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3790Si l’on étudie l’aspect extérieur, strictement tactique, de l’affaire du Watergate, on en vient vite à la conclusion que le système de la communication dans son sens le plus large joua un rôle fondamental et décisif pour conduire son affaire au terme dramatique qu’on connaît. Plus spécifiquement, il s’agit de l’établissement d’une commission d’enquête spéciale du Congrès sur cette affaire qui, pendant des mois et des mois, fit défiler les témoins et “institutionnalisa” l’affaire Watergate comme une partie structurelle de l’information courante pendant ce laps de temps, cela d’autant plus que les auditions étaient télévisées. Ainsi la tension de la communication, avec ses effets sur les psychologies, fut-elle constamment maintenue. Aujourd’hui se pose une question du même ordre pour les “scandales” qui secouent l’administration Obama et donnent un sujet de conversation épique et spéculatif à l’establishment washingtonien. Si une décision était prise dans ce sens (établissement d'une commission d'enquête), alors on se trouverait dans une situation nouvelle, menaçant directement la présidence Obama.
Trois “scandales” forment le Scandalgate, du nom donné à la situation washingtonienne actuelle : les suites de l’affaire de Benghazi du 11 septembre 2012, le scandale de l’IRS et des contrôles d’impôts politiquement orientés, le scandale de la saisie des communications téléphoniques de plusieurs dizaines de journalistes d’AP par le FBI. Il semble évident que c’est le premier d’entre eux qui s’impose comme favori. Un spécialiste du genre, Bob Woodward, qui fit équipe avec Carl Bernstein pour le Washington Post, pour révéler les données fondamentales du cambriolage de l’immeuble du Watergate par les “plombiers” de la Maison-Blanche, s’est montré catégorique lors d’une émission de MSNBC (voir le 17 mai 2013 sur Infowars.com) : l’affaire de Benghazi doit être poursuivie par tous les moyens, comme le fut l’affaire du Wartergate...
«During an appearance on MSNBC’s Morning Joe today, Bob Woodward said the corporate media should not allow the government to underplay and divert attention away from the Benghazi terror attack. “If you read through all these e-mails, you see that everyone in the government is saying, ‘Oh, let’s not tell the public that terrorists were involved, people connected to al-Qaeda. Let’s not tell the public that there were warnings,” Woodward said.
»He then compared the situation to Watergate 40 years ago. “I have to go back 40 years to Watergate when Nixon put out his edited transcripts to the conversations, and he personally went through them and said, ‘Oh, let’s not tell this, let’s not show this.’ I would not dismiss Benghazi. It’s a very serious issue. As people keep saying, four people were killed.”»
• Le fait est qu’un mouvement sérieux s’est amorcé, dans le sens effectivement de l’établissement de ce redoutable instrument qu’est une commission d’enquête du Congrès. C’est la Chambre des Représentants, contrôlée par les républicains, qui s’est naturellement avancée dans cette direction, avec un mouvement déjà structuré, des soutiens de parlementaires constitués, un député républicain se chargeant de rédiger la loi qu’il proposerait à la Chambre pour voter l’établissement de cette commission. Le 16 mai 2013, le site FreeBeacon.com, de tendance néo-conservatrice et très proche du Washington Times, signalait effectivement l’ampleur prise par le mouvement au sein de la Chambre.
«More than two-thirds of Republican House lawmakers now favor establishing a Watergate-style investigatory committee to examine the Benghazi terror attacks. Rep. Frank Wolf (R., Va.) has been pushing since last year for the establishment of a House select committee that would streamline and target investigations into the circumstances surrounding the Sept. 11, 2012, terror attack in Benghazi, Libya, that claimed the lives of four Americans.
»Support for the committee has gained steam as more information about the Obama administration’s multiple failures during and after the attack have come to light. The Benghazi select committee has earned the support of 154 Republicans, 40 of who have signed onto the effort in three weeks following the release of a congressional report that accused senior Obama administration officials of negligence. Another 15 members have backed the effort in just the past week, with eight signing on to the legislation to create the committee in the past two days, according to Wolf’s office.»
• Le même site détaillait, le 17 mai 2013, le soutien accordé par la plus grande association (équivalente à un syndicat sans l’aspect strictement revendicatif) des officiers fédéraux, ou fonctionnaires de la hiérarchie bureaucratique du gouvernement, la FLEOA (la Federal Law Enforcement Officers Association). (La FLEOA représente les hauts fonctionnaires de la hiérarchie dont faisaient partie les victimes de l’attaque de Benghazi.) Le président de cette association a envoyé une lettre de soutien au député Frank Wolf, pour l’encourager dans son effort de constitution d’une commission d’enquête.
Dans la presse, c’est surtout le Washington Times (voir le 16 mai 2013 un article rapportant en détails le déroulement de l’affaire, et une section entière dévolue aux articles sur Benghazi), qui exerce une pression pour une action anti-Obama dans ce cadre. Le 17 mai 2013, Wesley Pruden publait un éditorial pour le journal, où il résumait le fondement de l’attaque du Washington Times et de la droite radicale avec lui, en appelant aux manes du glorieux général Patton. Il s’agit effectivement d’une bataille au sein de la famille interventionniste, entre interventionnistes-neocons et pseudo-conservateurs d’une part, et “libéraux-interventionnistes” (libertal hawks) d’autre part. La famille se déchire à belles dents, et les républicains de cette tendance belliciste trouvent là une belle occasion d'exprimer à la fois leur agressivité haineuse et leur frustration de tant d’entreprises militaristes confrontées à des impasses depuis 9/11. BHO, pourtant lui-même notablement interventionniste, fait bien l’affaire comme bouc-émissaire.
«... The besieged defenders of Bastogne owed their rescue to Patton, often reckless and always spoiling for a fight. The Americans were trapped at Bastogne, having been ambushed by the Germans in a last attempt to force a negotiated surrender. They seemed on the lip of success. Patton promised the skeptical Gen. Dwight D. Eisenhower, the supreme allied commander in Europe, that he could turn his three divisions around overnight and fight their way more than a hundred miles to the rescue: “The kraut’s got his head stuck in a meat grinder, and this time I’ve got hold of the handle.” Ike gave the word, Patton gave the order, and Bastogne was soon relieved. Thousands of Americans were saved and the Germans never again mounted a sustained offensive. Somebody tried.
»This is the lesson of the fighting spirit that seems no longer prized in certain precincts in Washington. There’s no evidence that this White House appreciates courage, reckless or otherwise, and the can-do spirit that saves causes otherwise lost. Barack Obama prefers to lead from behind. He’ll take the credit if everything works out OK — and if nothing good works out, he’ll make a nice speech (though lately even his gift of gab has departed from him). He’s willing to mock the guns-and-religion clingers and still hasn’t figured out where the nation’s enemies are. [...]
»Maybe we can’t blame these folks. It’s in the DNA. But a nation won’t long survive inability to recognize enemies and indifference to incompetence. It has to defend itself from all enemies, foreign and domestic. Let the investigations begin.»
• Du côté des défenseurs d’Obama règne une certaine confusion. Leur argument constant jusqu’alors était que rien de sérieux n’apparaissait dans les accusations forcenées des républicains, sinon l’état forcené de la psychologie de ces républicains. Pour eux, l’opposition anti-Obama était marquée par une telle passion qu’elle se discréditait d'elle-même. Il y avait d’ailleurs de la passion dans cet argument, les partisans d’Obama n’étant pas moins dépourvus que leurs adversaires de cette psychologie forcenée qu’ils leur reprochent. Désormais, nombre d’entre eux reconnaissent que le cas est sérieux, avec ces trois scandales en cours qui ont chacun leur fondement. On peut lire l’argument de Gary Younge, du Guardian, ce 20 mai 2013, selon lequel effectivement l’administration Obama est, avec Scandalgate, dans un mauvais cas. Défenseur acharné d’Obama jusqu’ici, Younge semble n’avoir effectivement d’espoir sérieux que dans l’excès de ses adversaires ; pour l’argument, c’est peut-être fondé (et encore), pour la vérité et la culpabilité éventuelle de l’administration d’Obama, cela laisse à penser.
«The thing people often forget about the story of the boy who cried wolf was that, at the end of the day, there was a wolf. For the past six years – since Barack Obama announced his presidential intentions – Republicans have been crying themselves hoarse... [...] But over the past fortnight wolves have been out in force. The Obama administration is beset by scandals, of varying magnitudes, that would give conspiracists good reason to be paranoid... [...]
»The problems for Obama are twofold. First, each scandal, in its own way, has meaning beyond itself. Accusations about him being a communist, Kenyan-born Muslim did not resonate beyond those who wished to believe them in the first place because they didn't fit with anything most people knew, saw or heard of Obama. There was no market for their plausibility. These are different. Almost every substantial political discussion since his first election – be it about healthcare, the economy, taxation, guns, immigration or drone strikes and kill lists – has, at its root, been a debate about either the size, competency, secrecy, efficiency or intrusiveness of government. Together, these incidents illustrate precisely those issues, creating a framework of credibility for broad assaults on the legitimacy of government. Public trust in government is already at historic lows. This won't do it any good.
»Second, while comparisons to Nixon are wide of the mark, things are beginning to look wearily familiar. It is about this time in a second term that administrations display the malaise of having been in office long enough for that mixture of paperwork, arse-covering bureaucracy and hubris to come to light. Obama was only re-elected six months ago, but this is the first sign of lame duck disease. From now until 2016 will be hearings, inquiries, firings, depositions and subpoenas aplenty. Obama insists there is plenty he still wants to do, but he'll spend a large amount of his time dealing with this.
»Already a third of the Republican-controlled house are investigating the White House. At least one influential conservative lobbying firm, Heritage Action, has told the Republicans they should prioritise these scandals over any legislation that might divide them. "As the public's trust in their government continues to erode," wrote its head, "it is incumbent upon those of us who support a smaller, less intrusive government to lead.”
»At a New York fundraiser last week Obama said of the Republicans: “My thinking was that after we beat them in 2012, well, that might break the fever.” Instead they fed it, leaving the right in a state of delirium. Herein lies Obama's greatest gift – overzealous detractors with a tin ear for the public mood. In the hearings that have taken place so far Republicans have overplayed their hand: skipping from presumption to assumption to accusation unencumbered by facts, logic or proportion. Each time the potential for building public and political support on the matter concerned arises, they squander it for partisan gain. The only luck Obama seems to have had in recent weeks is in his opponents.»
Effectivement, comme le reconnaît Younge, le cas est sérieux. Les “scandales” ne sont pas que des lubies d’opposants enfiévrés et, dans la “technique” même de l’exploitation du scandale, Benghazi semble le mieux structuré pour établir les bases d’une action à longue durée. Si elle semble constante dès qu’il y a un scandale à Washington (d’où l’emploi permanent de ce “gate” accolé au nom de chaque “scandale“ pour le surnommer), et par conséquent un peu discréditée, l’analogie avec le Watergate garde une signification lorsqu’elle acquiert un fondement. Il semble que nous en soyons fort proche... Si c’est le cas, si l’“encommisionnement” de Benghazi à l’image de l’établissement de la commission d’enquête sur le Watergate a effectivement lieu, alors tout devient possible et la référence à Watergate ne sera plus un discrédit par usure pour ceux qui l’emploieront, mais un accélérateur irrésistible du cas. Le terme “encommisionnement” acquiert ici une signification exactement inverse à celui qu’on entend d’habitude, qui est celui d’embourbement d’une question pressante et donc annihilation de la substance activiste de cette question jusqu’à l’extinction de la pression qu’elle exsudait. Ici, c’est le contraire : l’“encommisionnement” garantit au contraire la pression autour de la question choisie, par son institutionnalisation en tant que telle, par conséquent son accès prioritaire aux moyens de le la communication. La pression exsudée par le scandale devient une sorte de “fait objectif”, protégé de l’usure extrême et très rapide d’un système de la communication qui abandonne aussi vite qu’il l’a activée sa technique de publicité sensationnaliste pour un cas donné, au contraire suscitant pour ce cas donné une relance permanente de cette publicité sensationnaliste.
Au reste, il y a des situations objectives, hors de l’excès hypomaniaque de la psychologie des républicains dans leurs attaques contre Obama. L’un des arguments de cette objectivité, c’est simplement l’annulation des effets trompeurs de cet excès hypomaniaques par un excès de même tonneau, dans l’autre sens, des partisans d’Obama, dont la ferveur idolâtre est un point extraordinaire dont Younge ne se soucie guère. Ces deux excès s’équivalant après tout, et s’annulant au bout du compte, il reste ce que Young constate, à savoir que ces “scandales” ont leur propre valeur qui les transcende en leur donnant une essence spécifique («First, each scandal, in its own way, has meaning beyond itself...»). Il reste également que, lorsque Younge finit par accepter l’analogie avec Nixon («...while comparisons to Nixon are wide of the mark, things are beginning to look wearily familiar»), il se montre extrêmement partisan (un, peu de ferveur idolâtre) car c’est désormais un truisme que d’observer qu’Obama est d’ores et déjà largement tributaire d’une opinion générale selon laquelle il dépasse, tout aussi largement, son prédécesseur Nixon en matière de tromperies et de coups fourrés. Comme l’observe Young à propos des rumeurs non fondées et que nous traduirions à notre manière (il n’existe pas de pression psychologique intrinsèque et sérieuse si le cas est infondé), la même chose à l’inverse existe pour les cas fondés (il existe une “pression psychologique intrinsèque et sérieuse” si le cas est fondé).
... Puisque tout le monde, désormais, semble reconnaître que les cas de Scandalgate sont fondés, et que l’évolution, dans tous les cas concernant Benghazi, commence à approcher le stage d’une structuration institutionnalisée, il faut se préparer à la possible ouverture d’une nouvelle époque dans le gouvernement d’Obama. Quelles que soient les spécificités des deux situations, pour les différencier, une chose est assurée. Une situation prenant le chemin d’un Watergate-II pour Scandalegate nous assurerait d’une paralysie supplémentaire du pouvoir washingtonien, une sorte de “paralysie de la paralysie” déjà en place. La paralysie, qui était jusqu’alors un état de staticité mis en évidence par contraste par les agitations impuissantes, deviendrait en soi un cas d’activisme forcenée. Nous nous trouverions devant un cas d’accélération sans précédent d’une dynamique de déstructuration-dissolution, voire d’entropisation du pouvoir washingtonien, avec les conséquences instantanées sur la situation générale, et donc l’accélération des situations crisiques extérieures, le renforcement de ce que nous nommons l’infrastructure crisique. La situation, avant même une issue quelconque, y compris la plus dramatique (procédure de destitution), serait une accélération entropique considérable de la crise du pouvoir washingtonien, cette fois avec des conséquences externes dramatiques et immédiates... La situation actuelle est telle qu’on se trouve très proche du point où une “distraction extérieure” (faire passer au second plan un scandale intérieur par une action/crise extérieure) est devenue impossible. (D’ailleurs, une des leçons du Watergate et de son “encommisionnement” est bien que cet “encommisionnement” interdit pratiquement des interférences décisives des crises extérieures, tant la puissance de ce processus est grande dans un système washingtonien hyper-institutionnalisé. La guerre d’octobre 1973, l’alerte nucléaire du 25 octobre 1973 et la crise pétrolière qui commença aussitôt après n’interrompirent en rien la marche du Watergate et de sa commission spéciale d’enquête.) Tout ce qui existe en fait de possibilités de “distraction extérieure” est déjà au stade crisique actif, et au stade de l’embourbement crisique où le pouvoir washingtonien est d’ores et déjà paralysé. Une crise supplémentaire de type-Watergate à Washington n'aurait pour effets que d'aggraver encore cette situation extérieure par le comportement erratique et forcené des centres de pouvoir washingtonien.
Les composants nécessaires à l'installation d'une crise institutionnelle fondamentale et officialisée à Washington sont donc présents. Reste à voir si la mayonnaise prendra. Si c'est le cas, nous entrerons dans une phase nouvelle supplémentaire de la crise d'effondrement du Système.
Mis en ligne le 20 mai 2013 à 06H23
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