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3959L’effarante attitude US a des fondements gnostiques et théologico-politiques. La démocratie c’est Dieu et les USA c’est Dieu sur terre, dont la mission est de soumettre. L’historien Richard Gamble qui a participé à un bel ouvrage libertarien sur la montée du fascisme présidentiel/mondialisé made in USA, va nous aider à nous y retrouver. Il a étudié Woodrow Wilson dont la folie théologique fut incomparable :
« Typique de l'esprit progressiste qui a persisté jusque dans les années 1920, Alderman a félicité Wilson pour avoir redéfini l'Amérique « comme serviteur, ministre, ami ... parmi les nations » et pour avoir établi sa politique étrangère sur le principe du service à l'humanité plutôt que sur des intérêts nationaux égoïstes. En effet, Wilson avait convoqué l’Amérique à une croisade et non à une guerre ».
Un rappel : cette mentalité d’excité du logos, de guerrier du droit et de croisé démocratique, nous ne la devons pas en France aux américains mais à un mélange abscons de d’illuminisme thaumaturge et d’excitation révolutionnaire.Même Robespierre dénonça les missionnaires armés. Voyez mon livre Le Coq hérétique (1997) publié aux Belles Lettres par mon ami libertarien Michel Desgranges.
Mais la pathologie américaine est plus dangereuse et durable que la française, qui joue, comme la britannique, au peu brillant second des ricains maintenant.
Gamble poursuit en citant Rothbard :
«Rothbard avait raison de voir ce lien avec les présupposés théologiques guidant le clergé de l’évangile social et ses alliés politiques et universitaires dans la construction de l’État interventionniste moderne. Mais dans le cas de Wilson, l’effort de créer un paradis sur terre s’inscrit dans le problème théologique plus vaste du gnosticisme politique identifié par Eric Voegelin. »
Qu’est-ce que ce gnosticisme politicien alors ?
« Wilson caractérise le profil du prophète gnostique. Le gnosticisme, dans l'utilisation du mot par Voegelin, est la tentative moderne d'infuser une histoire humaine profane et séculaire à la mission transcendante du royaume de Dieu.Le prophète gnostique est un dirigeant, un saint, convaincu de sa propre commande divine, qui prétend connaître avec une certitude absolue la direction et la résolution de l'histoire, le mouvement inexorable des affaires humaines vers une réalisation apocalyptique. Le prophète gnostique promet de s'émanciper des contraintes du passé, promet l'abolition de la guerre et de l'oppression, ainsi que le grand avènement de la paix, de la justice et de la justice universelles et éternelles.Voegelin a écrit que les gnostiques "ne laisseront pas la transfiguration du monde à la grâce de Dieu au-delà de l'histoire, mais feront l'œuvre de Dieu lui-même, ici et maintenant, dans l'histoire".
Ce prêchi-prêcha cache comme on sait de sordides intérêts matériels. L’ami de Tocqueville Gustave de Beaumont avait déjà dénoncé le professionnalisme missionnaire US :
« Le ministère religieux devient une carrière dans laquelle on entre à tout âge, dans toute position et selon les circonstances. Tel que vous voyez à la tête d'une congrégation respectable a commencé par être marchand ; son commerce étant tombé, il s'est fait ministre ; cet autre a débuté par le sacerdoce, mais dès qu'il a eu quelque somme d'argent à sa disposition, il a laissé la chaire pour le négoce. Aux yeux d'un grand nombre, le ministère religieux est une véritable carrière industrielle. »
Notremissionnaire industrielveut alors refaire le monde, quitte à le détruire, comme un manichéen ou un anabaptiste (Murray Rothbard en a bien parlé aussi de ce millénarisme protestant/communiste qui avat mis le feu à l’Europe) :
«Ils prennent en main la refonte du monde. De plus, ils ont tendance à diviser le monde en deux camps - clair et obscur - et à interpréter tous les désaccords politiques et les guerres comme des luttes absolues entre le royaume de Dieu et les forces de Satan. La guerre ordinaire devient le Jugement dernier, chaque bataille devient l'Armageddon.
Wilson n'était pas le premier des prophètes gnostiques américains. Le gnosticisme d'Abraham Lincoln, par exemple, est évident dans tous ses discours. "
Problème, un président belliqueux est un président célèbre et célébré par les livres d’histoire : Lincoln, Roosevelt I et II, Wilson, Bush I et II, Truman…
Richard Gamble rappelle que Wilson adorait la guerre :
«Et lors de son premier mandat, Wilson a montré sa foi par ses œuvres en intervenant militairement au Mexique (1914), en Haïti (1915) et en République dominicaine (1916). Ses discours de guerre, tels que le discours extravagant "Paix sans victoire" (22 janvier 1917), le Message de guerre (2 avril 1917) et les quatorze Points (8 janvier 1918), font écho avec l'attente millénariste de la guerre finale et de la dernière croisade. Wilson brûle avec des aspirations gnostiques hyper-spiritualisées, pour échapper à l’histoire, à la matérialité et à la contingence. Wilson a déformé une guerre plutôt conventionnelle, menée pour des objectifs territoriaux et dynastiques conventionnels, en quelque chose de méconnaissable, en une transformation apocalyptique de la nature et de la réalité humaines. ”
Et Gamble de donner la finalité du délire politico-théologique en citant le fameux colonel House, Saint-Jean-Baptiste du mondialisme :
«De son propre aveu, Wilson a mené la guerre de 1917 à 1918, non par crainte pour la sécurité américaine ou pour défendre les intérêts ou l’honneur des États-Unis, mais plutôt par sens de la mission et du service rendu à l’humanité pour obéir à une autocratie au nom de la démocratie et de la paix, pour mettre fin aux empires multinationaux au nom de l'autodétermination de tous les peuples et pour transcender les politiques d'équilibre des pouvoirs au nom de la bienveillance et de la fraternité. Sous les conseils de son plus proche conseiller officieux, le colonel Edward M. House, Wilson a toujours différencié le peuple allemand de son gouvernement afin de saper la légitimité de la monarchie allemande. "
On sait que la folie de Wilson fit de ce prêcheur des ondes très courtes l’oncle des bolchéviques et de Hitler: il refusa la paix du pape Benoît XV en 1917. Et :
"Si le Kaiser avait abdiqué en faveur de son fils et d'une monarchie constitutionnelle, Adolf Hitler aurait pu rester inconnu du monde." Malheureusement, une réflexion claire sur les conséquences de l'entrée de l'Amérique dans la Grande Guerre semble impossible. C'est devenu une orthodoxie inattaquable. En particulier chez les néo-conservateurs, il s’agissait du retrait des États-Unis d’Europe après 1918 - toujours considéré comme un "repli" ou "la chute" dans l’isolationnisme - et du refus des États-Unis de rejoindre la Société des Nations qui ouvrit la voie à Hitler et précipita la deuxième guerre mondiale.On a toutefois démontré de façon plus convaincante que l’entrée de l’Amérique en Europe en 1917 et la «guerre populaire» révolutionnaire de Wilson, comme il l’appelait autrefois, en sont les principaux coupables.
Wilson a semé les germes de la Seconde Guerre mondiale en garantissant l'instabilité politique et en créant un vide de pouvoir au cœur de l'Europe. ”
La haine impériale ne frappait pas alors l’empire britannique (Franklin Roosevelt, incapable de vaincre la crise de 29, poussera à la guerre et liquidera les héritages britannique et français – lisez de Gaulle) :
«Wilson s’est efforcé de démanteler systématiquement les empires allemand, autrichien et hongrois, ainsi que les Turcs ottomans, tout en défendant les vertus de l’impérialisme progressif" éclairé "de la Grande-Bretagne et des États-Unis."
L’illuminé Wilson veut libérer le monde – à la manière de Lincoln, qui tua 600 000 américains pour sauver l’Union. Gamble commente les fameux quatorze points :
«Les implications révolutionnaires des Quatorze Points étaient bien comprises à l'époque, même par la presse américaine. Le New York Tribune, par exemple, avait réagi le lendemain du discours en qualifiant les Quatorze Points de Wilson de "seconde proclamation d'émancipation". "Comme Lincoln a libéré les esclaves du Sud il y a un demi-siècle", ont écrit les rédacteurs, faisant l'analogie inévitable des Progressistes, "M. Wilson engage maintenant son pays à lutter pour la libération du Belge et du Polonais, du Serbe et du Roumain. «Les Quatorze Points étaient un effort direct pour réorganiser l’Europe, marquant une entrée sans précédent des États-Unis dans les affaires européennes…»
Rendre l’homme esclave des idéaux, telle est alors la mission américaine. La fin des races, des sexes, des peuples, l’avènement du robot pour oligarque accomplissent actuellement l’idéal américain.
Gamble écrit lui sur cette guerre éternelle :
«Les historiens qui excusent l'excès rhétorique de Wilson et le caractère irréalisable de ses projets millénaires ont tendance à faire appel à son idéalisme. Mais Wilson était dangereux précisément à cause de son idéalisme. À cet égard, le président de l'université de Virginie, Alderman, a déclaré qu'il ne se rendait pas compte de son éloge funèbre lorsqu'il a observé que Wilson était "un maître et n quelque sorte un esclave d'idées et de slogans. »
Gamble ajoute :
"La tragédie de l'histoire ultérieure de l'Amérique est que Wilson asservit son pays à ces mêmes idées et idéaux. De telles illusions conduisirent inévitablement à la" guerre perpétuelle pour la paix perpétuelle " que Charles Beard avait prophétisée. Wilson provoqua la révolution en Europe, mais plus important encore, il a mené à bien une révolution en Amérique - une révolution dans la façon dont nous nous comprenons et assumons notre responsabilité envers le reste du monde. "
Et Gamble de conclure – un peu à la manière du Dostoïevski des Démons – que Wilson fut plus révolutionnaire que Lénine :
"Nous devons réévaluer la place de Wilson dans le Panthéon américain et reconnaître, selon les mots de John Lukacs, que Wilson, et non Lénine," s'est avéré être le véritable révolutionnaire ".
En effet : l’américanisme est un stupéfiant moins soluble que le communisme… Demandez aux yéménites, aux iraniens ou aux vénézuéliens ce qu’ils en pensent.
Tout cela ne doit pourtant pas nous faire négliger l’essentiel :c’est en faisant les fous que les Américains sont devenus les maîtres d’un monde qui continue pour l’essentiel à leur obéir : chapeau les artistes !
Et comme nous évoquions Dostoïevski, qui a génialement évoqué le charisme américain dans son livre le moins compris, nous citerons une modeste étude :
« Dans Les Possédés aussi, Dostoïevski envoie son équipe d’illuminés en Amérique où ils effectuent un stage. Cela donne la perle suivante où des apprentis célèbrent un millionnaire :
« Il a légué toute son immense fortune aux fabriques et aux sciences positives, son squelette à l’académie de la ville où il résidait, et sa peau pour faire un tambour, à condition que nuit et jour on exécuterait sur ce tambour l’hymne national de l’Amérique. Hélas ! Nous sommes des pygmées comparativement aux citoyens des États-Unis… »
Car l’Amérique est la puissance mimétique de René Girard, celle que tous doivent imiter. Les illuminés expliquent leur complexe d’infériorité et leur relation hypnotisée :
« …nous avions posé en principe que nous autres Russes, nous étions vis-à-vis des Américains comme de petits enfants, et qu’il fallait être né en Amérique ou du moins y avoir vécu de longues années pour se trouver au niveau de ce peuple. »
Woodrow Wilson's revolution within the form by Richard M. Gamble, – Reassessing the presidency (Mises.org)
Fiodor Dostoïevski – Les Démons (ou les possédés, ebooksgratuits.com)
Gustave de Beaumont – Marie, ou de l’esclavage (Classiques.uqac.ca)
Nicolas Bonnal – Dostoïevski et la modernité occidentale (Amazon.fr) ; le coq hérétique (les Belles Lettres)