Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
196117 octobre 2005 — C’est évidemment d’un symbolisme puissant, et aussi le reflet d’une réalité politique, que le week-end où l’Irak adopte sa constitution, Washington et l’administration GW Bush se trouvent plongés dans un scandale d’une dimension considérable. L’affaire Miller-Plame menace aujourd’hui la Maison-Blanche sur le thème extrêmement pressant des mensonges qui conduisirent à la guerre en Irak. En même temps, les sondages disent qu’une majorité d’Américains (50%) favorisent la mise en accusation du président (procédure d’impeachment) s’il s’avère qu’il a menti pour déclencher la guerre contre l’Irak.
Comme toujours dans les grands scandales, les origines sont dérisoires et grotesques. Au départ, il s’agit de “punir” l’ambassadeur Wilson, après la publication de son article, à l’été 2003, où il expliquait n’avoir strictement rien trouvé du marché d’uranium que Saddam aurait passé avec le Niger (pour faire la Bombe, certes), au cours d’une mission qu’il avait effectuée dans ce pays en 2002. Wilson contredisait ainsi une affirmation de GW Bush lors de son discours sur l’État de l’Union, ainsi qu’un des arguments de l’administration pour la guerre. Pour “punir” Wilson, l’équipe de la Maison-Blanche (Rove, conseiller de GW, Scooter Libby, adjoint de Cheney) passa à un journaliste, Robert Novak, l’information que Valerie Plame, femme de Wilson, était un officier de la CIA. Cet acte de discrédit et d’exposition au danger constitue un crime aux yeux de la loi. Depuis, l’affaire, passée au niveau juridique puisqu’il y a crime, a suivi son cours et n’a cessé de s’enfler, jusqu’à la nomination d’un procureur indépendant, Patrick J. Fitgzerald, et des implications diverses (notamment celle de Judith Miller, journaliste au New York Times). Le procureur doit rendre ses conclusions le 28 octobre et des inculpations de haut niveau, — y compris éventuellement Karl Rove, — sont attendues.
Ce scandale est néanmoins intéressant à cause de sa substance. Le scandale de Watergate, — référence inévitable dans cette sorte de circonstances, — ne reposait sur rien de fondamental en matière de politique et impliquait un homme seul et son entourage proche. Le scandale Miller-Plame, au contraire, est le fil rouge conduisant au “scandale du siècle” qui implique tout un système: la campagne de mensonge systématique développée pour “vendre” au public américain et au Congrès la guerre contre l’Irak. Frank Rich, du New York Times, résume parfaitement cela: « ...Now, as always, what matters most in this case is not whether Mr. Rove and Lewis Libby engaged in a petty conspiracy to seek revenge on a whistle-blower, Joseph Wilson, by unmasking his wife, Valerie, a covert C.I.A. officer. What makes Patrick Fitzgerald's investigation compelling, whatever its outcome, is its illumination of a conspiracy that was not at all petty: the one that took us on false premises into a reckless and wasteful war in Iraq. That conspiracy was instigated by Mr. Rove's boss, George W. Bush, and Mr. Libby's boss, Dick Cheney.
» Mr. Wilson and his wife were trashed to protect that larger plot. Because the personnel in both stories overlap, the bits and pieces we've learned about the leak inquiry over the past two years have gradually helped fill in the über-narrative about the war. Last week was no exception. Deep in a Wall Street Journal account of Judy Miller's grand jury appearance was this crucial sentence: “Lawyers familiar with the investigation believe that at least part of the outcome likely hangs on the inner workings of what has been dubbed the White House Iraq Group.” »
Rich donne des détails intéressants sur le White House Iraq Group (WHIG), qui regroupait huit personnes, — Cheney et son adjoint Libby, Karl Rove, le directeur de cabinet de GW Andrew Card, Condoleeza Rice et son adjoint Stephan Headley, deux spécialistes de la promotion et des médias Karen Hughes et Mary Matalin. Rich écrit : « Of course, the official Bush history would have us believe that in August 2002 no decision had yet been made on that war. Dates bracketing the formation of WHIG tell us otherwise. On July 23, 2002 — a week or two before WHIG first convened in earnest — a British official told his peers, as recorded in the now famous Downing Street memo, that the Bush administration was ensuring that “the intelligence and facts” about Iraq's W.M.D.'s “were being fixed around the policy'' of going to war. And on Sept. 6, 2002 — just a few weeks after WHIG first convened — Mr. Card alluded to his group's existence by telling Elisabeth Bumiller of The New York Times that there was a plan afoot to sell a war against Saddam Hussein: “From a marketing point of view, you don't introduce new products in August.”
» The official introduction of that product began just two days later. On the Sunday talk shows of Sept. 8, Ms. Rice warned that “we don't want the smoking gun to be a mushroom cloud,” and Mr. Cheney, who had already started the nuclear doomsday drumbeat in three August speeches, described Saddam as “actively and aggressively seeking to acquire nuclear weapons.” The vice president cited as evidence a front-page article, later debunked, about supposedly nefarious aluminum tubes co-written by Judy Miller in that morning's Times. The national security journalist James Bamford, in ‘A Pretext for War,’ writes that the article was all too perfectly timed to facilitate “exactly the sort of propaganda coup that the White House Iraq Group had been set up to stage-manage.” »
Il est possible que nous soyons en train de déboucher sur le grand scandale de la présidence GW Bush, — un tel scandale, la moindre des justices que mérite cette administration. Les implications sont intéressantes et infinies, parce que l’affaire va au cœur de la principale, voire la seule politique de l’administration. Elle met dans le champ juridique l’imposture générale de cette politique, par ailleurs connue et documentée publiquement comme jamais imposture ne fut. Cela suppose, si l’affaire passe effectivement au plan juridique, une cascade sans fin de révélations qui va secouer Washington, mais aussi Londres et les divers “alliés” de GW recrutés par les moyens habituels en Europe et ailleurs. Là aussi, on voit la différence fondamentale d’avec le Watergate. C’est une part très importante de l’establishment occidental qui est menacée d’une méchante déstabilisation, lui qui n’est déjà plus si frais.
Un aspect vital de cette affaire est qu’on ne voit pas comment elle pourrait être contenue dans un cadre évitant la sortie de tous ses effets, tant toutes les pistes qu’elle explore sont ouvertes et sans le moindre garde-fou, sans le moindre butoir. Il n’est pas jusqu’au scénario du pire qui est lui-même une impasse pour la stabilisation de la situation après la liquidation du président. Le scénario du pire, c’est une procédure de destitution de GW dont on a vu qu’elle a la faveur de l’opinion publique s’il est prouvé que la préparation à la guerre repose sur des mensonges, — ce qui est le fondement même de cette affaire. Mais scénario pour conduire à quoi? Au remplacement de GW par Cheney, encore plus impliqué que le président, à la fois dans l’affaire Miller-Plame et dans les mensonges menant à la guerre, et encore plus extrémiste que GW? (« How do you impeach a vice president? Let's hope we soon have occasion to find out », demande Justin Raimundo dans sa chronique d’aujourd’hui.) Le troisième sur la liste de la succession éventuelle est Dennis Haster, speaker de la Chambre, un fondamentaliste chrétien radical, — peut-être pire que GW et que Cheney... Étrange situation.
La crise irakienne s’est définitivement installée à Washington. Ce n’est que justice. La chose va accentuer la déstabilisation d’un système qui n’a lui-même d’autre politique que la déstabilisation des autres. Justice, là encore. La situation mérite de façon frappante le même commentaire que donnait Jacques Bainville, dans un article (« Écrit depuis Locarno »), dans L’Action Française le 21 juin 1929, pourtant à propos d’un tout autre domaine, — similitude de dynamique plus que similitude de situation: « Une grosse pierre a été mise en mouvement au sommet de la montagne. On sait bien qu’elle est entraînée par son poids et qu’elle doit rouler jusqu’au bas de la côte. Alors on s’efforce d’obtenir qu’elle ne roule pas trop vite et que sa vitesse ne s’accélère pas. C’est tout ce qu’on essaie d’obtenir, quand on l’obtient. »
Washington, “like a rolling stone”…