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19 février 2004 — Un signe qui ne trompe pas : la fureur rentrée et le fiel qui donne son sel à l’article de John Vinocur, ce matin dans l’International Herald Tribune, forment un signe certain que le sommet à trois de Berlin en embarrasse plus d’un et, ici ou là, déclenche des colères significatives. On peut comprendre aussitôt que c’est également le signe que cette initiative, ou plutôt cette formule, est la seule qui soit capable de faire avancer l’Europe aujourd’hui.
Ainsi raisonne-t-on, aujourd’hui, par réflexion “à front renversé” ou a contrario, par rapport à la propagande qui est déversée sur nous.
Et si, là-dessus, pour nous impressionner, Vinocur déverse sur nous (suite) un torrent de citations françaises nous annonçant que le couple franco-allemand ne vaut plus rien, qu’il se tourne donc vers les Britanniques, c’est-à-dire vers les Américains sans doute, parce que, ultime argument, les Français sont si mauvais, — sans aucun doute, on peut être assuré du contraire. Quelles meilleures citations que les françaises, par les temps qui courent comme par tous les temps, de Libération, d’Europe n°1 et compagnie, pour nous assurer de l’échec par avance de toute initiative tendant à donner un sens stratégique à l’Europe, et où la France aurait une part principale. Le peuple “le plus intelligent de la terre” ne cesse de veiller au grain à cet égard.
Voici les citations retranscrites du Vinocur, où l’on lira que la réunion, avec Blair en plus, consacre bien qu’il faut un lien entre la “vieille Europe” et la “new Europe”, et que ce lien, c’est le maître du jeu lui-même, c’est le triomphant Tony Blair. Cette interprétation du sommet à trois de Berlin où Blair aurait régné en maître, au moment où Blair y arrivait en lambeaux de ses expéditions irakiennes et londoniennes (suicide de Kelly et la suite), et encore plus de son copinage transatlantique, coupe le souffle ou déclenche une hilarité bienfaisante par son à-propos. C’est une sorte de cure.
« Hours before the meeting began in Berlin, drive-time listeners to Europe 1 radio, a national, mass-market broadcaster, were told matter-of-factly that the summit meeting's backdrop was a French-German partnership that had ''neither the energy nor the credibility'' to lift Europe from its miseries and was now turning toward Blair, “the indispensable hyphen between 'old' and 'new' Europe.”
» Hardly suspect of Eurosceptic gloating, the leftist newspaper Liberation was drawing roughly the same conclusions. “The French-German axis no longer has the weight to hope to conserve its European role,” it said in an editorial. »
Pendant ce temps, à Londres, dans le Guardian de ce matin, on constate et on explique en long et en large que le pauvre Tony Blair n’a pas réussi dans son entreprise européenne qui aurait été de tenter de desserrer l’étau que le couple franco-allemand fait peser sur lui, pour pouvoir s’y glisser un tantinet. Le Channel est toujours aussi large, mais pas dans le sens qu’on croit.
« Tony Blair's strategic ambition to position Britain as an equal partner with France and Germany at the heart of an expanded Europe was publicly rebuffed at the Berlin summit last night by President Jacques Chirac.
» With the prime minister a few feet away as the EU's “big three” grappled to generate fresh momentum for the sluggish European economy, Mr Chirac insisted that the Franco-German relationship is “very specific” — and not for export. “It is not something that can be transposed or exported in the short term. It is a very intense relationship which is illustrated by regular contacts, daily contacts between government and public officials,” he reminded Mr Blair.
» With TV cameras on him Mr Blair took the first chance he could to say he “totally agrees about the Franco-German relationship. It is a very specific relationship”. But the three countries can and will work closely together for the common benefit of all Europe, he said. “There should not be any sensitivity about this, any sense of exclusivity,” Mr Blair emphasised. »
Laissons ces appréciations accessoires. L’essentiel est la forme de cette réunion et ce qu’elle signifie pour la structure de l’Europe. L’essentiel est aussi dans les protestations générales des trois participants, qu’il ne s’agit pas de la mise en place d’une nouvelle forme de direction de l’Europe (ou d’“une forme de direction de l’Europe”, puisqu’il n’y en a pas eu avant de vraiment sérieuse). C’est donc bien que nous allons dans cette direction. Là aussi, la raison est a contrario.
Un intéressant commentaire, loin des sornettes parisiennes et des gémissements marginaux, est celui du Britannique Timothy Garton Ash. Nous en citons un extrait significatif, en observant que Garton Ash bien des réserves à faire à côté de cette approbation générale, que ces réserves sont plus ou moins discutables et qu’elles ne sont jamais inintéressantes, et que d’autre part il y a bien des réserves à faire à propos des observations de Garton Ash. L’important dans cet article est donc d’autant plus significatif.
Il y a une grande possibilité de vérité, sans doute européenne, dans le constat de Garton Ash qu’effectivement, hier, sans crier gare, une période nouvelle a commencé. Les clameurs qui l’ont accompagnée n’y sont pas pour rien ; d’autres rencontres à trois ont déjà eu lieu sans soulever ce brouhaha ; cette fois, hier, la rencontre correspondait à une tendance et un besoin qui sont désormais dans l’air. Elle s’en trouve justifiée.
« The Italians are hopping mad at being excluded from the top table. Silvio Berlusconi has called yesterday's meeting “a big mess”. The Spaniards aren't happy either, Poles mutter about a new Yalta, and all the smaller countries in Europe rail against the large ones that are trying to lord it over them. But Berlusconi — a man seemingly born with his foot in his mouth — is wrong again. The “big mess” is Europe itself. Yesterday's summit was a first attempt to start tidying it up. Part of the mess is inevitable: a new Europe is being born, and all births are messy. »