Voici un Américain qui comprend l’antagonisme USA-France

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Voici un Américain qui comprend l’antagonisme USA-France

29 mars 2004 — Grant R. Mainland, qui publie un article dans l’International Herald Tribune (26 mars) intitulé : « Europe vs. America's operating system », est, selon la note qui nous est présentée avec l’article : « a research specialist focusing on terrorism and trans-Atlantic relations at the Belfer Center for Science and International Affairs at Harvard University's Kennedy School of Government. » Bref, un homme sérieux et un Américain pur sucre du système de l’américanisme. Cela ne l’empêche pas de n’être pas sot.

Mainland s’attache à l’affaire Microsoft versus UE, la société US étant punie par une énorme amende (€497,2 millions) pour son activité monopolistique, après des négociations infructueuses avec l’UE. C’est effectivement l’UE qui a décidé cette sanction. Après la décision, le sentiment à la Commission était également celui de l’inéluctable (impossible et, surtout, impensable de prendre une autre décision) et de la préoccupation nettement inquiète devant cette décision (selon une source, les fonctionnaires des services qui ont pris cette décision « s’attendent à une réaction extrêmement forte des États-Unis, et ils en sont fort préoccupés bien sûr »).

L’intérêt du texte de Mainland est qu’il trace une analogie entre la bataille UE-Microsoft et l’affrontement Chirac-GW Bush sur la question de la guerre de l’Irak, esquissant ainsi une définition plus large que de coutume, éventuellement plus riche, des relations conflictuelles entre la France et les États-Unis. L’intérêt de cette approche est que le terme “conflictuel” n’évoque pas, dans l’esprit de Mainland, une situation de compétition, comme il est si souvent, et si grossièrement évoqué à propos de la France (la France se posant comme compétiteur des USA, prétendant dépasser les USA dans leur position de puissance). Il s’agit, d’une façon différente en substance, d’une situation d’alternative : Mainland voit très justement que la France présente une alternative à la situation américaine.

« This is what Chirac has in mind when he speaks of a multipolar world — a political alternative to Washington's dominating product, not a military competition designed to counterbalance the Pentagon. Europeans recall better than anyone that true multipolar military competition led to an aggressive imperialism that ultimately claimed millions of lives in two world wars. Paris and Berlin have neither the resources nor the bad judgment to return to such a framework. »

Mainland considère donc la question de l’affrontement “Microsoft vs UE” comme une resucée, ou un prolongement sous une autre forme de l’affrontement Bush-Chirac de l’ONU et à propos de la guerre contre l’Irak. L’affrontement est entre une force à finalité monopolistique, donc nécessairement prédatrice des autres et une force cherchant la diversité des centres de production et d’influence (ou “pôles de puissance” pour l’analogie politique), les rapports étant réglés par une compétition qui peut être créatrice mais qui ne recherche certainement pas la destruction de l’autre.

(C’est là un point intéressant : finalement, il y a effectivement une “compétition” dans une action monopolistique, mais cette compétition recherche la destruction des concurrents pour établir un monopole. La compétition que voudraient les Français, selon Mainland, devrait être créatrice et ne pas aboutir à la destruction des concurrents sans quoi l’on tombe dans la logique monopolistique, — c’est cette différence essentielle qui exprime la différence de conceptions, et c’est le point qui devrait être examiné au plus près.)

« The diplomatic fight over the war in Iraq became a virtual boxing match between President Jacques Chirac of France and President George W. Bush. Today, it is as if that battle is being fought through proxies: Steven Ballmer, Microsoft's chief executive, and Mario Monti, the EU's self-described “competition minister.”

» None of this is explicit. Ballmer, previously under fire from America's own antitrust authorities, is an unlikely representative of the U.S. government. Nor is there reason to believe Monti came to his decision on the basis of anything but reasoned antitrust analysis. But it is easy to see why Europeans might view Microsoft — a powerful behemoth led by a brash, imperious chief executive — as a metaphor for America under Bush.

» Consider the two basic principles underlying antitrust — a skepticism of concentrated power and a belief in the virtue of competition. Both of these principles apply as much to European thinking about international politics as economics.

» Europeans view America's concentration of power like that of a huge corporation with bottomless pockets and an army of lawyers. Much as Microsoft settles lawsuits with large sums of cash only to resume its aggressive business practices, America buys off its allies and opponents alike and then charges forward ruthlessly with its own agenda. »

Dans cette analyse, Mainland confirme l’évolution de l’Amérique, que la présidence Bush (et la crise post-9/11) n’a fait que confirmer. Il la concrétise dans son jugement sur l’état d’esprit, aujourd’hui à Washington, par rapport à la question du monopole : « This view of America as a corporation that needs to be cut down to size is only confirmed by the Bush administration's position on antitrust. Antitrust has fared poorly in Bush's Washington. While it remains orthodoxy — it is still taught in economics and law classes, and the Justice Department has yet to close its antitrust division — it has been attacked by the antiregulation crowd, most obviously in the Federal Communication Commission's aggressive campaign for media deregulation. »

Cette évolution américaine, qui a débuté au début des années 1970 par l’évolution du monde du business avec le “Manifeste Powell” dont l’importance est en général ignorée, est un événement considérable. C’est la première fois depuis la loi antitrust de 1876, sous la président Grant, que l’idée de monopole n’est plus dénoncée, officiellement et dans son esprit, mais qu’elle commence à être appréciée comme une sorte de “stade ultime de l’américanisme”.