Vision stratégique réduite aux acquêts

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On fait grand cas d’une intervention décidée de la direction des forces armées britanniques auprès des autorités civiles, à la suite du refus de Gordon Brown d’envoyer un contingent de 2.500 soldats (ceux qui sont retirés d’Irak) en Afghanistan, et de ne consentir qu’en l’envoi temporaire de quelques centaines d’hommes. The Independent publie ce 1er juin 2009 des informations exclusives à ce propos, de son correspondant Kim Sengupta.

Le principal argument des chefs militaires britanniques auprès du Premier ministre Brown est qu’en n’agissant pas dans le sens qu’ils réclament, les Britanniques vont perdre leur “crédit” auprès des USA. «[…T]hey have warned Number 10 that the reputation of the armed forces will suffer in the eyes of senior American commanders unless Mr Brown authorises an autumn surge in troop numbers. Such a surge, they say, would signal Britain's intent to “pull its weight” in the Afghan conflict by plugging the shortfall in the multinational force.» Sengupta dit que le problème sera à nouveau envisagé en septembre mais qu’il ne faut pas attendre que les demandes des militaires soient complètement rencontrées.

D’autres précisions sont données, qui vont dans le même sens.

«In a sign of the private concern felt by senior military personnel over the Government's stance, General Sir Richard Dannatt, the head of the Army, has publicly warned that Britain's strategic alliance with US is at risk unless British forces are seen to be pulling their weight in Afghanistan.

»In a speech to the international relations think-tank Chatham House he said: “Britain's calculation has long been that maintaining military strategic ‘partner-of-choice’ status with the United States offers a degree of influence and security that has been pivotal to our foreign and defence policy. But this relationship can only be sustained if it is founded on a certain ‘military credibility threshold’. Credibility with the US is earned by being an ally that can be relied on to state clearly what it will do and then does it effectively. And credibility is also linked to the vital currency of reputation.” General Dannatt added that “unfairly or not” British performance in Iraq and Afghanistan has already been called into question by some in the US administration.

»“In this respect there is recognition that our national and military reputation and credibility, unfairly or not, have been called into question at several levels in the eyes of our most important ally as a result of some aspects of the Iraq campaign,” he said. “Taking steps to restore this credibility will be pivotal, and Afghanistan provides an opportunity.”

»This view has been backed up Col David Kilcullen, a former Australian army officer who helped plan General Petraeus's surge in Iraq and acted as an advisor to Condoleezza Rice. He told The Independent: “It is true that the British have received some criticism in the US, and some of it has been unwarranted. The Americans too made mistakes in Iraq, but they subsequently tried to rectify that.” “The British have a great opportunity to win back the credibility they have lost with the Americans and enhance it in Afghanistan.”

»Col Kilcullen, who remains close to senior figures in the US military, said that in his opinion the British General Sir David Richards, who is due to take over from General Dannatt as head of the Army, was “one of the best ever” head of Nato forces in Afghanistan. He added: “No one doubts the professionalism and bravery of the British, and we accept that they already have a large force in Afghanistan. But we are coming to a crucial time in the campaign there, and I am sure more British help will be welcome.”»

Cette “sortie” des chefs militaires britanniques est parfaitement significative du niveau où sont tombées les conceptions politico-militaires au Royaume-Uni. Lorsque nous parlons d’une “stratégie réduite aux acquêts”, ce sont les “acquêts” du mariage Bush-Blair considéré du point de vue stratégique, c’est-à-dire un point de vue qui embrasse une période de vide stratégique parcourue d’erreurs grotesques, d’humiliations sans fin (des USA pour les Britanniques), de pertes diverses d’hommes, d’énergie et de budgets, dans des aventures sans le moindre sens que même le conformisme virtualiste a du mal à expliquer. Les généraux britanniques s’en réclament avec hauteur, en s’appuyant sur le concept pompeux d’“alliance stratégique” avec les USA, au moment où la puissance US s’effondre de toutes parts et de toutes les façons. Ce n’est même plus du nihilisme à-la-britannique (excellente tactique pour une stratégie nulle), c’est la pensée stratégique réduite au vide puisque la seule stratégie est l’alignement réaffirmée sur une puissance discréditée et en plein désarroi prise comme référence d’une orientation hégémonique assurée.

Les chefs militaires britanniques ont donc atteint le niveau de la direction politique et de l’état général du pays. Ils se battent pour sauvegarder l’axe City-Wall Street, dont il ne reste plus que l’axe puisque les deux puissances que l’axe prétend rassembler sont devenues fantomatiques. Il n’est nulle part question, dans leur plaidoyer pour un renforcement britannique en Afghanistan, de l’intérêt et de la justification de la guerre qu’on y mène, des buts, des stratégies, bien concrètes celles-là, et pour gagner et pour en sortir c’est selon. Il n’est question que de ceci: puisque les Américains augmentent leurs troupes, il faut faire la même chose à mesure.

Il n’est même plus question de “trahison” (de l’Europe), de la thèse des “deux fers au feu” (Europe et USA), des rengaines sur l’habileté britannique, dans le jugement qu’on doit porter sur cette affaire. Il est question d’une pensée définitivement fermée, réduite à la justification “stratégique” des slogans de relations publiques qui conduisirent la politique Blair à partir de 9/11. Il est difficile de faire une critique stratégique ou politique de la chose puisque, – de politique et de stratégie, point du tout. Il est même possible que les chefs militaires ne croient pas un mot de ce qu'ils disent, qu'ils réclament des renforts pour s'enfoncer encore plus dans le guêpier afghan, par réflexe dirait-on; qu'importe, ce qui est dit est dit, et la pensée est à ce niveau.

Mais admettons tout de même que le Royaume-Uni reste leader en quelque chose. Il continue à mener l’Occident, côté incurie et aveuglement, donc à ouvrir la voie. Malgré leur zèle récent, les Français ont encore beaucoup d’efforts à faire pour espérer les égaler, puisqu’ils ne font les sottises encore qu’à moitié (l’absurde engagement français en Afghanistan n’étant pas assez conséquent pour être complètement absurde, — il y a du pusillanime de ce côté). On ne peut douter une seconde que “s’il n’en reste qu’un” dans le catastrophique programme JSF, ce sera évidemment le Royaume-Uni, allant jusqu’au bout de sa logique mécanique d’“alliance stratégique” avec ce qu’il reste des USA. Il y a longtemps que ces gens ont renoncé à comprendre ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Nous aussi.


Mis en ligne le 1er juin 2009 à 18H04

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