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378Vieux dicton politique: quand on ne peut étouffer une “révolution”, on l’embrasse… Ce qui semblerait devenir une nouvelle règle de conduite des démocrates vis-à-vis de Tea Party. Nancy Pelosi, la Speaker de la Chambre, deuxième personnage institutionnel du parti après Obama, découvre soudain bien du charme à Tea Party, jusqu’alors cantonné dans le rayon diabolique des mouvements extrémistes, xénophobes, etc. Bref, les élections approchent et le climat ne cesse de se charger d’électricité… Et Washington tend désormais à être complètement “anti-Washington”, à l’image de “We, the people”.
Le Daly Telegraph du 2 mars 2010 écrit:
Nancy Pelosi, the Speaker of the House and the second most powerful figure in the party after President Barack Obama, is among those on the Left now seeking to find common ground with the conservative populism that is sweeping across the United States.
»“We share some of the views of the Tea Partiers in terms of the role of special interest in Washington, DC – it just has to stop,” she told ABC News. “And that's why I've fought the special interest, whether it's on energy, whether it's on health insurance, whether it's on pharmaceuticals and the rest.”
»Howard Dean, the former chairman of the Democratic National Committee, said that Democratic voters infuriated by the lack of health care reform, and by the no-strings attached Wall Street bailout, would vote for any candidate, Left or Right, who came across as convincingly anti-establishment.»
L’article signale également la constitution d’une “organisation” type-Tea Party, côté démocrate, le mouvement Coffee Party, mais beaucoup plus parallèle à Tea Party que concurrent… «The rise of the Tea Party has inspired a liberal alternative, the Coffee Party, whose mission statement is “Wake Up and Stand Up”. It was started on a Facebook page by Annabel Park, a documentary maker, who wants central government fixed rather than obliterated. But she shares the Tea Party's disillusionment with Congress and desperation for a balanced budget. In a matter of weeks the 40,000 members have signed up and she plans to hold the first Coffee Party rally in the summer.»
@PAYANT La chose fait tache d’huile et le mouvement, non, le désordre s’étend. Aujourd’hui, à Washington, au Congrès et dans les cocktails, il n’y a rien de plus “tendance” que d’être anti-Washington. La prise de position de Pelosi, ajoutée à celle de Howard Dean qui est une des grandes voix populistes à l’intérieur de l’appareil du parti démocrate, dénotent aussi bien un mouvement de panique devant l’évolution du sentiment public qu’un mouvement de fond très significatif.
La puissance de Tea Party, sa persistance, sa confusion même qui discréditent les étiquetages conventionnels habituels (“racisme”, “xénophobie”, etc.), son hostilité à toute intégration dans le parti républicain, des événements de la même famille que l’événement Tea Party comme l’affirmation de Ron Paul, tout cela est en train de convaincre les démocrates qu’on assiste là à un formidable mouvement populaire de fond contre le cœur du système. Car, bien entendu, c’est le sentiment d’hostilité et de fureur contre le “centre” washingtonien qui domine. Or, les politiciens américanistes, à cause de la structure très spécifique du pays qui est en pleine réaffirmation, – à la fois très centralisé avec le pouvoir fédéral et très décentralisé avec l’affirmation grandissante des Etats de l’Union, – retrouvent une vertu de caméléon: ils sont à la fois des membres de ce Washington détesté et des représentants à Washington des Américains qui hurlent leur colère contre Washington.
Ce que nous dit Pelosi, c’est que le parti démocrate, jusqu’alors pieds et poings liés à Washington au travers de son allégeance au président, commencent à songer à desserrer ces liens pour éviter une déroute en novembre prochain, en se rappelant qu’ils sont aussi les représentants de l’Amérique anti-Washington. C’est certes une attitude opportuniste liée à une conjoncture politique formelle, mais c’est aussi un mouvement qui a éventuellement plus de profondeur, si Tea Party et le reste représentent, – comme c’est notre conviction, – un sentiment populaire dépassant largement cette conjoncture électorale. C’est également un avis clair et circonstancié adressé au président, selon lequel le parti démocrate n’ira pas jusqu’au sacrifice suprême pour soutenir ce président qui n’a montré jusqu’ici que faiblesse et indécision… Mais patience, d’ici à ce que BHO se découvre un beau matin partisan de Tea Party, il n’y a peut-être plus très loin.
En effet, tout l’intérêt de ce début de ralliement démocrate à une poussée populiste dont il devrait être naturellement et historiquement partie prenante est de savoir la durée et la profondeur de la poussée populiste dans et autour de Tea Party, avec Coffee Party éventuellement, – qu’importent les étiquettes, Grand Dieu. On peut d’ailleurs très bien imaginer qu’un ralliement de pur opportunisme politique à l’origine se transforme en embrigadement durable si Tea Party & compagnie continuent à grossir, à s’affirmer, à se transformer en une marée irrésistible. Allez jusqu’au bout du raisonnement et imaginez qu’un jour pas si lointain, le tout-Washington sera devenu adepte de Tea Party & compagnie et violemment anti-Washington. Le désordre, vous dit-on…
Cela, d’autant plus qu’il faudra plus qu’une déclaration de Pelosi pour que la poussée populiste devienne adepte des politiciens repentis et en cours de reconversion populiste. Jusqu’ici, les mouvements de récupération des partis de l’establishment du mouvement populiste se sont soldés par des échecs cuisants, et c’est plutôt le contraire auquel on assiste: une récupération rampante, après avoir eu les gages et les certitudes qui importent, de certains politiciens tournant le dos au système et ralliant le mouvement populiste aux conditions, d’ailleurs assez confuses, de ce mouvement, – sinon, certifiée et garantie, la fureur anti-Washington, c’est-à-dire la position antisystème fondamentale. Là encore, le désordre joue à plein, et aussi l’absence de programme des populistes. Cela interdit aux politiciens leurs habituelles campagnes de récupération par la démagogie du programme et les obligent simplement à adopter une furieuse rhétorique anti-Washington. Le désordre, vous répète-t-on…
Objectivement observé, ce mouvement qui s’amorce chez les dirigeants démocrates a également la vertu du naturel. Il devrait rencontrer chez les militants du parti, jusqu’ici frustrés de ne pouvoir exprimer leur colère, certains votant déjà républicains en désespoir de cause (comme dans le Massachusetts le 19 janvier), un écho considérable. Dans ce cas également, l’événement peut déclencher un effet multiplicateur, comme une digue qu’on ouvre.
Enfin, la déclaration de Pelosi doit avoir, à Washington même, un effet important. Elle représente la deuxième fonction du système, à la fois présidente de la Chambre, – cette assemblée beaucoup plus populiste que le Sénat, – et troisième dans la succession à la fonction suprême après le président et le vice-président, en cas de malheur pour les deux premiers. C’est une personnalité tout en haut du système qui reconnaît que l’attaque populaire furieuse contre le système est justifiée. Sollicitée ou pas, intéressée ou non, cette déclaration reste porteuse de la solennité de celle qui l’a faite. C’est une voix d’importance, venu du cœur et du sommet du système, qui dit aux foules en colère qui maudissent le système: eh bien, au fond, vous n’avez pas tort. Le désordre, en vérité, la seule chose qui puisse menacer sérieusement le monstre.
Mis en ligne le 3 mars 2010 à 07H41