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58516 avril 2004 —Un commentaire du chroniqueur britannique Timothy Garton Ash, dans le Guardian du 15 avril, doit retenir toute notre attention. Il s’agit non seulement du contenu, pourtant fort intéressant en lui-même, mais aussi du moment choisi (la rencontre Bush-Blair) et du climat qui se développe aujourd’hui (aussi bien à Londres qu’en Europe, dans les rencontres officieuses).
Un constat de départ, une sorte d’évaluation de la situation structurelle de notre monde occidental est que, jamais sans doute, pour ce qui est de cette rencontre (Bush-Blair) et des implications évidentes qui l’accompagnent, les proclamations officielles claironnantes n’auront été aussi éloignées d’une réalité extrêmement incertaine.
Mais attachons-nous d’abord à Garton Ash. Dans son article, intitulé « The French connection — With Iraq in chaos, we need a new entente cordiale and President Kerry in the White House », il développe plusieurs thèmes qui s’enchaînent pour former une logique conduisant de facto à ce que certains pourraient identifier comme un renversement d’alliances.
• D’abord, une rapide analyse de l’année écoulée. Blair avait peut-être raison dans les principes, dit Garton Ash, mais c’est Chirac qui, finalement, a raison dans les faits. L’analyse par Garton Ash de la position française au départ n’est pas satisfaisante mais peu importe. Là n’est pas le propos. Le propos est bien la conclusion que Garton Ash tire de cette rapide analyse :
« The invasion of Iraq was, as Talleyrand remarked in another context, “worse than a crime; it was a mistake”. »
• Blair rencontre GW Bush aujourd’hui. Garton Ash lui conseille de ne rien attendre de cette rencontre, de limiter sa rhétorique héroïque sur la guerre en Irak, de cesser de soutenir une administration qui a commis une si colossale erreur, de s’intéresser plutôt à John Kerry, ouvertement s’il le faut.
« …A cool analysis suggests that, with the possible exception of trade policy, Kerry is a much better transatlantic partner for the kind of liberal internationalism which Blair represents. He should, therefore, do everything he can to ensure that he is not in any way recruited or suborned to be a cheerleader to the Bush campaign.
» Abandoning the excesses of moralistic “war on terror” rhetoric is one way he can avoid that danger. Another, quixotic though this may sound, is to put in some good public words for the French. For one of the minor nationalist absurdities of the Republican campaign is that John Kerry is being targeted for speaking French. The Republican house majority leader begins his speeches: “Hi, or, as John Kerry might say, bonjour “. “Monsieur Kerry” or “Jean Cheri” has even been accused by Bush's commerce secretary of looking French. Quelle horreur! Of course, making jokes about the French is an old Anglo-Saxon pastime, to which Americans were for a long time actually much less susceptible than the English. Yet today, a French-speaking American president is precisely what Britain needs, what Europe needs, and, in fact, what America itself needs, to repair the damage done by the blundering unilateralism of the Bush administration. »
• En effet, on en vient aux Français. Globalement, observe Garton Ash, les Français ont eu raison à 100% dans cette affaire. C’est un argument non négligeable pour qu’on envisage de se rapprocher d’eux.
• En fonction de l’évolution aux USA et des recommandations qu’il a énoncées ci-dessus, Garton Ash estime que la politique évidente pour le Royaume-Uni est un rapprochement de l’Europe, et du pays qui, en Europe, a le mieux affirmé la juste position face à l’évolution américaine. Il se trouve qu’avec ce pays, la France, le Royaume-Uni a des liens naturels et une tendance à chercher aujourd’hui des voies stratégiques communes. C’est dans cette direction qu’il faut aller, celle d’une Entente Cordiale revivifiée.
« And so to dessert. Beyond the ceremonial, the mutual lifestyle celebration, and the Queen speaking her terribly English French, what future for a new entente cordiale between France and Britain? The answer should be: a great deal. It's difficult to think of a single issue on which Europe can make much of a difference in the world unless these two countries reach an understanding. On several, they represent two extreme positions within Europe. And on many, the right position for Europe to take is somewhere in between those of London and Paris. That has been true for most of the nearly two years of the Iraq crisis, during which so much else of greater value could have been done. It's true, most importantly, of our relations with the United States. Only a stronger Europe can speak as a serious partner to the hyperpower. »
• Au bout du compte, estime Garton Ash, et ce sont pratiquement les dernières phrases de sa réflexion, la formule est la matrice d’une « stronger Europe », la seule qui puisse « parler à l’hyperpuissance en partenaire sérieux ». On mesure combien, parlant d’une « stronger Europe », on n’est pas loin de parler de l’“Europe-puissance”. On mesure aussi combien dans ce schéma, l’alliance européenne est privilégiée par rapport à l’alliance américaine. (Point important : si Garton Ash, éditorialiste influent, s’est toujours montré modérément européen, il a toujours pris garde à recommander d’entretenir une puissante relation avec les USA.)
La rencontre entre Bush et Blair, aujourd’hui aux USA, est accompagnée de nombre de commentaires, au Royaume-Uni, qui montrent un pas de plus dans la réflexion critique. Il n’est plus tant question aujourd’hui de critiquer le comportement américain que de faire, à partir de cette critique, une analyse critique des relations entre les USA et le Royaume-Uni. C’est une évolution importante lorsque, d’une critique négative et passive (même si nécessaire et justifiée) d’une situation extérieure, on passe à la mise en cause active d’une situation qui vous concerne. Nous arrivons au cœur du problème.
En plus des critiques d’éditorialistes et de commentateurs, les prises de position officielles des libéraux, parti politique désormais important dans le monde politique britannique, sont notables. Il s’agit d’une demande formelle adressée au gouvernement de modifier la politique des rapports du Royaume-Uni avec les Etats-Unis. Il y a encore des critiques venues d’organismes réputés, comme celles de l’institut IPPR, reprochant à Blair de compromettre l’image humanitaire du Royaume-Uni à cause de ses liens avec les USA : comme, hier, on vous recommandait de n’avoir pas de liens trop visibles avec l’URSS.
« Mr Blair suffered a further rebuff as an influential think tank said that British and US foreign policy was preventing Britain from halting human rights abuses around the world. In a report out today, the Institute for Public Policy Research (IPPR) warned that the war in Iraq and the detention of terror suspects at Guantanamo Bay limited Britain's ability to influence states with poor human rights records.
» The report by David Mepham, who was special adviser to Clare Short, the former Secretary of State for International Development, said Britain was more likely to ignore human rights abuses by powerful allies than smaller nations. He said: “Keeping close to the US has muted UK Government criticism of US policy in Guantanamo Bay.
» “UK support for the policies of President Bush has also damaged relations with some EU partners, many Arab and Islamic countries, and with parts of the developing world. This will potentially make it harder for the UK to gain support for human rights initiatives.” »
Il y a même des mises en cause personnelles, ce qui est rare et mesure le degré d’exaspération. Le commentaire de Jonathan Freedland est impressionnant à cet égard. Il met l’accent sur l’humiliation que constitue l’affirmation du soutien à 100% de Bush à Sharon la veille de la rencontre de Bush-Blair. C’est un problème délicat pour Blair, qui a toujours affirmé que son soutien à la guerre contre l’Irak s’accompagnait de concessions US pour soutenir un processus juste dans la crise israélo-palestinienne. Cette affirmation ne vaut plus rien du tout aujourd’hui.
Voici ce que dit Freedland de la politique US, de la position de Blair et de la réaction de Blair. Aujourd’hui, c’est triste à dire, on en vient à mépriser Tony Blair, qui n’a même plus « his own self-respect ».
« This is a break not only from Bush's own road map — which called for a negotiated rather than imposed settlement — but also from 37 years of US policy, under both Democratic and Republican administrations. It confirms the extent to which Bush's is the aberrant presidency, a period future historians will marvel at as a rupture from all that had gone before. The abandonment of even the attempt to appear to be an honest broker in the Middle East, along with the doctrines of pre-emptive war and unilateralism, are departures from the post-1945 US consensus with no precedent. (…)
» Harder to fathom is why Tony Blair should go along with such a shift. He persuaded a reluctant parliamentary Labour party to vote for war on Iraq last year with the promise that he would push Bush to act on Israel-Palestine. His reward was the much-delayed publication of the road map, which was hardly a great triumph: merely a set of toothless guidelines and a hoped-for timetable. Now even that is in shreds, and yet Blair smiles and takes it, welcoming Bush's green light to Sharon as a positive “opportunity”.
» It's beginning to look humiliating for Blair — the one promise he extracted for his dogged fidelity in Iraq trampled on so publicly. You would think now would be the moment for Blair to show some daylight between himself and Bush, if only for his own self-respect. Will that happen today in Washington? Don't bet on it. »