Viennoiseries nucléaires

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Viennoiseries nucléaires

• Toujours l’ombre du nucléaire sur le conflit ukrainien et ‘Ukrisis. • Certains se souviennent avec nostalgie d’un Kennedy, il y a 60 ans, c’est-à-dire un de ces hommes qui montraient raison et mesure. • Aujourd’hui, les discours des dirigeants sur le nucléaire sont totalement incohérents (écoutez un Josep Borrell), entrecoupés d’éclairs sur l’“anéantissement” de l’armée russe. • Pendant ce temps, on évoque la “bombe sale” et les Russes jettent un regard torve sur Zelenski tandis que les militaires ennemis en principe se parlent discrètement.

Sergei Narichkine, chef du SVR, a fait une conférence ce week-end en tant que directeur de la Société Historique Russe qui inaugurait le 60è anniversaire de la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962. Cette fonction de Narichkine correspond aux activités du SVR, qui est la recherche du renseignement extérieur (si l’on veut, équivalent en moins imposant et beaucoup moins entreprenant, de la CIA, – meilleure définition du SVR que celle qui consiste à dire, en vomissant de dégoût [important, ça], “l’ancien KGB”, – ce qui n’est pas approprié, le KGB ayant été également chargé de tâches intérieures ô combien considérables).

On s’en doute, Narichkine ne pouvait pas ne pas parler de l’actuelle “polémique” (?) sur l’emploi du nucléaire tactique à propos de la crise ‘Ukrisis’, tout en faisant la comparaison avec octobre 1962.Le chef du SVR juge “inquiétant” le fait que

 «  les discussions sur l'utilisation éventuelle d'armes nucléaires fassent désormais partie de la rhétorique occidentale... »

Il ne faut surtout pas oublier que nous évoluons ici dans le monde de la communications, où la fiction et les faits s’entrechoquent sans qu’on puisse dire qui prend et qui tient le dessus. Ainsi Narichkine peut-il réaffirmer ce que tout le monde sait puisque c’est dans toutes les déclarations russes à cet égard, à savoir que la Russie n’a pas menacé et ne menace pas de déployer des armes  nucléaires en Ukraine (ni de les employer)... Tout cela, quelles que soient leurs intentions réelles, ce qui est un autre problème qui dépend d’évolutions opérationnelles précises sortant de la seule sphère de la communication.

Mais la conviction des Russes, comme l’explique Narichkine, est que les Occidentaux ne perçoivent plus la différence entre le monde de la communication et le caractère opérationnel que peuvent prendre les événements du monde. Narichkine rappelle la crise des missiles de Cuba, dont il donne la version russe telle qu’elle fut perçue à l’époque ; il trace ainsi une sorte de parallèle avec l’affaire ukrainienne qui est assez inattendue, dans tous les cas du point de vue des historiens occidentaux.

• Pour Narichkine, la crise des missiles de Cuba a commencé par le déploiement de missiles sol-sol (type IRBM, ou Intermediate Range Ballistic Missiles) ‘Jupiter’ sur la frontière soviétique (russe) de la Turquie.

• Le déploiement de missiles à Cuba, ou dans tous les cas le début des travaux pour accueillir un tel déploiement, était une réponse à la mesure précédente, explique Narichkine. Il reprend ici la version soviétique qui est apparue après coup, – notamment à cause de l’extrême rétention des informations en URSS à l’époque, pourrait-on arguer, –  alors qu’à l’époque justement, les missiles soviétiques destinés à Cuba étaient apparus brusquement avec les révélations de la CIA (photos montrées par l’ambassadeur Harriman à l’ONU), sans qu’on s’attache aux causes et à l’historique.

• La réaction du monde politique washingtonien fut à la fois furieuse et désordonné, – et, dirait-on, comme une perception prise de court.

« Lorsque Moscou a rendu la pareille [note Narichkine], “la réaction des élites politiques américaines, qui s'étaient convaincues d'être exceptionnelles, a été douloureuse, nerveuse et très vive”. »

• Par contre Narichkine fait une rupture très nette entre cette réaction de l’establishment washingtonien et celle de l’administration Kennedy, qu’il couvre d’éloges. Il est évident bien entendu qu’il s’agit là d’une référence directe à l’actuel comportement de l’administration Biden et des directions des pays du bloc-BAO en général, devant lesquelles les dirigeants russes se trouvent complètement désemparés sinon “désarmés” du point de vue rhétorique et de la communication. Il est également question des qualités humaines des dirigeants, lorsque Narichkine observe qu’il n’existe actuellement à l’Ouest aucun dirigeant dont on puisse dire qu’il a la vision et la carrure intellectuelles d’un Kennedy. (Cette remarque justifiant et expliquant en soi son assassinat un an plus tard.)

« L'administration du président John F. Kennedy a reconnu qu'il existait des lignes rouges que ni les États-Unis ni l'URSS ne devaient franchir, a déclaré M. Narichkine. Il y avait des gens au sein du gouvernement américain qui “pensaient rationnellement, étaient capables de calculer les conséquences de leurs actions et tenaient parole.”

» “Il n'est pas certain que l'on puisse trouver la même approche dans l'administration de Joe Biden”.

» “Aujourd'hui, nous ne serons pas en mesure de trouver un homme politique dans une nation occidentale de la même envergure que Kennedy”. »

• Bien entendu, Narichkine, qui ne voit aujourd’hui aucun Kennedy à l’horizon (nul besoin de l’expertise de SVR pour comprendre et partager ce jugement), estime qu’aucune force n’est en capacité, comme Kennedy l’avait fait en octobre 1962, de freiner, de bloquer, de détourner les réactions de l’entité américaniste (appelez cela establishment, DeepState, complexe militaro-industriel, etc.). Au contraire, cette même entité estime pouvoir jouer “avec la guerre” pour son plus grand plaisir et en se regardant dans un miroir, tout en babillant autour de l’emploi du nucléaire, dans une certaine jubilation et un extraordinaire concert de bienpensance et de politiquement correct. Là encore, le SVR et Narichkine ne nous apprennent pas grand’chose...

« Les élites américaines croient aujourd'hui qu'elles peuvent maintenir l'agression contre notre nation aussi longtemps qu'elles le souhaitent, en utilisant l’action militaire par le sacrifice de milliers de vies de citoyens ukrainiens et de mercenaires… »

On sait qu’effectivement, depuis des semaines, depuis deux mois au moins, la perspective de voir une arme nucléaire tactique utilisée en Ukraine (par les Russes, cela va sans dire) est débattue avec passion par la presseSystème. Rien d’officiel chez les Russes ne laisse croire à une telle intention, et une montagne de démentis va contre. Les Russes réaffirment à chaque occasion leur doctrine de non-utilisation du nucléaire en premier et n’envisage un tel usage qu’en cas de riposte à une attaque  nucléaire, et dans le cas général où l’existence de la Russie est en jeu , entraînant l’utilisation de « de tous les moyens en sa possession » (le nucléaire comme le reste, cela va également de soi)... Tout cela importe peu, tout se passe comme si les Russes avaient affirmé vouloir utiliser l’arme nucléaire tactique, en premier sinon “en solo”, en Ukraine, – du moins la communication, officiels et presseSystème, le voit-elle ainsi.

Cela permet de découvrir des failles abyssales dans l’inculture de ces élitesSystème lorsqu’il s’agit du nucléaire, justifiant les craintes de Narichkine lorsqu’il compare octobre 2022 avec octobre 1962. L’une des plus admirables de ces failles par ce qu’elle montre d’incompréhension grotesque à la fois de l’arme nucléaire, de son emploi, de la doctrine et de la psychologie régnante est l’intervention du Haut Représentant (“ministre des affaires étrangères” de l’UE), Josep Borrell, le 13 octobre dernier, – telle que rapportée par ‘Antiwar.com’ :

« Le chef de la politique étrangère de l'UE, Josep Borrell, a lancé une menace contre la Russie jeudi, avertissant que les puissances occidentales “anéantiraient” l'armée russe si Moscou utilisait des armes nucléaires en Ukraine.

» “Poutine dit qu'il ne bluffe pas. Eh bien, il ne peut pas se permettre de bluffer, et il doit être clair que les personnes qui soutiennent l'Ukraine et l'Union européenne et les États membres, ainsi que les États-Unis et l'OTAN, ne bluffent pas non plus”, a déclaré Borrel lors d'un événement de l’Académie diplomatique européenne à Bruges, en Belgique.

» “Toute attaque nucléaire contre l'Ukraine suscitera une réponse, non pas une réponse nucléaire, mais une réponse si puissante du côté militaire que l'armée russe sera anéantie”, a-t-il ajouté. »

 Ainsi Borrell nous assure-t-il de l’“anéantissement” de l’armée russe sans arme nucléaire si les Russes tirent une arme nucléaire en Ukraine. C’est l’exact contraire de la doctrine nucléaire : on “monte” au nucléaire, on n’en “descend pas” après que l’adversaire l’ait utilisé, pour mieux l’“anéantir” sans nucléaire. L’idiotie complète de cette affirmation, – faite seulement pour pouvoir dire que les Russes vont utiliser du nucléaire, et “nous pas”, – n’a nul besoin d’être démontrée, non plus qu’il est inutile de parler des moyens imaginés par les studios Disney pour “anéantir” l’armée russe utilisant du nucléaire, sans nucléaire. Ces discours sont insipides de bêtise et d’inculture, faits par des besogneux “déplorables” (voir Hillary) ignorant tout ce dont ils parlent, notamment l’existence des armes hypersoniques russes que le niveau réel des capacités d’intervention. Difficile d’espérer apercevoir un Kennedy dans cette foule ingrate et totalement inutile selon sa nullité militante, se déplaçant dans la communication comme si c’était du vrai...

L’affaire de la “bombe sale”

On finit par admettre que les derniers responsables d’un certain niveau pour affronter en conscience la question nucléaire se trouvent-ils chez certains militaires. On pourrait en trouver un signe dans l’affaire de la “bombe sale” (matériel radioactif activé par des explosifs conventionnels) qu’on a agitée d’abord du côté zélenskiste pour aussitôt en accuser les Russes. On laissera de côté, par exemple pour les Borrell & Cie, la propagande grimée en communication pour nous intéresser à quelques remarquables initiatives de ces derniers jours. Elles sont rapportées et mises en situation le 23 octobre par le duo Mercouris-Christoforou, puis Mercouris seul. Plusieurs faits sont mis en évidence :

• Le voyage-surprise du ministre britannique de la défense Wallace au Pentagone selon l’argument de « mauvaises communications » (fritures sur la ligne !) entre les deux ;

• Un coup de téléphone de Austin (Pentagone) au Russe Shoigou ;

• Un incident aérien (un Su-25 russe tirant “par erreur” un missile à côté d’un avion de surveillance britannique dans l’espace international), qui s’est conclu par un entretien téléphonique Shoigou-Wallace qualifié d’“amical”, l’erreur ayant été actée ;

• Quatre coups de téléphone de Shoigou le 22 octobre aux ministres de la défense US, UK, France et Turquie, pour leur parler du danger d’une “bombe sale” (préparé par les Ukrainiens, selon les Russes, pour faire entrer dans la guerre les pays de l’OTAN ; Mercouris précisant que les Turcs sont très inquiets des menaces contre leur gazoduc ‘TurcStream’).

Manifestement, Mercouris et Christoforou sont partisans de la thèse d’une responsabilité ukrainienne dans l’affaire de la “bombe sale”, ce qui selon eux aurait provoqué cet afflux de contacts entre ministres de la défense, – c’est-à-dire, précise Mercouris, « uniquement entre militaires » (avec depuis un coup de téléphone du chef d’état-major russe Gerasimov à ses deux “collègues” US et UK).

S’il est difficile de démêler les choses quoi qu’on puisse en dire beaucoup sur les responsabilités et les pratiques impliquées, il y a surtout ce fait que leur thèse est présentée ainsi : “Les Ukrainiens, qui ont les moyens de faire de cette sorte de bombe, ont fini par croire tout ce que raconte la presseSystème sur le nucléaire tactique russe et jugée acceptable l’idée d’une action préventive via une ‘sale bombe’”. Ce qu’il importe de noter ici, c’est l’hypothèse de l’interconnexion catastrophique entre la communication qui n’est que propagande et simulacre, et la réalité. Finalement, l’argument de Borrell, et des ‘speechwriters’ dudit, experts dans le verbe clinquant et inculte dans l’armement nucléaire, ressort de la même “interconnexion catastrophique”. Notre conviction est que nous ne sommes ni au bout de nos peines, ni au bout de nos surprises à cet égard, tant est immense le gouffre entre communication-simulacre et réalité. La chose devient harassante lorsqu’il s’agit de nucléaire... Pour autant, rien ne nous interdit de penser que dans cette incroyable chaos, une ^peine bien assumée fasse surgir une bonne surprise de cette étrange “interconnexion catastrophique”.  

 

Mis en ligne le 24 octobre 2022 à 15H40