Washington va-t-il devenir épique?

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Washington va-t-il devenir épique?


11 janvier 2007 — Soudain le ton est dramatique, ou lyrique c’est selon. Une fois prononcé, alors qu’il n’a rien dit de nouveau que le pire annoncé, le discours de GW se décharge de toute sa force dramatique.

C’est ainsi qu’on peut lire dans le New York Times de ce jour :

«By stepping up the American military presence in Iraq, President Bush is not only inviting an epic clash with the Democrats who run Capitol Hill. He is ignoring the results of the November elections, rejecting the central thrust of the bipartisan Iraq Study Group and flouting the advice of some of his own generals, as well as Prime Minister Nuri Kamal al-Maliki of Iraq.

(…)

»Mr. Bush long ago staked his presidency on Iraq, and to the extent he can salvage the war he can also salvage the remaining two years of his administration. So he is taking a risk, challenging not only the Democratic leadership in Congress but also some members of his own party, who are openly skeptical that the new policy will work and who, unlike the president, will be running for re-election.

»But there are no guarantees that Mr. Bush’s reading of the country and the Congress will prove correct.

»“It’s more than a risk, it’s a riverboat gamble,” said Leon E. Panetta, a Democratic member of the Iraq Study Group and former chief of staff to President Bill Clinton. “There’s no question that under our system he’s going to be able to deploy these troops without Congress being able to stop him. But he’s going to face so many battles over these next few months, on funding for the war, on every decision he makes, that he’s basically taking the nation into another nightmare of conflict over a war that no one sees any end to.”»

Depuis l’inauguration du 110ème Congrès, le 5 janvier, les démocrates n’en peuvent croire ni leurs yeux ni leurs oreilles. Serait-il possible que GW Bush, le président, suive effectivement cette voie d’ignorer absolument toutes les forces de pression qui pèsent sur lui, — outre le Congrès à majorité démocrate, «ignoring the results of the November elections, rejecting the central thrust of the bipartisan Iraq Study Group and flouting the advice of some of his own generals, as well as Prime Minister Nuri Kamal al-Maliki of Iraq». Le désarroi des démocrates résulte moins du fait qu’ils ne savent exactement comment agir, que du fait que GW Bush les pousse dans une voie où ils ne pourront faire autrement que réagir. «This guy is committed to hara kiri», grommelait un expert constitutionnel de l’équipe du sénateur Kennedy. Possible, mais la chose fera des vagues.

On constate qu’après le discours de GW, les démocrates n’ont pu faire autrement que de réagir. Eux, sans doute, ne peuvent ni ne veulent ignorer les pressions diverses, et ils n’ignorent pas le sentiment du public, de leurs électeurs, lorsqu’ils consultent leurs messageries bourrées de courriels furieux ou accusateurs.

Il y a donc eu une cascade de réactions au discours du président. Des réactions individuelles et une réaction collective rassemblant les leaders démocrates des deux chambres. (Ces dirigeants du Congrès sont respectivement la Speaker de la Chambre Nancy Pelosi, le chef de la majorité au Sénat Harry Reid, le chef de la majorité à la Chambre Steny Hoyer et l’assistant au chef de la majorité au Sénat, Leader Richard Durbin.) Ce dernier document est évidemment le plus intéressant parce qu’il présente l’engagement solennel de ce que va être l’action des démocrates dans les semaines à venir:

«While we all want to see a stable and peaceful Iraq, many current and former senior military leaders have made clear that sending more American combat troops does not advance that goal. Our troops have performed the difficult missions given to them in Iraq with great courage. The Congress and the American people will continue to support them and provide them with every resource they need. But our military forces deserve a policy commensurate with the sacrifices they have been asked to make. Regrettably, the President has not provided that tonight.

(…)

»In the days ahead, Congress will exercise its Constitutional responsibilities by giving the President's latest proposal the scrutiny our troops and the American people expect. We will demand answers to the tough questions that have not been asked or answered to date. The American people want a change of course in Iraq. We intend to keep pressing President Bush to provide it.»

En d’autres mots : puisqu’il [GW Bush] veut la guerre (entre le Congrès et la Maison-Blanche), il faudra bien la faire.

La “force dramatique” du discours

Il est difficile de croire tout à fait à ce qui se passe. Si l’on s’en tient aux termes du communiqué, pourtant, il s’agit bien d’une déclaration de guerre, — certes, d’une déclaration de guerre contrainte et faite dans le mode de la guérilla mais une guerre bel et bien réelle.

Ce qu’annoncent les démocrates, ce ne sont pas les grandes décisions (“impeachment”, blocage du budget) mais la guérilla entre les deux pouvoirs, celle qui peut déboucher sur des situations explosives. Il s’agit bien de la crise institutionnelle larvée qui peut déboucher sur la grande crise washingtonienne, “the mother of all constitutionnal crisis” dont parle Engelhardt.

La déclaration de Leon Panetta, surtout, est intéressante («“There’s no question that under our system he’s going to be able to deploy these troops without Congress being able to stop him. But he’s going to face so many battles over these next few months, on funding for the war, on every decision he makes, that he’s basically taking the nation into another nightmare of conflict over a war that no one sees any end to.») Il est possible que les démocrates n’aient pas cru, jusqu’au bout, jusqu’à l’évidence que toutes les fuites et toutes les indications illustraient, que Bush ferait son discours dans le sens où il l’a fait. Il est probable que les démocrates n’apprécient pas du tout d’être placés devant une perspective où rien n’est résolu en Irak et où tout est prêt pour l’élargissement du conflit à l’Iran (essentiellement) et à la Syrie (éventuellement).

C’est ce que nous désignons comme la “force dramatique” du discours. Le contenu était connu et l’on envisageait toutes les possibilités d’échapper à toutes ses conséquences et, notamment, pour les démocrates, toutes les conséquences forçant à des engagements antagonistes à l’encontre du président. Mais la réalité du discours conduit à l’installation de l’antagonisme entre les deux pouvoirs ; c’est cela, sa “force dramatique”. L’état d’esprit, la psychologie ont fait un bond gigantesque dans le sens de l’affrontement.

Cette psychologie de l’affrontement compte plus pour l’instant que le fond du débat. L’on ne voit pas ce qui pourrait la dissiper, compte tenu de la pression que les événements extérieurs vont continuer à faire peser sur Washington. Au contraire, ces circonstances ont toutes les chances de l’exacerber. Ainsi les fils de la crise que personne ne veut vraiment pourraient-ils se nouer sous nos yeux, comme une mécanique inéluctable.