Wikileaks et l’Irak, ou la preuve par 391.832

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…En effet, 391.832 c’est le nombre de documents sur la guerre en Irak, – “secrets” ou pas, qu’importe, – référencés par le courant de communication interne du Pentagone, que l’organisation Wikileaks vient de divulguer et de diffuser mondialement. Un nombre important de journaux suivent l’opération en diffusant diverses analyses et extraits de ces documents, que Wikileaks a diffusés vers eux en priorité. (Parmi eux, les trois journaux impliqués dans l’opération précédente de juillet 2010 sur l’Afghanistan : le Guardian britannique, le New York Times US, le Spiegel allemand. Le quotidien de Londres est la meilleure référence.)

Les sources sont innombrables à cet égard. Outre le Guardian, vous pouvez aller voir sur Antiwar.com la synthèse de Jason Ditz, ce 23 octobre 2010. Important également, l’interview de Daniel Ellsberg sur Democracy Now, le 22 octobre 2010. Ellsberg cautionne à fond l’opération Winileaks et doit donner une conférence de presse commune, ce soir à Londres, avec Julian Assange, qui dirige Wikileaks. Du côté du Pentagone, on s’exclame de fureur et de vertu outragée, dans l’ordre. Du côté de l’Irak et avec les 391.832 documents, on a toutes les confirmations possibles de cette tuerie barbare et d’une stupidité qui fera date dans l’histoire. Même Le Figaro se croit obligé de titrer : «WikiLeaks révèle l'horreur de la guerre en Irak», – sans aller tout de même jusqu’à nous confirmer que cette horreur a été voulue, déclenchée, provoquée et durablement pratiquée et entretenue par la démocratie américaniste. Ce n’est pas l’horreur de la guerre qui est en cause, comme se plaisent à dire nombre de commentateurs de l’article du Figaro, – puisqu’il faut bien reconnaître qu’il y a “horreur” ; c’est l’horreur de la guerre américaniste et postmoderniste, illégale, factice, déloyale et aveugle, toute entière farcie de la barbarie du technologisme et de l’arrogance de la démocratie du système américaniste-occidentaliste.

Notre commentaire

@PAYANT Wikileaks a gagné largement cette manche, contre le Pentagone et sa machine à broyer, d’un aveuglement sans égal. Wikileaks avait averti Moby Dick de sa fuite massive et demandé sa coopération pour passer en revue les documents, au cas où l’un ou l’autre aurait pu “mettre en danger” une personne ou l’autre, selon l’accusation lancée par les robots du même Moby Dick (Gates, Mullen & Cie), après la première opération de fuites sur l’Afghanistan. Inflexible et obsédé par sa vindicte contre tout ce qui ne fait pas partie de son monde, le Pentagone-Moby Dick a refusé, se mettant dans le cas de se contredire lui-même puisqu’il avait reproché à Wikileaks de n'avoir pas procédé de cette manière lors de la première opération (Afghanistan). Ellsberg explique tout cela dans l’interview référencée. Cela lui permet d’ajouter gravement, à propos de l’affirmation de l'amiral Mullen selon laquelle Wikileaks avait “du sang sur les mains” avec cette fuite (sur l’Afghanistan) qui mettrait en danger des vies de braves soldats américanistes, et de collaborateurs du système – et, par conséquent, autant pour l’amiral Mullen qui, selon cet avis, est bien le premier à avoir “du sang sur les mains” : «You know, for all that the admiral, Mullen, or for that matter Presidents Bush or Barack Obama, tell us of the good that they hoped to accomplish, we haven’t seen any evidence of that, I would say. And in terms of blood on their hands, I’m sorry to say, a lot of actual blood has been spilled, as opposed to this hypothetical possible blood, of which none has been reported, from the WikiLeaks.»

Un coup important de Wikileaks, c’est d’avoir cette fois, et sans restriction, Ellsberg de son côté. Ellsberg, le grand diffuseur des Pentagon Papers de 1972, est une icône de la contestation aux USA, qui est même respecté par l’establishment tant il a été prouvé qu’il avait abondamment raison de faire ce qu’il a fait. Ellsberg avait émis quelques réserves, ou bien manqué d’entrain, pour les premières fuites massives sur l’Afghanistan, considérant éventuellement (le cas est resté assez incertain) que toutes les précautions n’avaient pas été prises quant aux conséquences de ces fuites. Il semble cette fois que Ellsberg ait été impliqué d’une façon ou l’autre dans l’opération, qu’il l’ait supervisée peut-être, d’une façon indirecte ; dans tous les cas, il semble bien lui donner toute sa caution, comme une “fuite” sérieuse et responsable, – et la fuite la plus massive de l’histoire.

Après les fuites massives sur l’Afghanistan, Wikileaks avait connu quelques déboires. D’abord, ces doutes qu’on a évoqués, y compris de milieux dissidents (les réticences d’Ellsberg, déjà mentionnées), qui avaient ôté un peu de son crédit à l’opération. Dans cet univers étrange de la communication postmoderniste où plus aucune vérité n’est affirmée, le “sérieux” d’une information diffusée sur une très grande échelle, même dissidente et même lorsqu’il s’agit de documents bruts pris chez “l’ennemi”, se mesure au respect de certaines procédures qui relèvent d’un accord tacite général. Le Pentagone avait travaillé d’arrache-pied pour discréditer Winileaks de ce point de vue. D’autre part, il y avait eu les mésaventures d’Assange en Suède, avec des accusations de viols et de harcèlements sexuels qui, depuis, se sont perdues dans un flou artistique où la justice suédoise, fort prompte à inquiéter Assange, n’est pas à l’abri de quelques soupçons. Il y avait eu aussi quelques critiques ou mises en cause diverses, parfois pour des raisons formelles et d'autres plus mystérieuses (le co-fondateur de Wikipédia, Jimmy Wales, attaquant Wikileaks et Assange le 28 septembre 2010, avant d’aller plaider à Jerusalem, le 21 octobre 2010, en faveur de la participation d’Israël à Wikipédia). Le tout donnait l’impression d’une offensive générale, plus ou moins dommageable pour Wikileaks, offensive avec éventuelle participation manipulatrice du Pentagone dans certains de ses aspects, etc.

Avec cette diffusion gigantesque de documents sur la guerre en Irak, il semble que Wikileaks regagne du terrain et retrouve du crédit. D’abord, le contenu des fuites porte sur un conflit qui n’est plus en cours, selon les déclarations officielles virtualistes et US à la fois, donc avec des possibilités d’interférences très réduites selon cette logique des déclarations officielles. Ensuite, l’image que ces fuites donnent de la guerre en Irak, qui correspond aux perceptions les plus tragiques qu’on pouvait en avoir, alimente massivement l'idée de la culpabilité US, de la cruauté de l’engagement et du comportement des forces US, des violations massives des lois de la guerre, des crimes de guerre et ainsi de suite. La guerre en Irak a bien été aussi horrible, aussi vaine, aussi illégale et criminelle qu’on l’a perçue du côté de ceux qui refusèrent la présentation virtualiste des autorités américanistes. Du coup, effectivement, les fuites de Wikileaks acquièrent toute leur justification et toute leur utilité. Elles mettent clairement en accusation un système anthropotechnocratique où les actes et les directives répondent aux lois intérieures de ce système, bien plus qu’aux lois de la guerre et autres. D’une façon plus générale, elles font peser sur les USA en général, sur leur réputation, sur leurs prétentions moralisantes, sur leur politique générale et sur tous les discours de l’establishment washingtonien, un poids supplémentaire de discrédit et de déshonneur, sans parler de la stupidité générale de toutes ces affaires.

On peut accessoirement se demander si ces fuites massives, à deux semaines des élections mid-terms aux USA, ne vont pas encore accentuer le sentiment général anti-Washington qui touche les électeurs US. Non qu’on doive se faire beaucoup d’illusions sur l’attention des citoyens US sur les pertes, les massacres et les dégâts causés par les forces de leur pays dans des pays agressés comme c’est le cas de l’Irak ; simplement, les fuites de Wikileaks contribuent au moins à renforcer le sentiment de se trouver devant un pouvoir washingtonien incompétent, sans scrupule, irresponsable et d’une stupidité peu commune.


Mis en ligne le 23 octobre 2010 à 13H58