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1449La popularité d’Eric Cantona en Angleterre est un fait sociologique et médiatique indubitable, largement traduit en symbole artistique et social par le film de Ken Loach (Waiting for Eric). L’Angleterre est, assez logiquement, très intéressée par une campagne inspirée sans doute involontairement quant à ses effets par Cantona, et désormais “institutionnalisée” depuis un article de l’Observer d’hier alors que cette campagne est originellement de type “spontanée”, internationalisée et véhiculée par Internet. Il s’agit d’une suggestion que nous présenterions comme de type “révolte postmoderniste”, sans nous prononcer en rien ni sur l’efficacité, ni sur la faisabilité, ni sur le sérieux de la chose ; la suggestion porte sur l’organisation de retraits d’argent massifs et coordonnés des banques pour mettre celles-ci en difficultés. Notre but est d’observer le caractère de ce mouvement “spontanée” plus que l'initiative elle-même, qui s’apparenterait dans ses caractères à un mouvement type Tea Party.
Le 21 novembre 2010 donc, l’ Observer a consacré un article à la chose (article repris par le titre-frère du Guardian aujourd’hui), montrant d’une part la popularité durable de Cantona, d’autre part la possibilité que de tels mouvements essentiellement liés à Internet débordent sur une institutionnalisation par la “presse officielle”, dont l’Observer/Guardian fait partie quoi qu’il en soit.
«As students and public sector workers across Europe prepare for a winter of protests, they have been offered advice from the archetypal football rebel Eric Cantona. […] But while sympathising with the predicament of the protesters in France, the now retired Cantona is urging a more sophisticated approach to dissent.
»The 44-year-old former footballer recommended a run on the cash reserves of the world's banks during a newspaper interview that was also filmed. The interview has become a YouTube hit and has spawned a new political movement.
»The regional newspaper Presse Océan in Nantes had asked Cantona about his work with the Abbé Pierre Foundation, which campaigns for housing for the destitute and for which he produced a book of photographs last year. But the discussion soon moved on to other issues, including the demonstrations in France and elsewhere against government cutbacks in the new era of austerity.
»Cantona, wearing a bright red jumper, dismissed protesters who take to the streets with placards and banners as passé. Instead, he said, they should create a social and economic revolution by taking their money out of their bank. He said: “I don't think we can be entirely happy seeing such misery around us. Unless you live in a pod. But then there is a chance... there is something to do. Nowadays what does it mean to be on the streets? To demonstrate? You swindle yourself. Anyway, that's not the way any more.
»“We don't pick up weapons to kill people to start the revolution. The revolution is really easy to do these days. What's the system? The system is built on the power of the banks. So it must be destroyed through the banks. This means that the three million people with their placards on the streets, they go to the bank and they withdraw their money and the banks collapse. Three million, 10 million people, and the banks collapse and there is no real threat. A real revolution.
»“We must go to the bank. In this case there would be a real revolution. It's not complicated; instead of going on the streets and driving kilometres by car you simply go to the bank in your country and withdraw your money, and if there are a lot of people withdrawing their money the system collapses. No weapons, no blood, or anything like that.”. He concludes: “It's not complicated and in this case they will listen to us in a different way. Trade unions? Sometimes we should propose ideas to them.”
»Cantona's call appeared to touch a popular chord and generated an instant response. Nearly 40,000 people have clicked on the YouTube clip, and a French-based movement – StopBanque – has taken up the campaign for a massive coordinated withdrawal of money from banks on 7 December. It is claimed that more than 14,000 people are already committed to removing deposits. The movement is also gaining increasing attention in Britain.
Un mot d’un acteur français, Yann Serfati, qui soutien le mouvement : «Sarfati said he and his friends had simply wanted to pass on Cantona's video clip, but had found themselves caught up in a global “citizens' movement”. “We were surprised by the interest and the buzz it created on the internet. It has really spread; there are now Facebook events in Italy, Romania, Bulgaria and even Korea,” Sarfati said.»
Un mot de Valérie Ohnassian, de la Fédération des Banques Françaises : «“My first reaction is to laugh. It is totally idiotic," she told the Observer. “One of the main roles of a bank is to keep money safe. This appeal will give great pleasure to thieves, I would have thought.” She also doubted the practicalities of the suggestion. “If Mr Cantona wants to take his money out of the bank, I imagine that he'll need quite a few suitcases,” she said.»
@PAYANT Eric Cantona, joueur de football fantasque et, comme disent les commentateurs du domaine, “génial” par instant, avec un sens de la publicité provocatrice extrêmement développé. Sa popularité en Angleterre est restée énorme, comme en a témoigné le film de Ken Loach ; d’autre part, elle reste solide et ferme en France… Cela fait de ce joueur de football une personnalité type people de dimension européenne, par la force du système de la communication. D’où l’explication que sa suggestion, faite sans intention particulière de constituer un mouvement, a effectivement débouché sur un mouvement de type “spontané”, typique de la situation d’Internet. Par conséquent, cette chose, qui fait rire les banquiers semble-t-il (Cantona, pas sérieux pour nous, gens sérieux qui tenons le monde, et avec quelle habileté), cette chose représente par définition le type d’événement imprévisible et dont on ne sait sur quoi il peut déboucher, sur lequel se greffent à la fois la colère populaire contre le système, et la frustration populaire de ne pas parvenir à une méthode acceptable de révolte contre le système… Alors, tout est bon à prendre, et on essaye tout. Les banquiers rigolent mais, à leur place, on ne rigolerait pas trop, – car, effectivement, jamais plus qu’aujourd’hui n’ont valu les adages classiques, – “on ne sait jamais” et “never say never”.
Mais l’essentiel, dans cette circonstance qui pourrait être décrite comme anodine et qui ne l’est pas vraiment dans la situation générale, est bien l’aspect psychologique. Après s’être interrogé de façon accessoire sur le fondement et les perspectives de l’initiative, il importe d’observer ce qu’elle nous suggère au niveau psychologique.
• D’abord, que l’idée de “révolte” est une idée en vogue, on dirait presque “à la mode” si l’état des affaires du monde n’était pas si tragique et ne méritait une caractérisation plus profonde… Et il s’agit bien de l’idée d’une “révolte” d’une nouvelle forme, restant à déterminer, devant l’évidence de plus en plus forte que la révolte, ou “révolution” du type classique, est devenue totalement impossible, – d’ailleurs, après avoir montré les piètres résultats auxquels elle aboutissait. Plus qu’une performance intellectuelle, cette évolution du jugement marque surtout une évolution de la psychologie, touchée à la fois par le constat diffus mais puissant, qu’expriment notamment les divers mouvements classiques de contestation auxquels on assiste, de la nécessité de la révolte et de l’impossibilité de la révolte, – nécessité de la révolte dans les conditions actuelles, impossibilité de la révolte dans les formes classiques…
• Ensuite que des gens, commentateurs, people, groupes, rassemblements, etc., de diverses origines, conditions et fonctions, font évoluer leurs réflexions, – des plus primaires aux plus sophistiquées qu’importe, – justement dans ce sens de rechercher une méthode inédite de “révolte’”. Cela implique une tension générale, dans tous les domaines, puisque, par les termes mêmes du problème posé, tous les domaines peuvent être explorés pour y trouver de nouvelles méthodes de révolte. C’est une situation totalement inédite à cet égard ; jusqu’ici, dans l’équation politique courante, la question de la forme de la révolte n’a guère existé, puisqu’il s’agissait toujours de la “violence révolutionnaire” ; la seule inconnue concernait l’hypothèse de la possibilité et de la volonté d’une révolte, s’il existait ou non un climat de révolte, dans quel lieu, pour quelle cause, etc. Aujourd’hui, le fait même de la nécessité de la révolte est bien là, présent, évident, en train de se répandre à une grande vitesse, il est presque installé et même admis comme un facteur évident de la vie politique et sociale, avec comme seule inconnue la recherche de la forme de la révolte qui était auparavant le seul facteur déterminé. Cette situation est la définition même de la situation psychologique de la frustration à un niveau quasiment universel, et certainement collectif. Cela implique une tension permanente de la psychologie qui se reflète dans un climat général qui ne cesse de se répandre et de se renforcer.
• Enfin, ce constant renforcement de la tension est en soi un facteur d’insécurité grandissante pour ceux qui sont intégrés dans le système et se voient confiées des commandes des diverses forces, bureaucraties, structures de direction, etc., de ce système. Eux aussi ressentent cette tension permanente et, en raison de la diversité des hypothèses envisagées, – là aussi, des plus primaires aux plus sophistiquées qu’importe, – en déterminent de moins en moins l’origine et l’expression. Cette imprécision, cette indétermination des menaces de révolte et, surtout, des formes de menace, alors que s’accroit la perception de la nécessité de la révolte, accroissent la fragilité des psychologies de ces équipes dirigeantes et rendent ces psychologies plus vulnérables à tous les échos, suggestions, hypothèses de révolte que véhicule le système de la communication.
… Toujours en ayant comme référence la fameuse phrase du Che, on pourrait dire qu’il nous faut “créer un, deux, trois, mille et mille points de tension…”, et ainsi de suite, ces points de tension étant liés à ces différents facteurs qu’on a examinés. Peut-être déterminera-t-on finalement, selon l’évolution de ce “climat” de la recherche d’une nouvelle forme de révolte et de la tension psychologique que cela ne cesse de renforcer, que c’est le développement même de ce climat qui est, en soi, la nouvelle forme de la révolte…
Mis en ligne le 22 octobre 2010 à 11H55
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