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800Les interventions publiques de Zbigniew Brzezinski sont rares. L’homme est âgé et plutôt discret à cet égard, alors que certains lui prêtent une influence considérable sur l’actuel président des USA et sur sa politique étrangère. Cette appréciation va jusqu’à faire de Brzezinski l’inspirateur de certains aspects fondamentaux qu’on croit deviner dans cette politique étrangère, notamment dans ce qu’on lui imagine de vastes desseins cachés et de grandes manœuvres d’enveloppement victorieuses, habilement dissimulés sous l’apparence de la déroute, de la défaite et du chaos (de cette même puissance). Donc, quand Zbig parle, écoutons-le.
Dans la même logique proposée, Brzezinski est perçu comme un “architecte”, un stratège géopoliticien avec une vision extraordinairement planétaire, subversive et efficace. Il élabore et manie des plans complexes de subversion, d’investissement et de maîtrise des zones géopolitiques contestées, notamment dans la zone de l’“arc de crise”. (Cette expression, qui date de 1979-1980, est de lui – cela, au moins, c’est sûr – lorsqu’il était conseiller de sécurité nationale de Jimmy Carter. Elle désigne la zone allant de la corne de l’Afrique à l’Inde, avec le Moyen-Orient, l’Iran et l’Afghanistan, et un détour depuis quelques temps par les pays du Caucase.)
A la lumière de sa discrétion avérée et de son influence supposée, on lit avec d’autant plus d’intérêt les grandes lignes d’une intervention qu’il a faite à une conférence stratégique à Genève (organisée par l’IISS de Londres), telle qu’elle est rapportée dans ses grandes lignes par Jonathan Marcus, de BBC.News, ce 11 septembre 2009. L'intervention est résumée par le constat que les USA risquent, en Afghanistan, un échec équivalent à celui qu’a connu l’URSS en 1980-1988. L’observation est d’autant plus sinistrement ironique que c’est Brzezinski lui-même – cela, à la différence de son influence machiavélique sur Obama, est incontestable – qui est en bonne partie responsable de cet échec soviétique puisqu’il organisa, préventivement à l’intervention de l’URSS de décembre 1979, la constitution de la puissance de la guérilla islamiste en Afghanistan; “sinistrement ironique” à un double titre puisque c’est l’héritage de cette guérilla islamiste qui, aujourd’hui, et selon lui également, confronte les USA à la possibilité d’un destin fatal, qui pourrait équivaloir, avec ses caractères spécifiques bien entendu, celui de l’URSS.
«“In my view, we in fact are running the risk of replicating, obviously unintentionally, what happened to the Soviets,” [Brzezindski] said during the conference, organised by the London-based International Institute for Strategic Studies.
»“We went into Afghanistan almost eight years ago, and we overthrew the Taliban with 300 soldiers,” he said. “Eight years later, we are beginning to move to a level of military force which is beginning to approximate the Soviet engagement and already our top generals are saying we are not winning militarily.” […]
Brzezinski «stressed that in Afghanistan, just as with Middle East peace-making and the Iran nuclear dossier, time was running out. Mr Obama's agenda was crowded, he said. And he added there was a huge risk that this new president's performance on the international stage might not match the scale of his global ambitions.»
Brzezinski se désigne lui-même comme “un ami critique” du président Obama («In his balance sheet of President Obama's foreign policy, Mr Brzezinski placed himself as a critical friend»). Son appréciation, notamment avec cette équivalence avec l’URSS, commence à être partagée sinon très courue, aujourd’hui à Washington.
La prise de position pessimiste de Brzezinski se place dans un courant grandissant au cœur de l’establishment US, d’appréciation pessimiste de la situation afghane, avec la crainte de conséquences graves pour les USA. On observera qu’il s’agit d’une “contestation” de la narrative officielle de la prospective de la situation afghane, et que cette “contestation” existe donc à l’intérieur du système, par des membres incontestables du système – Brzezinski comme George F. Will. Les experts en place, notamment dans les think tanks influents et cossus comme la Brookings Institution ou le CSIS, continuent à faire la promotion d’une action militaire maximale, affirmant qu’aucune autre issue qu’une victoire militaire complète n’est possible et que cette victoire est évidemment possible grâce à la puissance militaire US (autre mythe nécessairement entretenu), cela suivant les thèses de ce qu’il reste du courant néo-conservateur complètement archaïque et discrédité, réduit aux miettes d’un discours dont l’hystérie retombée laisse apparaître la morne platitude des dépressions pathologiques. C’est bien entendu l’intérêt de cette situation, que la version virtualiste du système soit contestée de l’intérieur même du système, et non plus par les “dissidents” habituels (type dedefensa.org et autres redoutables organisations) qui se tiennent en-dehors du système.
Le vieux Zbigniew Brzezinski est fatigué. Il laisse donc échapper son vrai sentiment sur la situation du monde et, surtout, sur la situation de la puissance américaniste dans le monde, implicitement perçue comme la duplication étrange de la situation de l’URSS sur sa fin. Nous ne sommes plus au temps du Grand Echiquier (1997), son maître-bouquin de grand architecte géopoliticien, qui fut alors perçu comme une “feuille de route” de l’investissement du monde par les USA, qui excita bien des imaginations inclinées à voir dans le système américaniste des qualités machiavéliques hors du commun de maîtrise de la situation du monde. Mais non, ce système-là est comme les autres, faillible à merci, et sa chute fera d’autant plus de bruit et de dégâts qu’elle sera lourde de tant de puissance usurpée, de tant d’ambitions et de vanités accumulées en une vision virtualiste de la situation du monde.
Mis en ligne le 14 septembre 2009 à 06H29
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