Vont-ils sacrer Blair Empereur d’Europe? Horreur?

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Vont-ils sacrer Blair Empereur d’Europe? Horreur?


22 octobre 2007 — Le sommet de Lisbonne (18-19 octobre) de l’UE fut un “coup”, comme les affectionnent les dirigeants politiques aujourd’hui. Beau coup d’effet d’annonce, concernant des matières contestables marquées par l’incertitude. On parvint à s’entendre sur le traité censé tenir lieu de Constitution tout en sachant que nombre des incertitudes qui l’entourent ne sont pas résolues, que son application sera chaotique. L’accord fut acclamé, et souligné d’une façon paradoxale par un Gordon Brown qui précisa qu’ainsi le dossier de la réforme de l’UE était clos et qu’il n’y aurait plus de transfert de souveraineté.

D’autre part, – autre “coup” – certains tentèrent de mettre en selle Tony Blair pour la “présidence de l’Europe” qu’implique le traité (premier “président européen” au 1er janvier 2009, – pour 30 mois pouvant être prolongé en 5 ans, évoluant dans une probable confusion aux côtés du président “par rotation”, – premier ministre ou chef d’Etat du pays qui assure la présidence de l’UE de 6 mois en 6 mois). C’est à ce second événement que nous nous attachons.

L’International Herald Tribune présente la chose le 20 octobre, “à l’américaine”, c’est-à-dire avec un regard extérieur qui ne comprend pas grand chose à sa signification éventuelle. Il ne faut pas leur en vouloir de ne rien comprendre. D’une certaine façon, l’Europe est faite un peu pour cela, – pour qu’on n’y comprenne rien.

«European leaders agreed early on Friday to a new treaty for the 27-member bloc that creates the post of European Union president to represent Europe internationally on issues like climate change, bilateral relations and development. The post, with a 30-month term that can be extended to five years, is to replace a cumbersome system by which European Union leaders and nations rotate holding the presidency every six months.

»The new office would come into effect in January 2009 and could finally make it clear whom Washington should call when it “wants to speak to Europe,” as Henry Kissinger once put it.

»As rumors swirled at the summit meeting over which candidate could win the necessary backing of all 27 member states — with Prime Minister Anders Fogh Rasmussen of Denmark; Prime Minister Jean-Claude Juncker of Luxembourg; and a former Polish president, Aleksander Kwasniewski, also cited — Brown insisted that his charismatic predecessor as Britain's prime minister was singularly qualified.

»“Tony Blair would be a great candidate for any significant international job,” Brown said. Referring to Blair's current job as the European Union's Middle East envoy, he added, “As you know, the work that he is doing in the Middle East is something that is of huge international importance.”

»Blair's candidacy for the presidency was also endorsed by Sarkozy.

»“I saw Tony Blair the night before last and he is a remarkable man, the most pro-European of all the British,” he said. “I don't know what his intentions are. But that one could think of him as a possibility is quite a smart move.”

»He added that Juncker, Europe's longest-serving prime minister, was also a good choice because of his long institutional memory.

»Foreign policy analysts said Blair was one of the few European leaders with the status to improve the European Union's international profile while expanding its influence with Washington. But many also questioned how the man who divided Europe by supporting the war in Iraq — and who is regarded with deep resentment in many parts of the Muslim world — could ever unify Europe.

»Others doubted that a candidate from Britain, which remains outside of the euro and does not subscribe to the core values codified in the new treaty, would ever receive wide endorsement.»

Qu’en pense l’intéressé, qui fait au Moyen-Orient, au cas où l’on ne s’en serait pas aperçu, «something that is of huge international importance»? On ne sait pas exactement car il est resté discret, comme cela s’impose. Reste que The Independent, dans ses éditions du même 20 octobre, apporte un bémol de poids à la nouvelle.

«There remain considerable obstacles to Mr Blair securing the post. Although he is regarded as a heavyweight in EU capitals, he is also remembered as the man who divided Europe by giving George Bush such strong backing for the 2003 invasion of Iraq. Some EU diplomats predicted that he would not secure enough support from member states.

»Friends doubt that Mr Blair would want the job. The new President would not be as powerful as the title or £200,000-a-year package suggests. He or she would help to shape the EU's agenda and be seen as the EU's representative on the world stage. But the key decisions would still be taken by national leaders from member states.

»After standing down as Prime Minister in June, Mr Blair became the Middle East peace envoy for the Quartet – the United States, Russia, the United Nations and the EU. Yesterday his spokesman did not rule out him taking up the new EU post but said: “He is focusing on his current role in the Middle East.”»

Blair et le débat des relations avec les USA

Curieuse idée… Bonne idée? Ou bien, idée épouvantable qui est une trahison de l’Europe? Première autre façon de poser cette dernière question: avec Blair, l’Europe tomberait-elle dans l’escarcelle des USA? Deuxième autre façon de poser la question : l’Europe n’est-elle pas d’ores et déjà dans l’escarcelle des USA, — et si oui, quel effet aurait l’arrivée de Blair?

L’Europe est une variable incertaine de la politique internationale et du monde à la fois contemporain et postmoderne. Pour les Français logiques, pour les “européistes”, pour les partisans de l’“Europe-puisssance”, le système actuel est une constante trahison de ce qu’ils recherchent. La bureaucratie est totalement acquise aux idées libérales et américanistes; les principaux dirigeants, Barroso en tête, sont pro-américanistes. Ce système, pensent ces mêmes courants d’opinion, exprime complètement un sentiment majoritaire dans les directions des pays de l’UE. La logique cartésienne (française) pousserait à faire penser que la nomination d’un Tony Blair si pro-américaniste renforcerait décisivement cette tendance. Ce n’est pas sûr.

L’Europe, “variable incertaine”, n’est pas structurée comme une force politique normale. Si le verbe existait, nous dirions qu’elle “dysfonctionne” plutôt qu’elle ne fonctionne, que le dysfonctionnement est son mode normal de fonctionnement. Les courants ne s’y expriment pas directement et les effets ne répondent pas nécessairement à la logique des causes en raison des interférences contradictoires d’intérêts obscurs, obliques ou concurrents. Renforcer l’Europe (sa politique, sa direction) d’un élément pro-US n’est absolument pas la garantie d’une orientation plus pro-US de l’Europe. Le contraire est même probable.

On a eu une démonstration discrète mais convaincante de la chose la semaine dernière, lors du Conseil des ministres des affaires étrangères des 15-16 octobre. La France y jouait le rôle, paradoxal pour elle, de l’élément pro-US supplémentaire avec son étrange politique iranienne. Elle venait proposer un durcissement des sanctions anti-iraniennes pour les pays de l’UE, dans le cadre de l’UE en tant que telle, hors du cadre de l’ONU où l’opposition de la Chine et de la Russie bloque cette idée; c’est-à-dire qu’elle venait proposer “objectivement”, quoi qu’il en soit des intentions françaises, un alignement de l’UE sur la ligne dure US. Le Conseil a accueilli avec intérêt la proposition française en évitant de l’accepter, tout en réaffirmant avec le sourire que l’UE entendait évidemment rester dans le cadre des directives de l’ONU pour toute action nouvelle vis-à-vis de l’Iran; le sourire de la seconde proposition annulait impitoyablement l’intérêt de circonstance porté à la première. Il s’agit d’un échec de la diplomatie française sur lequel nous ne pleurerons pas. Il s’agit également d’une discrète mais marquante distanciation de l’UE vis-à-vis de la politique dure des USA; couplée avec l’activisme de Poutine, cette distanciation a contribué à freiner considérablement le mouvement de dramatisation de la crise iranienne depuis août. Dans ce cas, puisqu’il s’agissait de la recherche d’une position européenne, c’est la deuxième interprétation qui compte, pas la première.

C’est dans cette optique qu’il faut apprécier une candidature Blair pour janvier 2009. Comme la politique iranienne de la France, Blair introduirait un facteur de confusion, avec des éléments personnels de concurrence, de vanité, etc. Qu’on imagine cette situation possible : Blair désigné en janvier 2009, Barroso reconduit à la tête de la Commission. Les deux hommes sont aussi pro-US l’un que l’autre mais leur concurrence serait aussitôt une évidence bureaucratique. Cette concurrence s’exprimerait par des critiques implicites s’appuyant comme toujours, parce que c’est très pratique et que c'est l'évidence même, sur l’argument de la vertu européenne qui aurait alors nécessairement une couleur peu agréable aux conceptions pro-US.

Blair est une personnalité d’un énorme poids dans notre univers virtualiste. Tout le monde dit officiellement que c’est un homme admirable et un grand homme d’Etat et, officieusement, qu’il est insupportable et qu’il faut tout faire pour le contrôler, le brider, le contrecarrer. Blair président d’Europe serait une personnalité d’un énorme poids (bis), chargé d’un titre à sa mesure, ronflant et pompeux, avec des pouvoirs ridiculement réduits et notablement ambigus, sous la surveillance hargneuse et pointilleuse d’une meute d’“amis” et de “collègues” politiques (président de la Commission, Haut Représentant, chefs d’Etat et chefs de gouvernement).

Blair est férocement et joyeusement pro-US (l’Irak), comme il sait être singulièrement pro-européen (traité de Saint-Malo). S’il se montrait pro-US en tant que président européen, son action impliquerait nécessairement une affirmation politique très pompeuse, grossièrement applaudie par Washington, qui ferait de l’ombre aux autres, qui déclencherait des ripostes venimeuses. Comme dans le cas vu plus haut, sur l’Iran, tous les pro-US se retrouveraient vertueusement pro-européens et dénonceraient implicitement, voire explicitement, les tendances pro-US de Blair, avec l’enthousiaste soutien des opinions publiques. Blair n’aurait qu’à faire une courbe rentrante pro-européenne pour se rétablir, d’où il pourrait sortir des choses “objectivement” intéressantes.

La majorité de l’Europe est pro-US par servilité, ni avec imagination ni avec un zèle trop voyant. Un Blair (version pro-US) la mettrait dans une position telle qu’il serait intéressant pour elle de s’affirmer “européiste” et de dénoncer l’“emprise extérieure“ (dito US). En d’autres mots, un Blair président européen pourrait, par ses impairs et ses impatiences pro-US, susciter, sans le vouloir, un débat en plein air et grand public sur l’engagement pro-US de l’Europe où la plupart des Européens se découvriraient pro-européens et anti-US pour ne pas être pris en flagrant délit de servilité pro-US.

Donnez-nous Blair comme premier “président d’Europe” et vous aurez le vrai débat sur les liens avec les USA qu’on écarte depuis un demi-siècle tant on en craint le résultat.