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26 octobre 2005 — Un jour, les Israéliens feront peut-être les comptes du coût que leur occasionne la très chère sollicitude dont les Américains les entourent. Alliance stratégique? Diable, — il serait temps de redéfinir la stratégie, pour voir où elle rime avec escroquerie et où elle rime avec servilisme. (“Servilisme”? L’occasion justifie l’emploi du mot rarement employé, comme pour indiquer une doctrine encore plus qu’une attitude tant il semble s’agir d’un système plus que d’une occurrence regrettable.)
Depuis l’affaire chinoise et le réalignement ignominieux d’Israël sur les États-Unis, les coups ne cessent de pleuvoir sur Israël. L’“amitié” américaine, cela se paye chèrement. Trois affaires récentes nous le montrent.
• L’alignement d’Israël sur les Etats-Unis lors du vote de l’UNESCO sur la Convention sur la diversité culturelle a constitué un revers majeur d’influence pour Israël. Cet alignement ridicule (Israël seul avec les USA contre 148 pays) vient de pressions impératives des Américains. Il n’était pas question qu’Israël rechignât une seconde.
• Le mirifique JSF/F-35, dont l’accès est toujours interdit à Israël dans des conditions effectivement ignominieuses. Les perspectives, selon un article de Defense News du 24 octobre ne s’annoncent pas roses malgré les capitulations successives d’Israël. Israël n’a pas capitulé assez, et pas assez vite. L’article, alimenté par des sources israéliennes, représente manifestement de facto un effort de pression pour demander aux Américains de desserrer leur interdiction, dans la mesure où un délai supplémentaire risquerait de compromettre toute la programmation israélienne. Il annonce que des alternatives sont sérieusement étudiées (dont un passage direct à des UCAV, engins sans pilote de combat, sautant une génération d’avions de combat qui est le JSF). D’une façon plus générale, il présente une situation israélienne complètement dépendante du JSF et des Américains. Le caractère extraordinaire de cette situation est largement illustré par les assurances empressées de parlementaires israéliens qu’ils vont rapidement satisfaire aux conditions israéliennes, lors de voyages effectués en urgence à Washington, au Pentagone plus précisément, où ils ne sont même pas reçus par le secrétaire à la défense : « Yuval Steinitz, chairman of the Israeli parliament’s Foreign Affairs and Defense Committee, said he reaffirmed in recent talks in Washington with Gordon England, acting U.S. deputy defense secretary, parliamentary intentions to act swiftly to pass export licensing legislation prescribed in the Mofaz-Rumsfeld accord. “I hope Israel will be promptly readmitted into the JSF program,” Steinitz said. “There’s no reason to wait until the end of our legislative process.” »
Les craintes israéliennes sont accompagnées de pressions prudentes et mesurées auprès des Américains pour que ceux-ci acceptent de ne pas être trop impitoyables : « “We all hope Mofaz and Rumsfeld can work things out before the window of opportunity [to influence the JSF design] closes,” a senior military planning official said of talks scheduled for the first week of November in Washington. “But if we’re faced with spending the next 20, 30 or even 40 years with a fighter that is not optimized for our needs and cannot accommodate our unique weaponry and subsystems, we’re going to seriously have to reconsider our future airpower investment strategy.” »
• Le troisième cas est l’annonce de l’interdiction américaine signifiée aux Israéliens de réaliser un marché de modernisation des 24 F-16A américains vendus aux Vénézuéliens il y a une dizaine d’années et aujourd’hui quasiment immobilisés par manque de pièces de rechange (depuis 1998 et l’élection de Chavez, les Américains ont effectivement ralenti puis bloqué leur alimentation en pièces de rechange). Le site venezuelanalysis.com précise le 24 octobre: « The United States stopped Israel from repairing Venezuela's group of F16 fighter planes as it sees the Government of Hugo Chavez as a “destabilizing force” in Latin America. [...] Channel 1, an Israeli TV station, reported on October 19 that the US government forced the Israeli Ministry of Defense to cancel the repair of Venezuela's F16s. These US-made aircraft are now barely functioning because of lack of replacement parts. The Israeli arms industry has been eager not to upset its largest backer after a recent high-profile disagreement over arms sales to China. Speaking about the Venezuelan deal, the [Pentagon] said on October 21, “Israel asked for Washington's green light over the contract,” to which Washington said no. »
Ces incidents, qui ne sont évidemment que l’extrémité émergée (publique) de l’iceberg que représentent les relations entre Israël et les USA, font mesurer l’intensité et la forme de ces relations, dans le sens d’une complète abdication de leur souveraineté nationale par les Israéliens. Par ailleurs, cette multiplication des signes publics de l’abdication israélienne, ces derniers mois, signale qu’effectivement la position américaine s’est exceptionnellement durcie. Cela concerne Israël, mais aussi d’autres pays et d’autres situations que la situation israélo-américaine.
On note dans ces derniers prolongements l’élargissement du domaine concerné par le durcissement US et les pressions qui en découlent, et le fait que ce durcissement ait pour épicentre le Pentagone. (Ce dernier point confirme qu’Israël est bien contrôlé par le Pentagone d’une façon spécifique.) Sur la question de l’UNESCO, des sources indépendantes US affirment qu’il y a bien eu pressions US, et qu’elles ont été relayées par le Pentagone, confirmant d’une autre façon la position privilégiée du DoD dans cette affaire, malgré qu’il s’agisse d’un domaine du département d’État.
Il est manifeste que la “crise stratégique” entre Israël et Washington a abouti, non seulement à une capitulation d’Israël, mais à un resserrement du contrôle US et des ingérences qui en découlent vers un point qui serait la limite du supportable et de l’acceptable. Cette orientation contient paradoxalement des germes de déstabilisation des rapports d’allégeance d’Israël avec les Etats-Unis. A moins d’une aggravation des conditions extérieures rendant l’alliance américaine vitale au-delà de toute autre considération pour Israël, — ce serait une sorte de “politique du pire” que certains peuvent avoir l’idée de provoquer, — il faut envisager un développement où les relations israélo-américaines connaîtraient de sérieux problèmes en raison du déséquilibre ainsi créé.
Les Américains sont eux-mêmes dans une phase où leurs pressions et leurs prétentions, en constante augmentation, sont de moins en moins équilibrées et justifiées par une puissance qui est au contraire déclinante. Ce déséquilibre interne rendra d’autant plus difficile à supporter, voire même à justifier, pour Israël, une allégeance elle-même grandissante. Il y a dans ces relations complexes une série de déséquilibres qui, au lieu de s’équilibrer, s’additionnent pour aller dans le même sens d’un déséquilibre général. Le résultat est de nourrir les conditions potentielles d’une crise majeure des relations entre les deux pays.