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24 janvier 2007 — Le sixième discours sur l’état de l’Union du président GW Bush ne marquera pas directement l’Histoire par son contenu. Ce n’est rien parce que ce n’était pas le propos. L’Histoire, elle, se servira de ce discours pour nous signaler l’évolution de l’Amérique de GW, — là était bien le propos.
Le discours intervient au milieu d’une situation très contrainte, où les deux branches du pouvoir aux USA se tiennent peu ou prou prisonnières l’une de l’autre. Le président, dans une position politique désastreuse et avec une situation en Irak à mesure, est totalement sur la défensive ; il a donc parlé de certaines choses pour ne pas trop parler de l’Irak, sinon à ce propos en plaidant piteusement pour le soutien à sa politique. Le Congrès, à majorité démocrate, ne s’est pas (pas encore?) décidé à agir sérieusement contre la politique du président en Irak.
(“Pas encore”? Sans aucun doute, la question se pose. Ce Congrès est à la fois puissant et faible. Il est armé d’un mandat populaire puissant dont il n’ose user complètement pour attaquer de front la présidence, de crainte de mettre à mal le système auquel il souscrit. Il s’agit d’une position de faiblesse contrainte qui rend paradoxalement le Congrès très vulnérable à des pressions générales incontrôlables, aussi bien de l’ordre du psychologique que de l’ordre du médiatique. Le Congrès est en fait confronté à la possible obligation d’agir sous la poussée d’un courant d’opinion, voire sous la poussée de sa propre rhétorique interne et de la surenchère dialectique habituelle dans ce milieu. En d’autres mots, le Congrès se met lui-même dans une position qu’il ne contrôle pas et il pourrait devenir très dur à l’égard du président, simplement à cause de ces poussées incontrôlables, — de même qu’il pourrait continuer à s’abstenir d’agir sérieusement. Notre appréciation intuitive, tenant compte des excitations et des vanités du personnel politique, des aveuglements de la présidence, des excès des idéologues, des mauvaises nouvelles venues du Moyen-Orient, de la pression populaire aux USA, et enfin du désordre régnant en général à Washington, est plutôt en faveur de la perspective d’un durcissement du Congrès sous une poussée incontrôlable.)
Puisque personne ne voulait vraiment parler de l’Irak sur le fond, on attendait Bush sur d’autres questions. Par exemple, on l’attendait sur la crise climatique. Bien entendu, on a été déçu. Bush a parlé de la crise climatique d’une façon très, très indirecte, en parlant du pétrole, de la dépendance US du pétrole, etc., tout cela au nom de la sécurité nationale.
Appréciation typique à cet égard, celle de The Independent :
«For the first time Mr Bush used this great set-piece occasion to tackle the issue of climate change. But his praise of technology seemed to rule out adoption by the federal government of mandatory limits on carbon emissions, as proposed by California and some other states, by a broadening array of US businesses among them some energy utilities and by foreign leaders, notably Tony Blair and Angela Merkel, the German Chancellor.
»Instead, from the moment it rejected the Kyoto agreement in 2001, the Bush administration, long sceptical about the very notion of global warming, has always insisted that any internationally agreed restraints must be voluntary rather than compulsory.»
Il ne fait aucun doute que l’Europe (la Commission) attendait un message pour elle dans ce discours sur l’état de l’Union. Elle l’attendait sans beaucoup d’espoir d’y trouver des propositions qui rencontrassent sa propre action. En un sens, elle n’a pas été déçue, quoi qu’on puisse en écrire. Il y a une réponse, mais dont on voit qu’elle confirme complètement les engagements précédents de GW Bush, — en réalité, ses non-engagements dans le sens du refus d’une action structurelle générale. L’effet peut-être inattendu de ce discours est un pas de plus vers la politisation fondamentale de la question de la crise climatique.
En accordant l’importance qu’il lui donne à la question de l’indépendance énergétique passant par la réduction de la consommation de pétrole, qui est une sous-sous-rubrique de l’action générale contre l’émission de gaz CO2, le président US reconnaît que le problème de la crise climatique est posé. De ce point de vue, il s’agit implicitement d’une reconnaissance de l’existence de la crise, le différend portant sur les moyens d’y répondre. Mais c’est l’essentiel parce que, dans ce cas, les moyens choisis déterminent l’appréciation qu’on a de la crise.
Cette même proposition des 20% de réduction de la consommation de pétrole en 10 ans signifie que GW refuse la logique de la lutte générale et multilatérale contre la crise climatique. Il propose une réponse unilatérale, nationale et purement économique (soumise aux exigences de l’économie et au refus d’imposer à celle-ci la moindre contrainte). Se plaçant dans la logique de la sécurité nationale, il considère la crise du seul point de vue nationaliste. Sa réponse à la crise climatique est du pur nationalisme économique alors que la logique de la crise telle qu’elle est développée en général exige une réponse multinationale.
Le résultat net, tel qu’il sera perçu sur le terme est celui-ci :
• reconnaissance de l’existence de la crise ;
• refus d’y répondre d’une façon directe et d’une façon multilatérale et coordonnée.
Il ne nous importe pas ici de savoir quelle approche est la plus efficace. (De même, il ne nous importe pas de prendre position sur la réalité de la crise : plus ou moins grave, plus ou moins importante, etc.) Comme on le sait, ce sont les aspects politique et psychologique qui nous intéressent.
Il nous importe de déterminer les effets politiques des positions des uns et des autres. La position américaniste — dans tous les cas, de l’administration fédérale, — tend, une fois de plus, à envisager la question du point de vue national et unilatéraliste alors que les principaux partenaires (l’Europe) la considèrent d’un point de vue multinational. Il n’y a pas rapprochement, espoir de convergence, etc. Il y a certainement évolution de la position US (l’objectif à atteindre est précisé, détaillé, etc.) mais elle accroît la divergence observée entre Europe et USA. Ce qui est également notable est qu’il y a divergence entre le centre fédéral et certains Etats de l’Union qui ont adopté l’approche multilatéraliste (la Californie).
Psychologiquement, il y a également des évolutions divergentes, qui doivent être considérées en fonction de perceptions déjà existantes.
• Pour l’administration GW Bush, la perception d’une menace catastrophique est réservée au terrorisme. La priorité de l’administration doit être tendue vers cela. Une appréciation globale de la crise climatique reviendrait à mettre en cause cette situation, voire à faire induire, par raisonnement évident, une certaine responsabilité du système dans la nouvelle perception catastrophique, justifiant par là certaines critiques d’opposants à la guerre contre la terreur.
• Des blocs comme les Européens qui présentent une vision implicitement maximaliste de la crise climatique se retrouvent, dans ce cas, conduits à considérer la guerre contre la terreur d’une façon beaucoup moins prioritaire. Leur orientation diverge de celle de l’administration et des structures américanistes. C’est une différence qui est promise à s’élargir, avec des conséquences potentielles importantes.
Il n’y a pas, dans le discours de Bush, l’avancée décisive que certains espéraient (Tony Blair, spécialiste du “rêve américain”, en premier). Nous nous trouvons confirmés dans l’appréciation d’une direction américaniste complètement fermée à toute organisation multilatérale de la lutte contre la crise climatique, comme à toute forme offensive de lutte. (Avec les restrictions nécessaires et sans aucun doute d’une importance considérable concernant les différences de position entre les Etats de l’Union, plus le Congrès, et le gouvernement fédéral.) Pour Washington, la lutte contre la crise climatique est une question économique, qui dépend de l’économie ; pour le parti inverse (l’Europe institutionnelle dans ce cas, nombre des Etats de l’Union, etc.), il s’agit au contraire d’une question universelle, échappant à une catégorie sectorielle, donc une question promise à devenir politique si elle rencontre une opposition polémique. C’est une différence essentielle. De même, dans un mouvement de cause à effet ou la cause devient effet et réciproquement, cette différence devrait effectivement nourrir la polémique et nous irions vers la politisation de la crise, — qu’il fasse beau ou qu’il fasse mauvais…