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4 décembre 2002 — Insensiblement, l'affaire de l'inspection en Irak se transforme. Encore faudrait-il penser qu'elle n'a pas été ce qu'elle apparaît être désormais, ce qui n'est pas évident ; quoiqu'il en soit, la transformation, ou la confirmation de ce que certains d'entre nous percevaient, semble être désormais en train de se faire.
De plus en plus, l'inspection de l'Irak par l'ONU devient un “match de propagande”, plus encore qu'une “guerre de propagande”, et cela se passe d'une façon si ingénue en un sens que le caractère ontologiquement maléfique de la propagande tend à se dissiper. Comme préliminaire pour comprendre la dissolution du caractère maléfique, on admettra qu'il s'agit d'une propagande si grossière que personne de sensée n'y croit, que ce soit la propagande du Saddam archi-coupable de tous les maux de la création comme l'avance Washington, que ce soit le Saddam-vertueux des sourires doucereux faits aux inspecteurs de l'ONU. Tout se passe comme si cet assaut de propagande, qui se fait si complètement à ciel ouvert, d'une façon si complètement explicite, finissait par amener une certaine démystification de toute l'affaire. Ce qui nous fait avancer cette hypothèse est le dernier épisode, ou disons le premier épisode important du “match de l'inspection”, de la première visite d'un des innombrables et nabuchodonoresques palais de Saddam.
Le titre que donne Jonathan Steele dans son article du 4 décembre dans The Guardian est tout un programme, ou plutôt il nous explique le programme : « First palace visit is a propaganda coup for Saddam. » Les premiers paragraphes de cet article révélateur donnent le ton :
« Iraq stepped up its charm offensive towards the United Nations weapons inspectors yesterday by quickly letting them into one of Saddam Hussein's Baghdad palaces when they turned up for a surprise search. Baghdad also promised to provide a full list of its arms capabilities a day ahead of the UN deadline.
» A convoy of white UN vehicles roared up to the opulent al-Sajoud palace along the river Tigris on the sixth day of the first international inspection programme for four years. They were kept waiting for seven minutes as Iraqi officials made mobile phone calls before the huge gates swung open.
» Within minutes, President Saddam's secretary, Abed Hamoud, arrived and entered the palace grounds, according to journalists on the scene. As at other sites, security staff were undoubtedly aware the palace would be visited but there was no sign that the staff knew it would be yesterday, reporters said. A second UN team entered from a back gate.
» The inspectors left after 90 minutes and reporters were allowed into the palace's spectacular entry hall. Every wall was inscribed in large gold letters with a poem praising the president.
» The UN team had, as usual, no comment for reporters but General Hossam Mohammed Amin, the chief Iraqi liaison officer, said: ''The Iraqi side was cooperative. The inspectors were happy.'' »
Où voit-on qu'il est question d'armes de destruction massive ? De danger menaçant la civilisation ? Et ainsi de suite. La question posée est celle d'un protocole chaleureux, de convivialité, de sourires et de belle entente. Il ne manque plus que les petits fours. C'est une étrange atmosphère, qui pourrait laisser croire que le bon sens tactique, — car il n'est question que de tactique ici, — semble avoir pénétré le cuir épais de Saddam.
La question posée est celle-ci : Saddam va-t-il prendre l'équipe GW à son propre piège, qui est celui du montage virtualiste ? La dramatisation américaine a été telle, et elle a été si grossière, que l'attitude tactique a fini par s'imposer à Saddam : tout faire pour dédramatiser la pièce jusqu'ici écrite par les Américains, mais qui a subi une déviation peut-être décisive du sens avec l'affaire onusienne. La tactique est, en tentant de désamorcer cette dramatisation, de tenter de la ridiculiser. Bientôt, c'est le projet de guerre lui-même qui pourrait être ridiculisée ; ou bien la guerre aura tout de même lieu (Washington est tellement enfermé dans son monde virtualiste qu'il ne voit que du feu à cette évolution de la perception), mais elle se fera dans des conditions de perception épouvantable, avec des effets imprévisibles au niveau des opinions publiques, voire de certaines autorités.
C'est à une nouvelle sorte de “guerre” que nous assistons : une “guerre” dont le caractère s'élabore, non sur le champ de bataille, mais dans les prémisses de la bataille, dans les tentatives de l'empêcher au travers de montages qui sont proposés. Et si, finalement, la guerre n'a pas lieu, ce sera effectivement une nouvelle sorte de “guerre” poussée jusqu'à l'extrême de sa logique, qui apparaît comme une contre-logique : une guerre dont les préparatifs la conduisent à se nier elle-même avant qu'elle ait lieu, jusqu'à ce qu'elle n'ait pas lieu.
D'une façon plus générale, voilà bien la nouveauté : avant la “vraie” guerre, et peut-être pour la désamorcer, c'est une guerre de deux virtualismes opposés qui a lieu sous nos yeux, sans que personne ne soit dupe du fait qu'il ne s'agit de rien d'autre que des virtualismes.
Pour compléter ce dossier et constater que, plutôt que décrire une situation qui a semblé être réelle il décrit ce qui est devenu un montage virtualiste, nous devons renvoyer à un autre texte publié le lendemain, — ce qui est effectivement inhabituel.
Il s'agit d'une sorte de rectificatif complémentaire imposé par les événements, publié à la date du 5 décembre.