Washington existe-t-il encore pour Bruxelles et Moscou?

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Washington existe-t-il encore pour Bruxelles et Moscou?


1er mars 2005 — Il est assez rare de lire des phrases telles que « EU backs Russia over Iran, despite US protests » et « The EU, ignoring US protests, said it had no problems with the weekend deal for the Russian-built power plant at Bushehr in southern Iran, a project the United States alleges is part of a cover for weapons development ». (On trouve ces deux phrases dans une dépêche de l’AFP du 28 février, nous annonçant que l’accord entre la Russie et l’Iran pour l’aide qu’apporte la Russie à la construction d’un réacteur nucléaire iranien est soutenu par l’UE, malgré l’opposition américaine, et a toutes les chances de se concrétiser, «  despite US protests  ».)

En quelques jours, le paysage autour de la crise iranienne a vu un bouleversement dans la perception des forces en présence, et, notamment, une réduction radicale de la perception du poids et de la puissance US. Les dernières péripéties montrent qu’il y a, face à l’Iran, trois et non pas deux acteurs, — l’UE, la Russie et les USA, — et que dans ce trio, les USA sont à la traîne et les moins capables d’imposer leur point de vue aux deux autres.

A côté de l’apparat virtualiste, le voyage de GW Bush en Europe a confirmé deux grandes tendances:

• L’aventure irakienne a coûté aux USA son formidable atout de la perception universelle d’une puissance américaine irrésistible. Les Américains sont désormais conduits à envisager un changement de politique sous la forme d’un alignement sur les thèses européennes dans l’affaire iranienne. Ce n’est nullement une concession de bonne forme pour concrétiser un rapprochement de l’Europe, c’est pour les Américains une orientation qu’il semble impossible d’éviter sous peine de se trouver coincés dans une marginalisation complète (l’horreur absolue pour les Américains, qui ne supportent pas d’être tenus éloignés de “where the action is”). Les Américains mesurent qu’ils n’ont pour l’instant pas d’alternative à proposer, que l’affaiblissement de leur puissance militaire et de la perception que les autres en ont fait des ravages.

• Le monde est bien devenu multipolaire. L’Europe, sous quelque forme que ce soit, collective (l’UE en tant que telle, la Commission) ou nationale (l’association des trois pays, — Allemagne, France, UK, — négociant avec les Iraniens), va y tenir une place importante. Ses rapports diplomatiques avec la Russie et avec la Chine, notamment, auront autant d’importance et d’effet que ses rapports diplomatiques avec les USA.

Cela ne signifie nullement que l’affaire iranienne est réglée et que le bon sens triomphe à nouveau dans un monde pacifié. Cela ne signifie qu’une chose, pourtant fondamentale: l’ère de l’image de la puissance irrésistible des Etats-Unis est morte et enterrée. La conséquence pour le fameux “reste du monde” est inéluctable, l’Amérique restant ce qu’elle est: nullement un rapprochement triomphant et chaleureux des USA mais un anti-américanisme passant du mode défensif et rageur au mode offensif et soupçonneux. On tendra désormais à traiter l’Amérique, lorsqu’elle s’oppose aux autres ou veut imposer ses vues, de cette façon que Condi Rice recommandait de faire avec l’Allemagne (“Punish France, ignore Germany, pardon Russia”).

Bien entendu, rien, absolument rien n’est fini. L’équipe GW et ses soutiens, les rouleurs de mécanique néo-conservateurs qui voulaient ne faire qu’une bouchée du reste du monde, n’ont pas modifié leur conception de ce monde. Pour l’Iran, cette évidence implique ceci: s’il se confirmait, l’éventuel alignement US sur les thèses européennes impliquerait que les efforts diplomatiques européens et russes seraient entravés par une constante surenchère de la part des Américains, un harcèlement continuel, des exigences sans fin et le rappel obsédant de l’option de la force (qu’importe qu’on ne puisse l’utiliser ou qu’on sache qu’elle ne sert à rien: nous parlons ici d’irresponsabilité politique).

Au bout du compte, cette option de la force reste sur la table, selon l’immortelle formule de GW (« This notion that the US is getting ready to attack Iran is simply ridiculous. Having said that, all options are on the table »). Si un accord n’est pas trouvé avec l’Iran, le mois de juin reste comme une période de tension maximale probable; si un accord est trouvé, les récriminations et les exigences US seront telles que nous aurons tout de même notre période de tension maximale.