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Le général John P. Jumper, chef d'état-major (CEM) de l'USAF, est interviewé de façon informelle dans le dernier numéro (juillet) de Air Force Magazine (AFM). L'article passe en revue, avec Jumper, les principales orientations de l'USAF. Cette sorte d'interview est une habitude d'AFM, qui est la revue de contact de la puissante Air Force Association (AFA), le groupe de lobbying quasi-officiel de l'USAF. Chaque année, dans AFM, le chef d'état-major de l'USAF passe en revue la situation et les objectifs de la force, et cette communication semi-officielle, dans un langage détendu et dépourvu d'une langue de bois trop restrictive, constitue un message important aux membres de l'USAF comme à ses soutiens. C'est dans cet esprit que nous analysons l'intervention de Jumper, qui est dans sa première année de CEM, qui est un homme à l'expérience importante puisqu'il commanda, sous les ordres du SACEUR, le général Wesley Clark, l'offensive aérienne de l'OTAN contre la Serbie en mars-juin 1999.
Ce qui nous intéresse, ce sont les sujets en rapport direct avec l'Europe. Principalement, c'est la position de Jumper sur le JSF, d'une façon générale. La réponse est vite dite : il n'y en a pas. C'est en soi une indication.
Dans le cours de son interview, le JSF est cité deux fois, dont une plutôt par l'interviewer. Les deux fois, le JSF est cité par nécessité, sans aucune appréciation sur l'avion, son importance dans l'avenir de l'USAF, etc. (Par contraste, et nous y reviendrons, l'autre chasseur futur de l'USAF, le F-22 est cité 17 fois. Il occupe l'essentiel de l'interview dans la partie de celui-ci destiné aux besoins futurs de l'USAF.)
Les deux fois où le JSF est cité sont les suivantes, — et l'on voit aussitôt qu'on peut conclure qu'il importe peu qu'on en ait parlé, qu'on aurait pu ne pas en parler, que cela n'aurait pas fait de différence :
• Parlant de problèmes rencontrés par les avions de combat américains avec deux dérives, récemment le F-18E et le F-22, Jumper commente : « I am not going to trivialize this problem, but I think that we have enough experience with this type of problem that we will be able to pivot off of what we learned from the F-18. Actually, the F-15 went through some of this, too. We'll be able to deal with this and hopefully save ourselves problems on the Joint Strike Fighter. »
• Plus loin, dans le cours du texte, cette notation qui n'est pas une citation de Jumper : « Jumper acknowledged there will be a longer gap than expected in transitioning from the 1980s generation of fighters--F-15s and F-16s--to the next generation of F-22s and F-35s. How will the Air Force bridge the gap? »
A côté de cette complète indifférence du chef de l'USAF pour le JSF, il y a donc son intérêt général et sans fin pour le F-22, tel que nous l'avons signalé. Cela, aussi, c'est une indication. Cet avion devient, dans la description qu'en fait Jumper, l'avion universel de l'USAF, dont la mission jusqu'alors unique (combat aérien dans le cadre de la supériorité aérienne, ou air dominance) semble devoir être démultipliée et se démultiplier d'elle-même quasiment à l'infini, jusqu'à couvrir pas loin de la totalité du spectre des missions de combat de l'USAF. Il n'est pas étonnant de découvrir, chemin faisant, diverses capacités ou projets, jusqu'alors inconnus (ou dissimulés), et qui font du F-22 de base (sans compter les prolongements, ou versions différentes à venir) un avion universel, une sorte de « aircraft for all seasons ». On essaie de les signaler et de les expliciter ci-dessous.
• Le F-22, dans sa version de base qui est celle d'un pur chasseur, se révèle être, dans la présentation de Jumper, un avion dont plus de la moitié des capacités est destinée à une lutte air-sol intégrée dans sa mission de chasseur, contre les capacités de défense aérienne ennemies. Pour cela, il est même prévu qu'il emporte des bombes d'un modèle nouveau et spécial.
« ''The air-to-air piece [of the F-22 mission] is probably less than half of what we are going to count on the F-22 to do. Fifty-one percent, at least, is going to be to take care of this most dangerous part of what I call the anti-access mission.'' The F-22 will swoop in at ''greater than 1.5 Mach in military power'' to swiftly eliminate modern, advanced surface-to-air threats that would keep unstealthy, slower aircraft away from the theater of operations. It will carry the precision guided 250-pound Small Diameter Bomb.
» ''It will be carried internally on the F-22--probably eight of [the SDBs], depending on the design. And [the F-22] will glide out there in the 40- to 50-mile range and take care of these most difficult threats that challenge our ability to get weapons onto targets and, as part of the Global Strike Task Force, will team with the other stealth and standoff assets of the Air Force and the other services to create the conditions for access in those places where access might otherwise be denied.'' ''It is this combination of air-to-air and air-to-ground in the F-22 — which is an airplane that does things no other airplane will be able to do — that we think is important, and we will continue to make that case.'' »
• Le F-22, perçu comme un chasseur, même un chasseur avec des bombes, a aussi toutes les capacités qu'on veut pour faire un excellent bombardier, semble-t-il avec des caractéristiques dont il disposerait d'ores et déjà, selon ce que semble en dire Jumper.
« Similarly, the F-22 was designed to sweep the skies of enemy fighters, said Jumper, as ''a replacement for the F-15, ... white-scarf-in-the-breeze fighter pilot stuff.'' However, ''we are going to put bombs on it, and it is going to be a more accurate bomber than any current-generation bomber that we have, with increases in capability.'' »
• ... Plus encore, dans cette veine de faire évoluer le F-22 vers un bombardier, il y a encore mieux, bien mieux. Jumper évoque l'hypothèse d'une transformation du F-22 en véritable bombardier à grande autonomie. (Un « next-generation bomber », comme le définit AFM en présentant cette appréciation de Jumper, qui est également l'hypothèse d'une version complètement nouvelle du F-22, sous l'appellation de FB-22, actuellement étudiée par Lockheed Martin et qui est proposée à l'USAF. [Nous évoquons cette version dans un texte récent sur ce site, et surtout dans un texte de la Lettre d'Information de defensa repris sur ce site.]). Les déclarations de Jumper, ci-dessous, confirment in fine que l'USAF pense très sérieusement au FB-22.
« ''Depending on what we do for the next generation of long-range strike ... and how quickly we need to do it, we have certain variations of the F-22 we could use to give us longer-range strike capability. All of that is a possibility; no formal proposals of that are out there yet.''
(...)
» Jumper said he would not even call the next-generation long-range strike platform a ''next-generation bomber. ... I am not sure if the thing needs to be an orbital thing, a manned thing, or an unmanned thing.'' »
• Parmi les versions du F-22 également étudiées, et dont l'existence est révélée en détails mais comme en passant, comme si cela allait de soi, par le général Jumper, il y a encore un EA-22, version du casseur pour la guerre électronique. Il semble pourtant que le EA-22 ne bénéficie pas (encore ?) des faveurs de l'USAF.
« A so-called EA-22, or an electronic attack version of the F-22, is probably not in the cards, Jumper said.
» ''That was a thing that was looked at as part of this [analysis of a] replacement for the EA-6B, but I for one don't think that is the right solution. I think we need something that can sit and loiter and stand off and have the power to bash electrons harder from longer standoff ranges.'' The EA-22 is ''a possibility, but not one that I favor, at least right now, from what I know.'' »
• Enfin et d'une façon générale, comme on s'en doute, le F-22 tel qu'il est et avec toutes ses versions en cours d'étude et d'évaluation, est présenté comme un formidable réceptacle d'informations et d'évaluations électroniques, qui le placent au centre de la future architecture de l'USAF.
« The F-22 will have ''information technology that vacuums up information from 360 degrees and displays on your cockpit an integrated picture of things that don't just depend on the radar but other sensors that are on the airplane and other airplanes ... data-linked to it to give you a very comprehensive picture of what your threat is.'' »
Cet exercice d'hagiographie du F-22, effectivement traité comme une sorte de saint des avions de combat, cet exercice laisse un peu essoufflé. Aujourd'hui, le F-22 peut tout faire sauf transporter 150 soldats et un char de combat et ravitailler en vol quatre autres F-22 à la fois. Que signifie ce délire parfaitement rationalisé ?
• D'abord que le F-22 est en danger, ce qu'on savait ; en danger de voir sa production fortement réduite (à 180 exemplaires), en danger (moins possible) d'être abandonné. D'où ce forcing pour démontrer sa nécessité.
• Ensuite que l'USAF fera tout, absolument tout pour le sauver. Elle s'y prend de façon logique : en chargeant le F-22 de toutes les missions et responsabilité, on le rend absolument indispensable ... Et même si cela peut paraître une tactique d'occasion, cela finit par être complètement vrai.
• Effectivement, l'architecture future de l'USAF est de plus en plus bâtie autour du F-22 et cela prend de plus en plus des allures de réalités. Quel meilleur moyen de faire croire qu'un avion est nécessaire, que de le rendre effectivement nécessaire ? D'où, un complet changement de stratégie : il y a 4-5 ans, le F-22 était prévu pour le combat aérien et l'air dominance, la mission noble par excellence, et rien d'autre. Aujourd'hui, il peut tout faire. Il fera tout.
Résultat des courses : le JSF qui était, il y 5 ans, l'avion destiné à plusieurs missions pour l'USAF de demain prévu pour remplacer au moins, pour la seule USAF, toutes les versions du F-16 et le A-10), est aujourd'hui relégué à l'indifférence la plus complète. Il est mentionné par hasard ou par accident. Et cela, qui est le produit d'une nécessité de marketing (tout pour le F-22), à partir du moment où cette nécessité de marketing devient une réalité, lev produit de cette nécessité devient réalité à son tour. Cela signifie que l'intérêt de l'USAF pour le JSF va devenir de plus en plus accessoire. Cet avion va occuper une place de strapontin dans l'architecture et dans les préoccupations de l'USAF. Il sera traité conformément à cela. Bien entendu, — ajoutons-le, puisque c'est notre préoccupation, — les pays amis qui ont choisi le JSF, les pays européens par conséquent, seront traité conformément à cette nouvelle place du JSF dans les préoccupations de l'USAF.