Xi et Vlad, main dans la main

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Xi et Vlad, main dans la main

• Les présidents russe et chinois se sont rencontrés à Pékin, ils ont parlé, ils ont découvert qu’ils étaient d’accord et ils signent un communiqué où, pour la première fois de façon opérationnelle alors que gronde la crise, la Chine condamne autant que la Russie l’expansion de l’OTAN. • « Les parties s’opposent à la poursuite de l’expansion de l’OTAN. » • La très-grande ’“alliance stratégique” est entrée dans le monde réel comme si la chose allait de soi. • Il n’est pas sûr que les américanistes acceptent d’accepter cette vérité-de-situation.

Quoi que l’on sache, quoi que l’on ait dit des liens stratégiques entre la Russie et la Chine, voire de l’“alliance stratégique” de ces deux pays fermement établie en décembre dernier, la rencontre à Pékin des deux présidents suivie d’un communiqué où ils affirment une position semblable vis-à-vis de l’OTAN est un événement considérable. Plus encore que leur entente, le fait de l’engagement de la Chine contre l’expansion de l’OTAN, avec la Russie dont c’est la principale exigence exigée de ses “partenaires” (!) du bloc-BAO, constitue, et de loin, l’essence de cet “événement considérable”.

La Chine, puissante certes mais immémorablement prudente, toujours tout en mesure et calculant tout avant de s’engager, a fait un pas considérable en prenant sa part du fardeau russe face à l’OTAN. Même si l’on savait (bis) qu’il y a une “entente stratégique” entre Russes et Chinois, cet acte montre que la Chine est prête à transgresser ce qui fut souvent un tabou pour elle, de ne pas d’impliquer trop nettement et aussi nettement dans un théâtre stratégique lointain et hors de sa “zone d’influence/d’intérêt”. Cela montre autant la vigueur opérationnelle désormais affichée de ses liens avec Moscou que la dimension globale et universelle de son hostilité à la politiqueSystème suivie, contre toute raison, par le bloc-BAO agissant de bric et de broc.

Le texte publié par RT.com exprime par ailleurs l’étonnant oxymore diplomatique, – on peut parler ainsi dans une situation de tension échevelée et hors de contrôle, – en exprimant dans un premier paragraphe un appel des deux parties au « dialogue dans le but de réduire les tensions » et en commençant le second par « Les [deux] parties s'opposent à la poursuite de l'expansion de l'OTAN » : une main tendue pour le dialogue suivie d’une affirmation de ferme hostilité au point principal, symbolique et opérationnel, de la politiqueSystème du bloc. Pour ce cas, on peut être assuré que RT.com suit à la trace la conception politique de Poutine, rencontrant celle de Xi.

« À la suite d'une rencontre entre les deux leaders mondiaux à Pékin vendredi, avant l'ouverture des Jeux olympiques d'hiver, le Kremlin a publié le texte d'une déclaration approuvée par les deux parties, appelant au dialogue dans le but de réduire les tensions.

“Les parties s’opposent à la poursuite de l’expansion de l’OTAN et demandent à l’Alliance de l'Atlantique Nord de s’abstenir des approches idéologiques de l'époque de la guerre froide”, peut-on y lire, ainsi que d'exhorter le bloc “à respecter la souveraineté, la sécurité, les intérêts des autres pays et la diversité de leurs voies civilisationnelles et culturelles-historiques ; et à traiter le développement pacifique des autres gouvernements de manière objective et équitable."

» Les deux pays ont également souligné la nécessité d'une coopération entre les gouvernements du monde entier [etc...] »

Suit un long exercice de bonnes intentions des deux partie, exhortation à la paix, dans un univers multipolaire, sous l’arbitrage des règles internationales dont l’ONU doit être instituée comme l’autorité de référence. Puis vient un rappel du contexte principal, dans tous les cas pour les Russes, mais donc avec les Chinois à leur côté :

« ...La rencontre entre Poutine et Xi, qui constitue la première rencontre en face à face [en “présentiel” !] du dirigeant chinois depuis le début de la pandémie de coronavirus, intervient au milieu d'une série d'avertissements des dirigeants occidentaux selon lesquels Moscou s’apprêterait à lancer une invasion de l’Ukraine voisine. Ils ont fait état d’un renforcement des troupes près de la frontière commune, ainsi que d’exercices militaires conjoints à grande échelle au Belarus voisin. »

L’intérêt de la situation à la lumière de ce coup d’éclat est de voir comment l’autre côté, le bloc-BAO et les USA particulièrement, vont appréhender cet événement de la rencontre Xi-Poutine. D’abord, il y a notre conviction qu’à ce point de la crise, que les USA se sont faits leur religion, – c’est-à-dire qu’ils ont, grâce à leur perception particulière et extra-sensorielle des événements, jugé que les événements confirmaient ce qu’ils pensaient déjà.  Le jugement des officiers et des fantassins de l’américanisme, essentiellement ceux qui dirigent le pays, est aussi exceptionnel et immuable qu’est leur pays. De ce fait aussi immuable que le marbre, nous tirons l’idée qui serait plutôt un constat pour notre compte, c’est-à-dire notre appréciation objective que la rencontre Poutine-Xi et l’affirmation opérationnelle de la Chine ne changeront rien à l’appréciation des USA.

Par conséquent, nous jugerions que la position réelle des USA est particulièrement bien exposée dans toute son ambiguïté, voire sa “croyance” et sa “foi” qui vont d’elles-mêmes, dans ces réponses à des questions directes sur les relations Russie-Chine concernant l’Ukraine, par le porte-parole du département d’État Ned Price à la conférence de presse pour la presse (US, certes) accréditée du ministère, hier 3 février. Les réponses sont très circonstanciées, beaucoup plus librement que ne ferait le secrétaire d’État, et en plus sans nécessité de prendre des gants ou de dissimuler ce qu’il peut y avoir d’exceptionnellement spéculatif dans ces réponses, – parce que nous sommes entre Américains, gens exceptionnels d’un pays qu’il ne l’est pas moins, s’il en est. (A noter par ailleurs que cette conférence de presse est émaillée d’une interminable bataille entre Ned Price et le journaliste Matt Lee, de AP, demandant à voir les nième “preuves récemment déclassifiées” de la nième préparation du nième ‘false flag’ préparé par les Russes en Ukraine pour y entreprendre la nième “invasion”...)

Question : « Oui. Toujours à propos de la Russie, le ministre russe des Affaires étrangères a rencontré son homologue chinois et la Chine a exprimé sa compréhension et son soutien à la position de la Russie concernant les États-Unis et l'OTAN. Ils parlent de positions coordonnées entre la Chine et la Russie. Est-ce que cela vous préoccupe qu'il y ait ce genre de nouvelle alliance qui semble se former en opposition aux intérêts politiques américains dans le monde ? »

Ned Price : « Je voudrais faire deux remarques. Premièrement - et c'est quelque chose dont nous avons discuté il y a quelques jours, mais le secrétaire Blinken a eu l’occasion de parler au ministre des Affaires étrangères Wang de la RPC [République Populaire de Chine] la semaine dernière, et dans le cadre de cette conversation, le secrétaire et le ministre des Affaires étrangères ont discuté des tensions qui sont le résultat, – le résultat des provocations inutiles de Moscou et du renforcement militaire et des implications potentielles d'une incursion ou d'une invasion russe en Ukraine. Il s'agit d'une éventualité qui pose des risques non seulement pour l'Ukraine, l'Europe et les États-Unis, mais bien au-delà, y compris pour la RPC. La sécurité mondiale et les risques économiques posés par une nouvelle agression russe seraient énormes et auraient des conséquences non seulement pour l'Ukraine, l'Europe, la communauté transatlantique, mais aussi pour la RPC.

» Le deuxième point concerne certaines des mesures que nous prenons pour tenter de dissuader ce qui pourrait être une nouvelle agression de la part de la Russie, à savoir les conséquences économiques et financières qui, selon nous, s'abattraient sur la Fédération de Russie s'il y avait... si cela devait aller de l’avant. De même, ces conséquences seraient massives pour le Kremlin. Si la Russie pense qu'elle sera en mesure de compenser certaines de ces conséquences, d'atténuer certaines de ces conséquences par une relation plus étroite avec la RPC, ce n'est pas le cas. En fait, cela rendra l'économie russe plus fragile à bien des égards. Si vous regardez, par exemple, d'où viennent les principaux intrants des technologies fondamentales, ils viennent toujours de l'Ouest. Si vous vous privez de la possibilité d'effectuer des transactions avec l’Occident, d'importer avec l'Occident, – d’Europe, des Etats-Unis, – vous allez considérablement dégrader votre capacité de production et votre potentiel d'innovation.

» Poutine sait que cela aurait des conséquences considérables pour son pays et son économie. Ce n’est pas une relation plus étroite avec la RPC, – qui va compenser [ces conséquences] ; ce n’est absolument pas suffisant.

» Un dernier point. Nous disposons, – et quand je dis “nous”, je veux dire collectivement, les États-Unis et nos alliés et partenaires – d’un éventail d'outils que nous pouvons déployer si nous constatons que des entreprises étrangères, y compris celles de Chine, font de leur mieux pour se soustraire aux mesures américaines de contrôle des exportations, pour les contourner. Je ne voudrais pas spéculer sur ce que sont ces outils, mais nous avons des outils qui peuvent répondre à cela, et qui chercheraient à rendre compte de cela. »

Question : « Mais vous avez dit qu’une relation plus étroite avec la Chine rendrait en fait leur position, – la position de la Russie – plus fragile. Comment cela se produirait-il ? »

Ned Price : « Parce que cela rendrait l'économie russe dépendante d'une seule économie, ou beaucoup plus dépendante d'une seule économie. C’est la recette d’une catastrophe pour l’économie russe si Poutine pense que les mesures dont nous avons parlé n’auront pas le mordant, n’auront pas les conséquences dont nous l'avons averti. Et aucun partenariat ne peut rendre compte de l'énorme bilan économique dont nous avons parlé, compte tenu des outils financiers dont nous disposons, des sanctions dont nous disposons et des mesures de contrôle des exportations, entre autres, que nous sommes en mesure de prendre. »

Question : « Mais vous avez dit que le secrétaire d'État Blinken a parlé au ministre des Affaires étrangères Wang et a essayé de faire valoir ce point de vue, mais il semble, d'après ce qu'ils ont dit aujourd'hui, que les Chinois ne l'ont pas pris en compte. Êtes-vous...  êtes-vous inquiet que les Chinois ne soient pas d'accord avec ce que vous avancez ici ? »

Ned Price : « Je laisse à la RPC le soin de définir sa position. Je pense que ce que vous avez entendu publiquement de la part de la RPC, y compris dans le contexte de l'ONU en début de semaine, c'est que la RPC, – comme nous, comme à peu près tous les autres pays du monde, – préférerait voir une solution diplomatique à la crise que la Russie a inutilement provoquée. »

Tout cela est évidemment à disperser en morceaux d’infamie si l’on veut faire une nième critique de la narrative américaniste. Nous essayons néanmoins de suivre ce développement ebn adoptant le point de vue américaniste.

On voit bien comment Price traite la question de la Chine, la PRC : toujours à part, toujours la distançant de la Russie, jusqu’à donner à la Chine une fauteuil d’orchestre dans le concert d’ « à peu près tous les autres pays du monde », pour vouloir la paix dans le monde et isoler la monstrueuse Russie qui, à elle seule, menace cette précieuse paix. En lisant ce qui précède, on comprend bien que la Chine n’a pas grand’chose à voir ni à faire avec ce voyou de Poutine, qu’elle a, la chanceuse, une place bien au chaud, – fauteuil d’orchestre, – sur le pont d’envol du très-grand porte-avions d’attaquer USS ‘Camp du Bien’.  

Notre conviction, dans cette crise ukrainienne, est que les psychologies américanistes sont bloquées, – c’est effectivement leur posture habituelle, le blocage psychologique, – sur une certitude s’appuyant sur tous les simulacres et mensonges dont elles nourrissent leur pensée. En quelques mots pour décrire la projection à laquelle les acteurs américanistes assistent dans la caverne, disons que la Russie est bien entendu seule et isolée, chien galeux du troupeau virginal de la communauté internationale emmenée par le USS ‘Joe Biden’ ; et les psychologies américanistes se trouvent bloquées dans cette perception parce que cette idée de l’immonde Russie affreusement isolée est le fondement de leur stratégie, et que leur stratégie est évidemment, exceptionnellement juste. (Accessoirement, les américanistes sont également assurés que les USA sont militairement, technologiquement, économiquement, moralement supérieurs à la Russie, – point final. Mais cela est une autre question à débattre, ou plutôt un autre simulacre à crever.)

Par conséquent, pour les américanistes, la Chine n’est alliée à la Russie en aucune façon, même si elle feint de l’être. Le communiqué Poutine-Xi ne change rien à la certitude. Par ailleurs, les USA peuvent évidemment imaginer qu’ils pourraient offrir à la    Russie une alliance pour attaquer la Chine, ou bien tout seul, comme des grands, anéantir la Chine sans que nul ne bouge. Toutes ces idées sont placées dans des casiers différents des cerveaux en question, sans la moindre possibilité de communication, donc sans confrontation logique possible : tout cela est, en rang d’oignon, sans un pli, – point final.

C’est dire si les stratèges de l’américanisme, finalement, enregistrent l’accord Poutine-Xi sans y croire vraiment, sans y croire une seconde au fond. On voit alors que les univers parallèles qui s’opposent s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre du point de vue des réalités opérationnelles (et nous savons, nous, bien entendu, où se situe la vérité-de-situation). En même temps qu’ils s’éloignent par la perception, ils se rapprochent dangereusement dans le temps opérationnel ; en même temps que les psychologies américanistes se convainquent de leurs diverses lubies, en même temps l’acteur sino-russe mesure qu’il a à faire à une démence de plus en plus profonde, irrémédiable, sans véritable espoir de retour à la raison.

Conclura qui voudra...  Reste qu’il y a toujours et de plus en plus l’hypothèse, alimentée par les dynamiques en cours, que le risque est grand que les deux univers vont devoir se confronter à une situation opérationnelle commune, – une vérité-de-situation là aussi. Cette étrange tragédie-bouffe que les USA entretiennent avec une constance exceptionnelle (là encore) pourrait alors rendre impossible autre chose qu’une confrontation opérationnelle où la Chine sera nécessairement au côté de la Russie.

 

Mis en ligne le 4 février 2022 à 20H10