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278820 juillet 2017 – Je vais jouer au “franc-jeu de la chronologie”, non par devise de bon esprit mais parce qu’on trouvera dans ce procédé autant mes réflexions sur l’affaires (la “crise“ devenue crise, on verra plus loin) que mes réactions devant les effets de l’affaire devenue cette crise. Je parle du brouhaha français, considérable et significatif, accompagnant la démission du CEM (Chef d’État-Major), le général Pierre de Villiers.
D’abord et dès appris la nouvelle, hier matin, j’écrivis ceci qui donne ma première impression :
« Ce monsieur Arnaud Benedetti, qui est professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne, a fait un texte assez juste sur le baston Macron-Villiers, le 17 juillet, sur Figaro-Vox, deux jours avant la démission du CEM. Le thème, repris par d’autres, est assez classique : “quand l’on est un vrai chef, on n’a pas besoin de le dire”, “l’autorité n’est pas quelque chose qui se dit mais quelque chose qui se fait sentir”, etc. Le titre du texte de Benedetti, c’est « N’est pas de Gaulle qui veut », et l’entame (alors qu’on ne connaît pas encore la décision de Villiers, qui aggrave considérablement la “crise”), c’est ceci :
» “En quatre mots : ‘je suis votre chef’, le tout jeune Président vient de déclencher peut-être l’une des crises les plus aiguës, toute proportion gardée, entre le pouvoir civil et l’institution militaire depuis Avril 1961, date du putsch avorté d’Alger ...”
» Je trouve qu’effectivement il y a grand intérêt, et intérêt instructif, à “garder toutes les proportions” tant les deux affaires évoquées sont de proportions différentes. Avril 1961, je connais bien puisque j’avais 17 ans et que j’étais à Alger, c’était quand même autre chose qu’un mot un peu leste concernant un chiffre budgétaire, et encore qui n’a fait “crise” que dans la mesure où il y a eu fuite. Certes, il y a “crise” tout de même, puisque démission du CEM, après le discours d’un président de la république tout jeune qui s’est exprimé avec une maladresse extraordinairement infantile et a fabriqué tout seul sa “crise”. Donc, – pardonnez-moi mais c’est mon obsession actuelle, – simulacre de “crise”, mais dans une époque qui n’est elle-même qu’un simulacre le “simulacre de crise” devient une vraie crise et tout le monde va devoir souquer ferme pour tenter de rattraper la chose et mettre un peu d’ordre dans cet inutile bordel ; cela, en attendant le bouquin que le général Pierre de Villiers ne manquera pas d’écrire avec les conseils éclairés de son frère Philipe qui connaît la chanson dans le genre Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu... Le téléphone a dû chauffer ces derniers jours, entre Pierre et Philippe.
» (Pour le coup, je laisse finalement tomber les guillemets, puisqu’effectivement la “crise” en forme de sac de nœud accouche d’une vraie crise. Quant au président, il devrait chercher un communicant, celui qui rédige ses discours, pour dire les choses un peu moins sottement, – à moins qu’il ne soit lui-même l’auteur du mot et alors il n’a pas fini de valser au son de ses maladresses puériles... Là-dessus, on verra.)
» Dans cette affaire il y a plusieurs affaires, ou bien si l’on veut, dans cette crise il y a le signe de plusieurs crises. La première j’en ai dit un mot et on en dit chaque jour à la louche sur le site dedefensa.org : “simulacre de crise” qui devient crise parce que l’époque n’est qu’un monstrueux simulacre, que la communication domine, sinon écrase tout. Mais une autre crise qui a été effleurée, c’est celle du fait militaire, dans une époque qui affirme que le temps de la violence et des guerres est passé puisque la postmodernité clôt définitivement l’Histoire et qui passe son temps à guerroyer en dépit du bon sens, à remporter des victoires par la bombe qui entraîne automatiquement des déroutes chez tous les acteurs de la chose, dans tous les autres domaines que celui de la bombe : politique, culturel, psychologique. Cette époque, pour le “fait militaire”, a commencé dans les années 1990, avec la doctrine d’inspiration US évidemment du “zéro-mort” (pour soi-même)... »
... Et voilà que je ne poursuis pas cette piste, qui pourrait pourtant conduire à d’intéressantes supputations. Je pose ma plume, laisse reposer le texte pour m’atteler à d’autres tâches, puis y revient en fin d’après-midi (d’hier) pour “sentir l’atmosphère” en m’en allant voir sur les chaînes TV d’information.
« Atmosphère ! Atmosphère !... », apostrophait la sublime Arletty : en fait d’“atmosphère”, je me trouve plongé dans un tourbillon, un ouragan, dans tous les débats, tables rondes, échanges divers sur les chaînes diverses, avec une exceptionnelle quasi-unanimité qui, pour une fois, ne me choque nullement ni ne m’indispose car il n’y a là-dedans ni conformisme ni simulacre, car il y a là-dedans du vrai, une vérité-de-situation considérable... Autant pour ce que j’ai dit plus haut : le “simulacre de crise” s’est transmuté dans ma perception en une véritable crise, profonde, significative et révélatrice. Mea Culpa, Mea Maxima Culpa, mais extrêmement significatif, instructif, prodigieusement intéressant dans sa raison d’être.
Que se passe-t-il, de mon point de vue ?
Expédions ce qui devient l’accessoire. Le président Macron a non seulement commis une faute, il s’est conduit fort bassement et stupidement. En Belgique, on réglerait ça d’un « c’est un p’tit gamin d’merde » ; quand j’étais très jeune et que le parler était plus net et sans fioritures postmodernes, on disait : « Il a fait le fanfaron ». Vous voyez le niveau, pour mon compte... Le seul à manquer de hauteur dans cette affaire devenue crise, c’est lui qui aurait voulu en avoir ; là se trouvent les seuls débris d’inversion et de simulacre de cette crise. Toute la communication effrénée sur ce cas a permis de comprendre que s’il ne trouve pas l’instinct, ce président-là, s’il n’est pas éclairé par l’intuition pour rattraper sa faute qui est en plus une grave erreur politique, il va en avaler des vertes et des pas mûres.
Enfin, dire quelques mots “politiques” sur le cas... Comment ce type, ce Zeus changé en gamin insupportable comme seul Zeus sait opérer des changements chez les mortels, n’a-t-il pas compris qu’affronter l’armée française au nom des 3% imposés par un Juncker bourré à la canette, alors que l’Europe veut nous faire croire qu’elle pédale ferme pour une défense européenne dont seules la France et son armée constituent le cœur et l’essentialité de l’opérationnalité, constituait une absurdité stratégique et un aveuglement tactique à la fois ? Comment n’a-t-il pas compris qu’il suffisait de placer d’autorité jupitérienne (vis-à-vis de Bruxelles, certes) le budget militaire français hors de la contrainte des 3% alors que la France détient toutes les clefs du rêve récurrent d’une défense européenne, face à une Allemagne châtrée qui rompt avec son souteneur américaniste et veut une défense européenne qu’elle est totalement incapable d’assumer, qu’il suffisait de cela pour que Villiers fût toujours CEM et lui (Macron) toujours triomphant jupitérien ? Absurdité stratégique et aveuglement tactique, le Zeus-devenu-gamin, qui parvient même à mettre en procès l’Europe, l’UE, et Juncker-canettes, car c’est bien cette poussée d’anti-européanisme même chez les plus orthodoxes qui se profile à Paris.
Mais j’arrête là, car ce n’est pas l’essentiel du propos.
(Cela dit, en signalant que je ne retire rien des perspectives intéressantes, – rapprochement avec Trump comme président US versus Deep State et avec Poutine, – de Macron précipité en Grande Politique. Cela continuera dans ce sens, qu’il le veuille ou pas, et même s’il n’y comprend rien, parce que les événements le veulent. Différence entre de Gaulle et Macron : de Gaulle savait qu’il agissait parce que le Ciel voulait qu’il agisse comme il le faisait, Macron agira selon les volontés du Ciel en ignorant que le Ciel existe, – à moins qu’il ne décide de se réformer lui-même avant de réformer la France, – on peut toujours rêver.)
L’essentiel du propos, voyez-vous, se résume à cette surprise formidable que j’ai éprouvée, qui est ma surprise devant ce que j’ai énoncé plus haut : l’“exceptionnelle quasi-unanimité qui, pour une fois, ne me choque nullement ni ne m’indispose car il n’y a là-dedans ni conformisme ni simulacre, car il y a là-dedans du vrai, une vérité-de-situation considérable”. Le monde de la communication, qui avait soutenu Macron dans une sorte d’hystérie collectiviste et postmoderniste qui nous rappelle bien des situations insupportables, s’est retrouvé soudé et quasi-unanime pour exprimer un respect presque sacramentel pour l’armée française, ses vertus et son chef d’Etat-Major injustement bafoué et préférant l’honneur de la démission à l’imposture de la soumission. Selon mon appréciation et me référant à la forme de l’expression nietzschéenne par excellence (“transmutation des valeurs”), il s’agit d’un renversement complet des valeurs par rapport aux habitudes du Système. On peut en goûter les fruits savoureux pour l’instant qui passe, comme l’on dit “c’est toujours ça de pris”.
J’avoue ma déficience avec presque du délice : je ne pouvais imaginer, je n’en avais pas l’audace, un tel événement au niveau de la communication qui est toute acquise au Système et qui peut pourtant comme elle le montre une fois de plus, grâce à son essence de Janus (l’essence du double !), se retourner brutalement en antiSystème. Acquise au Système en soutenant jusqu’à la mort des diabolisés adverses (Le Pen & Co) le candidat Macron érigé en ultra-idoleurocrate et globaliste, elle devient antiSystème en proclamant l’honneur, la grandeur et l’intelligence de l’armée française face au président jupitérien transformé en Sisyphe besogneux et sous-traitant de l’UE mis en procès pour avoir trahi les valeurs patriotiques françaises.
(Je ne dis pas que tout cela se passe et se dit de cette façon, je dis que tout cela sera perçu de cette façon. Par ailleurs, tous nos commentateurs-Système qui ne cessaient de répéter avec délice que l’armée est l’institution de loin la plus populaire chez les Français standards, – 75%, 80%, 90% de popularité vous disait-on selon les sondages cités.)
Alors oui, je m’incline en disant “Chapeau bas” à l’intention de ces forces suprahumaines qui ne cessent de nous surprendre. C’est une crise, une belle et bonne crise, qui propulse la France sans que personne n’y ait rien compris et n’en ai rien compris, au premier rang de ceux, les happy few, qui énoncent comme irréfragable la grandeur des principes transcendants qu’on voudrait bafouer et qui refusent de reculer en cédant aux agitations des faiseurs de simulacre. Macron, qui tient à sa stature du Zeus de l’Olympe européen, va devoir être rude à la manœuvre pour rattraper cet énorme impair. Que peut-il faire dans ce sens ? Pour notre plus grand bonheur mâtiné d’un peu d’ironie, après tout l’on peut en sourire, il va devoir en remettre des tonnes et des couches sur la grandeur des valeurs patriotiques de l’armée française, de la France éternelle, de la nécessité d’une politique souveraine et indépendante en continuant à papoter avec Trump & Poutine, le duo infernal.
Tout cela, dira-t-on, c’est de la com’, mais on dira également qu’aujourd’hui la com’ règle tout.
Dans ce domaine, les vieux guerriers type Pierre de Villiers, porteurs de noms d’une vieille et affreusement détestable aristocratie perdue dans les oubliettes de l’Histoire, savent s’y prendre et prendre complètement à contrepied les créatures de la postmodernité. Si on la considère dans son complet dépouillement, simplement du point de vue de sa nature et de sa dynamique politiques, sa démission relève finalement d’une grande stratégie de l’honneur et d’une tactique lucide de la valeur de la parole donnée. La divine surprise est bien que la basse-cour postmoderne de la communication et de la presseSystème se soit levée comme un seul homme/comme une seule femme (ou un mélange des deux), pour une standing ovation à l’intention du vieux guerrier.
Il paraît, nous disent-ils, que “cela laissera des traces”. On ne demande que ça.
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