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8 avril 2005 — Une forte agitation parcourt aujourd’hui Washington. (Nous l’avons déjà signalée, dans notre rubrique Bloc-Notes.). Le débat n’est plus: guerre ou pas, politique expansionniste (belliciste) ou pas, etc. Le débat porte sur les moyens de cette politique. Les démocrates sont en première ligne pour clamer que les forces armées américaines n’ont pas les moyens de la politique belliciste des Etats-Unis, montrant par là que ce parti a totalement abandonné la possibilité de se placer en critique ou en alternative de la politique de l’actuelle administration. L’orientation “bushiste” de la guerre perpétuelle devient structurelle, ce qui implique qu’elle répond à une tendance irrésistible du système, républicains et démocrates confondus.
Pour autant, ce développement n’est pas synonyme d’harmonie et de politique triomphante, ce n’est pas l’“union sacrée” mais plus que jamais la guerre politicienne. La question des moyens devient aujourd’hui vitale et construit une énorme polémique. Les limites des capacités militaires, évidentes depuis toujours mais longtemps dissimulées sous l’action médiatique du virtualisme washingtonien, sont apparues d’une manière éclatante avec l’Irak. Ces limites sont multiples mais portent d’abord sur le plus voyant et le plus urgent: les soldats. La formule de l’armée professionnelle est dans une crise profonde, alors que tous les services se trouvent désormais systématiquement en-dessous de leurs quotas d’engagement (ce qui signifie que la crise actuelle ne pourra que s’aggraver entre les demandes en augmentation et les moyens en diminution).
Le lieutenant général Hagenbeck, l’adjoint pour le personnel du chef d’état-major de l’U.S. Army, a déposé devant la sous-commission sénatoriale sur la préparation des forces le 5 avril et fait des déclarations très alarmantes.
« Maintaining US Army troop strength while fighting in Iraq and Afghanistan is a top strategic challenge, a top general said Tuesday, after two straight months of lower-than-expected enlistments. “This is the first time in history that the nation has tested the all-volunteer force during a prolonged war,” Lieutenant General Franklin Hagenbeck, the army's deputy chief of staff for personnel, told lawmakers.
» Keeping up the army's strength “may be our most serious strategic challenge.”
» Hagenbeck's comments to the personnel subcommittee of the Senate Armed Services Committee came amid growing concerns that the army is overstretched and the current recruiting slump is just the beginning of a trend that could hurt US military operations worldwide for years. »
“Crise stratégique”, effectivement, et aussi une description rapide du dilemme où se trouve aujourd’hui Washington, et dilemme particulièrement décrit par la position des démocrates. Il n’est plus question de revenir en arrière, trop de choses figurent dans l’enjeu, — du statut de puissance de l’Amérique à ce qu’il lui reste d’influence sur les alliés, de ses intérêts stratégiques à ses intérêts pétroliers, des pressions du complexe militaro-industriel aux pressions des groupes d’influence politiques les plus activistes. Washington, républicains et démocrates inclus, est complètement prisonnier de l’énorme machine militaro-industrielle déchaînée depuis le 11 septembre 2001, et d’autant plus prisonnier que cette machine a révélé d’énormes faiblesses qu’il faut songer à combler sous peine de perdre la grande réputation de puissance irrésistible.
La plus criante d’entre ces faiblesses constitue en même temps un cas spécifique de panique pour le monde politique puisqu’elle implique comme solution ultime le retour à la conscription pour rétablir des effectifs partout exsangues et insuffisants. « Today's army of about one million troops is one-third smaller than the force that helped end the Iraqi occupation of Kuwait in 1991 in the Gulf war. Meanwhile, current conflicts in Iraq and Afghanistan have become the longest involving US troops since the creation of an all-volunteer army in 1973, forcing the largest mobilization of part-time reserve and National Guard soldiers since World War II. »
Des solutions intermédiaires sont envisagées. Elles constituent des mesures classiques portant sur les salaires, les primes d’engagement, etc. Mais l’état d’esprit reste effectivement imperturbablement pessimiste, illustré par cette déclaration du sénateur Lindsey Graham, président du sous-comité sénatorial sur la préparation des forces of South Carolina, — une déclaration qui illustre à la fois l’urgence du problème et l’aspect extraordinairement fallacieux des causes de ce problème (la guerre contre la terreur et “le monde dangereux” que cette guerre aurait créé), donc le piège où se trouve pris le système: « I think the problem we face is more of a chronic problem tied to the war on terror. The stress on the reserve and guard is the difference between the Cold War and the war on terror and we need to adapt. I do honestly believe that we need to beef up in every way. I think this is a more dangerous world than all of us completely understand. » D’où cette déclaration du général Hagenbeck, dont personne à Washington ne contestera l’esprit tant il touche la croyance profonde des gens du système: « It will take a national effort. It's more than just an army problem. »
… D’où les interventions de ces derniers jours, notamment chez les experts démocrates, en faveur du retour à la conscription. Outre des articles à ce propos dans The Washington Times et dans The San Francisco Chronicle, on trouve l’écho de ce débat dans l’article de Kevin B. Zeese, de Antiwar.com, rappelant au passage que la position du démocrate Kerry lors des présidentielles était déjà d’augmenter les effectifs:
« Both the neoconservative Project for a New American Century and the ''progressive'' CAP are calling for adding 100,000 new soldiers. During the presidential campaign, Senator John Kerry also called for adding tens of thousands more troops to the military services.
» At the forum sponsored by the CAP, the debate spanned from a former captain, Phillip Carter, who is currently an international contracts lawyer and an advocate of the draft, to Lawrence Korb, a former assistant secretary of defense under President Reagan, also a retired captain and a senior fellow at the CAP who advocates expansion of the military by 100,000 soldiers through an improved incentives program. However, Korb has also said that if the United States invades Iran, he would favor a draft. »
Le débat est lancé, il aura bien lieu, d’autant plus que les événements pressent et que les insuffisances militaires des USA ne vont cesser de se marquer de plus en plus fortement. Les démocrates, engagés dans ce jeu, ne vont plus cesser de se radicaliser car ils sont persuadés que la campagne 2008 se jouera à nouveau sur la guerre. Leur but sera de forcer l’administration GW Bush a prendre la décision impopulaire de rétablir la conscription, ce qui augmentera les chances démocrates en 2008; à l’inverse, si l’administration Bush ne prend pas cette décision, les démocrates accuseront les républicains de ne pas tout faire pour la sécurité nationale des USA. Pour les stratèges démocrates, c’est une situation électorale du type “win-win.
Le débat sur la conscription porte une autre dimension, bien plus importante: celle du sentiment populaire. Si la conscription est rétablie, c’est l’état de guerre permanent, de la guerre contre la terreur à la guerre pour la démocratie, qui devient une question directement soumise à la ferveur populaire. La population américaine sera ramenée à la réalité du monde. Un tel événement est porteur de risques graves, et c’est au fond la véritable raison des hésitations de l’administration devant cette mesure. Cela sera une raison de plus, pour les démocrates, pour y pousser, — même si cette poussée s’avère irresponsable, du point de vue du système, en mettant le feu aux poudres avec l’implication du public américain.
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