Washington soutient les projets de défense européenne de Sarkozy, – mais lesquels précisément?

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L’ambassadrice des USA à l’OTAN, Victoria Nuland, a apporté un soutien très appuyée aux intentions du président français Nicolas Sarkozy de lancer une initiative de défense européenne lors de la présidence française de l’UE de juillet-décembre 2008.

Nuland: «We agree with France. Europe needs, the U.S. needs, NATO needs ... a stronger, more capable European defence capacity.» Noland a situé les habituels chiffres de dépenses de défense pour mettre en évidence la faiblesse de l’effort des pays européens en général. Elle a alors précisé la position US vis-à-vis de la présidence française: «We hope France will lead an effort to strengthen European defence spending, and to upgrade European military capability with badly needed investment in helicopters, unmanned aerial vehicles, special forces, inter-operable communications, and counterinsurgency-trained soldiers, civilians.» Il faut ajouter enfin des compliments de Nuland pour la contribution française à l’effort de l’OTAN en Afghanistan, ce qui anticipe sans doute sur ce que les Américains attendent des Français en fait d’efforts supplémentaires (en Afghanistan). Il y a aussi des applaudissements de Nuland, épouse de Robert Kagan et connue elle-même pour ses opinions néo-conservatrices, pour les bonnes intentions de Sazrkozy pour «a stronger, more seamless relationship between the EU and NATO».

Pour la surface des choses, voilà qui devrait satisfaire autant les atlantistes que les critiques de Sarkozy pour son affirmation atlantiste. Cela constaté, il faut apprécier la façon dont fonctionnent les choses. Les USA ont toujours été partisans d’une augmentation des dépenses de défense des pays européens (on peut rappeller par exemple les implorations de Carter en 1978 pour que tous les pays de l’OTAN augmentent de 3% par an leur dépenses de défense). Les projets de défense européenne, quelles que soient les intentions finales, passent par une augmentation des dépenses de défense des pays européens (voir notre F&C du 16 février). Jusque-là, tout le monde est d’accord.

A partir de là, chacun a sa façon de voir. Pour les Américains, l’augmentation des dépenses de défense des Européens doit profiter à l’OTAN directement et prioritairement, — voire exclusivement? C’est à voir ou c’est tout vu. Par exemple, pour renforcer la participation européenne à l’engagement de l’OTAN en Afghanistan. Pour les Français, l’augmentation des dépenses de défense (jusqu’autour de 2% du PIB) doit permettre, avec d’autres conditions, d’organiser un noyau dur de défense européenne, autour duquel s’organiseront diverses initiatives structurates européennes.

Par exemple (suite), pour les Américains, l’augmentation des dépenses de défense des pays européens doit permettre à ces pays d’acheter plus de matériel américain. Par exemple (pour finir et mettre les points sur les i), des JSF, une participation au réseau antimissilesd BMDE, voire des capacités de transport stratégique par C-17, etc. Pour les Européens, et particulièrement pour les Français pour poursuivre sur ce point, cette augmentation doit permettre de renforcer les achats de matériels européens, de renforcer l’industrie européenne de défense (contre qui? L’industrie de défense US, of course). (Voir l’une des huit propositions de Pierre Lellouche, qui reflètent les conceptions françaises, avec l’accent sur l’adverbe “prioritairement”: «la constitution d’un ‘marché commun de l’armement’ pour le G6 avec cette précision où un adverbe essentiel est souligné en gras par nous: des commandes d’armements donnant lieu à “des marchés publics européens ouverts prioritairement aux industries européennes d'armement”.»)

Les observateurs attentifs du complot américaniste verront dans les déclarations de Nuland le piège (un peu voyant) habituel et la confirmation de la fourberie de Sarkozy. Fourberie ou pas, le fait est qu'il s’agit de la même chanson depuis 60 ans, les Américains ayant toujours soutenu les projets européens de défense jusqu’à la phase de l’organisation et des détails (“the devil is in the detail”). Il n’y a de complot nulle part mais simplement un langage similaire pour désigner des choses différentes. Les “atlantistes” français, – Lellouche en tête, particulièrement efficace, – avancent que l’alliance transatlantique sera renforcée par une Europe forte, organisée au niveau de la défense, donc commençant par une intention du renforcement de leurs moyens de défense par les pays européens concernés pour réaliser ce projet. (De ce point de vue, que peuvent dire de différent les “européanistes” français, sinon terminer par: “pour le renforcement de l’alliance transatlantique, on verra”? Dans les deux cas, on commence par le renforcement de l’Europe de la défense, et cela, il faut le faire de toutes les façons.) Les Américains, eux, avancent qu’il faut que les pays européens renforcent leurs moyens de défense pour renforcer “l’alliance transatlantique”, c’est-à-dire l’OTAN. Autrement dit, le quiproque nous attend au coin du bois, de toutes les façons. L’avantage de la situation présente est que la bonne réputation de Sarkozy ôte toute hésitation aux USA pour soutenir l’initiative française. Bon argument, – non, argument irrésistible pour les Français, auprès des autres pays européens.


Mis en ligne le 23 février 2008 à 12H34