digne d’une triste légende urbaine, alors que les banques et leurs affidés sont les seuls intervenants à présider aux destinées de cette cité dévoyée.

Le consommateur a remplacé le citoyen

Le consommateur achète, contre les fruits de son labeur, des biens et services. Mais, il ne fait que louer (comme le censitaire) son espace vital. La banque, via la rente foncière, demeure le propriétaire de facto des unités d’habitations occupées par les locataires ou les dits propriétaires. La spéculation jouant ses cartes, la mécanique foncière force les occupants de la cité à céder leurs places à de nouveaux joueurs plus fortunés et, souvent, provenant de l’étranger. Cet axiome a taraudé, depuis des lustres, quantité de penseurs et d’hommes politiques. Si le commun des mortels profite des ramifications d’une production et d’une distribution qui lui donnent accès à un grand nombre de « commodités »  il a, en revanche, cédé son véritable « droit de cité ».

Sur la trace des pionniers américains

Nous vous proposons une recension d’un essai phare du célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright. Cet essai, intitulé « The Disappearing City – La ville évanescente  – constitue toujours une réflexion de premier plan pour ceux et celles qui rêvent d’une sortie de piste qui soit praticable en bout de ligne. En effet, cet architecte visionnaire y expose, en 1932, l’état des lieux qui caractérise les grandes cités américaines, à l’instar de New York ou de Chicago.

Trois quarts de siècle plus tard, on a l’impression que la même situation se présente à nos portes, alors que la ville de Montréal semble être aux prises avec une crise de croissance. Cité adolescente, la métropole du Québec n’arrive pas à s’émanciper de ses fardeaux tutélaires. De puissants seigneurs possèdent toujours l’essentiel de la ville classique au cœur de Montréal, près de trois quarts des citadins sont des locataires et une masse croissante de petits propriétaires souffre de la pression d’une spéculation foncière qui s’emballe par les temps qui courent.

Notre cité insulaire semble dépossédée d’elle-même, devenant une interface pour des échanges liés au monde de la finance, de la spéculation et du crime organisé. Montréal deviendra-t-elle la Miami du Canada ?

Un visionnaire avec un coup d’avance

Frank Loyd Wright est le fier surgeon de l’esprit des Arts & Métiers – Arts & Crafts à une époque où le capitalisme était déjà entré dans sa phase ultime : la sphère financière comme unité de production de titres et de valeurs boursières. Constatant l’état des grandes villes, en pleine crise économique (suite au crash de 1929) l’architecte humaniste s’indigne face à la décadence de la cité moderne. Il n’y a qu’à lire son cri du cœur lancé à la toute fin de l’essai, alors qu’il conclut que « nous avons atteint le point où tout ce qui concerne la vie est plus ou moins un pis-aller, ou au mieux un accident. Il en sera ainsi tant que la base sur laquelle doivent fonctionner la vie en tant qu’architecture et l’architecture en tant que vie n’est pas fondamentalement forte et authentiquement libre ». Où voulait-il en venir au juste ?

L’intégrité : un des piliers de la vérité architecturale

Le père de Wright était un pasteur baptiste, devenu « unitarien » par la suite. Ce linéament de la pensée paternelle aura sans doute influencé cet architecte qui fut le premier à s’inspirer de la culture biblique pour façonner des édifices dotés d’une puissance tellurique qui tranchaient sur les œuvres des tenants du néo-classicisme et des autres formes d’expression plastique issue d’une tradition toute hellénique. Très tôt, ce disciple de l’architecte Louis Henry Sullivan, un des pionniers de l’école dite de Chicago et un des premiers constructeurs de gratte-ciels, se passionne pour l’intégrité et la vérité du projet architectural.

Influencé par la pensée d’un Henry David Thoreau, un auteur qui célébrait les vertus de la désobéissance civile face aux despotismes de certains gouvernements, Frank Loyd Wright a orienté sa réflexion en direction d’une intégration de la création architecturale face à l’environnement naturel. À l’instar d’un Thoreau, précurseur de l’écologie, Wright croit qu’il faut renouer avec la nature, dans un contexte où il estime que « la vie urbaine ayant purgé sa peine est devenue une condamnation à perpétuité d’actes par procuration et une réclamation mesquine d’expédients. Une vie désuète ». Il dénonce l’avilissement du citoyen prisonnier de structures qui l’empêchent de s’épanouir, n’ayant été construites que pour satisfaire à la loi de la spéculation.

La ville concentrationnaire

L’humanisme de F.L. Wright s’inscrit en droite ligne avec les préoccupations des préraphaélites et des autres émules des Arts & Métiers, dans la foulée d’une profonde remise en question de la société de consommation issue d’une révolution industrielle menée de main de fer par une poignée de grandes fortunes patriciennes. Il s’insurge contre la prédation des grands propriétaires fonciers qui capte la force de travail du peuple pour la convertir en aliénation urbaine. Ainsi, il montre du doigt cette vie « en sursis » qui est le lot des foules. À l’aliénation de la ville concentrationnaire, Wright oppose la recherche d’une vie nouvelle « extra-muros » dans la foulée des pionniers de l’Ouest américain partis à la recherche de nouveaux espaces de liberté.

La liberté est un thème cher pour bons nombres de penseurs ou d’artistes américains. Ayant fuit les famines et les persécutions qui sévissaient en terres d’Europe, les pionniers américains entretiennent le mythe d’une terre promise et fondent le culte de l’individualité comme force émancipatrice. Wright utilise la plume des grands poètes du milieu du XIXe siècle lorsqu’il affirme que « l’âme grandit aussi bien parce qu’elle donne que par ce qui la nourrit. Mais l’âme ne grandit pas par ce qu’on lui extorque ». À l’instar des idéalistes du XIXe siècle, tels que Charles Fourier, Robert Owen ou William Morris, cet immense architecte affirme que les grands propriétaires fonciers ont pris le relais des anciens seigneurs féodaux afin d’instituer un nouveau type de servage.

L’unité d’habitations en série : piège à citoyens

Il compare la ville post-industrielle à un véritable monstre urbain. « Ce piège à hommes de dimensions gigantesques et qui dévore la virilité nie toute forme d’individualité. Ce Moloch ne connaît d’autre dieu que ‘Toujours Plus’. » N’y allant pas par quatre chemins, Wright estime que les spéculateurs ont complètement inféodé la ville à leurs desseins, c’est-à-dire le désir d’en faire une véritable machine à construire des espaces dévolus à la plus-value.

Les quelques efforts d’embellissement ou d’aménagement consentis par cette caste de prévaricateurs ne représentent que de la poudre aux yeux pour celui-ci. « Autrement dit, les intérêts qui ont construit et possèdent la ville, et qui dépensent avec prouesse des millions dans les arts pour rendre acceptable à des millions de gens son but, à savoir le loyer, ces intérêts risquent dans l’immédiat de se détruire mutuellement à cause de cette éternelle course pour concevoir des appâts à la construction plus gros et meilleurs, et retenir les locataires désorientés. »

L’art de tromper les badauds

Cette assertion nous ramène en 2013, du côté du Quartier des Spectacle de Montréal. En effet, ce projet d’aménagement semble avoir été conçu comme une interface destinée à capter l’attention du tourisme et amuser les badauds, alors que la spéculation immobilière fait rage en plein cœur de ce qui fut, naguère, le « Quartier latin du petit Paris » de l’Amérique du Nord. Pendant que les pouvoirs publics aménagent des interfaces de divertissements et d’activités « culturelles »  les spéculateurs et les promoteurs s’en donnent à cœur joie dans une reconversion du parc immobilier qui ressemble plus à un jeu de massacre qu’à une opération de « requalification urbaine ».

La prose mensongère des technocrates n’émeut guère l’auteur de « La ville évanescente ». « Les valeurs architecturales sont des valeurs humaines, sinon ce ne sont pas des valeurs. » S’il fustige les spéculateurs immobiliers, il condamne aussi leurs alliés respectifs, les architectes et les édiles. Sa pensée prend son essor à la suite du crash boursier de 1929, alors que toute l’économie occidentale sombre dans une descente aux enfers qui débouchera sur la Seconde Guerre mondiale. Véritables toiles d’araignées, les grandes métropoles servent à capter la plus-value, tout en aliénant leurs habitants. L’espace urbain est minéral, dense et pollué, à l’opposé des grands espaces naturels qui constituent d’authentiques milieux de vie.

L’accès à la terre

« Mais l’architecture organique exige que la terre soit rendue accessible sur une base équitable à tous ceux qui peuvent l’utiliser comme valeur humaine intrinsèque, comme il en est de tous les autres éléments. » Il s’agit d’une refondation de la cité, hors d’atteinte de la caste des prédateurs. En 1911, après un long voyage en Europe, Wright s’installe dans le Wisconsin et y fonde une communauté unitarienne. Un véritable petit campus sera construit – incluant des bâtiments domestiques, communautaires et agricoles – afin de favoriser l’autonomie de la communauté naissante et l’architecte baptisera cet ensemble Studio Taliesin, s’inspirant du nom du poète Taliesin, une figure importante de la mythologie celtique et de la littérature galloise.

L’architecte du Midwest américain ne faisait que réinterpréter à sa façon l’expérience fondatrice des missions ou avant-postes des colonies en devenir. On retrouve cette forme de refondation de la cité en œuvre dans divers projets utopiques, allant des cités libres de la Renaissance italienne jusqu’aux premiers Kiboutz en Palestine. L’idéal des pionniers et autres colons étant, la plupart du temps, d’échapper à la prédation des anciennes féodalités d’où ils provenaient. La cité libre se superposant à l’idéal de la cité utopique, dans un contexte où une communauté de pionnier tente de refonder la vie citoyenne. Nonobstant le contexte d’intervention, il est surprenant de voir à quel point ce type de tentative a été répété tout au long de l’histoire de l’humanité.

Frank Lloyd Wright n’a rien inventé, il s’est servi de la mécanisation des techniques de construction, de l’esprit de découverte de ses pairs et des grands espaces américains pour relancer cette idée porteuse d’espoir. Ce « retour à la terre » qui inspirera certaines communautés des années 1960-70, est inséparable d’une architecture authentique qui ne soit pas une œuvre mimétique. « … qu’est-ce qu’un édifice, dans la mesure où il est architecture, sans relation intime avec le sol ? » prend-il la peine de souligner au cœur de cet essai prophétique.

La cité libre

Bien avant la révolte des luddites, ces bandes armées composées d’ouvriers et de citoyens qui cassaient les machines d’une révolution industrielle assimilée à l’apparition d’un chômage de masse, plusieurs populations des régions montagneuses de l’Italie vont fuir l’oppression des princes et autres prélats tyranniques qui régnaient sur les cités policées de la Renaissance italienne. On pourrait, dans le même ordre d’idées, comparer ce mouvement de refondation de la cité avec les villages et autres petits hameaux des minorités gnostiques dans le sud de la France. Certaines missions ont, aussi, été fondées en Amérique du Sud avec cette même idée de fuite en réponse à la prévarication et aux sévices imposés par les classes dirigeantes concernées.

Frank Lloyd Wright parle d’« Usonie » lorsqu’il désire souligner le génie propre du peuple américain, différent des modèles de gouvernance européens qui sont plus centralisateurs. Voilà pourquoi l’auteur mise sur la décentralisation comme approche susceptible de redynamiser les forces vives appelées à contribuer à la refondation de cette cité libre. Écoutons-le à nouveau : « Décentralisation économique et politique, démocratie directe, accent mis sur la richesse agraire aux dépens de la grande production industrielle, primat de la vie de communautés locales, proximité avec les paysages naturels, valeur de l’initiative individuelle : tous les ingrédients de cette tendance critique à l’égard des concentrations urbaines se retrouvent au fondement de ‘Broadacre City’ ».

Ce programme de refondation de la cité et de son organisation spatiale et socio-économique n’est pas sans rappeler les présupposés théoriques des mouvements altermondialistes qui ont pris leur essor au cours des années 1990. Toutefois, Wright ne remettait pas en question les fondations du capitalisme. Il s’attaquait, surtout, à l’action délétère des grands propriétaires fonciers et de leur bras armé, les spéculateurs.

De la mobilité

Contrairement à nos émules d’un développement urbain moins énergivore, Wright encense les transports routiers et plus particulièrement l’automobile. Ce moyen de transport représente un équipement susceptible de procurer un gain de liberté au travailleur qui peut se déplacer plus facilement et jouir, chemin faisant, d’une nouvelle autonomie. La même logique est appliquée en ce qui concerne les lieux de travail, les surfaces de distribution et les unités de services et de loisirs appelées à bonifier l’expérience de cette urbanité périphérique.

« La grande partie des activités de stockage et de distribution se fera de main à la main, d’une usine et d’une ferme à une famille, ou du producteur à l’exportateur, ou de l’importateur au centre de distribution, au moyen de ces voies de circulation universelles auxquelles toutes les unités de production ou de consommation auront désormais un accès rapide et facile. » Ce schéma conceptuel nous fait penser aux nouvelles « Edge Cities » ces proto centres-villes éparpillés aux quatre coins de la conurbation suburbaine actuelle. Toutefois, les routes ne tombaient pas en morceaux, l’atmosphère était moins polluée et le coût des carburants était désuet à cette époque. Rappelons que Franck Lloyd Wright est décédé en 1959, l’année où la dernière ligne de tramway montréalaise fut démantelée.

L’automobile devient presque une panacée universelle puisqu’elle permet au citoyen de se rendre de sa résidence au travail, en passant par les sites commerciaux et autres espaces de divertissements, sans perdre trop de temps. « Le temps n’est pas de l’argent » pour Wright, il concerne plutôt le différentiel gagné à partir d’aménagements cohérents qui occupent des espaces adaptés à l’épanouissement individuel et collectif. L’auteur prône même la production de masse de véhicules de type « caravane » afin de permettre aux nomades de pouvoir se déplacer au gré de leurs pérégrinations. A contrario, il ne s’emballe guère face à l’aspect linéaire des chemins de fer qui conduisent, invariablement, vers d’immenses gares qui agissent comme des terminaux permettant d’aiguillonner les foules à la manière de bestiaux menés à la baguette.

L’homme-machine

Curieux paradoxe ou simple retour de balancier… Frank Lloyd Wright estime que la machine représente l’outil qui permettra à l’être humain de se libérer de l’enfermement de la cité médiévale. Selon lui, la technologie – extension du corps humain (technè) – permettra de générer des modes de conception, de fabrication et d’aménagement d’un habitat en harmonie avec l’environnement naturel. Influencé par la pensée du Bauhaus et l’efficacité du génie américain, Wright frôle le totalitarisme technocratique lorsqu’il soutient que l’homme de la cité libre sera proche d’un Prométhée, se perpétuant avec l’apport de la mécanisation des moyens de production. Pourtant, des philosophes de la trempe de Heidegger nous ont prévenus que ce « Deus Ex Machina » mène invariablement à la dissolution de l’être dans son rapport au monde.

Techni-cité

Faisant abstraction du risque encouru, Wright semble esquisser un schéma circulaire qui partirait de l’esprit pour aller vers la main, puis aboutir à la « techni-cité » et revenir à l’environnement naturel.

Le mythe du laboratoire ou de l’atelier de l’alchimiste est remis au goût du jour, en prenant en compte la capacité de production des nouvelles industries et la mobilité comme mode opératoire des nouvelles relations de proximité qui seraient appelées à se développer en marge des métropoles désuètes. À contrario des anciens monastères, comparables à des unités de production autarcique, les unités d’habitation proposées – de même que les autres centres de production ou de loisir – se déploient comme si elles étaient une extension du corps de leurs habitants. À l’instar de Le Corbusier, il compare la maison à une « machine à habiter ».

Cette vision utopique l’amène à professer que « son exploitation (l’occupation du sol par le citoyen de la nouvelle unité d’habitation) s’accroîtrait à mesure que lui-même grandirait ; il gagnerait ce développement par lui-même à la mesure de ses capacités ». Sorte de Bernard l’Hermite qui transformerait son habitat selon ses besoins et l’évolution de son existence, le citoyen de cette cité libre échappe à la rente censitaire en devenant un auto-producteur capable d’extraire de la terre qu’il occupe, une partie de sa subsistance.

La ville évanescente, malgré certaines erreurs conceptuelles et bien que l’ouvrage ait été composé à une autre époque, représente un essai capiton qui met la table pour une solide réflexion prospective au sujet du devenir de nos cités en lien avec le monde de la ruralité. Un essai toujours d’actualité et, somme toute, incontournable.

Patrice-Hans Perrier

 

Référence

La ville évanescente – The Disappearing City