Victor Hugo et les gilets jaunes

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Victor Hugo et les gilets jaunes

J’avais comparé Macron au prince-président Louis-Napoléon, lui aussi mis là pour rassurer les bourgeois, marchés, et journalistes. Certes avant la sotte idiotie de Sedan il avait plus fait de bien à son pays que le macaron. Mais n’est pas Bonaparte qui veut.

Et puis je suis tombé sur le fameux livre d’Hugo Napoléon Le petit. Il est formidable. Je vous laisse lire : il y a un chapitre qui s’appelle « On se réveillera ». On lit le père de la nation qui s’adresse à ce peuple souverain et batailleur qui hante la tempête et se rit du marché (dirait Baudelaire).

« ON SE RÉVEILLERA Mais cela ne sera pas ; on se réveillera. Ce livre n’a pas d’autre but que de secouer ce sommeil. La France ne doit pas même adhérer à ce gouvernement par le consentement de la léthargie ; à de certaines heures, en de certains lieux, à de certaines ombres, dormir, c’est mourir. Ajoutons qu’au moment où nous sommes, la France, chose étrange à dire et pourtant réelle, ne sait rien de ce qui s’est passé le 2 décembre et depuis, ou le sait mal, et c’est là qu’est l’excuse. Cependant, grâce à plusieurs publications généreuses et courageuses, les faits commencent à percer. Ce livre est destiné à en mettre quelques-uns en lumière, et, s’il plaît à Dieu, à les présenter tous sous leur vrai jour. Il importe qu’on sache un peu ce que c’est que M. Bonaparte. À l’heure qu’il est, grâce à la suppression de la tribune, grâce à la suppression de la presse, grâce à la suppression de la parole, de la liberté et de la vérité, suppression qui a eu pour résultat de tout permettre à M. Bonaparte, mais qui a en même temps pour effet de frapper de nullité tous ses actes sans exception, y compris l’inqualifiable scrutin du 20 décembre, grâce, disons-nous, à cet étouffement de toute plainte et de toute clarté, aucune chose, aucun homme, aucun fait, n’ont leur vraie figure et ne portent leur vrai nom ; le crime de M. Bonaparte n’est pas crime, il s’appelle nécessité ; le guet-apens de M. Bonaparte n’est pas guet-apens, il s’appelle défense de l’ordre ; les vols de M. Bonaparte ne sont pas vols, ils s’appellent mesures d’État ; les meurtres de M. Bonaparte ne sont pas meurtres, ils s’appellent salut public ; les complices de M. Bonaparte ne sont pas des malfaiteurs, ils s’appellent magistrats, sénateurs et conseillers d’État ; les adversaires de M. Bonaparte ne sont pas les soldats de la loi et du droit, ils s’appellent jacques, démagogues et partageux. Aux yeux de la France, aux yeux de l’Europe, le 2 décembre est encore masqué. Ce livre n’est pas autre chose qu’une main qui sort de l’ombre et qui lui arrache le masque. Allons, nous allons exposer ce triomphe de l’ordre ; nous allons peindre ce gouvernement vigoureux, assis, carré, fort ; ayant pour lui une foule de petits jeunes gens qui ont plus d’ambition que de bottes, beaux fils et vilains gueux ; soutenu à la Bourse par Fould le juif, et à l’église par Montalembert le catholique ; estimé des femmes qui veulent être filles et des hommes qui veulent être préfets ; appuyé sur la coalition des prostitutions ; donnant des fêtes ; faisant des cardinaux ; portant cravate blanche et claque sous le bras, ganté beurre frais comme Morny, verni à neuf comme Maupas, frais brossé comme Persigny, riche, élégant, propre, doré, brossé, joyeux, né dans une mare de sang. Oui, on se réveillera ! Oui, on sortira de cette torpeur qui, pour un tel peuple, est la honte ; et quand la France sera réveillée, quand elle ouvrira les yeux, quand elle distinguera, quand elle verra ce qu’elle a devant elle et à côté d’elle, elle reculera, cette France, avec un frémissement terrible, devant ce monstrueux forfait qui a osé l’épouser dans les ténèbres et dont elle a partagé le lit. Alors l’heure suprême sonnera. Les sceptiques sourient et insistent ; ils disent : “N’espérez rien. Ce régime, selon vous, est la honte de la France. Soit ; cette honte est cotée à la Bourse. N’espérez rien. Vous êtes des poètes et des rêveurs si vous espérez. Regardez donc ; la tribune, la presse, l’intelligence, la parole, la pensée, tout ce qui était la liberté a disparu. Hier cela remuait, cela vivait, aujourd’hui cela est pétrifié. Eh bien ! on est content, on s’accommode de cette pétrification, on en tire parti, on y fait ses affaires, on vit là-dessus comme à l’ordinaire. La société continue, et force honnêtes gens trouvent les choses bien ainsi. Pourquoi voulez-vous que cette situation change ? pourquoi voulez-vous que cette situation finisse ? Ne vous faites pas illusion, ceci est solide, ceci est stable, ceci est le présent et l’avenir.” Nous sommes en Russie. La Néva est prise. On bâtit des maisons dessus ; de lourds chariots lui marchent sur le dos. Ce n’est plus de l’eau, c’est de la roche. Les passants vont et viennent sur ce marbre qui a été un fleuve. On improvise une ville, on trace des rues, on ouvre des boutiques, on vend, on achète, on boit, on mange, on dort, on allume du feu sur cette eau. On peut tout se permettre. Ne craignez rien, faites ce qu’il vous plaira, riez, dansez, c’est plus solide que la terre ferme. Vraiment, cela sonne sous le pied comme du granit. Vive l’hiver ! vive la glace ! en voilà pour l’éternité. Et regardez le ciel, est-il jour ? est-il nuit ? Une lueur blafarde et blême se traîne sur la neige ; on dirait que le soleil meurt. Non, tu ne meurs pas, liberté ! Un de ces jours, au moment où on s’y attendra le moins, à l’heure même où on t’aura le plus profondément oubliée, tu te lèveras ! Ô éblouissement ! on verra tout à coup ta face d’astre sortir de terre et resplendir à l’horizon. Sur toute cette neige, sur toute cette glace, sur cette plaine dure et blanche, sur cette eau devenue bloc, sur tout cet infâme hiver, tu lanceras ta flèche d’or, ton ardent et éclatant rayon ! la lumière, la chaleur, la vie ! Et alors, écoutez ! entendez-vous ce bruit sourd ? entendez-vous ce craquement profond et formidable ? c’est la débâcle ! c’est la Néva qui s’écroule ! c’est le fleuve qui reprend son cours ! c’est l’eau vivante, joyeuse et terrible qui soulève la glace hideuse et morte et qui la brise ! C’était du granit, disiez-vous ; voyez, cela se fend comme une vitre ! c’est la débâcle, vous dis-je ! c’est la vérité qui revient ; c’est le progrès qui recommence, c’est l’humanité qui se remet en marche et qui charrie, entraîne, arrache, emporte, heurte, mêle, écrase et noie dans ses flots, comme les pauvres misérables meubles d’une masure, non seulement l’empire tout neuf de Louis Bonaparte, mais toutes les constructions et toutes les œuvres de l’antique despotisme éternel ! Regardez passer tout cela. Cela disparaît à jamais. Vous ne le reverrez plus. Ce livre à demi submergé, c’est le vieux code d’iniquité ! Ce tréteau qui s’engloutit, c’est le trône ! cet autre tréteau qui s’en va, c’est l’échafaud ! Et pour cet engloutissement immense, et pour cette victoire suprême de la vie sur la mort, qu’a-t-il fallu ? Un de tes regards, ô soleil ! un de tes rayons, ô liberté ! »

Eh bien c’est fait, on s’est réveillés, et même avec nos frères italiens, mexicains et espagnols. Car c’était en effet une belle idée de Napoléon III que cette Union latine, qui nous éviterait de nous faire humilier et plumer à chaque fois par les “marchés” anglo-saxons et les germains.

 

Note

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