Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.
Mai 2016 (13 articles)
J’ai, comme cela, des instincts enfouis qui me protègent, qui me privent de mes sens, de la force de l’attention, qui me poussent à repousser la chose ; le spectacle, l’image que je ne veux pas voir parce que je la connais trop bien et n’ai nul besoin d’être instruit là-dessus au risque d’une souffrance inutile ; cela va du complètement accessoire sinon presque ridicule (je ne peux supporter de voir une piqure même si je supporte assez bien qu’on m’en fasse, d’où mon regard lointain lors d’une prise de sang) à quelque chose, à l’inverse, de beaucoup plus essentiel pour moi (voir la souffrance brutale des animaux maltraités et torturés par les barbares, nous-mêmes, m’est absolument insupportable). Et puis, il y a les occurrences exceptionnelles, que je ne peux ni ne veux voir également, toujours pour m’épargner cette souffrance... Il y a la souffrance-bouffe, qui est de ne pouvoir supporter BHL, quoique je cède parfois je l’avoue, emporté par son véritable génie comique qui transcende la souffrance en plaisir des dieux-morts-de-rire ; et puis il y a la souffrance-tragique que je veux éviter, celle qui touche également à l’essentiel lors d’une occurrence, lors d’un événement. Ce fut le cas, avant-hier, avec leur cérémonie à Verdun qui ne pouvait être que catastrophique. Je ne me doutais pas qu’elle constituerait un de ces sommets du sacrilège qui vous dit, bien plus qu’une longue analyse, combien l’effondrement dans les abysses est complet, achevé, plié comme ils disent ; le sommet au tréfonds des abysses, voilà quelque prodige bien remarquable de l’inversion... Le Diable est bien parmi eux, mais, pour eux précisément, c’est bien celui de Charles Trenet (La Java du diable), diabolique comme il se doit mais aussi et surtout plein de dérision pour eux, pour ses serviteurs zélés.
Ainsi vais-je vous parler de ce que je n’ai pas vu, sinon entrevu ici et là, quelques images à un JT et un reportage sur les randonnées fun sur le champ de la bataille, et aussi les sacrément chouettes retombés économiques des commémorations sur cette ville “qui change de visage”, qui “modernise la tradition”, qui “songe à son futur grâce à son passé”, qui “se tourne résolument vers l’avenir”, et autres remarques d’une profondeur vertigineuse par les artistes du glauque cloaque caractérisant le balbutiement qui nous sert désormais de langage, – mais qui veille, toujours et encore, à cette même tendance : détruire le passé, et qu’il n’en reste plus rien façon-Hiroshima, et tenter jusqu’à perdre haleine que leur futur singulier devienne l’avenir de tous. Il y eut également un ami qui m’en parla, qui avait vu, qui s’était forcé à voir toute la cérémonie, qui en avait des larmes dans la voix. Il y a aussi ce texte de Robert Redeker, sur Figaro-Vox, ce 30 mai, qui nous dit tout de je ce que n’ai pas vu ni entendu, et qui le dit exactement comme il fallait, en nous restituant l’intensité du souvenir autant que la banalité absolument ordurière du sacrilège commémoratif : au silence méditatif et recueilli d’une cathédrale résonnant des vers de Péguy (« Mère, voici vos fils qui se sont tant battus... ») qui honorent votre âme poétique ont succédé les flons-flons, les tambours noirs et les sauts de cabri des “jeunes” parés de fluo entre les tombes du grand cimetière sous la lune éclipsée. Mais tout cela, je l’ai deviné si aisément. Je n’ai rien vu, rien entendu, par conséquent je vais vous en parler magnifiquement parce que je sais exactement ce qu’ils valent et ce qu’ils font.
(Suite)
Lisant Malaise dans la démocratie de Jean-Pierre Le Goff (déjà signalé), je vérifie aussitôt que ma vieille et profonde affection pour Tocqueville est si justifiée. Contrairement à ce qu’en disent, unanimement et au pas cadencé, les intellectuels américanistes-Système (avec les suivistes franchouillards) qui lui vouent un culte-zombie comme l’apologiste de la Démocratie américaine et justifient en son nom toutes les saloperies qui ont suivi, je tiens Tocqueville comme un antiaméricaniste à peine dissimulé par un demi-sourire de connivence et comme au fond un antimoderne. La plupart du temps, quand il est cité sur ce site, comme encore très récemment, on ne manque pas de rappeler cette observation du très-finaud Sainte-Beuve, faite à l’occasion de la mort de cet aristocrate faussement-libéral (je veux dire, sans le moindre rapport avec “notre” libéralisme) : « Tocqueville m'a tout l'air de s'attacher à la démocratie comme Pascal à la Croix : en enrageant. C'est bien pour le talent, qui n'est qu'une belle lutte ; mais pour la vérité et la plénitude de conviction cela donne à penser. »
(Curieusement, je ne tiens pas ce jugement éventuellement ambigu comme dommageable pour Tocqueville. S’il s’attache “à la démocratie”, Tocqueville, c’est parce qu’il la voit comme un fait et une tendance irrésistibles, comme une catastrophe irréversible. [Il suffit de lire ce qu’il dit des grands élans “démocratiques” de 1848 dans ses Souvenirs.] C’est à ce point que se tient la conviction dont parle Sainte-Beuve. Certes, on peut alors dire qu’il enrage, Tocqueville, et l'on comprend sa rage, comme l’on comprend celle de Pascal, obligé de passer par la religion catholique pour parler de Dieu quand l’on mesure ce qu’est devenu cette religion qui aujourd’hui nous fait l’apologie de l’Art Contemporain et nous invite, conformément aux consignes du Système, à ouvrir toutes grandes nos frontières pour que triomphe le capitalisme globalisé.)
Eh bien, grâce en soit rendue à Le Goff, l’un de ces nombreux piliers de la gauche française “sérieuse et structurée” qui est en train de virer vite fait leur cuti, nous revenons un instant à Tocqueville pour une citation assez longue qui se suffit à elle-même pour enterrer la postmodernité dans un caveau plein de paillettes éteintes et de fluo à l’éclat fanée comme une œuvre de l’Art Contemporain réduite à son rien par le passé libérateur. Le Goff a été assez mal accueilli dans le dernier carré-Système qui continue son turf, fidèle à sa rémunération mensuelle. Un exemple, dans Libé du 10 février 2016 (un peu de retard, moi, dans la lecture de Libé), une critique qui se voudrait bien cinglante contre Le Goff ; vigueur salonarde, jugement comme-il-faut, Joffrin, car c’est de lui qu’il s’agit, entretient sa ternitude comme Waterloo sa mornitude ; donc, fatwa contre Le Goff, le traître, l’antipostmoderne... Joffrin reconnaît d'ailleurs dans la prose de Le Goff, « l’éternel lamento des antimodernes si bien décrits par Antoine Compagnon ». Comme il se doit, Joffrin n’a pas lu Compagnon, comme il n’a pas lu Tocqueville, parce qu’il se trouve qu'on découvre dans Les Antimodernes bien plus de sympathie que de mépris furieux pour les susnommés, Joseph de Maistre en tête. Foutriquet de Joffrin avec sa prose de notaire qui compte ses sous ! Qualifier par extension indirecte mais logique la prose sublime et tempêtueuse de Joseph de Maistre, prince des antimodernes, d’“éternel lamento”, faut oser ! Mais comme on sait, “les cons ça ose tout, c’est même à ça...”, etc. Bref, va faire joujou avec ta poussière, Joffrin-Libé.
(Suite)
Oui, je crois qu’ils ont tous peur, monsieur Bibi Fricotin, Mélenchon, Trump et tous les autres, et moi aussi comme je l’écris. Dommage qu’on ne puisse écrire “ils ont tous angoisse, et moi aussi”, car c’est de l’inconnu terrible qui nous enveloppe impitoyablement que nous avons peur, et pour moi la peur de l’inconnu se nomme angoisse. (Seuls n’ont pas peur les hallucinés comme Hillary et les gastéropodes comme le président-poire, mais ils n’importent en rien ici et nous leur disons, comme disait Montherlant qui a droit de cité et de re-cité : « Va jouer avec cette poussière. » Notre dérision est un instant de détente et de grâce que nous nous accordons dans le cours de ce compte-rendu assez sombre.)
Cette page contrastera notablement sinon radicalement avec la précédente, sur “le Système”, où je développais une démarche construite, faite d’une réelle fermeté sur laquelle j’appuie mon antidote divin à la peur/angoisse, fait d’un élan et d’une ardeur qui sont comme une respiration qui est le souffle de la vie qui ne craint rien, même pas la mort, – pas du tout la mort, avec laquelle je ne craindrais même pas, s’il le fallait, d’avoir un rendez-vous fixé précisément et que, “fidèle à la parole donnée” comme dit Seeger, je ne manquerais pas... Mais il y a des moments où l’on s’essouffle, et ils ne sont pas rares dans ces temps maudits, et alors la peur, cette vieille compagne que je nomme angoisse comme pour me rassurer, réapparaît, toujours aussi sûre d’elle et presque méprisante... Tremble, carcasse, tu n’est que le jouet d’un destin dont je sais des choses que tu n’imagines pas ; l’inconnu qui habite ces menaces, voilà qui me glace ; et je m’insurge, en mesurant la vanité de l’insurrection, ce qui redouble l’angoisse.
Moi aussi, j’ai vu Mélenchon lors de l’émission (A2, jeudi soir, mais en enregistrement hier) qu’évoque monsieur Bibi Fricotin et, en vérité, je l’ai perçu plus comme angoissé que fatigué, c’est-à-dire habité par la peur. Mais l’on dira justement que la fatigue est une forme subtile et indirecte de la peur, alors il n’y a pas de véritable désaccord de perception. De même, j’estime que Trump a cédé à une certaine forme de peur, celle que lui ont instillée ses conseillers lorsqu’ils l’ont convaincu d’abandonner le face-à-face qu’il avait proposé à Sanders, et qui était un bel acte antiSystème d’une complicité nécessaire entre les deux. Cette peur qui est nôtre également, c’est celle du Système, et dans ce cas du Système et de ses convenances puisque c’est pour des motifs de convenance-Système qu’il (Trump) justifie son retrait d’un événement qu’il avait lui-même lancé en le justifiant par les manigances du parti démocrate contre Sanders, alors qu’il donne désormais quitus au parti adverse de ses manigances (“Maintenant que je suis le candidat quasi-officiel du parti républicaine, il me semble inapproprié de débattre avec le second [de l’autre camp]”). Deux heures avant ce communiqué, il proclamait devant une foule rassemblée à Fresno : « I’d love to debate Bernie ! » Sanders a beau jeu, et il a bien raison, de ridiculiser Trump en la circonstance, et Trump le mérite bien, qui devrait songer à ne pas trop écouter ni ses conseillers, ni la voix de sa pauvre raison de milliardaire soudain placé devant ce mystère non côté en Bourse qu’on nomme destin :
« In recent days, Donald Trump has said he wants to debate, he doesn't want to debate, he wants to debate and, now, he doesn't want to debatet. Given that there are several television networks prepared to carry this debate and donate funds to charity, I hope that he changes his mind once again and comes on board. »
(Suite)
Maintenant que l’ouragan dans notre petit monde (celui des commentaires sur ce Forum) est apaisé, maintenant qu’il apparaît fixé que le rythme et le style des commentaires sur dedefensa.org tels qu’ils sont constituent plus un signe de bonne santé qu’une sorte de repliement, je peux revenir (on dirait : paradoxalement ?) à un de ces commentaires qui m’avait arrêté dans la mesure où il ouvre la voie sur un sujet mille rabâché mais dont je crois qu’il est bon de l’aborder dans le cadre du Journal-dde.crisis, – ce qui n’a pas été fait jusqu’ici, en tant que tel, aussi précisément. Le commentaire est celui de Mr. Bryan Carreyron, que je reprends complètement, qui pose une question à laquelle il me demande donc d’apporter une réponse qui recoupe tant de textes de dedefensa.org, mais qui ajoute cette dimension d’être personnelle :
« Vous voulez des commentaires ? En voilà un ! Qu'en ferez-vous ?
» Le Système est.
» Mais, qui fait fonctionner le système, l'utilise et dans quel but ?
» Voilà qui va vous faire sortir de votre paradigme rotatif. »
Réponse, donc, parce qu’il m’intéresse diablement de préciser, pour mon compte personnel et plus seulement dans la forme plus impersonnelle courante des textes de dedefensa.org, le sujet qu’aborde la question... Donc, le Système, – ou plutôt, “toi, le Système”, comme disait le titre du film (Toi, le venin). On en parle tant, on utilise tant le mot, on reconnaît tellement son existence (“Le Système est” coupe péremptoirement notre lecteur) que jamais une explication supplémentaire à son propos n’est inutile.
Pour faire court sur son historique selon ma conception et mon rangement : le Système est l’organisation technologique et de communication du monde à partir du noyau suprémaciste BAO, mais surtout anglo-saxon, qui est une sorte d’opérationnalisation de l’événement nommé “déchaînement de la Matière”, constituant pour ma conception une rupture aussi nette que la chute du couteau de la guillotine dans l’histoire-tout-court (ou histoire-Système) contemplée par la métaphysique (c’est-à-dire métahistoire) ; qui est le moment où tout bascule, de ce qui était une civilisation, en une contre-civilisation. Vous trouvez tout cela dans une kyrielle de textes sur les près de 12.000 (11.837 exactement non compris celui-ci) figurant dans la bibliothèque-documentaire virtuelle du site ; et, bien sûr, vous trouvez tout cela dans La Grâce de l’Histoire (Tome I).
Dans mon esprit également, et toujours pour faire court, le Système c’est le Mal, et le “déchaînement de la Matière” c’est la prise du pouvoir par le Mal, avec tous les pouvoirs bientôt délégués au Système, souverain absolu et totalitaire. Disant “le Mal”, je parle évidemment du point de vue de la métaphysique. Ma représentation des effets et de l’action du Mal n’a rien à voir avec la morale, la justice, etc., mais avec les valeurs métaphysiques inverties que constitue la trilogie chronologique déstructuration-dissolution-entropisation (le “fameux” dd&e). Si l’on veut représenter cela d’une façon extrêmement concrète, presque palpable, je dirais que le Mal a pour but de déstructurer, de dissoudre les débris nés de la déstructuration, et de réduire le tout à l’état d’entropie conçu également d’un point de vue métaphysique, – c’est-à-dire le Rien, le Néant (ce pourquoi je parle également de néantisation). Cela implique que je perçois tout ce qui n’est pas le Mal, c’est-à-dire le monde tel qu’il est lorsque le Mal ne se manifeste pas, nullement en termes de morale ni de justice, mais en termes de formes qui réunissent ce que l’esprit humain traduit par des vertus telles qu’amour, bonté, esthétique, etc... Ces formes sont également une triade : harmonie-équilibre-ordre. On doit retrouver cette triade partout, comme constitutive de l’univers, et pour notre existence et notre histoire, notamment dans les plus grandes œuvres d’art, que ce soit une cathédrale, une Messe de Bach ou même le Balzac de Rodin.
(Suite)
Mazette ! Les humeurs se suivent rapprochées et ne se ressemblent pas pour autant. (Deux “humeur de crise” à la suite, du jamais-vu.) Pour cette fois, humeur étonnée et respectueuse, quoique de crise : je ne pouvais laisser passer sans m’y arrêter cet “Humeur de crise-12” où les 17 commentaires (un quasi-record pour un texte) font, en volume quantitatif, combien de fois le volume du texte du texte qu'ils commentent, – 7 fois ? 8 fois ? Du jamais-vu (suite) sur ce site où il est de notoriété publique que le commentaire est rare. Un des premiers commentateurs, Mr. Bryan Carreyron, s’exclamait, emporté par sa plume : « Vous voulez des commentaires ? En voilà un ! Qu'en ferez-vous ? »
Le fait est que je ne disais nullement que j’en voulais, des commentaires, si l’on se rappelle bien ma phrase puisque je demande qu’on lise dedefensa.org pour ce qu’il y est écrit : « Ce site, cette “publication”, dedefensa.org, est absolument remarquable par le très petit nombre de commentaires par rapport au nombre de visites (en moyenne, un peu plus de 7.000/jour). Je ne sais ce que je dois en penser, mais passons... » Les lecteurs, eux, n’ont pas “passé”. Je ne dirais pas que je m’en plains car l’expérience fut du plus grand intérêt et d’une réelle qualité mais je n’en demanderais pas autant à chaque occasion, sachant d’ailleurs que la qualité est une chose trop précieuse pour qu’on y prétende au moindre réflexe.
Je dois même à la vérité de préciser que j’avais, dans une première version de ce texte (ou plutôt d’un autre texte à venir du Journal-dde.crisis où j’avais intégré ces remarques que j’ai finalement retirées pour en faire un texte à part), fait suivre la citation ci-dessus d’une parenthèse où j’écrivais ceci : “Là, j’ai été plutôt aimable car si je m’écoutais, comme plus d’une fois je me suis menacé moi-même de le faire en me traitant de nouille de n’en rien faire, je supprimerais les Forums. Mais ce serait injuste pour une partie des commentaires, autre que celle dont je parle dans ce texte, ces commentaires où il se fait sans aucun doute que l’on y dit des choses brillantes et très intéressantes.” Il est juste de dire que j’écrivais cela au 6ème commentaire alors qu’il y en a eu 17 jusqu’à cette heure, et que l’intérêt, très diversifié, n’a pas décru.
Bien, c’est une sorte d’événement inattendu, une rencontre soudaine et nécessairement imprévue, peut-être un peu miraculeuse, où les choses se mettent à leur place et s’enchaînent, où les plumes se délient, où l’esprit règne. Cela ne modifie par fondamentalement les principes de ce site ni ne modifiera, je pense, la marche courante des commentaires autour de dedefensa.org, dont certains ont fourni des explications importantes à cette occasion. C’est un moment chaleureux, qui montre qu’une humeur de crise peut être chaleureuse elle-même, malgré la crise. Tout est donc bien : nous nous sommes parlés et, je crois, nous sommes bien entendus les uns et les autres.
Ce site, cette “publication”, dedefensa.org, est absolument remarquable par le très petit nombre de commentaires par rapport au nombre de visites (en moyenne, un peu plus de 7.000/jour). Je ne sais ce que je dois en penser, mais passons. Dans les commentaires qu’il y a tout de même, il existe une veine extrêmement tenace qui consiste en des remarques, souvent critiques, qui s’attaquent à des points, des affirmations, etc., qui n’ont rien à voir avec le sens du texte.
Je ne veux rien faire qui soit ad hominem, parce que je n’ai pas de temps pour la polémique et que ce serait contredire le sens de cette courte intervention. Je résume donc sous une forme caricaturale ou symbolique : “Vous dites que le Système s’effondre mais je ne vois rien de la sorte, il n’y a pas ‘badaboum’ et le Système est plus fort que jamais”. (La thèse de dedefensa.org est que l’effondrement se fait par en-dedans et ne peut se faire que parce que le Système est au sommet de sa surpuissance et donc “plus fort que jamais”, – cela a été dit combien de fois !) Ou encore : vous citez ceci ou cela comme signe de dissolution, mais “ceci” ou “cela” ne représente nullement un revers du Système puisqu’en réalité “ceci” ou “cela” ne représente aucun réel recul du Système. (La thèse de dedefensa.org est que ce qui compte n’est pas la réalité d’un acte, – la réalité n’existe plus, – mais la perception qu’on en a, et dans les cas cités la perception est qu’il y a recul, ou chaos à l’intérieur du Système,– donc il y a recul et chaos.)
Pourquoi mettre tout cela dans une “Humeur de crise“ ? Parce que ces remarques entretiennent la crise des esprits, notamment la mienne éventuellement, dans le sens où il y a le constat qu’il semblerait qu’écrire et encore écrire ne sert pas à grand’chose pour certains, qui ne veulent lire que ce qu’ils veulent et croient lire. L’“Humeur de crise” concerne le fait de la lecture, c’est-à-dire le bon usage notamment de la communication sans parler de l’esprit, – et, dans ce cas, nombre d’antiSystème ne sont pas en reste, loin de là, très loin de là.
Je sais bien que dedefensa.org n’est pas particulièrement fun à lire, je veux dire du point de vue des paillettes, des illustrations, des lampes clignotantes-fluo. On fait dans le genre austère, ce qui est une humeur de crise en soi, mais pour mon compte vive l’humeur de crise. (Certains auront noté que cela n’empêche pas l’ironie.) Bref, si vous lisez dedefensa.org, lisez-le tel qu’il est écrit ; s’il vous fatigue ou n’écrit pas ce que vous voulez et croyez qu’il écrit, passez outre s’il vous plaît et,éventuellement, votre chemin.
D’abord et pour me mettre en règle, et pour bien comprendre de quoi l’on parle, et surtout de quoi je veux parler, je rappelle ce passage du petit texte consacré à mon Humeur de crise-11, dont je renforce encore si cela est possible, en le citant, l’importance de l’évènement intellectuel qu’il signale, dans tous les cas dans la perception que j’en ai. Vous voyez que cela nous conduit hors de toute spéculation hasardeuse, et que cela me permet de vous parler d’Algérie sans avoir à présenter quelque justification personnelle qui trahirait, dès les premiers mots, le sens que je veux imprimer à ces réflexions, ou bien au contraire qui ferait croire à autre chose qui ne serait pas nécessairement justifié...
« Un autre aspect du bouleversement en cours, c’est la “révision mémorielle” en cours de la guerre d’Algérie. (Pour ça, voir l’‘Historiquement Show’ 238 du 15 avril, particulièrement Stéphane Courtois parlant du livre de Jean Birnbaum, ‘Un silence religieux, la gauche face au djihadisme’.) C’est un bouleversement qui intéresse ma propre mémoire, et j’y reviendrai un jour ou l’autre. Pour la situation intellectuelle française, c’est également, même si d’une autre façon, un bouleversement parce que la guerre d’Algérie dans le récit officiel actuel (la narrative, pour le coup) est la poutre-maîtresse de la dynamique intellectuelle en cours de la susdite-intelligence française. »
Notez le “C’est un bouleversement qui intéresse ma propre mémoire, et j’y reviendrai un jour ou l’autre”, et admettez que je ne perds pas de temps. Le vrai est que, depuis quelques temps, disons quelques semaines, et comme parallèlement au mouvement intellectuel général d’une réelle importance qui est signalé dans la citation, revient en moi une conscience enfouie, ou plutôt écartée, mise à part, mise en réserve, qui est la conscience que je n’en ai pas eue lorsque survinrent ces évènements terribles de la fin de cette terre, de mon Algérie-perdue.
Il est vrai, en effet, que je vécus tous ces évènements, disons des années 1958-1964, avec une sorte de détachement qui m’était venu naturellement et que je juge aujourd’hui extraordinaire, hors du commun, certains pourraient dire “insouciant”, “désinvolte” sinon “insensible” ; mais détachement qui n’est plus désormais et pour mon compte, inexplicable comme l’on aurait pu en juger sur l’instant. Depuis, il m’est arrivé bien entendu de parler notamment d’Algérie, directement ou indirectement et selon des approches qui évitaient de trop m’attarder aux évènements sinon à l’événement lui-même, qui concernaient essentiellement mes propres sentiments, les effets sur ma perception et mes conceptions générales. Rien de tout cela ne peut être renié, sans aucun doute, et même, au contraire, tout cela peut et doit se trouver renforcé, enrichi, consolidé...
(Suite)
En un sens, ce type, François H., est plus “performant” en fait de déconstruction qu’un Robespierre ou qu’un Lénine. Il a l’air bonasse du notaire de province rougissant et un peu moite qui va au boxon tirer son coup en douce, mais c’est désormais un habitué. Dans tout ce qu’il fait, François H. parvient à une quasi-perfection dans l’acte maléfique, et surtout dans l’auto-dissimulation de cet agir-là qu’il réalise comme on tire la chasse, en catimini et en col-cravate. Bref, c’est pas mon genre...
Tout cela pour dire qu’il a réussi à me faire signer une pétition, pour la première fois de ma vie. (Je suis le citoyen démocratique modèle tel que je le rêve : j’ai voté une fois dans ma vie, j’ai signé une pétition une fois dans ma vie, et cela à l’un et l’autre bout de ma vie.) Déjà, avant-hier, en lisant ceci sur RT-français, j’étais un peu mal à l’aise, – vous savez, comme lorsqu’on va s’indigner de quelque chose et que l’on ne va pas plus loin, – “à quoi bon ?”, se dit-on, épuisé de tant d’indignations diverses, et puis appelé à une tâche urgente que vous prépariez déjà... Tout de même me disais-je encore, choisir un rappeur pour célébrer Verdun, tout de même ... Et puis, autre chose à faire...
(RT : « Afin de commémorer le centenaire de la plus meurtrière des batailles de la Première Guerre mondiale, le gouvernement a décidé d’organiser un concert de rap le 29 mai. [...] L’Elysée souhaitait un rendez-vous populaire qui fasse la part belle à la jeunesse. Il a donc organisé un concert gratuit pour commémorer les cent ans de la terrible bataille de Verdun. Jusque-là, rien de bien clivant. Sauf que la tête d’affiche n’est pas pour plaire à tout le monde. C’est Black M, rappeur issu du groupe Sexion d’Assaut, qui a été choisi. Accompagné de Lefa et Abou Debeing, il chantera le 29 mai au Parc de Londres, à Verdun. »)
Hier matin, je reçois un message annonçant une pétition et m’invitant à la signer, et alors là, c’est vrai, la chose explose silencieusement dans mon esprit, se réalise, s’impose complètement et je n’y tiens plus ! Je signe aussitôt, et, pour faire suivre à qui le voudra, envoies la pétition ici ou là ; ce moment-là, à cet instant, était absolument opportun. Soudain, tout s’est assemblé dans mon esprit, et ce qu’est Verdun pour moi, et les voir là, qui ont trouvé cette trouvaille de “communicant” trouveur-de-trouvaille, absolument atroce, signe affreux d’un caractère complètement dissous, – même pas dissolu, non dissous, – d’une colonne vertébrale aussi ferme qu’un éclair au chocolat, d’un cœur sec comme un coup de trique, d’une âme aussi inspirée qu’une endive, d’une érection extrêmement molle jusqu’à pouvoir figurer comme “création contemporaine” dans un atelier d’exposition démocratique de l’Art Contemporain (AC).
(Imaginez que Monsieur Bernard Arnault, Président-directeur général de LVMH, Président de la Fondation Louis Vuitton et grand mécène devant l’éternel de l’A.C., et enfin élégant cornac et pygmalion de sa Fondation, nous dise, entre flute à champagne, cravate en soie et Mercédès coupée à sa taille : « François H. a conçu un projet grandiose, pertinent et enchanteur, fruit d’un dialogue véritable avec sa propre “bite à érection extrêmement molle”. Son œuvre répond magnifiquement à l’architecture dans la continuité d’un travail, initié dès les années 1970, où se croisent couleurs, transparence et lumière. » Si vous voulez, le travail de l’artiste dit-“bite à érection extrêmement molle” comme équivalent A.C.-postmoderne de la cathédrale gothique, – voilà, c’est cela, bite-molle versus cathédrale gothique... Le marché tranchera, on sait bien dans quel sens.)
(Suite)
J’avais d’abord intitulé cette chose “Je ne suis vraiment PAS un optimiste”, avant de réaliser, au fil de la plume, combien le pessimisme doit avoir une place triomphante, et par conséquent figurer dans le titre. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’entamer le propos en clamant bien haut, effectivement, que je ne suis ni optimisme, ni “ni un optimiste”...
Je ne fais pas de référence ad hominem pour montrer tout autant ma bonne fois que mes bonnes intentions : point de polémique, point de “duel” intellectuel, artificiel et infécond. Je prends un courant de remarques générales assez dominant (Forum) s’adressant à dedefensa.org ou à moi (c’est un peu la même chose), pour juger d’un trop grand optimisme vis-à-vis de l’état du Système et de son sort. C’est bien cela dont je veux débattre, sous la forme d’une identification et d’une clarification de ma démarche ; et cette démarche, guidée plus par mon caractère dont la raison et le jugement ne sont que des aspects, avec comme moteur l’interprétation des évènements bien plus que les références à des théories intellectuelles qui relèvent plutôt, à mon sens, de l’hybris de l’esprit et de la faiblesse de la psychologie. J’y ajoutera un élément particulier qui se nomme “la foi”, mais dans son interprétation la plus large qui est “la confiance” (fides), qui n’a aucun rapport avec l’optimisme dans l’idée que je m’en fais, mais plutôt avec la raison d’être et la raison de vivre ; l’optimisme est alors un jugement et une humeur, tandis que “raison d’être” et “raison de vivre” font partie du domaine de l’élan vital. Voilà les éléments de base.
Mon caractère est tout le contraire de l’optimisme. Si l’on voulait en juger objectivement et sans se rapporter au produit de ma raison, je dirais que je suis profondément, affreusement pessimiste. Il suffit de demander à mon entourage, où d’ailleurs personne ne me lit ; j’y suis vu en général comme un prophète de l’apocalypse à la vision lugubre et terrible, – même si je ne suis pas d’un commerce désagréable, tant s’en faut et sans crainte du paradoxe. Un optimiste, pour moi, est quelqu’un qui n’est fondamentalement pas mécontent de l’état du monde et qui est conduit à nous assurer, toutes choses acquises par ailleurs, que les choses, justement et finalement, s’amélioreront. Lorsque je dis “toutes choses acquises par ailleurs”, cela signifie précisément, “sapiens aux commandes, et ‘nos valeurs’ humanistes effectivement respectées parce que fondamentalement justes” ; pour faire bref et sommaire, l’optimiste est celui qui croit au Progrès tel qu’il est défini selon cette situation (“sapiens aux commandes...”, etc.). Rien, absolument rien de cela n’est dans mes conceptions, – et j’imagine, non j’espère qu’on s’en est aperçu.
... Donc, pessimiste et non pas optimiste, sans le moindre doute ; alors, pourquoi certains me perçoivent-ils comme optimiste ? La réponse est évidente : parce que je crois profondément à l’effondrement du Système. Nous sommes alors dans le quiproquo. Si j’étais optimiste et parce que je fais malgré tout partie du Système, je croirais que le Système, malgré ses défauts et ses effets catastrophique, reste réformable et contient un potentiel de bienfait qui l’absout de tous ses faux-pas et impostures. Je suis profondément, je dirais dans ce cas absolument et spirituellement pessimiste, et je ne vois rien et d’ailleurs je ne veux rien voir qui puisse absoudre et sauver le Système. Je ne veux rien de leur espoir, de cette “doctrine de l’optimisme” (comme l’on disait dans les années 1920, aux USA). J’ai cette attitude volontariste (“je ne veux rien voir...”) parce que je ne veux rien de ce Système, parce que je crois profondément, et je dirais même absolument et spirituellement que le Système porte le Mal en soi, – ce que je définis opérationnellement par la formule dd&e, soit la recherche de la déstructuration, de la dissolution et de l’entropisation. Ainsi l’essentiel est-il dit, à savoir qu’avec de tels sentiments, dans ce monde qui est évidemment emprisonné, régulé, abaissé par le Système, il m’est absolument et spirituellement impossible d’être optimiste. Je veux la mort du Système, je ne veux absolument aucune concession avec lui, donc je suis absolument pessimiste dans le cadre du monde que m’impose le Système, – et ainsi, à côté de mon humeur crépusculaire, suis-je parfois plein de feu et d’élan, et parfois paradoxalement plein d’une joie à peine dissimulée sinon dans l’ironie que j’essaie de mettre dans mes écrits, comme s’il s’agissait du souffle fondamental de ma vie, d’être dans de telles dispositions. Ainsi suis-je totalement en accord avec mon pessimisme, et l’on pourrait dire bien courtement mais avec le gout du paradoxe qu’on me croirait optimiste à force d’être dans cet état d’accord avec moi-même. On le dirait mais on raterait que ce pessimisme pèse aussi d’un poids terrible autant qu'il est d'une nécessité absoilue.
Maintenant, voici mes considérations tactiques à l’intérieur du pessimisme général de mon jugement. A ce stade, mon jugement est que le Système ne parviendra pas à ses buts et, ne parvenant pas à ses buts, se détruira lui-même. (C’est l’équation surpuissance-autodestruction.) Ce n’est pas de l’optimisme ni du pessimisme, c’est de la spéculation fondée sur diverses approches dont on trouve nombre d’exemple sur ce site. D’autre part, c’est le produit de ma “doctrine”, ou de ma méthode de travail si vous voulez, qui est de faire directement de la métahistoire à partir des événements courants du temps crisique que nous vivons. Ce pessimisme-là n’est pas vraiment original, il est au contraire de plus en plus répandu.
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Pour une très rare fois, je dis quelques mots sur la situation française ; situation crisique, évidemment, et situation du domaine intellectuelle. Je ne suis pas un gros lecteur des choses de la vie politique et culturelle française, ne serait-ce qu’à cause des extrêmes-basses eaux où elle croupit. Disons que je me tiens au courant, et picore de-ci de-là ; notamment avec, sur la chaîne Histoire, l’émission Historiquement Show : pas de polémique style-talk-show, pas de BHL mais un bon suivi de l’actualité, histoire et histoire des idées... Et voilà qu’une petite musique a sonné à mes oreilles.
Pour faire court, cette impression de crise profonde arrivant à son point de basculement, fin d’un règne intellectuel qui a débouché sur les pires productions sociétales de la postmodernité, et dégradé le caractère français vers les culs de basse-fosse. (La grande intelligence française mise au service de la canaille de salon, pire production de l’asservissement au Système.) Ce commentaire de Jean-Pierre Le Goff, à propos de son livre Malaise dans la démocratie : « On est à la fin de ce cycle historique... On voit très bien que les fractures sont là, qu’on ne peut plus continuer sur cette espèce d’hégémonisme de ce que j’ai appelé le gauchisme culturel qui est battu en brèche.. On ne voit pas forcément sur quoi tout cela va déboucher... » Dans cette émission si classique, qui paraît si apaisée et donc s’inscrirait selon le sens commun dans l’architecture du Système, le second invité, Jean-François Colosimo, présent dans l’émission sur Le Goff, a eu cette remarque venue comme naturellement : « Il y a Paul Yonnet, qui paiera quasiment de sa vie, il faut le dire, le fit d’avoir été le premier à dénoncer l’imposture de “SOS Racisme” puisqu’il subira l’ostracisme de la gauche, le premier dans les années 1990. Il paye pour avoir dit la vérité... » A la question de savoir s’il existe en France une “police de la pensée”, tout le monde acquiesça. Tout cela est si inhabituel dans le fait de venir si naturellement, sans calcul ni arrière-pensée politique, qu’il s’agirait du signe d’une évolution significative des psychologies
Un autre aspect du bouleversement en cours, c’est la “révision mémorielle” en cours de la guerre d’Algérie. (Pour ça, voir l’Historiquement Show 238 du 15 avril, particulièrement Stéphane Courtois parlant du livre de Jean Birnbaum, Un silence religieux, la gauche face au djihadisme.) C’est un bouleversement qui intéresse ma propre mémoire, et j’y reviendrai un jour ou l’autre. Pour la situation intellectuelle française, c’est également, même si d’une autre façon, un bouleversement parce que la guerre d’Algérie dans le récit officiel actuel (la narrative, pour le coup) est la poutre-maîtresse de la dynamique intellectuelle en cours de la susdite-intelligence française.
Ma conviction est qu’est en jeu un bouleversement qui peut changer une situation dont les racines remontent très-loin, si loin, – songez à la Révolution, à l’affaire Dreyfus, – mais qui fleurissait toujours avec autant de couleur. Si la chose commence à se faner, les conséquences seront mesurées en tonnes de certitudes qui s’effondrent. Je l’avoue, pour un instant dans tous les cas, mon humeur est printanière.
Les élections US nous révèlent un secret bien gardé, ou bien dirais-je plus volontiers, mal-compris... Mais commençons pas le commencement : il était une fois un temps où la presse était, notamment aux USA, le “quatrième pouvoir” (après le juridique, le législatif et l’exécutif). Ce temps est révolu, enterré, décomposé et humilié, la presse devenue presse-Système et valet de pied des trois autres pouvoirs, selon les consignes et œillades du Système. Mais ce que je vais vous révéler, – même si le mot paraît un peu forcé, – c’est que cet ex-4ème pouvoir contient tout de même, lui-même, quatre pouvoirs dont un lui échappe complètement et échappe par conséquent aux trois autres principaux pouvoirs et au Système dont la presse-Système, ex-4ème pouvoir principal, est devenue le valet-de-pied... Et c’est comme si, miracle du système de la communication dans son monde-Janus, ce “4ème pouvoir de l’ex-4ème pouvoir” remplaçait à lui seul l’“ex-4ème pouvoir” devenu valet-de-pied, bref le ressuscitait à lui seul, – tour de passe-passe du système de la communication.
Mais d’abord, quelques explications sur les attendus de mon propos. Je distingue donc quatre pouvoir dans cet ancien 4ème pouvoir que fut la presse et que n’est plus la presse-Système.
• Le premier de ces 4 pouvoirs, c’est la propriété et la direction. Ceux qui possèdent l’organe de presse ou de communication et nomment ceux qui les dirigent, ceux dont le Système dit qu’ils sont tous “des nôtres”. Ce pouvoir s’intéresse à l’argent certes, en premier, toujours en premier ; évidemment aussi à la politique, par le biais de l’influence que lui donne l’outil qu’il possède, qui va dans le sens qu’on comprend sans explication nécessaire.
• Le deuxième pouvoir est celui de l’argent à nouveau, mais du rapport de l’argent : celui de la publicité, de toutes les activités mercantiles autour de ce support qu’est l’organe de presse/de communication, le pouvoir qui vend et se vend. Celui-là, ce pouvoir-là, est toujours écouté parce qu’il est la clef de l’argent.
• Le troisième pouvoir avait auparavant un rôle très grand et tout de même assez glorieux. Il s’agit du contenu de la chose, nommons cela “rédaction” si vous voulez : ceux qui écrivent, qui parlent, qui enquêtent, qui informent, qui commentent ... Mais tous ceux-là, que sont-ils devenus sous l’influence terrible de l’argent que font peser sur lui les deux précédents pouvoirs, que sont-ils devenus sous l’influence du Système qui rassemble le tout ? Ils sont dans une prison dorée qu’ils ont eux-mêmes dressée, en apparence obéissant à des consignes, en vérité suivant leur propre servilité volontaire, leur don presque magique pour l’autocensure, leur goût presque addictif pour la soumission au discours-Système.
Ce sont les trois pouvoirs classiques qui, dans l’état où on les décrit, ne sont plus que des débris de ce qu’ils furent, et le “quatrième pouvoir” tant célébré aux USA réduit à sa plus simple expression de l’inversion parfaitement réalisée. Mais j’ai précisé qu’il y avait quatre pouvoirs différents à l’intérieur de cet “ex-4ème pouvoir” (“Le 4ème pouvoir de l’ex-4ème pouvoir”). C’est celui-là qui m’intéresse...
(Suite)
Il commence ainsi son discours, sur un ton incroyablement cool, au sommet de sa forme : « Vous avez l'air superbes. La fin de la République n'a jamais eu autant de classe! » Il marque une pause. « Ce sera ma dernière intervention à ce dîner, et ce sera peut-être aussi le dernier de vos dîners! » Ainsi le président des États-Unis (POTUS) commença-t-il son discours, vendredi soir, lors de l’annuel WHCD (White House Correspondant Dinner), offert par le président aux journalistes accrédités à la Maison-Blanche ; c’est-à-dire quelques journalistes et le tout-Washington style-House of Cards gloussant et ricanant lors de cette occasion qu’Obama a transformée en une démonstration éblouissante de sa “cooltitude” : BHO n’a jamais eu autant de classe !
... Car le fou du Roi est beaucoup plus drôle, enjoué, plein d’entrain, lucide sans aucun doute et sans autre forme de procès, disert et maître du verbe argotique sans vulgarité, beaucoup plus que le Roi lui-même. Il est vrai qu’avec lui, et comme selon un tour de magie de la postmodernité, tout s’explique lorsqu’on découvre que “fou-du-Roi” et “Roi” ne font qu’une seule et même personne. Obama est tout à la fois, lui-même et le fou de lui-même ; cela rend la matière extrêmement complexe, on en conviendra, mais finalement assez compréhensible une fois qu’on a trouvé la clef de la formule... Le personnage se débarrasse un instant pour ses adieux à la presse de la pesante et superflue tunique de Nessus qui l’accable depuis 2008, qui le charge d’une morgue et d’une pompe parfois insupportables, qui l’oblige constamment à proclamer l’exceptionnalisme de la Grande République.
J’ai été entraîné joyeusement et un peu mais heureusement stupéfié par ce discours, dit avec une telle aisance, une telle maîtrise de soi et un art certain des effets et des formules, et disant certaines énormes vérités-de-situation sur le Système et sur lui-même, sans en avoir l’air, et surtout sans pompe ni cérémonie. Obama y dénonce tout le monde, et lui-même par conséquent, mais tout de même commençant par sa favorite, celle qu’il soutient en la détestant absolument, lorsqu’il glisse aussitôt après l’entrée en matière quelque chose comme ceci, – “si ce truc (ce discours) marche bien, je le vendrai l’année prochaine à Goldman Sachs, et il me faudra du lourd”.... (« “If this material works well, I'm gonna use it at Goldman Sachs next year. Earn me some serious Tubmans,” said Obama, hitting on Clinton's high Wall Street corporation speaking fees and the recent Treasury Department announcement that escaped slave Harriet Tubman will appear on the $20 bill starting in a few years. »)
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J’ai assisté, dans ma longue existence, à quelques soi-disant “révolutions” ou bifurcations brusques du “récit historique” : mai 58, mai 68 notamment, ayant notamment et évidemment vécu les périodes conduisant à ces épisodes... Je n’ai jamais rien ressenti de pareil, à la fois dans la densité et dans la durée, à ce que je ressens aujourd’hui, à la fois de tension, de désordre, de fureur, et d’impossibilité de sortir de cette cage, tout cela exprimé diversement mais, à cause de “cette cage” qu’est l’action du Système, se concentrant formidablement sans occurrence évènementielle de se réaliser pleinement. Dans les deux occurrences citées (mai 58 et mai 68), je n’avais rien vu venir et, autour de moi, on n’avait pas vu grand’chose de plus même s’il paraissait assez évident (pour mai 58, essentiellement) que quelque chose devrait se produire (“Something has to give”). A part cela, personne ne fut étonné et les “révolutions”, au fond d’une durée à peu près égale dans les deux cas, se déroulèrent selon le schéma très-classique d’une tragédie montant jusqu’au sommet du paroxysme, et qui rompt et se rompt brusquement, tandis que les acteurs, les protagonistes et les issues possibles et probables étaient connues. Il y avait de l’inconnu sur les précisions, sinon les circonstances, mais d’inattendu, d’imprévu, d’insupportable, pas vraiment... C’est-à-dire, rien qui ressemblât en quoi que ce soit à ce qui se passe aujourd’hui, — en France, bien entendu, puisque c’est de cela que je parle, mais ailleurs aussi, partout, comme dans une marée qui monte irrésistiblement. (Et ce dernier point faisant la différence, et une différence extraordinaire entre aujourd’hui et les références données comme exemples.)
(J'aurais pu ajouter, autre exemple, novembre 1989 et la chute du Mur, pour élargir le propos au-delà de l'horizon français. Les constats sur les conditions de formation de l'évènement, puis de réalisation paroxystique, seraient les mêmes. La aussi, l'on ne prévoit rien même si l'on conçoit vzguement que quelque chose doit se passer, et la chose se passe effectivement selon le schéma d'une tragédie, avec son paroxysme qui est évidemment une rupture. La tension de la psychologie n'a guère l'occasion de former une accumulation d'énergie par le fait de ne pas rencontrer l'évènement qui l'exprime, puisque l'évènement est déjà là...)
Le fait est qu’on ne voit pas précisément sinon selon des hypothèses diverses et incertaines ce qui pourrait rompre et fournir l’équivalent du paroxysme révolutionnaire, et qu’on ne voit pas, encore moins et encore plus fortement, comment une telle situation pourrait durer très-longtemps sans trouver quelque chose qui rompe et qui fournisse “l’équivalent du paroxysme révolutionnaire”. Vous savez, c’est comme cette histoire que les historiens américanistes se font un délice de glisser lorsque leur travail aborde le domaine, cette anecdote de l’officier de l’US Navy contemplant les cuirassés en train de brûler ou quille à l’air à Pearl Harbor, dans l’après-midi du 7 décembre 1941, et maugréant : “Je sais bien que nous allons gagner cette putain de guerre (‘fucking war’) mais je me demande bien (‘I fucking wonder’) comment”. Je reste, je l’avoue, ébahi devant les experts, les futurologues, les équipes et les services qui font des prévisions à dix ans, vingt ans, trente ans, pour déterminer les problèmes que nous aurons alors, qui sont les mêmes que nous avons multipliés par cent avec en prime une pincée d’espérance par une révolution robotique ou l’autre pour éclairer le tout d’une lumière charmeuse, – sans ajouter en conclusion à ces prévisions : “Mais il doit bien être entendu que tout cela n’a strictement aucune valeur car d’ici là, une chose, mille choses, dix mille choses, sans compter la plus terrifiante de toutes, seront survenues pour absolument bouleverser eschatologiquement le monde jusqu’à changer d’univers.”
(Suite)