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7338• Témoignage exceptionnel sur ‘Ukrisis’, crise venue des origines de la chute de l’URSS et de l’étincelle du Maidan. • Interview (‘Le Point’) de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des affaires étrangères.
Il est bien rare qu’un porte-parole d’importance, soit d’un gouvernement d’un pays important, soit d’un ministère d’importance dans un pays non moins important, acquiert une notoriété et même une popularité hors de sa sphère d’influence qui est en général le petit monde soit goguenard et souvent grognon, soit complice sinon mielleux, des journalistes accrédités. Maria Zakharova est donc rare, très rare. Aujourd’hui porte-parole du ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, on l’écoute et on la lit, à la fois comme porte-parole, comme commentatrice, comme invitée-vedette de shows télévisés, comme source originale d’une façon, sinon d’un art d’exposer et d’expliquer avec un exceptionnel abattage et un patriotisme ardent la politique de son pays. Cette femme fait du pouvoir un charme et du savoir une séduction.
Sa carrière lui a donné toutes les armes pour figurer à cette place exceptionnelle et sa vertu est d’en user avec un art sans pareil. Elle fut porte-parole de la délégation russe à l’ONU, donc pendant des années en contact avec la presse anglo-saxonne et américaniste, et parlant un anglais remarquable tout en ayant une connaissance non moins remarquable des codes et du professionnalisme, des chaussetrappes, des hypocrisies, des naïvetés et de l’aveuglement, bref toutes les habitudes du monde de la communication des maîtres du monde.
On a déjà eu affaire à Zakharova, et déjà à propos de l’Ukraine, il y a huit ans, lors des débuts de la crise et alors qu’elle n’était pas encore porte-parole en titre mais déjà montrant sa connaissance des pratiques américanistes. On vous rappelle ce passage qui montre combien la monstrueuse offensive de simulacre des américanistes meneurs de “l’Occident collectif” (nouvelle expression à avoir à l’esprit) vient de loin, des origines de l’actuelle séquence, – et Zakharova fut l’une de celles et de ceux, assez rares, qui la virent venir de loin... L’extrait vient d’un texte du 7 août 2014, quelques mois après le début de la guerre qui se poursuit aujourd’hui :
« • Mais ce qui nous est arrivé de Moscou hier est encore plus impressionnant : il s’agit du refus de la plupart des correspondants US à Moscou, – sauf celui de Bloomberg, – de se rendre vers les camps où sont temporairement installés plusieurs centaines de soldats ukrainiens qui viennent de passer en Russie après avoir été encerclés par les milices du Donbass, et alors qu’à court de munitions et de vivres il ne leur restait que le choix d’une reddition ou d’un passage en Russie. Les circonstances de cette affaire sont rapportées par Itar-Tass, le 6 août 2014, mettant principalement en scène Maria Zakharova, une adjointe à la direction de la section presse du ministère russe des affaires étrangères :
» “Tôt lundi, un groupe de 438 soldats et gardes-frontières ukrainiens des forces pro-Kiev luttant contre les milices dans le sud-est de l'Ukraine en proie à des troubles a demandé aux autorités russes chargées de la frontière sud l'autorisation d'entrer en Russie en demandant l'asile, et un corridor humanitaire a été ouvert pour eux. Maria Zakharova a écrit sur son compte Facebook qu'à la suite de l'annonce, lundi, du passage en Russie de plus de 400 soldats ukrainiens demandant l'asile, le ministère russe des affaires étrangères a décidé d'organiser une rencontre avec les soldats pour les journalistes étrangers accrédités en Russie.
» “Gardant à l'esprit l'importance pour les journalistes, en particulier pour les journalistes étrangers, de parler aux militaires ukrainiens, d'apprendre de première main les actions de combat réelles, la motivation des soldats ukrainiens et les raisons réelles derrière leur décision [de demander l'asile], nous avons décidé d'inviter un groupe de correspondants étrangers dans la région de Rostov”, a déclaré Mme Zakharova. Elle a indiqué qu'un avion du ministère russe de la Défense devait se rendre lundi dans la région de Rostov, où les soldats ukrainiens sont temporairement hébergés, et que l'avion était prêt à emmener un groupe de 30 à 40 journalistes. “Nous avons immédiatement commencé à appeler tout le monde”, a-t-elle déclaré. "Nous avons rassemblé jusqu'à 40 [correspondants] en une heure". [...]
» ... “A l'exception de Bloomberg, il n'y avait aucun journaliste représentant les médias américains ! !! L'opportunité de rencontrer les militaires ukrainiens, qui ont traversé le territoire russe, a été déclinée par les représentants des principaux médias américains,” [...] “Il s'agissait de CNN, The New York Times, The Washington Post, The Christian Science Monitor.” “Sur quoi ces journalistes fondent-ils leurs documents s'ils refusent de parler à des sources de première main ?” a déclaré Zakharova. “L'épisode le plus drôle a été celui du journaliste de Reuters, qui s'est inscrit, est parti à l'aéroport, mais a changé d'avis à mi-chemin et n'a pas pris l'avion.” “La Russie est critiquée pour son peu d'interaction avec les médias occidentaux et c'est prétendument la raison du black-out médiatique de la Russie”, a-t-elle déclaré. “Mais le fait est que nous parlons et qu'ils refusent d'écouter ou qu'il leur est interdit d'écouter.” »
» Alexei Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma, a écrit à propos de cet incident (ITAR-Tass, le 6 août 2014) : “Les médias américains sont morts et ils sont maintenant des bureaux du Département d'Etat américain”....»
Tout cela pour longuement présenter une initiative exceptionnelle, – une fois n’est pas (encore ?) coutume, – d’un hebdomadaire important de la presse française : une interview extrêmement fouillée de Zarakhova du ‘Point’. L’interview a été reprise par ‘Réseau International’ et elle est présentée par le général Delawarde en ces termes :
« Voici une interview vraiment remarquable de Maria Zakharova, porte parole du ministre des Affaires étrangères russe par le journal français Le Point. Une fois n’est pas coutume, on ne peut qu’être agréablement surpris par la publication d’un tel document dans un hebdomadaire français de niveau national et dans le contexte général d’une véritable hystérie russophobe.
Le point de vue russe est enfin mis à la disposition des citoyens de notre pays qui ne sont pas aveuglés par la Propagande de guerre. Difficile de ne pas trouver de nombreux points de convergence avec les propos tenus par Maria Zakharova. »
Ci-dessous, le texte de l’interview, avec une note de présentation de l’hebdomadaire.
Note de PhG-Bis : « Zakharova est certainement une des tendresses cachées de PhG et son souhait secret, je crois, serait que l’âge venant et le formidable ministre Lavrov se jugeant obligé de se mettre en retraite, qu’on lui choisisse comme successeur Maria Zakharova. La cause des femmes en sortirait grandie. »
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Maria Zakharova, 46 ans, est depuis 2015 la porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. Première femme à occuper ce poste au cœur du pouvoir, elle est connue pour son franc-parler et son infatigable détermination à développer et préciser la vision russe du monde, notamment sur sa chaîne Telegram. La rencontre, sans interprète, a duré plus d’une heure dans une salle de réunion du ministère des Affaires étrangères, en plein centre de Moscou, la veille du départ de la délégation russe pour le G20 de Bali.
Rompue à l’exercice, Maria Zakharova a répondu avec verve, sans consulter les notes qui lui avaient été préparées par ses services. Classée par la BBC, il y a cinq ans, parmi les 100 femmes les plus influentes du monde, elle n’avait pas accordé d’interview à un média occidental depuis plusieurs mois. La traduction de ses propos, effectuée par nos soins, a été validée par le ministère.
Le Point : « Qu’est-ce que l’Occident aurait selon vous “raté” dans ses relations avec la Russie ? Et plus particulièrement dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine ? »
Maria Zakharova : « Tout a commencé à la fin des années 1980 et au début des années 1990. À l’époque, on pouvait encore différencier l’Europe des États-Unis. Avant la dislocation de l’URSS, le monde était bipolaire. Quand les États membres du pacte de Varsovie ont commencé à le quitter – et ce processus a débuté avant la fin de l’URSS –, l’Europe aurait pu affirmer son indépendance. L’URSS était en faveur de l’union des deux Allemagne, les États-Unis étaient contre…
C’est là que l’Europe a commencé à saisir ce que ça signifiait d’être vraiment l’Europe unie, sans ligne de démarcation. Elle a commencé à s’unir. Là aussi, nous étions pour. Nous disions : nous sommes avec vous ! Unissons-nous, intégrons-nous ! Construisons un avenir ensemble ! Mais là, ça a été l’horreur : les États-Unis d’Amérique, les élites, « l’État profond », je ne sais pas vraiment, ont tout d’un coup compris que ça serait un cauchemar. Que si l’Europe s’unissait avec nous, avec nos ressources russes, ça leur ferait non seulement de la concurrence, mais ça serait même la fin pour eux.
D’abord, ils se sont prononcés contre notre intégration, ont refusé le régime sans visa, ensuite, ils ont commencé le processus de rapprochement de leurs bases militaires, avec des contingents et du matériel, vers nos frontières. Puis ils ont accepté de nouveaux membres dans l’OTAN, mais surtout, ils ont créé ce narratif historique antirusse. »
Le Point : « À quel moment cela a-t-il basculé ? »
Maria Zakharova : « Au début des années 2000, quand on a fini par comprendre de quoi il s’agissait, nous leur avons dit : eh, dites donc camarades, quel monde construit-on ? C’est nous qui nous sommes ouverts à l’Occident, et pas l’inverse ! L’Europe, elle, a poursuivi son intégration, notamment économique : création de l’euro, de Schengen ; et pour les États-Unis, ça a été un second choc : le dollar a cessé d’être la seule devise dominante. Or le dollar n’est sécurisé que sur sa propre dette, sur rien d’autre. Alors que l’euro, lui, est sécurisé par le niveau économique élevé d’une vingtaine de pays, sans compter les économies des pays de l’Europe orientale, de l’Europe centrale et du Nord… Pardon, mais c’est une économie puissante, et qui, en plus, à ce moment-là, se nourrissait du fort potentiel des ressources russes !
En face, la devise américaine, c’est une bulle de savon ! Là, ils ont compris qu’il fallait agir, non seulement envers nous, mais aussi envers l’Europe : ils ont commencé à saper nos liens énergétiques avec l’Ukraine qui est devenue le nœud central de cette politique. Les politiques ukrainiens se sont mis à s’écrier qu’on était très dangereux parce qu’on ne leur livrait pas notre gaz gratuitement, les Américains ont répondu aux Européens, mais achetez donc le nôtre ! Les Européens ont rétorqué : il est cher, si on achète plus cher, nos opinions publiques ne comprendront pas… Augmentez donc les impôts, ont-ils répondu ! Problème, parce que les impôts, c’est aussi le peuple, a répondu l’Europe. OK, d’accord, débrouillez-vous, voilà ce qu’on dit les Américains.
Donc, l’Ukraine, c’est juste un instrument, c’est tout ! L’Europe a deux bananes dans les oreilles.
Le Point : « Donc, pour vous, cette situation n’est pas une nouveauté ? »
Maria Zakharova : « Quelle nouveauté ? Que l’Europe a les deux yeux fermés et deux bananes dans les oreilles ? Tout ça, c’est à cause de vos médias qui ne se sont jamais déplacés dans le Donbass pendant toute cette période, à l’exception de quelques-uns. Au moment de Pussy Riot ou de Navalny, en revanche, ils étaient tous là. Mais là-bas, quand des milliers de personnes mouraient, il n’y avait personne. Et savez-vous que depuis 2014, les Criméens n’ont pas eu droit à des visas Schengen ? Pourquoi ? Parce qu’ils auraient pu raconter la situation !
En revanche, il suffisait de venir en Crimée pour s’en rendre compte par soi-même. En 2016, on a organisé des voyages de presse en Crimée, on a demandé aux journalistes ce qu’ils voulaient voir et faire, on a dit OK à tout. Un Français a dit qu’il voulait aller sur la base navale de la flotte de la mer Noire. On a accepté. Mais quand on a lu son article, on n’en croyait pas nos yeux, une telle censure ! Son titre était quelque chose du genre “pour faire peur à l’Europe, la Russie a regroupé des journalistes et leur a montré la flotte de la mer Noire“, et vous me demandez pourquoi l’Europe n’est au courant de rien ! Justement à cause de ce genre de journalistes !
Le Point : « Depuis neuf mois, la Russie a-t-elle réussi à développer ses relations avec des pays en dehors de la sphère occidentale ? »
Maria Zakharova : « Nous ne nous impliquons pas dans des coups ou des renversements. Pendant toutes ces années, nous nous sommes vraiment efforcés de nous tourner vers l’Occident. Aujourd’hui, nous souhaitons avoir des relations harmonieuses et équilibrées avec tous ceux avec qui il est possible de construire des relations sur un pied d’égalité, mutuellement respectueuses et bénéfiques. Une conception “multi vecteurs” avait commencé à être déployée dès l’arrivée de Primakov aux Affaires étrangères (Evgueni Primakov a été ministre des Affaires étrangères de 1996 à 1998 avant de devenir Premier ministre, NDLR). Avant lui, on n’avait d’yeux que pour l’Occident. Kozyrev (Andreï Kozyrev a été ministre des Affaires étrangères de 1990 à 1996, NDLR) avait même prononcé la phrase suivante : “Il est impossible pour la Russie d’avoir des intérêts qui différeraient de ceux des Etats-Unis” ! Oui, il l’a dit, et aujourd’hui il dit que Lavrov était bien avant, et qu’aujourd’hui, il est catastrophique…
Mais ce qui est catastrophique, c’est justement ce qui s’est passé avec Kozyrev, et pas avec Lavrov. Ceux qui ont dirigé la Russie dans ces années 1990 avaient même l’impression qu’ils pouvaient réduire le nombre d’ambassades russes dans le monde, et ils l’ont fait ! Ils ne payaient pas les salaires des fonctionnaires du ministère, ne les envoyaient plus en mission, etc. Primakov, lui, a insisté sur nos intérêts nationaux et sur la nécessité d’une diplomatie forte. Il a tout fait pour qu’on reçoive nos salaires et que nos ambassades ne manquent de rien. C’est depuis ce moment-là que la Russie a commencé à tisser des liens étroits en dehors de l’Occident. Et aujourd’hui, ces pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine sont justement ceux qui, contrairement aux exigences des USA, n’adoptent pas de position antirusse. Et ils représentent la majorité des pays du monde !
L’armement que vous envoyez en Ukraine est déjà en train de se déverser en Europe sur le marché noir. »
Le Point : « L’Occident mène-t-il, selon vous, une politique antirusse ? »
Maria Zakharova : Ce n’est pas une position antirusse, c’est une position antinationale vis-à-vis de vos propres peuples. Qu’avons-nous à voir là-dedans ? Bien sûr, nous aimerions être perçus normalement, objectivement et positivement, mais que peut-on y faire ? En premier lieu, c’est vous-même que vous détruisez ! Finalement, vous n’avez plus rien, vous ne disposez plus des ressources ni des possibilités que vous offraient les relations avec la Russie, et vous n’avez même plus la paix en Europe.
L’Ukraine flambe depuis 2014 dans le Donbass et personne ne s’en préoccupait. Vous n’arrivez même pas à comprendre que tout l’armement que vous envoyez en Ukraine est déjà en train de se déverser en Europe sur le marché noir. Vous savez pourquoi ? Parce que ce que vous pensez être la mafia “russe ” n’a jamais été “russe”, ce sont plutôt des gars de Moldavie et d’Ukraine. Vous avez toujours cru que tous ceux qui venaient de l’ex-URSS étaient des Russes, vous n’avez jamais fait la distinction. Vos ministères de l’Intérieur, vos forces policières et services de renseignements sont au courant, mais l’opinion publique en général ne le sait pas. Je vous félicite, après avoir reçu les “élites” d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, aujourd’hui vous avez remplacé tout ça par des gens qui viennent d’Ukraine, mais ce ne sont pas des gens qui veulent travailler ou étudier… »
Le Point : « Vous voulez dire, les réfugiés de guerre ? »
Maria Zakharova : « Oui, vous les appelez comme ça. Beaucoup souffrent de la situation humanitaire, c’est vrai, mais ce ne sont pas des gens qui apporteront leur part personnelle à la vie en Europe, ils vont juste en profiter !
Ils ont besoin d’allocations, de logements et ils utiliseront cette situation politique. Ils ont vu comment en profiter… Nous connaissons leur mentalité, vous non. Vos belles valeurs sur la tolérance ont perdu leur sens : on est passé à la complaisance. La tolérance n’est plus du tout le respect d’un avis différent ou la possibilité d’écouter quelqu’un qui n’a pas la même mentalité que vous, c’est devenu une complaisance vis-à-vis de tous ses actes d’une personne, bons ou mauvais. Du coup, c’est le chaos.
Le Point : « Parleriez-vous ainsi si nous étions avant le début de la guerre, en février 2022 ? »
Maria Zakharova : « Bien sûr ! Ça fait des années qu’on le dit, au moins depuis 2014. Et souvenez-vous qu’en 2007, Vladimir Poutine était venu à la conférence de Munich. Il avait dit : “Réfléchissez bien, que voulez-vous de nous ? Que nous soyons ensemble ou pas ? Sachez que nous, on ne peut pas rester impassibles face à vos mensonges !”
En 2015, sur la Syrie, Poutine déclare à l’Assemblée générale de l’ONU : “Si vous voyez, comme moi, que l’État islamique existe, il faut s’unir pour le contrer. Comme en 1941, quand nous avons tous raté Hitler justement parce que vous ne vous étiez pas décidé à temps ! Unissons-nous et ensemble, nous vaincrons l’EI.” Une moitié du public s’est moquée, l’autre a hué… Poutine a dit OK, il est rentré à Moscou, et la semaine suivante nos avions partaient pour la Syrie. Il avait raison, en tous points, même si, à l’époque, beaucoup nous ont menacés. Aujourd’hui, les mêmes pays nous remercient et nous disent qu’on les a sauvés ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que ça se serait terminé comme ça avec la Syrie ? Pas du tout, “l’Occident collectif” aurait été ailleurs, là où il y a du gaz et du pétrole. Ils ne vont jamais là où règnent la pauvreté, les problèmes et la famine. Uniquement là où il y a des ressources. »
Le Point : « L’Occident ne se serait réveillé qu’à cause du conflit en Ukraine ? »
Maria Zakharova : « Qui s’est réveillé ? L’Occident ? Il dort d’un sommeil léthargique. Ce sont les États-Unis d’Amérique les plus actifs à ce jeu. L’Union européenne est un peu comme le ‘Titanic’, l’eau rentre par tous les côtés, mais l’orchestre continue à jouer !
Dès que la bataille est honnête, les Américains perdent. »
Le Point : « Les médias et dirigeants politiques occidentaux ont interprété le retrait des troupes russes de Kherson comme une défaite . Pouvez-vous convaincre qu’il en est autrement ? »
Maria Zakharova : « Nous n’avons aucune intention de convaincre quiconque de quoi que ce soit. L’époque où on essayait de convaincre est passée, c’est leur problème. À eux de voir comment ils vont prendre tout ça ! Certains dorment, ou nous sifflent, mais tous s’occupent de livraisons d’armes, et nous, on a déjà compris que la discussion sous ce format était inutile. On leur a couru après pendant huit ans, on a essayé d’obtenir, via les Occidentaux, que Kiev respecte les accords de Minsk. Pendant huit ans, les Occidentaux ne l’ont pas fait. Et on irait maintenant parler avec eux ?
Je comprendrais que vous n’avez pas pitié de nous, je comprends même que vous n’ayez pas pitié de l’Ukraine, mais enfin, vous n’avez même pas pitié de vous-mêmes, avec toutes ces armes que vous livrez, vous avez oublié tous les actes terroristes commis sur vos sols ? Vous en avez tous subi. Personne n’y prête attention, c’est devenu un problème de politique intérieure. En plus, à la tête des institutions politiques de certains de ces pays se tiennent des personnes liées aux États-Unis parce qu’elles y ont étudié, travaillé… Les États-Unis ne veulent qu’une chose : primo, dominer le monde et être les seuls qui contrôlent tous les processus ; deuzio : ne pas avoir de concurrents…
Or, dès que la bataille est honnête, ils perdent. Technologiquement, ils ont déjà perdu face à la Chine ; économiquement, financièrement et d’un point de vue civilisationnel, ils ont perdu face à l’Europe et au reste du monde ; du point de vue de leur complexe militaro-industriel, ils ont compris qu’ils étaient en retard. Pour ce qui est du cosmos, je suis ravie qu’on puisse y envoyer des voitures, mais ça a été rendu possible grâce à nos fusées de lancement ! Tout ça n’est que de la com. En fait, les États-Unis ont tout perdu à cause de la crise de leur système fondé sur cette suprématie du dollar. Leur dette est gigantesque. Leur économie n’est pas réelle, elle n’est que virtuelle. Il vous faut des preuves ? Écoutez Trump ! Quand il parlait de “Make America Great Again” ça voulait dire qu’il fallait revenir à l’économie réelle !
Souvenez-vous comment le G20 a été créé, en 2008, au moment où le marché américain de l’immobilier avait éclaté, embarquant avec lui toutes les Bourses mondiales. C’était une crise mondiale mais artificielle, à cause du système hypothécaire américain… Or, là, en 2008, ils avaient besoin de tout le monde pour réanimer le système économique mondial, de l’UE, du Brésil, des pays du Golfe, de la Russie, de la Chine. “Big Brother”, pardon pour l’expression, avait fait dans sa culotte, il fallait que tout le monde aide… Ensuite, quand il s’est remis, “Big Brother” a commencé à se mêler de l’Irak, de la Libye, de l’Afghanistan, de la Syrie, et de l’Ukraine…»
Le Point : « Les relations russo-américaines étaient-elles plus faciles sous Trump que sous Biden ?
Maria Zakharova : « Pas du tout, surtout quand, tous les jours, Trump était accusé d’avoir des liens spéciaux avec les Russes… Et qu’est-ce que ça veut dire “plus facile” ? »
Le Point : « N’est-ce pas plus compliqué aujourd’hui, avec Biden ? »
Maria Zakharova : « Aujourd’hui, c’est plus marrant… Non, je plaisante, mais on se rend tous compte que ce qui se passe est absurde. Le scrutin qui a élu Biden en 2020 s’est déroulé de manière sauvage, pas honnête. Les Américains eux-mêmes le disent : lisez les sondages selon lesquels la population ne croit pas en ces résultats ! Et de quelle liberté d’expression parle-t-on quand on ferme le compte Twitter d’un président en exercice, rendez-vous compte, en exercice ! Uniquement parce que c’est le souhait des sphères libérales !
En 2016, Trump a gagné justement parce qu’il avait été capable de s’adresser directement à son public via les médias sociaux. Pendant ces 4 ans, il n’y a pas eu un seul jour où on ne l’accusait pas de liens avec la Russie, mais qu’avons-nous donc à voir là-dedans ? En revanche, nous avons bien vu comment certains dirigeants européens étaient liés, eux, à Hillary Clinton. François Hollande, par exemple, qui l’a félicitée avant même que les résultats soient proclamés, il voulait sans doute être le premier. Le problème est plutôt qu’on a accusé la Russie de soutenir Trump, même si aucun fait ne le prouve, alors que certains soutenaient ouvertement Hillary Clinton et là, c’est encore une fois deux poids, deux mesures. Ils pensent qu’ils ont le droit de le faire et pas nous. Ils expliquent que c’est parce que nous ne serions pas une “vraie” démocratie. Voilà, tout est dit.
Classe ! On leur demande : mais qui définit une “vraie” démocratie ? Nous, “l’Occident collectif”, ils répondent : L’Iran ? Non, l’Iran n’est pas une démocratie ; le Venezuela ? Non plus… En 2020, Mme Rodriguez, la vice-présidente du Venezuela, a prononcé une phrase géniale lors d’une visite ici à Moscou : “Savez-vous combien de scrutins électoraux nous avons organisés? Pas un seul n’a plu aux Etats-Unis ! Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas les élections qui les intéressent, mais leurs résultats !” C’est ainsi : les Américains ne considèrent comme légitimes que les résultats électoraux qui leur conviennent. »
Le Point : « Le ‘Wall Street Journal’ affirme que, ces dernières semaines, le Kremlin et l’administration présidentielle ont mené des discussions officielles concernant la menace nucléaire. Confirmez-vous ? »
Maria Zakharova : « Je ne sais pas à quels contacts en particulier vous faites allusion. En revanche, pour ce qui concerne notre position sur l’arme nucléaire, nous essayons de rassurer tout le monde. Nous avons publié une déclaration à ce propos sur le site du ministère des Affaires étrangères. Cessons ces spéculations, cessons d’en parler. »
Le Point : « Mais si Vladimir Poutine en parle, les spéculations reprendront… »
Maria Zakharova : « En parle-t-il maintenant ? Non. C’est nous qui décidons ce qu’on a envie de dire, et vous, vous décidez ce que vous avez envie d’entendre. Nous continuerons à dire ce que nous avons envie de dire. Et pour ce qui est de poursuivre le dialogue, écoutez… Ici, Macron nous a tous fatigués.
Surtout quand on a appris que pendant ses coups de fil avec Moscou, il y avait une caméra derrière lui et que tout était enregistré pour un film (‘Un président, l’Europe et la guerre’, 2022, NDLR). Avec qui on parle alors, et de quoi ? Cela fait huit ans qu’on a déjà discuté de tout et pour ce qui est de l’Ukraine, ce sont les États-Unis qui décident.
Rendez-vous compte que l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne a traité le chancelier Scholz de “saucisse offensée” (en mai 2022, NDLR), c’est comme s’il lui disait que son seul boulot était de continuer à donner de l’argent, des armes. Avec qui pourrait-on parler de l’Ukraine dans l’UE ? Conseillez-moi. Peut-être avec Borrell ? Ou avec un Italien ? Ou avec l’Allemande Baerbock, spécialiste de l’écologie ? Avec qui parler, et de quoi ? Ils ne savent même pas de quoi ils parlent… »
Le Point : « Personne en Europe ne pourrait donc influencer la situation ? »
Maria Zakharova : « Ils le pourraient, s’ils admettaient que le centre des décisions se trouve à Washington qui prend des sanctions, établit des listes, livre des armes, dit qu’il faut accueillir des réfugiés, faire ceci, ou voter cela… Comment les Européens pourraient-ils admettre tout ça, alors qu’ils n’arrivent même pas à être indépendants, c’est-à-dire à agir par eux-mêmes ? Le plus triste, et je le dis sur un ton sarcastique, c’est que chaque État de l’UE pense qu’il est indépendant, en est convaincu, même s’ils sont incapables de dire en quoi ça consiste. Ils sont même incapables de poser des questions tout doucement, par exemple, celle-ci : qui a fait exploser les gazoducs (Nord Stream, NDLR) au fond de la mer Baltique ? Ils n’ont même pas le droit de la poser. Pourtant, quand un certain Skripal avait été empoisonné (Sergueï Skripal est un agent russe devenu un agent double britannique, qui a survécu en 2018 à une tentative d’empoisonnement au Novitchok, NDLR), toute l’Europe en parlait… mais en quoi cela concernait-il la France, l’Italie, la Grande-Bretagne ? Ils ne savaient même pas ce qui s’était vraiment passé.
Alors que ce projet est celui d’une infrastructure nous concernant tous. Oui, c’est notre gaz et nos tubes, mais pour approvisionner l’Europe ! Il a été détruit et aucun chef d’État ou Premier ministre de l’UE n’ose poser cette question simple : qui a fait ça ? Et vous me parlez de politique indépendante européenne ! Le peuple, lui, est capable de se poser des questions, mais chez lui, pas publiquement. Dès que quelqu’un s’exprime là-dessus, les services spéciaux viennent le voir et l’accusent d’être un agent russe. »
Le Point : « Vous pensez que ce que vous dites là arrive en France ?
Maria Zakharova : « Je ne le pense pas, je le sais… »
Le Point : « La russophobie existe-t-elle en France ? »
Maria Zakharova : « Les Français tentent d’y résister parce qu’ils lisent, regardent des films, vont au théâtre et qu’ils sont habitués à penser et réfléchir par eux-mêmes grâce à leur niveau de culture. Mais on essaie de la leur imposer d’en haut. Comme en Espagne, au Portugal et en Grèce. »
Le Point : « Vous évoquez souvent ce que vous qualifiez de “deux poids, deux mesures” entre la Russie et l’Occident, pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par-là en rapport avec l’Ukraine ? »
Maria Zakharova : « Voici un exemple : en 2012, un groupe de jeunes femmes russes habillées en punk a fait irruption dans une cathédrale de Moscou. Elles s’appelaient les Pussy Riot. Elles ont bondi derrière l’autel, dansé sur fond d’icônes et d’objets saints, fait quelques déclarations et posté ce moment sur les médias sociaux. En Russie, le peuple et les structures de sécurité ont été épouvantés. Cette cathédrale du Christ Sauveur est la plus grande sur le territoire de la Russie, elle a été complètement reconstruite après sa destruction par les communistes qui en avaient fait une piscine. Elle avait été érigée avec l’argent du peuple, d’abord au XIXe siècle pour célébrer notre victoire sur Napoléon en 1812, puis au XXe. Ces filles ont profané en quelques minutes tout ce en quoi les gens de notre pays croient ! Elles voulaient provoquer. Le monde libéral les a défendues et aussi Madonna, Sting, Red Hot Chili Peppers, etc. On nous disait : Comment osez-vous punir des jeunes femmes pour leurs actes civiques ? C’est de l’art !
Aujourd’hui, on voit qu’en différentes parties de l’Europe des activistes, du même âge qu’elles, pénètrent dans les musées et jettent une substance sur des œuvres. Ils protestent contre ce qu’ils estiment être un préjudice infligé à la nature par les industries. Leur but n’est pas de détruire l’œuvre d’art protégée par une vitre, mais d’attirer l’attention sur ce problème. Et que voit-on ?
Personne ne s’exprime en leur faveur. Ni l’Union européenne, ni le président des États-Unis, ni aucun diplomate ne les soutiennent, alors que chacun d’entre eux défend un programme environnemental et que dans tous ces pays, les démocrates considèrent l’écologie comme un thème central. Tout ça pour vous dire que des actions grotesques similaires n’aboutissent pas aux mêmes réactions.
Quand ça se passe en Russie, c’est critiqué, mais dès que ça touche l’Occident, ces personnes sont considérées comme des hooligans ! Pourquoi ? J’aimerais bien le savoir ! Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Combien de jeunes ont terminé en prison pour avoir participé aux Gilets jaunes en France ou à des protestations en Amérique ? Des centaines, des milliers de gens partis à l’assaut du Capitole ont été pénalement condamnés. Mais dès que c’est chez nous, ça concerne immédiatement les États-Unis, Bruxelles, Paris, Rome, Madrid, Lisbonne ! J’ai envie de dire : eh, les amis, faudrait peut-être avoir les mêmes standards !
Pour ce qui est des élections, c’est la même chose. Aux États-Unis : personne ne comprend ce qui s’est vraiment passé. Des observateurs de l’OSCE se sont exprimés avec grande délicatesse sur les violations. Je le sais, j’ai attentivement lu leur conférence de presse. Alors que pour ces mêmes observateurs occidentaux, pas un seul scrutin ne s’est déroulé tranquillement chez nous. Chaque fois, c’était la même hystérie. Nous ne nous mêlons pas des élections aux États-Unis, alors qu’ils ne se mêlent pas des nôtres ! C’est un second exemple. Et au Venezuela ! Pour les Occidentaux, Maduro n’est pas président. OK mais qui est-ce alors ? Même si aujourd’hui, tout a changé, Macron l’a salué, et aussi Kerry qui, je le rappelle, représente un pays qui le recherche. »
Le Point : « Et l’Ukraine ? »
Maria Zakharova : « En ce qui concerne l’Ukraine, tout a commencé quand les États-Unis, de concert avec l’Union européenne, Bruxelles, Berlin et Paris dans une moindre mesure, Varsovie et les pays Baltes ont commencé à se mêler des affaires internes de ce pays, et ils n’ont pas fait que ça : ils ont carrément modelé la situation sur place en dépensant de l’argent, en multipliant les soutiens politiques, en formant ceux qui, en 2014, avaient fomenté le coup d’État. En 2004, la Révolution orange, c’était quoi ? Le troisième tour des élections ? Alors que tout le monde voyait bien que Ianoukovitch (l’ex-président ukrainien pro-russe entre 2010 et 2014, NDLR) les avait gagnées. Tout le sud-est de l’Ukraine avait voté pour lui. Donc ils ont conçu une Ukraine à leur main, ont été à la source d’un changement gouvernemental et ont transformé les problèmes énergétiques en facteur politique. Ce sont eux qui ont décidé comment l’Ukraine allait nous acheter de l’énergie et que ces tuyaux passeraient à travers leur territoire en transit. Ensuite, il est apparu qu’eux seuls avaient le droit d’agir ainsi, encore un double standard, et ça ne pouvait qu’exploser, car quand on met dehors à deux reprises un président élu, ça ne peut pas bien se passer. Ils l’ont viré comme un malpropre ! »
Le Point : « Pouvez-vous expliciter le terme “Occident collectif” ? »
Maria Zakharova : « C’est le fait que vous n’avez aucune politique extérieure individuelle !
À de nombreuses reprises, lors de conférences de presse, j’ai été témoin des questions posées par des journalistes à des ministres des Affaires étrangères des pays européens. Tous répondaient qu’ils n’avaient pas le droit de donner leur avis sur des questions internationales globales parce qu’ils suivent une politique collective au sein de l’UE et de l’OTAN. Donc ils ne peuvent commenter que les relations bilatérales.
Vous êtes l’“Occident collectif” parce que vous êtes unis dans un système administratif de direction au sein de l’OTAN. Depuis les années 1990 et 2000, l’UE a cessé d’être une union politico-économique, elle est devenue une partie de l’OTAN, elle a cessé d’être autonome.
Pourtant, selon certains sondages, la population de tel ou tel pays européen ne soutient pas les sanctions antirusse, et ce, non par amour pour la Russie, mais parce que ça leur rend la vie plus complexe, mais elle n’a aucun moyen de déléguer son opinion aux dirigeants. On sait très bien qui a pris le premier la décision des sanctions au lendemain de 2014, c’est Biden, alors vice-président, c’est lui qui a influencé la décision de l’UE, c’est de notoriété publique. C’est seulement après que les pays de l’UE ont décidé de nous sanctionner, alors, vous voyez bien ce qu’on veut dire avec l’idée de “l’Occident collectif” ! Il n’y a rien de répréhensible à prendre une décision de façon collective, nous
aussi sommes membres de structures collectives, mais il y a une différence fondamentale : nous décidons avec les autres sur un pied d’égalité.
Sur certaines questions pas vraiment cruciales, les Européens prennent des décisions de concert, mais dès que certains pays sont tentés de prendre des décisions qui leur seraient individuellement bénéfiques, mais qui diffèrent de ce qui est important pour la superstructure, ils sont punis. Regardez ce qui se passe en Pologne, et ça n’a rien à voir avec la Russie, elle a sa propre législation nationale sur la question du genre ou la question nationale, mais si ça ne plaît pas à Bruxelles, ils sont punis ! Et la Hongrie ! Comment on l’a traitée, comment on traite Orban ! Voilà : personne ne peut prendre ses propres décisions si elles ne coïncident pas avec les opinions de “Big Brother”. »