Wikileaks et la complexité

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Wikileaks et la complexité

On peut légitimement voir dans certains systèmes d'informations en réseaux, tel le réseau diplomatique américain SIPRNnet database ou Secret Internet Protocol Router Network (Voir www.cryptome.org/dodi/dss-siprnet.pdf ) des systèmes quasi autonomes rentrant dans la définition très générales que nous nous donnons des systèmes anthropotechniques. C'est en tous cas ce que suggère Philippe Grasset. Nous le suivons bien volontiers. On sait que SIPRNet est la base de données qui aurait été pénétrée par l'informateur ayant fourni à Wikileaks les données de type diplomatique récemment livrées au public. Dans le cas de la base de données SIPRNet, nous pourrions parler d'un système anthropo/technico/informationnel, si le terme n'effraie pas le lecteur.

Dans un tel système, on retrouve étroitement imbriqués des supports techniques (ordinateurs et réseaux de télécommunication), des contenus informationnels signifiants ou sémantiques rendus échangeables par la technique (les informations) et des humains de toutes sortes (anthropos) qui pour certains alimentent le système en données, pour d'autres vont s'approvisionner en données au sein du système et qui pour d'autres encore assurent son fonctionnement quotidien. Il s'agit en ce dernier cas des techniciens de base responsable de la connectivité, la sécurité, etc.

Le tout donne naissance à des systèmes évolutionnaires sur le mode darwinien si complexes qu'ils sont indescriptibles, imprévisibles et par conséquent non gouvernables. De tels caractères s'appliquent aussi aux différents composants ou sous-systèmes constituant le système global, réseaux, données et techniciens notamment. Au niveau des humains associés au système global, le caractère anthropos (ou humain) fait que n'importe quel individu peut introduire des bruits, provoquer des bugs et générer des fuites. Ceci par ego, perversité ou altruisme. Les individus humains, nul n'en ignore, ne peuvent pas être strictement et à tous instants tenus en laisse.

Dans un système totalement fermé et petit, comme une base de données stratégique d'entreprise, les individus qui y opèrent sont suffisamment encadrés et surveillés pour que les « trahisons » individuelles soient rares. Il s'en trouve cependant. Dans un système plus vaste, à portée intercontinentale, la probabilité de bugs d'origine humaine augmente considérablement. Ceci d'autant plus que les humains internes au système et déviants éventuels repèrent à l'extérieur l'existence d'un système anthropo/technico/informationnel concurrent de celui auquel ils appartiennent. Dans le cas que nous étudions, il s'agit du réseau Wikileaks, se présentant comme un attracteur. Il offre la possibilité au transfuge de s'y valoriser d'une façon ou d'une autre, quitte à le payer de 50 ans de forteresse.

Vivement la prochaine fuite

Wikileaks présente donc un intérêt considérable, non seulement pour ceux qui s'efforcent de raisonner en termes scientifiques sur l'information en réseau, mais pour ceux qui espèrent décrypter le monde en termes politiques. Nous attendons donc avec impatience la prochaine fuite massive annoncée par Julian Assenge (s'il n'est pas retrouvé suicidé d'ici là). Elle concernerait une grande banque américaine, voire le système City de Londres-Wall Street tout entier. Dans la perspective méthodologique résumée ici, cette banque serait un élément ou noeud plus ou moins important du vaste réseau anthropotechnique constitué par la finance mondialisée (où les informations de base s'échangent à ultra-haute vitesse. Voyez notre article http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2010/112/HFT.htm).

S'agit-il d'un système si complexe qu'il serait lui aussi irresponsable des crises qu'il provoque et donc incontrôlable? Dans ce cas, il pourrait également souffrir de fuites telles que les “confessions de banquiers pourris”, les erreurs de traders perdant le nord, etc. La divulgation massive annoncée par Wikileaks pourrait en être un nouvel exemple.

Mais nous commençons à penser pour notre part, tout en nous méfiant de l'esprit conspirationniste, que le système anthropotechnique de la finance internationale (disons anglo-saxonne pour simplifier) a réussi à se structurer depuis des décennies d'une façon qui lui a permis d'éliminer ou de dominer tous les systèmes anthropotechniques concurrents. C'était ce que faisait dans le même temps de façon plus visible et dans le domaine diplomatico-militaire le système anthropotechnique du MICC américain (military-industrial-congressional Complex) incarné par Pentagone. Les historiens politiques soupçonnent non sans raisons le MICC de s'être organisé, notamment par le “fear factor”, afin de se donner des ennemis justifiant ses emprises et ses prélèvements sur l'économie. On a pu à cet égard parler d’un véritable complot mondial dont l'invasion de l'Irak fut un des derniers résultats.

Or, concernant la banque, il semble bien aujourd'hui qu'un complot encore plus cynique se soit mis en place au plan international, à partir de la banque anglo-saxonne et ceci depuis des décennies. Nous ne voulons pas dire que des têtes pensantes se seraient réunies dans des clubs secrets pour décider comment dominer les sociétés par le biais des banques et des Bourses. Il s'est agi plutôt de ce que l'on pourrait appeler un complet informel résultant du group thinking de milliers de gens se retrouvant régulièrement dans les mêmes lieux et dans les mêmes cercles afin de concilier au mieux leurs intérêts de super-puissants et de super-riches, si vous nous pardonnez le terme.

Ceci dit, aussi informel qu'il soit resté en grande partie, ce complot nous assujettirait tous, en tant qu'acteurs économiques de base, sans que nous puissions nous en rendre compte. Chacune de nos activités, produire, dépenser ou épargner, fait de nous en effet des collaborateurs inconscients au sein de la composante humaine du système global. Des personnalités comme Gordon Brown, José Manuel Barroso ou Nicolas Sarkozy, dont Wikileaks a mis en évidence, pour qui l'ignorait, l'addiction américaine, en auraient été ou en seraient demeurés en Europe des chargés d'affaires actifs.

Vraies dénonciations ou nouvelles formes de manipulations?

Cependant, et nous retrouvons là l'idée de la complexité non maîtrisable, ce système complotiste financier pourrait ne pas pouvoir totalement échapper aux bugs et fuites provenant de son sein même. La film Inside Job en est un exemple intéressant. Le complot y est révélé en termes qui échapperont peut-être au grand public, mais qui sont cependant faciles à interpréter. L'auteur en est un ancien acteur dévoyé du système, Charles Ferguson, suffisamment riche pour prendre le risque de sortir d'un relatif anonymat protecteur afin de devenir célèbre par ses révélations. Le système cependant n'est pas démuni de défense. On ne s'étonnera pas de constater la réaction immunitaire qu'il a suscitée. Le film, au lieu d'être repris dans toutes les salles et sur tous les écrans, reste assez confidentiel.

D'autres “imprécateurs” dénonçant encore timidement le complot se font cependant entendre. Le fait que commencent à circuler des articles grand public et pédagogiques concernant la dictature mondiale des banques, tels l'excellente «Lettre à mon banquier», pourrait faire penser que des fissures se produisent. Mais ne respirons pas trop. Le pouvoir financier dispose de moyens suffisamment nombreux et multiformes pour muter et continuer de dominer, alors même que le système Pentagone se sera profondément affaibli faute d'avoir pu renouveler son capital génétique.

Parmi ces moyens figurent évidemment le détournement et la manipulation. On sait que Wikileaks a été présenté par quelques esprits soupçonneux comme étant un agent du Pentagone et du Département d'Etat (d'où le fait qu'Assange soit encore en vie...). Il n'aurait révélé que ce qui dans un jeu de billard à plusieurs bandes pouvait intéresser ces augustes instances. Ceci aurait permis d'éviter que des questions trop curieuses soient portées par exemple sur l'espionnage économique pratiqué à 100% de leur temps par les diplomates et attachés militaires, leurs liens avec le lobby juif américain ou avec Israël, leurs interventions sonnantes et trébuchantes destinées à affaiblir la zone euro et ce qui reste des industries européennes, les informations destinées à soutenir la spéculation basée à Wall Street ou Londres.

D'où la curiosité que nous exprimons ici concernant la prochaine fuite annoncée. Y découvrirons-nous ce que nous savons déjà, relativement au complot bancaire international, ou bien des informations véritablement décisives? Nous en reparlerons.

Jean-Paul Baquiast