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209210 juillet 2018 – Par ailleurs, ce même 10 juillet 2018, le site dedefensa.org vous parle de l’opposition entre “valeurs” et principes. Pour éclaircir et étayer le propos, je me propose de citer un des nombreux textes du site qui nous entretiennent de cette question. Il s’agit de la deuxième partie, la partie “réflexion-commentaire” développée sur cette question, à partir d’une circonstance d’actualité, le 11 juin 2014. (On trouve dans ce texte, référencés sur URL, d’autres textes développant cette question, et donc les étapes de notre réflexion à cet égard dès l’origine.)
Il s’agit d’une problématique d’une réelle importance, au moins à deux niveaux et chaque fois de la façon la plus directe. D’une part, elle intervient directement dans l’affrontement théorique autour de la modernité et de ce que nous nommons le “Système”, en permettant d’identifier parfaitement les positions antagonistes. D’autre part, du point de vue opérationnel, elle est directement sollicitée parce qu’elle entre directement dans la définition et le développement des deux grandes politiques qui expriment cet affrontement, – en gros, disons la politique humanitariste et globaliste d’une part, la politique souverainiste et identitaire d’autre part.
L’extrait que nous publions ci-dessous est la deuxième partie d’un articule de la rubrique Faits & Commentaire de juin 2014, à l’occasion des rencontres, ou des refus de rencontres de chefs de gouvernement et chefs d’État en France, en marge 70èmeanniversaire du débarquement de Normandie. C’est à cette occasion que fut esquissée la formation du groupe dit “de Normandie” avec quatre pays (France, Allemagne, Russie, Ukraine), à propos de la crise ukrainienne, pour aboutir à des accords dits “de Minsk”.
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« …Notre hypothèse va de soi, bien entendu. Elle rejoint des observations que nous avons souvent faites, et notamment à propos de Poutine et de la Russie. Ces dernières années, nous avons souvent observé que la politique russe avait la particularité devenue rarissime, de s’appuyer sur des principes, et cela d’une façon articulée, explicite, même décrite. Dans son interview du président Poutine du 3 juin [2014], le journaliste d’Europe n°1 Jean-Pierre Elkabbach lui pose, et même lui répète, une question sur la Syrie en insistant sur l’aspect le plus émotionnel de l’argumentation du bloc BAO de “l’homme aux mains couvertes de sang”, – dito, Assad, bien entendu... («Ce qu’on ne comprend pas c’est pourquoi vous, Vladimir Poutine qui voulez moderniser la Russie, vous continuez à soutenir, peut-être à donner des armes, à quelqu’un qui continue à massacrer son peuple et qui est comme Macbeth les mains couvertes de sang ?») Poutine lui répond “à côté”, mais d’une façon qui clôt le débat en écartant l’émotion du cliché sollicitant d’une façon biaisée et partisane la référence des “valeurs” par la puissance évidente du principe où compte le seul mot de “légitime” qui renvoie à la légitimité :
«Je vous donnerai une explication courte et facile à comprendre. Et je pense que la plupart des téléspectateurs et des auditeurs français me comprendront. Ce que nous craignons avant tout, c’est le démembrement de la Syrie à l’image de ce qui s’est produit au Soudan. Nous craignons que la situation y devienne similaire à celle que nous voyons aujourd’hui en Irak. Et nous craignons également que la Syrie devienne une sorte de nouvel Afghanistan. C’est pourquoi nous tenons à y conserver le pouvoir légitime…»
Dans le texte du 5 juin 2014, où nous tentions d’expliquer l’adhésion admirative en faveur de Poutine du journaliste-Système Jean-Pierre Elkabbach, que nous mettions au crédit de la forme du discours de Poutine plus qu’à son contenu, nous notions :
«A nous commentateurs de faire des hypothèses, et nous avons la nôtre. Il y a certes les qualités de l’homme (Poutine) mais il y aussi, – et surtout pour notre propos, et cela en ayant dans l’oreille et à l’esprit l’interview où Poutine fut excellent, – il y a surtout la fermeté et l’évidence du propos d’un homme qui s’appuie sur la force des principes. Il ne perd pas trop de temps, ni ne nous fait perdre le nôtre, à nous exposer que la Russie est un grand pays, – on le sait, – ni même un pays “exceptionnel” – cela est bien possible, sans avoir à en faire le sujet d'une doctrine stratégique pour la communication. Poutine décrit et explique, et alors l’affirmation de la souveraineté nationale dans la politique vous permet d’exposer cette politique avec une force principielle, c’est-à-dire qu’elle vous donne le talent et l’éloquence qu’exsude la structuration évidente du propos. On comprend la remarque d’Elkabbach (“... et je sais bien des dirigeants français qui pourraient en prendre de la graine.”) : même pour le vieux routier retors et désabusé de la communication parisienne, le discours d’un homme qui applique une politique principielle pulvérise les slogans psalmodiés des dirigeants-Système du bloc BAO, qui ne peuvent s’appuyer que sur le vide de l’absence de substance...»
Nous avons déjà développé l’idée que ce qui fait la puissance irrésistible de la politique russe et du discours général de Poutine, ce ne sont ni le contenu de cette politique, ni les idées qui l’animent, ni les qualités éventuelles de Poutine, – même si tout cela existe, comme c’est probable d’une certaine façon puisque “tout cela” s’appuie sur des principes ; ce qui fait cette puissance irrésistible, c’est le choix fait, volontairement ou non qu’importe, de s’appuyer et de se référer aux principes qui font la structurations de la pensée et des actes, et non aux “valeurs” qui sont des choix de la pensée (d’une pensée ou l’autre, par définition partisane) pour justifier des actes. Nous écrivions ainsi le 23 septembre 2013 :
«C’est le constat d’une différence fondamentale de sens, c’est-à-dire de l’essence même de la chose, de ce qu’est une civilisation. Cette différence est développée et explicitée, si l’on veut, autour de ce qu’on pourrait identifier comme un affrontement entre les “valeurs” et les principes : les “valeurs” étant l’acquis d’un développement donné (la modernité, dans ce cas), instituées par ceux qui l’ont développé, donc par les responsables humains de la modernité, éventuellement devenues, par la force des choses, des acteurs actifs de ce qui est devenu le Système ; les principes étant ce qui est intangible, qui précède tout développement et toute civilisation, qui structure la voie et le sens de ce que toute civilisation doit chercher à faire pour s’accomplir en tant que telle.»
… Puis, à la suite d’une observation d’un lecteur, nous développions l’aspect fondamental de cette opposition “valeurs” versus principes, le 14 décembre 2013. Il s’agissait de la traduction théorique de la formule utilisée plus haut (“[les]principes… font la structurations de la pensée et des actes, [tandis que les] “valeurs”… sont des choix de la pensée (d’une pensée ou l’autre, par définition partisane) pour justifier des actes”) :
«L’on comprend évidemment que cette question “principes versus ‘valeurs’” oppose des orientations conceptuelles par rapport au développement d’une civilisation, mais aussi, à notre sens, par rapport à toute pensée structurée qui s’équipe pour jeter un regard critique sur la situation du monde : les “principes” sont des normes structurelles (structurantes par essence), existant hors de telle ou telle civilisation, et qui doivent être nécessairement utilisées pour orienter structurellement le développement d’une civilisation, pour que celle-ci ait un sens (pour que cette civilisation ne soit pas littéralement insensée) ; les “valeurs” sont des pseudo-normes conjoncturelles (dont le caractère structurant est absolument aléatoire) déterminées par une civilisation donnée elle-même, pour justifier son propre développement et lui donner un pseudo-sens (faux-sens, contresens, simulacre de sens, etc.). Un principe, grâce à la puissance de son essence structurante, ne peut être infecté et subverti par une civilisation faussaire (une contre-civilisation, comme celle que nous vivons) et peut donc devenir un instrument de critique radicale de cette civilisation faussaire. Une “valeur”, qui n’a aucune essence structurante, peut être utilisée par une civilisation faussaire (une contre-civilisation) pour se faire prendre pour une vraie civilisation, et elle l'est même systématiquement lorsqu'il s'agit effectivement d'une contre-civilisation puisqu'elle est justement développée dans ce but.»
Il s’agit de bien comprendre, – nous le répétons avec force car l’idée exige la répétition, – que nous ne plaidons en aucune façon une politique (celle de la Russie) ou l’action d’un homme politique (Poutine). A ce point, l’idée politique et l’acte qui en découlent ne nous intéressent pas. D’une certaine façon en poussant l’observation jusqu’à la pureté de l’idéal qui doit être se référence théorique, toute politique qui s’appuie sur les principes et tout homme politique qui suit une telle politique ont nécessairement la vertu de leur côté, tandis que le choix des “valeurs” comme références uniques est nécessairement suspect (du type “présumé coupable” à moins de prouver son innocence) parce qu’il découle d’une idée politique avec tous ses pré-jugements et ses intérêts partisans. Pour nous, une politique d’intérêt national n’a de sens vertueux que si elle s’appuie sur les principes et, par conséquent, rencontre les intérêts nationaux des autres. C’est Talleyrand engageant la position française au Congrès de Vienne en annonçant que la France renonce à toutes ses conquêtes “révolutionnaires et impériales”, parce qu’ainsi «la France [cesse] d’être gigantesque pour devenir grande». (Voir le 16 août 2007, sur “l’éloge et la nécessité de la souveraineté”, où Talleyrand argumente que seule la maison des Bourbons a la légitimité nécessaire pour rendre à la France sa souveraineté : «La maison de Bourbon seule, pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon, la France cessait d’être gigantesque pour devenir grande. Soulagée du poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule, pouvait la replacer au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système social ; seule, elle pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient amoncelées contre elle.») De même, un siècle et demi plus tard, de Gaulle restaurera-t-il la souveraineté de la France en plaidant, non pas les “intérêts nationaux” de la France, mais le principe de souveraineté nationale, dont il réclamera d’ailleurs mais bien évidemment l’application pour les autres autant que pour la France elle-même.
Notre propos à ce point est d’observer que de tels choix des principes contre les “valeurs”, ou plus précisément dit, “les principes avant les valeurs” (d’abord appliquer les principes, ensuite suivre les valeurs qui correspondent à cette nouvelle situation ainsi créée et écarter celles qui l’entravent), donnent aux hommes politiques qui les font une autorité naturelle. Lorsque nous disons “autorité naturelle”, nous ne disons pas que cette autorité leur est propre, mais qu’elle devient leur nature même et s’exprime naturellement, parce qu’ils ont fait le choix des principes. De même, leur politique exsude cette même “autorité naturelle”, comme si elle parlait d’elle-même, disant sa légitimité.
Au contraire, les hommes politiques qui ne se réfèrent qu’aux “valeurs” sont à la merci des avatars et des hoquets du temps historique ; les avatars et les hoquets sont d’autant plus sévères, et les “valeurs” d’autant plus manipulables lorsque le temps historique est bas, confus, insensé, – ce qui est particulièrement notre cas. Pour l’occurrence qui nous importe, et face à Poutine, Obama est un homme nécessairement et littéralement “sans principes”, fabriqué sur quelques-unes de ces “valeurs” incertaines et faussement symboliques (multiculturalisme, antiracisme, etc.), dans une période où la crise du gouvernement américaniste atteint son paroxysme de déchirement haineux et de paralysie, derrière un formidable brouillard d’hypocrisie hystérique. Voulant avant tout préserver sa position qui n’a aucune “autorité naturelle”, Obama cherche à satisfaire toutes les “valeurs”, jusqu’aux plus contradictoires, et nécessairement jusqu’aux plus contradictoires ; dans cette époque de tourments et de crises permanentes, les “valeurs” se multiplient et s’amoncellent dans le système de la communication où se trouvent leur seule expression possible, allant dans tous les sens et répondant aux multiples voix et intérêts contradictoires. La conséquence est que la politique d’Obama est à l’aune de ces “choix”, contradictoire, aléatoire, pusillanime, à la fois illégitime et insensée, où la décision et l’acte sont remplacés par le verbe et l’effet d’annonce, où n’importe quel usurpateur (on pense à une Nuland) peut se saisir des commandes pour imprimer une direction décisive, – la politique d’Obama est une constante banqueroute qui s’exprime dans une constante faiblesse, comme l’observe Draitser. Ainsi l’homme est-il tout entier contenu dans cette production faussaire, et affecté à mesure... Ainsi le roi, comme les USA, apparaît-il nu de plus en plus souvent.
La saga faussement diplomatique Paris-Normandie, ou Paris-Deauville, fut un de ces moments où ces vérités de caractère et de politique parurent en pleine lumière. Les circonstances aidant, c’est bien cela qui s’est imposé : le caporal-chef du bloc BAO, qui s’est toujours vanté de tenir le moral ground, mesure incontournable des “valeurs”, s’est trouvé dépourvu et effectivement nu comme un ver et comme le roi, devant le principle ground dont Poutine est le porteur, et qui supplante tout le reste... Tout cela n’a guère de valeur ni d’effet politiques concrets, mais qu’importe dans une époque qui n’a plus aucune politique sinon la politique-Système et la résistance antiSystème, où comptent d’abord les influences, les affirmations de caractère, les capacités de résistance des psychologies. Ce qui importe par conséquent, c’est ce que ces échanges, ces situations, ces basculements d’influence, nous montrent des caractères et des psychologies. Ceux de ces caractères et de ces psychologies qui s’appuient sur les “valeurs” (moral ground) se trouvent sur un terrain gondolé et mouvant, insaisissable et tanguant, à la fois déstructuré et déstructurant, qui ne cesse de les affaiblir, eux qui sont déjà si faibles ; ceux qui se réfèrent aux principes s’appuient sur une structure indestructible et d’une fermeté qui défie le temps (principle ground), et s’en trouvent eux-mêmes trempés et raffermis. »
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