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301228 septembre 2021 – Dans une époque qu’écrase, qu’anime et que dynamise irrésistiblement la communication, les mots comptent comme jamais ils n’ont compté. Ils font et défont les grands mouvements, les courants de pensée. Eux qui constituent le nécessaire outil de la qualité de la pensée, ils sont aujourd’hui sans cesse confrontés au piège ontologique de la modernité, qui est la substitution de la quantité à la qualité... Dieu sait si, avec la communication et en fait de quantité, nous sommes servis.
Cette introduction au galop, – quantité contrôlée et réduite au minimum minimorum, – pour aller vers le cœur de mon sujet qui est effectivement une question de mot. Il s’agit d’abord de constater l’extension accélérée de l’emploi du mot “wokisme” pour désigner ce courant idéologique extraordinaire, que nous désignons, nous, sous le terme de “wokenisme” depuis la fin de l’automne 2020 (voir notamment nos explications sur ce concept, le 11 décembre 2020 et le 28 décembre 2020 sur ce site, après un premier emploi le 21 novembre 2020 [*]).
La première remarque est effectivement que se multiplie aujourd’hui en France l’emploi du mot “wokisme” (néologisme d’origine anglosaxonne avec sa variante fondamentale “woke”, du verbe ‘to woke’ [‘éveiller’]) . Cet emploi acte tardivement, d’une façon élaborée et non plus accidentellement, l’évolution désordonnée et l’extension foudroyante de cette soi-disant “idéologie” comme d’un courant transnational où la borne américaniste d’où vient le nom compte énormément, et non plus seulement comme un phénomène essentiellement français (l’“antiracisme” comme idéologie raciste, ou “racisée”, l’“indigénisme”, les “décoloniaux”, etc.). On parlait le 5 décembre 2020 et le 28 décembre 2020 de ce courant dans sa composante essentiellement en France, le lien avec la situation des USA dans les constats que nous détaillions n’étant encore fait que d’une façon trop accessoire.
Depuis, le lien a été établi beaucoup plus fermement et il est de plus en plus évoqué, ce qui est un progrès. Mais s’il est de plus en plus évoqué il l’est le plus souvent sans marquer, à côté des similitudes, les différences fondamentales d’origine du mouvement.
• En mettant dans le même sac le wokenisme-USA et le wokenisme-France, on oublie l’origine fondamentale de ces deux mouvements qui sembleraient n’en faire qu’un, la France suivant les USA comme d'habitude (alors que les USA, en cette matière, ont trouvé leur moteur fondamental pour passer à l’acte dans la ‘French Theory’). Pour les USA, la wokenisme actuel vient des mouvements noirs nés de l’esclavagisme aux USA, le dernier avant le Politiquement-Correct accouchant sur le temps long du wokenisme étant le mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Dès cette époque, d’ailleurs, une césure existait chez les Noirs, entre le courant majoritaire de MLK, clairement intégrationniste, et les mouvements sécessionnistes avec Malcolm X, les Black Panthers. L’arrière-plan religieux était évident, MLK et les droits civiques renvoyant à l’évangélisme chrétien tandis que les sécessionnistes s’appuyaient sur une conversion à l’Islam (Cassius Clay devenant Mohamed Ali). La gauche “blanche” et la gauche du parti démocrate soutenaient et soutient tous ces mouvements, en élargissant celui d’aujourd’hui à toutes les minorités raciales et sexuelles. Malgré cet élargissement (aux Latinos notamment), l’immigration joue un rôle complètement mineur et s’institue essentiellement en une crise majeure sur la frontière Sud, sans guère de lien avec le wokenisme-USA. Il n’est nullement assuré que les Noirs (ni les Latinos d’ailleurs) soient satisfaits de cette évolution et de ce maximalisme, et nombre des manifestations de Black Lives Matter (BLM) comptent bien plus de Blancs que de Noirs.
• Le wokenisme-France, lui, s’appuie très majoritairement sur le phénomène du colonialisme alimenté par l’événement de l’immigration et les populations des minorités déjà en place. Du coup, le wokenisme-France marche un peu sur trois ou quatre pattes différentes. Il y a certes une tendance directement inspirée des USA, soutenue par les pouvoirs capitalistes US impliqués, directement ou indirectement, dans le but habituel de chercher à américaniser le mouvement en insistant tangentiellement sur l’esclavagisme (pas trop tout de même vu le risque de dérapage vers l’esclavagisme africain et l’esclavagisme arabo-musulman qui présentent des faits impressionnants, dépassant souvent la traite transatlantique). Il y a aussi la tendance “antiraciste” s’appuyant sur la situation des émigrés majoritairement musulmane et sur le fait de l’immigration, avec une insécurité spécifique (les “banlieues”, les “territoires perdus de la République”, etc.). Là aussi, la gauche est très active, dans une situation historique extrêmement fascinante puisque c’est elle, au XIXe siècle, dans sa tendance universaliste, qui initia et soutint la colonisation, la droite étant réservée ou franchement hostile à ce mouvement. Même si le wokenisme-France entend annexer le phénomène, on se trouve dans un cas de figure complètement étranger à celui des USA. (Sauf, certes, pour l’action subversive conduite depuis des années par des services gouvernementaux US dans les banlieues.)
• Enfin, il y a un aspect du phénomène qui échappe complètement dans sa chronologie et son rapport de causalité aux observateurs français. En général, ces observateurs relèvent avec surprise que le capitalisme US/transnational (GAFAM, Soros, la presseSystème concentrées en quelques énormes groupes de communication, Hollywood, puis d’autres qui suivent) soutient sans réserve les développements du wokenisme. En fait, le “Woke-capitalisme”, qui regroupe aujourd’hui, souvent d’une façon formelle, largement plus d’un millier d’entreprises, n’a pas choisi de soutenir un mouvement wokeniste une fois celui-ci établi, mais il a activement aidé à le faire se constituer, souvent dans des conditions ambiguës courantes aux USA où l’on retrouve une complicité active entre le capitalisme qui recherche une destruction de toutes les structures (déconstruction) pour ne pas avoir d’obstacles structurels à son expansion, et le wokenisme évidemment déconstructeur. Ainsi, par contraste avec le mouvement des droits civiques de MLK, auquel s’opposait le capitalisme par anticommunisme (selon la fiction communiste du mouvement entretenue par le FBI de J. Edgar Hoover), le wokenisme est directement et indirectement subventionné et soutenu par les grandes entreprises. On a déjà vu abondamment la façon dont fonctionnent les BLM, friqués jusqu’à la gorge, avec même une filiale globale juteuse en bénéfices, contrôlée avec jalousie par les dirigeant[e]s du mouvement. Cette corne d’abondance existe depuis la création du mouvement, qui fut constitué à partir de financements capitalistes (dont Soros, qu’il ne faut jamais oublier).
Ayant ainsi passé en revue divers éléments concernant ces divers facteurs du wokisme/wokenisme, j’en viens à ce qui est le cœur de notre sujet. Il s’agit de quelques remarques concernant le choix des néologismes fabriqués à cette occasion, – entre ‘wokisme’ et ‘wokenisme’, à partir des mots anglosaxons de ‘woke’ et ‘woken’.
‘Woken’ est le participe passé du verbe ‘to woke’ : ‘j’ai été éveillé’, ‘il a été éveillé’, etc. Ainsi s’explique-t-il que je préfère ‘wokenisme” à partir de ce participe passé qui s’applique à un état accompli (ou qui affirmé être accompli) plutôt que “wokisme” dérivé directement du verbe ‘to woke’, donc qui s’applique à un acte, impliquant que l’on fait volontairement quelque chose.
Dans ce cas du wokenisme, ‘woken’ signifie que vous êtes ‘éveillé’, qu’on vous a ‘éveillé’ (dans le cas qui nous occupe : par la fascination pour la bêtise, par l’hébétude affectiviste, par la corruption des financements du capitalisme-progressiste). Vous “êtes agi” sans autre forme de procès, cela vous est donné, ou plutôt cela vous est infligé ou forcé, – là est toute la différence, – tandis que ‘to woke’ signifie que vous allez faire, que vous faites, etc., et il s’agit alors d’un acte volontaire, d’un acte de de rien moins que du libre-arbitre. Je pense que le ‘wokenisme’ exprime mieux une affirmation d’un état imposé que ‘wokisme’ qui reconnaît l’acte individuel, voulu, pensé, etc. ‘Wokenisme’ représente mieux le caractère arbitraire, totalitaire, corrupteur, magique’ (magie de la bêtise), que le ‘wokisme’... En effet, que triomphe la bêtise !
Figaro-Vox : « Vous rappelez que l’activiste Rokhaya Diallo a retweeté le compte satirique de Titania McGrath sur Twitter qui se moque des délires woke et devance même parfois des discours progressistes. La frontière entre la parodie et le premier degré est-elle ici en voie de disparition? »
Pierre-André Taguieff : « C’est là un indice de la bêtise des nouveaux bien-pensants. Il ne s’agit pas de la bêtise ordinaire, pour ainsi dire innocente, mais d’une bêtise prétentieuse, arrogante, sophistiquée. Un esprit de sérieux idéologisé, doublé d’une roublardise plus ou moins affûtée. C’est la bêtise commune aux élites médiatiques et aux élites académiques faisant profession de “radicalité”, à Rokhaya Diallo ou Lilian Thuram en version militante, à Judith Butler ou Gayatri Chakravorty Spivak en version “théorique”, disons comiquement pédante.
» On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron. Mais la bêtise la plus redoutable, parce qu’elle passe inaperçue, c’est la bêtise des élites intellectuelles, soumises aux modes idéologiques et rhétoriques, conformistes dans leurs rêves de “radicalité” et fascinées par la violence des supposés “damnés de la terre”, censés avoir “toujours raison”.
» Rien n’est plus pitoyable que la bonne conscience et la lâcheté tranquille de ceux qui, pour paraphraser Camus, n’ont jamais placé que leur fauteuil ou leur micro dans ce qu’ils croient être le sens de l’histoire. »
Cette errance sémantique n’est pas gratuite ni inutile. Il y a non seulement le sens des mots, tel que je voudrais l’exprimer dans ce cas, mais aussi selon mon point de vue intuitif une sérieuse indication, par la diversité possible de sens ou par le caractère insaisissable du sens, de la plasticité du concept de wokenisme, de sa fragilité, de sa vulnérabilité, de sa légèreté par absence de substance. La bêtise du wokisme/wokenisme n’est pas lourde, elle est légère comme une bulle, comme un simulacre. Sa puissance d’expansion est extraordinaire, son impuissance d’incarnation l’est tout autant. Elle se décrit dans un concept absolument à l’image de l’époque totalement privée de colonne vertébrale, donc du Système : sa surpuissance communicationnelle est exactement égale à son autodestruction conceptuelle. Elle est absolument partout et elle est totalement nulle part. Elle est donc nulle partout. Elle veut détruire absolument le passé et doit donc commencer par se détruire elle-même. On lui souhaite bon vent puisqu’on sait que pour faire galoper sa barcasse, elle est occupée à creuser des trous dans la coque comme on fait tomber les statues. Elle, cette bêtise m’enchante au-delà de tout, une fois passé les spasme de dégoût qui est le signe de l’initiation.
« Farewell, my Lovely », dirait Chandler.
(*) Nous employions pour la première fois le néologisme de “wokenisme” à partir d’un texte de Howard J. Kunstler, le 21 novembre 2020. Voici la note qui accompagnait notre texte suivi de celui de Kunstler :
« Kunstler écrit ‘Wokesterism’ pour désigner cette dynamique en plein développement, et il nous a fallu nous rendre dans notre atelier ès-néologismes pour y trouver un équivalent francisé. Nous avons hésité entre ‘Wokenessisme’ et ‘Wokenisme’, sensible à la correspondance audible entre le premier avec ‘progressisme’, alors qu’il s’agit bien d’une sorte d’hyper-progressisme, de monstre sorti du “ventre fécond de la bête immonde” (progressiste, of course) ; optant finalement pour le second, moins laid, plus facilement prononçable. Nous ne sommes pas définitivement fixé et nous y reviendrons. Dans tous les cas, nous croyons qu’il faut utiliser un tel pléonasme, d’abord parce que cette extraordinaire folie est spécifiquement de développement et de production américaniste (et donc garder le mot choisi par les acteurs eux-mêmes) ; ensuite parce que les équivalents hors-USA, tels que ‘nouvelle gauche’, ‘gauche moderne’, ‘gauchisme’ ou ‘hypergauchisme’, voire ‘marxisme culturel’ et ‘grascisme’ (de Gramsci) que certains intellectuels US eux-mêmes utilisent, etc., – ces équivalents sont d’une platitude et surtout, surtout, d’un anachronisme qui ne nous disent rien de l’importance du mouvement. »
Le terme ‘Wokesterism’ employé par Kunstler est lui-même institutionnalisé comme l’indique ces précisions plus ou moins généalogiques de ‘Collegium.fandom.com’ (inconnu au bataillon), avec l’intéressante précision de renvoyer à un puritanisme anglo-saxon, toujours avec l’initiale et initiatique “obsession de la pureté sexuelle”. Puisqu’il s’agit d’une “narrative de cul” (expression hors-contexte et certainement du type ‘fachosphère’ comme l’on dit “anglosphère”, dont je refuse conformément à la Convention de Genève d’assumer la moindre responsabilité), – c’est dire si l’ami-LGTBQ+ n’est pas si loin...
Donc, selon ‘Collegium.fandom.com’ : « Le wokestérisme, également appelé wokeisme [“wokisme ?”], est un terme qui a été utilisé pour désigner la soi-disant Gauche-Woke. J’ai commencé à comparer le wokesterisme actuel avec l’obsession anglaise de l'ère victorienne pour la pureté sexuelle, je pense qu'il a la même cause profonde, c'est une façon de s'établir comme moralement supérieur à la classe ouvrière et donc de justifier l’exploitation.
» Garushulion, 20 Septembre 2019.
» [Ajout] 14 déc. 2018 - La théorie de Sullivan est que le wokesterisme est un remplacement improvisé du christianisme américain sclérosé, pour combler le vide entropique ... »
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