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8 avril 2004 — On sait que le sénateur Kennedy a lâché l’analogie terrible, comparant GW Bush à Richard Nixon au temps du Watergate, — certes pire encore, c’est-à-dire pour juger GW dans une situation pire que celle de son prédécesseur de 1968-74. Il faut mesurer combien cette analogie, si elle est arrangeante pour le discours, n’est pas du tout conforme à la réalité. GW n’est pas un nouveau Richard Nixon ; ce n’est pas un homme aux abois, angoissé, conscient de sa faute et essayant d’échapper à ses “justiciers”, qui se trouvaient être d’abord, — comme ça se trouve, — ses adversaires politiques les plus acharnés.
Un simple exemple anecdotique, au niveau de la psychologie, de cette situation (GW n’est pas Nixon), se trouve dans un extrait d’une conférence de presse ultra-rapide (deux, trois questions, no more), où GW vient annoncer qu’il accordera “un entretien” aux enquêteurs de la Commission 9/11.
THE PRESIDENT: I just met with Specialist Chris Hill's family from North Carolina. You know, I told the family how much we appreciated his sacrifice — he was killed in Iraq — and assured him that we would stay the course, that a free Iraq was very important for peace in the world, long-term peace, and that we're being challenged in Iraq because there are people there that hate freedom. But the family was pleased to hear that we — its son would not have died in vain. And that's an important message that I wanted to share with you today.
Let me ask you a couple of questions. Who is the AP person?
Q. I am.
THE PRESIDENT: You are?
Q. Sir, in regard to...
THE PRESIDENT: Who are you talking to?
Q. ...Mr. President, in regard to the June 30th deadline, is there a chance that that would be moved back?
(...)
Q. Mr. President, can you just tell me — the 9/11 Commission, the Chairman yesterday, Governor Kean, said a date had been set, I think, for your testimony and the Vice President's. Is that...
THE PRESIDENT: I would call it a meeting.
Q. A meeting, I'm sorry.
THE PRESIDENT: Thank you.
Voici donc un président qui reprend sèchement, type-maître d’école, un journaliste qui ne l’appelle pas “Mr. President” mais “sir” ; un autre qui parle d’inquiry alors qu’il faut parler de meeting et ainsi de suite. Où voyez-vous un homme aux abois ? Ce sont plutôt les journalistes qui sont aux abois, qui s’écrasent comme un vulgaire journaliste français “interviewant” le président, au soir du 14 juillet. Le sénateur Fulbright parlait, dans les années soixante, de “l’arrogance au pouvoir”, à propos des intellectuels de l’équipe Kennedy-Johnson qui mirent l’Amérique dans le bourbier vietnamien. GW, c’est plutôt la vanité au pouvoir.
(Au départ, la vanité est le « caractère de ce qui est vain », expressément caractérisée par le vide de celui qui manifeste ce caractère ; l’arrogance est, de façon différente, l’affirmation outrancière d’une supériorité ou d’une puissance bel et bien existante, — « Assez et trop longtemps, l’arrogance de Rome/A cru qu’être Romain c’était être plus qu’homme » [Corneille, Pompée].)
GW n’est pas du tout aux abois, il est même bel et bien en pleine forme, confiant de dire le bon droit et le Bien tout ensemble. Nixon était un homme conscient de ses fautes, de sa faiblesse humaine, un homme pris au piège. Nixon était un personnage shakespearien, GW est plutôt un personnage d’un film “historique” de Spielberg type Private Ryan, créé par les studios DreamWork.
D’ailleurs, comment lui faire reproche, à cet homme simple, de conduire les affaires comme il le fait ? Ils ont tous voté la guerre, tous les vaillants parlementaires, y compris John Kerry. GW est, en quelque sorte, le représentant d’un establishment rendu fou par le 11 septembre 2001. Au contraire, Nixon était un homme seul, un paradoxal “dissident du système”, et le système désireux de l’éliminer parce que ce solitaire s’était fait prendre la main dans le sac et avait organisé ses propres réseaux d’investigation et de répression. La différence est complètement fondamentale. Aujourd’hui, le Washington Post et le New York Times s’alignent pour l’essentiel sur la consigne officielle, ou s’ils songent à retrouver quelques miettes d’esprit critique c’est parce que la barque prend eau de toutes parts. Les extraits de la conférence de presse ci-dessus mesurent cette pitoyable situation, dont on sait qu’elle est l’inverse de ce qu’elle fut à cet égard lors du Watergate. On a assez chanté, à l’époque, la vertu du journalisme américain.
D’où il vient à l’esprit de constater que la crise actuelle est bien plus grave que celle du Watergate. Elle met en cause, au travers de l’insignifiant GW, le système lui-même. Lorsque l’ancien conseiller juridique de Nixon, John Dean, qui démissionna durant le Watergate, écrit que la crise actuelle est « worse than Watergate » (titre du livre qu’il vient de publier), il faut prendre cette expression jusqu’au bout de sa signification : “pire” en substance et nullement en degré.