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1639Le ministre-Rock’n’Roll, le drame rapide de sa démission rapidement ingurgité dans la narrative de la “crise grecque” qui poursuit sa course folle, s’en est allé sur l’île d’Égine, où sa femme possède une résidence du meilleur aloi. On le vit prendre le ferry boat deux heures avant qu’on ait pris connaissance (tweet) de l’explication de son absence de Grèce lors du vote (positif) du Parlement, hier, sur la proposition Tsipras pour le dernier plan grec en date, en général qualifié de “capitulation” devant les exigences européennes contre lesquelles le référendum grec s’était massivement élevé dimanche dernier. L’explication de son départ pour “raisons de famille” a depuis été effectivement ramené à ce simple déplacement sans absolue nécessité “familiale” d'urgence semble-t-il, surtout compte tenu de l’importance du débat à Athènes. Varoufakis a précisé dans une lettre à la présidence du Parlement grec qu’il voterait “oui” au “plan de capitulation” mais il faut plutôt dire qu’il “aurait voté” puisque ce document informel n’a pas été enregistré comme un vote et il reste donc qu’il ne s’est pas formellement prononcé.
... Cet aspect-là de l’activité de Varoufakis (son absence d’Athènes pour le vote) n’a pour notre propos qu’une importance secondaire, qu’on expliquera selon le sentiment qu’on en a ; on pourra noter qu’il peut s’agir d’un geste qui à la fois ne rompt pas la solidarité gouvernementale qu’il avait promise avec sa démission tout en ne l’engageant pas formellement ; on pourra juger qu’il aurait justement pu s’engager plus directement, aujourd’hui mais aussi dans les mois où il dirigea les négociations du côté grec, à la lumière de ce qu’il nous dit par ailleurs.
En effet, l’essentiel vient d’ailleurs, d’un article du même Varoufakis dans le Guardian. Mis en ligne hier au soir, complété dans la nuit, il est donc daté de ce 11 juillet 2015 et constitue un document qui, dans le climat actuel, est à la fois très important et qui pourrait être explosif s’il n’est pas trop étouffé ; la chose dépasse largement le cadre de la “dette grecque” pour entrer de plain-pied dans la “crise européenne” dans sa dimension politique sinon ontologique qui elle-même touche à la situation du Système. Varoufakis observe essentiellement que l’Allemagne veut “nous briser” (nous, Grecs) mais d’un point de vue tactique et pour une stratégie plus vaste, que si le but de la Grèce a toujours été la restructuration de la dette, celui de “certains dirigeants européens” a toujours été, et reste le Grexit. Varoufakis met en cause directement le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble et complète son propos en observant que le but du Grexit est dans l'esprit de Schäuble une mise au pas définitive de la France dans les conceptions et la direction européennes de l’Allemagne. Voici quelques passages de son article, avec un souligné en gras de notre fait pour mettre en évidence les passages qui nous importent
«In my first week as minister for finance I was visited by Jeroen Dijsselbloem, president of the Eurogroup (the eurozone finance ministers), who put a stark choice to me: accept the bailout’s “logic” and drop any demands for debt restructuring or your loan agreement will “crash” – the unsaid repercussion being that Greece’s banks would be boarded up. Five months of negotiations ensued under conditions of monetary asphyxiation and an induced bank-run supervised and administered by the European Central Bank. The writing was on the wall: unless we capitulated, we would soon be facing capital controls, quasi-functioning cash machines, a prolonged bank holiday and, ultimately, Grexit.
»The threat of Grexit has had a brief rollercoaster of a history. In 2010 it put the fear of God in financiers’ hearts and minds as their banks were replete with Greek debt. Even in 2012, when Germany’s finance minister, Wolfgang Schäuble, decided that Grexit’s costs were a worthwhile “investment” as a way of disciplining France et al, the prospect continued to scare the living daylights out of almost everyone else. [...]
»This weekend brings the climax of the talks as Euclid Tsakalotos, my successor, strives, again, to put the horse before the cart – to convince a hostile Eurogroup that debt restructuring is a prerequisite of success for reforming Greece, not an ex-post reward for it. Why is this so hard to get across? I see three reasons. Europe did not know how to respond to the financial crisis. Should it prepare for an expulsion (Grexit) or a federation? One is that institutional inertia is hard to beat. A second, that unsustainable debt gives creditors immense power over debtors – and power, as we know, corrupts even the finest. But it is the third which seems to me more pertinent and, indeed, more interesting.
»The euro is a hybrid of a fixed exchange-rate regime, like the 1980s ERM, or the 1930s gold standard, and a state currency. The former relies on the fear of expulsion to hold together, while state money involves mechanisms for recycling surpluses between member states (for instance, a federal budget, common bonds). The eurozone falls between these stools – it is more than an exchange-rate regime and less than a state.
»And there’s the rub. After the crisis of 2008/9, Europe didn’t know how to respond. Should it prepare the ground for at least one expulsion (that is, Grexit) to strengthen discipline? Or move to a federation? So far it has done neither, its existentialist angst forever rising. Schäuble is convinced that as things stand, he needs a Grexit to clear the air, one way or another. Suddenly, a permanently unsustainable Greek public debt, without which the risk of Grexit would fade, has acquired a new usefulness for Schauble.
»What do I mean by that? Based on months of negotiation, my conviction is that the German finance minister wants Greece to be pushed out of the single currency to put the fear of God into the French and have them accept his model of a disciplinarian eurozone.»
ZeroHedge.com, qui a évidemment commenté l’article de Varoufakis, s’interroge sur le crédit qu’on doit accorder aux intentions allemandes telles qu’elles sont décrites par l’ex-ministre. Le site nous rappelle très opportunément un article du Financial Times du 11 mai 2014, sur un historique des coulisses du sommet du G20 de Cannes (mai 2011), où selon certains (des Français) l’on fut le plus proche de la fin de la zone euro, et où fut discuté et décidé ce que FT nous présenta alors comme le “plan Z” (plan pour “sauver” la Grèce). L’article décrit l’attitude de Merkel, exposant sa politique d’austérité et tout le reste qui devraient être imposés avec une discipline de fer par l’Allemagne à la Grèce, à toute l’Europe (à la France, certes), Merkel réclamant le soutien des autres, fondant en larmes devant un Sarko-stupéfait et un BHO-ébahi .... (A la stupéfaction et l’ébahissement de tous, Merkel fondit en larmes ... «“Das ist nicht fair.” That is not fair, the German chancellor said angrily, tears welling in her eyes. “Ich bringe mich nicht selbst um.” I am not going to commit suicide... [...] it was shocking enough to watch Europe’s most powerful and emotionally controlled leader brought to tears.») Merkel revenue à plus de contrôle d’elle-même réaffirma la politique allemande devant les objections de Sarko et d’Obama et avança l’argument suprême qui pèse sur la conscience historique de la puissance allemande démocratiquement blanchie, d’avoir dû céder sa souveraineté aux alliés en 1945, donc de ne pouvoir poursuivre avec plus de facilité expéditive les buts qui forment son ambition européenne, – cela revient à cela, au bout du compte si l’on n’emploie pas cette forme dans le propos, et l’on comprend de quelles ambitions il peut s’agir sinon de la première de toutes en Europe, vis-à-vis de l'Europe où la France se trouve également :
«Instead, a cornered Ms Merkel threw the French and American criticism back in their faces. If Mr Sarkozy or Mr Obama did not like the way her government ran, they had only themselves to blame. After all, it was their allied militaries that had “imposed” the German constitution on a defeated wartime foe six decades earlier.»
Après ce rappel historique qui est du aux excellentes archives de ZeroHedge.com, et qui montre que Schäuble ne semblerait nullement isolé dans ses ambitions conquérantes et comminatoires, on est un peu plus convaincu de l’importance politique de la “crise grecque” et de sa dimension-Système fondamentale, cette fois du côté des ambitions politiques nationales et conceptuelles à l’occasion des crises qui ne cessent de tournoyer en “tourbillon”, de plus en plus vite. L’on avancera par conséquent qu’il est difficile de ne pas penser que l’intervention de Varoufakis ne pèsera pas, d’une façon ou l’autre, sur les activités fébriles de ce week-end qui doivent faire avancer gaillardement ce qu’on considère comme “la capitulation” de Tsipras, et surtout sur les psychologies de leurs acteurs. Il n’est pas assuré non plus que la chose ait une présence trop visible, les réactions habituelles du Système et de sa communication devant les interventions embarrassantes étant en général le silence, même entre partenaires et complices qui découvrent ou voient renforcée leur conviction qu’il y a dans l’armoire quelques cadavres entre eux. Mais si et puisque ce que l’ex-ministre-Rock’n’Roll nous dit est fondé pour l’essentiel, l’on ne peut par conséquent avancer une seconde, en l’absence d’évidences impératives (chose impossible à manifester) d’un côté ou de l’autre, que ses appréciations sont absurdes ou lunatiques ; ce n’est pas un commentateur extérieur qui parle, mais un acteur de première ligne, dont on chuchote par ailleurs qu’il dispose de documents de communication (enregistrements personnels des rencontres de l’Eurogroupe ?) utiles à sa thèse.
Quoi qu’il en soit, effectivement, l’intervention de Varoufakis déplace le débat, implicitement ou explicitement on verra, et le hausse comme nous le proposions plus haut à un niveau “dépassant largement le cadre de la ‘dette grecque’ pour entrer de plain-pied dans la ‘crise européenne’ dans sa dimension politique sinon ontologique qui elle-même touche à la situation du Système”. Bien sûr, en évoquant la thèse de Varoufakis, on songe aussitôt au couple franco-allemand qui est l’axe central, unique et sacrée de toute la pensée-Système de la direction française, une sorte de bouée de sauvetage intellectuelle pour espérer exister encore en tant que direction et se qualifier tout de même, assez paradoxalement, de “française”. On imagine par ailleurs l’exacerbation des sentiments nationaux, patriotiques, etc., de tout bord que cette thèse alimente, — véritable schématisation du “complot allemand” pour réduire la France à sa merci et annexer décisivement l’Europe. Tout cela est inévitable mais tout cela n’est pourtant pas l’essentiel ... L’Allemagne d’aujourd’hui reste l’Allemagne d’une Merkel en pleurs à Cannes parce que l’Allemagne ne dispose pas d’autres outils que sa puissance économique et financière pour conduire cette politique fantasmagorique d’“idéal de puissance” dont les racines remontent, pour la séquence du déchaînement de la Matière”, à la défaite de Iéna contre laquelle Fichte exalta l'Allemagne à se recréer en nation, dont elle (l’Allemagne) a la nostalgie enfouie au cœur d’elle-même, au moins depuis 1989-1991 pour la période que nous vivons. Plus que jamais, les larmes de Merkel doivent être considérées comme significatives d’une forme bien réelle de l’“impuissance de la puissance” affectant l’Allemagne ... On sait ce que nous pensons de cette puissante Allemagne, et les larmes de Merkel, ainsi bien plus pathétiques puisque justifiées...
«...On ajoutera, si l’on veut de l’exotisme pour faire trembler les foules les rêves bismarckiens-postmodernes de la chancelière rêvant du “IVème Reich” à la tête d’un pays privée d’armée, sous les écoutes bienveillantes de la NSA et les commentaires attentifs d’une presse inspirée par son actionnaire majoritaire qu’est la CIA; contrairement au jugement commun, cette sorte d’hypothèse, pour une puissance si complètement déséquilibrée et donc plus apte à se mettre au service de quelque chose à grâce à ses pans de puissance restants que d’accoucher de vastes desseins pour les réaliser, pour lesquels il lui faudrait une puissance complète et équilibrée, nous conduit à confirmer sans une hésitation l’hypothèse de la formation de “la Secte” dont l’Allemagne, bien disciplinée, serait l’une des plus zélées servantes.» (Notre F&C du 7 juillet 2015.)
Justement disions-nous, l’Allemagne comme “l’une des plus zélées servantes” de “la Secte”, c’est-à-dire du Système certes, en mettant à son service, au travers de ses phantasmes et de ses illusions de puissance toute sa capacité formidable de gestion, sa puissance de contrainte et sa manière rigoriste et disciplinée qu’on pourrait aussi bien qualifier d’autoritariste. Par conséquent, ce que nous enseigne en fait l’épisode, aussi bien l’intervention de Varoufakis que le rappel des larmes de Merkel devant le “Plan Z” qui ne permet pas de déployer des divisions blindées qu’elle n’a plus, c’est que la “crise grecque” n’est pas prête de se terminer, accord ou pas du plan-Tsipras, Graxit ou pas, parce que c’est la “crise européenne” qui va au cœur (la question de la domination) ; parce que c’est la “crise européenne” avec une France affaiblie et à la dérive et qui ne tient que par ses mots d’ordre bon chic bon genre, – et à cause de cela, qui va être contrainte de plus en plus à résister sous peine de graves désordres internes dès lors que le Graxit est entendu, interprété, compris, comme une tentative de créer une Europe allemande dont la première condition est la soumission française. Tout cela bien compris, il reste que tout cela, bien entendu, ce sont des plans sur la comète, que plus personne, y compris Merkel & ses larmes, n’a les moyens de seulement espérer entreprendre, parce qu’aujourd’hui règnent le Système et son ambivalence dynamique surpuissance-autodestruction ; mais ces plans sur la comète et les tentatives qui vont avec nous garantissent la poursuite accélérée et de plus en plus paroxystique du désordre européen, c’est-à-dire de notre Grande Crise qu’il faut absolument mener à son terme (effondrement du Système).
... Certains, ceux qui connaissent les choses secrètes mais assurées, jugeraient ou jugeront les propos de Varoufakis avec leur habituelle condescendance (“on le savait, que l’Allemane veut dominer/ a un plan pour dominer domine l’Europe et la France”). Nous observerions alors simplement qu’“on le savait peut-être mais qu’on le sait encore plus et d’une manière extraordinairement intrusive du point de vue de la perception”, en ces jours où la perception est portée à un niveau très grand de dramatisation et où la communication domine tout. On le sait “encore plus” alors qu’on doit savoir également de certitude assurée que l’Allemagne n’a pas les moyens de ses ambitions, – signification profonde des larmes de Merkel à Cannes-2011, – et que ses diverses tentatives, du “Plan Z” au “plan Graxit” de Schäuble, ne font que renforcer l’effet déstructurant du désordre et de la confusion qui mettent en évidence son absence complète de légitimité pour accomplir des ambitions dont la base doit être une complète souveraineté appuyée sur une force principielle. Même un Charlemagne postmoderne (ou un Adolf postmoderne, pour les mauvaises langues) ne saurait sortir un or si brillant du vil plomb à quoi est réduite notre civilisation, dont l’Allemagne comme les autres, certes.
Mis en ligne le 11 juillet 2015 à 08H46
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