Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.
18 novembre 2018 – Le discours de Macron au Bundestag, hier, au sonnant de midi + 1, voulait rendre un ton solennel, plein d’une espérance forcée et grandiose au bord d’un précipice dont tout le monde ressent la proximité. Cela se lit dans la phrase qui a rencontré une certaine unanimité de la citation : « L’Europe et en son sein le couple franco-allemand, se trouvent investis de cette obligation de ne pas laisser le monde glisser vers le chaos. »
Pour cette rude tâche, Macron a longuement encensé l’Allemagne pour ses capacités inégalées de repentance, et il a exalté l’avenir suggéré par cet exemple en citant Goethe qui nous ramène nécessairement à la nostalgie d’un passé disparu, lorsque l’Europe existait vraiment, – je veux dire dans les âmes et dans les grands esprits, pas chez les comptables et chez les courtisans. Il a évoqué les poètes morts injustement à la guerre déclenchée selon lui (Macron) par les folies nationalistes des nations et, pour illustrer cet exemple du côté français, il a choisi Charles Péguy, le poète mort au champ d’honneur le 5 septembre 1914 pour la défense de la nation française (« Et puisla mystique du nationalismel’a saisi... », selon Bainville). “En même temps”, comme dit notre-président.
Solennité, gravité certes, mais que de bien frêles épaules craquant sous la pression des contradictions qu’il a énoncées, en alignant avec une imperturbable conviction des vérités métahistoriques sorties du dictionnaire des citations, des analyses du plus complet simulacre et des conclusions authentifiées par la bureaucratie de Bruxelles. “En même temps” qu’il encensait l’Allemagne, Macron critiquait la France pour son indiscipline et, peut-être bien, pour ses poètes qui meurent au champ d’honneur pour la défense de la nation française ; car “en même temps”, de fait, la France craquait de toutes parts sous les coups des “gilets-jaunes” alors que tout le monde se posait la question : que nous annoncent ces “gilets-jaunes” ? Que vont-ils devenir ? Où vont-ils nous emporter ?
C’est à croire que la France a retrouvé son rang, pendant que son président poursuivait au Bundestag son errance mémorielle (mémoire de l’illusion européenne dans la République Universelle) commencée à Verdun... Par “son rang”, j’entends sa place dans les rangs de la contestation qu’on me permettra de qualifier d’antiSystème. Cela n’est nullement une spécialité française, contrairement à ce que les “experts”-Système se plaisent à répéter, puisqu’on comprend aisément que c’est le monde qui craque de toutes parts sous la violence de ses contestations-antiSystème, le monde qui, on nous l’a dit, « glisse vers le chaos », – à moins que l’Europe, l’Allemagne & Macron, certes...
La situation du monde, cela est juste comme l’observe d’un œil d’aigle le président français, se trouve sur une trajectoire chaotique d’une puissance et d’une détermination qu’on peut qualifier une fois de plus de “sans précédent”, – sans prendre de risque, ce jugement. Voyez, même la Ligue des Déstructurateurs que nous avions vu récemment se former entre les usual suspects dans le but de semer le chaos à coups de regime change, se trouve confrontée à une sorte de chaos interne puisque les États-Unis, l’Arabie Saoudite et Israël en dernier arrivé, chacun à sa façon, développe sa propre crise intérieure. Le monde brûle comme la Californie se consume, il assume ses décisions populaires à la façon du Brexit transformé en un nœud gordien, il menace, tempête et rêve d’une Grande Guerre Mondiale pour éliminer les fauteurs de trouble sans troubler vraiment le désordre bien tempéré du chaos qui poursuit sa glissade en attendant l’Europe. Et tant d’autres situations, vérités-de-situation...
Le monde avec sa Grande Crise d’Effondrement forment une énigme d’un poids que les frêles épaules de ce Macron né de la modernité ne peuvent prétendre porter ni supporter. Le discours de Macron était comme l’on trempe son doigt de pied dans l’eau brûlante (“le monde qui glisse”) pour l’en ressortir aussitôt en affirmant qu’elle est fort tiède finalement, grâce à ce qu’on est et ce qu’on lui promet. En un sens, j’ai trouvé ce Macron-là à la fois grandiose et grandiloquent dans son pathétisme, ce qui signifie à la fois, selon les deux sens de ce qui est pathétique, émouvant et désolant.
... Car enfin, je veux croire, moi, qu’il croit à ce qu’il dit, et alors, devant un tel simulacre involontaire de culture et une telle inversion inconsciente de la logique, on peut gager pour peu de risque que « L’Europe et en son sein le couple franco-allemand, se trouvent investis de cette obligation » d’accompagner le monde dans sa glissade vers le chaos. Ainsi se rachèteront-ils, Macron et le couple franco-allemand avec “en son sein l’Europe”, car ainsi auront-ils prêté une main secourable à la survenue du chaos qui est désormais le destin incontestable du monde, et le signe du destin fatal de cette contre-civilisation devenue obscène à force d'imposture.
18 novembre 2018 – Hier, j’avais très mal au dos, attaque pernicieuse et violente à la fois d’une sciatique irréfragable, une du grand âge.... Alors, j’ai sacrifié pas mal de mon temps sur un fauteuil à dossier très droit et, avec peu de courage pour lire, j’ai laissé aller l’“étrange lucarne”. Il n’était question que de cette “journée en jaune”
Je me fixe sur le “centre de crise” de la chaîne, Arlette Chabot aux commandes, conduisant un talk-show permanent avec deux vieilles badernes de ma génération, dont l’incurablement pontifiant d’Orcival, de Valeurs Actuelles, avec en arrière-plan les reportages constants sur les divers points stratégiques choisis comme références de cette “journée en jaune”.
Vers la fin de l’après-midi, l’habituel “tour de France” des correspondants était ramené aux points d’ébullition de la capitale, comme font en général ces adeptes de la décentralisation. On discutait : et comment, et pourquoi, et qu’est-ce qu’ils veulent, qui commande, qui coordonne, quels sont leurs mots d’ordre, et blablabla ...
Dans un de ces moments, alors que d’Orcival expliquait avec calme et sang-froid le sens fondamental de l’événement, Chabot interrompt son petit monde une fois de plus et indique la retransmission en arrière plan où l’on voit les fameux “gilets-jaunes”, dont certains sans gilets, qui semblent reprendre ensemble une déclamation, avec une certaine coordination si rarement atteinte, – peut-être scandent-ils des slogans explicatifs... Chabot dit alors “Excusez-moi de vous interrompre, mais nous allons écouter, cela semble être des slogans qu’ils reprennent tous, enfin nous allons peut-être savoir ce qu’ils réclament... Écoutons... ” Et nous écoutâmes la foule clamer...
(Suite)
15 novembre 2018 – Les immenses incendies qui détruisent la Californie, outre de constituer une catastrophe d’une puissance peu commune, nous offrent un événement symbolique qui ne l’est pas moins, de cette “puissance peu commune”, tant il s’applique parfaitement à la situation politique et métahistorique des États-Unis. C’est comme si Les raisins de la colère étaient inversés, et cette fois il s’agit de la colère du Ciel et des dieux qui y résident.
(Un parallèle pourrait être tracé en effet pour les USA, où une catastrophe naturelle souligne une crise intérieure extrêmement grave. Le terrible Dust Bowl de 1933, – les Dirty Thirties, – ravagea les États intérieurs de la bordure centrale du Sud alors que le pays se trouvait au fond terrifiant de la Grande Dépression. Mais si l’on veut accepter l’analogie, il faut la hausser à la mesure de ce que je crois être l’ampleur du cataclysme : l’incendie de la Californie comme mesure symbolique et maléfique de la Grande Crise d’Effondrement du Système, bien plus grave bien entendu que la Grande Dépression ; et il faut aussi l’inverser : dans ces années-là, la Californie était la Terre Promise et trompeuse des Raisins de la colère, aujourd’hui c’est la terre brûlée de quelque chose comme les “raisins de la terreur” [ou “raisins du simulacre”, après tout ?].)
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13 novembre 2018 – Soudain, les dernières brumes arrangées et mises en scène de la célébration du centenaire de la fin de la Grande Guerre dissipées sous l’Arc de Triomphe, je m’avise que la chose ne m’est pas indifférente, – puisqu’effectivement, malgré la lourdeur du jeu des mots, “Gilets Jaunes” rime avec “Maillot Jaune”, – car c’est bien de cette chose annoncée du 17 novembre dont je parle ici. Même Ségala ressorti du grenier, empaillé séquence-Mitterrand-1981 (“La force tranquille” sur fond de clocher mauriacien et maurrassien, vous kifez ?) et invité en table-talk-show hier soir sur LCI, – décidément ma référence-Système en fait de réseauSystème, – même Ségala dis-je, trouve ça parfaitement d’une grandiose importance... Car cette diffusion aux mille branches dont nul ne sait ni la racine, ni le tronc, ni la subordination, ni la hiérarchie, qui caractérise ce mouvement étrange et déroutant des “Gilets-Jaunes” du 17 novembre, est la parfaite incarnation du rhizome de Deleuze-Guattari, les déconstructeurs-nés.
Petit aparté wikipédiesque : « Dans la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari, un rhizome est un modèle descriptif et épistémologique dans lequel l'organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination (comme dans une hiérarchie) – avec une base (ou une racine, un tronc), offrant l'origine de plusieurs branchements, selon le modèle de l'Arbre de Porphyre –, mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre... »
Selon Mattéi, son ennemi intime mais néanmoins loyal dans son jugement, – constatez-le, il n’y a que du beau monde : « Deleuze est simplement une réincarnation du Sophiste qui affronte Platon. (“Nous ne nous trompons pas beaucoup en considérant Gilles Deleuze comme la moderne réplique de Protagoras. A l’image du grand sophiste d’Abdère, Deleuze introduit dans le discours des simulacres un brio rhétorique et une virtuosité hautaine que l’on pourrait qualifier d’aristocratiques.”) Toute la pensée de Deleuze revient à réaliser l’inversion de Platon, et, également, à réaliser l’inversion de Nietzsche qui figure ainsi, par jugement par antithèse, comme l’un des grands vis-à-vis de Platon, et en vérité continuateur de Platon pour qui sait le lire sans l’inverser, pour satisfaire on ne sait quel obscur dessein, – ou bien, le connaît-on trop, ce dessein ? »
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11 novembre 2018 – Tout avait commencé par les propos cavaliers et sabre au clair du président Macron, qui semblerait parfois se prendre fort au sérieux. Voici ce qu’en disait dedefensa.org dans le texte consacré à Castelnau :
« La polémique est rude et, surtout, couvre un vaste territoire parcouru par le plus complet désordre où l'on rencontre tous les sujets... Il est vrai que Régis de Castelnau n’a sans aucun doute pas tort, dans son texte, de juger “sidérant” le propos de Macron plaidant pour une armée européenne à cause de la présence de la Russie “sur nos frontières”. Il aurait pu ajouter pour en rajouter dans la sidération que c’est aussi pour nous “protéger” de quelque chose de menaçant, – outre de la Chine également citée, – venue des USA... “Very insulting”, a tweeté The-Donald au début de son escapade parisienne : mais il semble qu’il parlait plus gros-sous que trahison, impliquant qu’il est “insultant” de vouloir faire une armée européenne quand on participe si peu aux frais de fonctionnement de la superbe OTAN. D'ailleurs, deux ou trois heures plus tard, ou un peu plus qui sait, il serrait Macron dans ses bras et l'instituait “grand ami à la vision très proche” de la sienne. »
On ne s’arrête pas là puisqu’entretemps les deux grands chefs d’État ont discuté en tête-à-tête de très-grande stratégie et que, vraiment, ce n’est pas mon propos. Il faut donc se précipiter sur n’importe quel texte, – mais choisissons RT-USApar amour des FakeNews et pour saluer le titre superbe que je me garderais absolument de traduire : « One-way love: Trump remains frigid to Macron’s caress at Paris visit (VIDEO) ». (RT-français s’en est finalement inspiré sans oser aller jusqu’au bout : « Amour à sens unique ? Trump peu réceptif aux caresses de Macron (VIDEO) ».)
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11 novembre 2018 – Je sais au moins un lecteur, très actif sur notre Forum et d’une façon très souvent inventive et intrigante, et qui a plus d’une fois évoqué le Tome-III de La Grâce de l’Histoire, demandant si l’on y trouverait telle précision, telle évolution, telle réponse à une question évoquée par l’Auteur-PhG. Cela suppose qu’il y aura un Tome-III et je lui suis extrêmement reconnaissant de sembler n’en pas douter un instant car j’avoue platement, et avec une honte que certains pourraient juger “prométhéenne”, qu’il m’arrive de connaître, la triste et angoissante pesanteur de l’incertitude à cet égard, – oh certes dans des moments plus dépressifs que d’autre.
Une certitude, par contre, est bien celle de savoir que je ne sais pas grand’chose de ce que sera ou serait ce Tome-III, s’il se fait. Je ne manque ni de matériels ni d’idées qui prétendent répondre à un rangement et à une logique, mais pour l’instant dans un certain chaos qui ne cesse de discréditer rangement et logique ; ce n’est pas pour me décourager pour autant car je sais que si je fais ce Tome-III (la seule question essentielle), les choses trouveront leur ordre en suivant la plume, – laquelle, je le soupçonne, sait déjà... Quoi qu’il en soit, qu’on se rassure pour ceux qui s’inquièteraient, les choses sont déjà en route. C’est à ce propos que je mets en page ci-après un extrait de ce qui est déjà fait, pour prouver ma bonne foi en quelque sorte...
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J’ai, comme cela, des instincts enfouis qui me protègent, qui me privent de mes sens, de la force de l’attention, qui me poussent à repousser la chose ; le spectacle, l’image que je ne veux pas voir parce que je la connais trop bien et n’ai nul besoin d’être instruit là-dessus au risque d’une souffrance inutile ; cela va du complètement accessoire sinon presque ridicule (je ne peux supporter de voir une piqure même si je supporte assez bien qu’on m’en fasse, d’où mon regard lointain lors d’une prise de sang) à quelque chose, à l’inverse, de beaucoup plus essentiel pour moi (voir la souffrance brutale des animaux maltraités et torturés par les barbares, nous-mêmes, m’est absolument insupportable). Et puis, il y a les occurrences exceptionnelles, que je ne peux ni ne veux voir également, toujours pour m’épargner cette souffrance... Il y a la souffrance-bouffe, qui est de ne pouvoir supporter BHL, quoique je cède parfois je l’avoue, emporté par son véritable génie comique qui transcende la souffrance en plaisir des dieux-morts-de-rire ; et puis il y a la souffrance-tragique que je veux éviter, celle qui touche également à l’essentiel lors d’une occurrence, lors d’un événement. Ce fut le cas, avant-hier, avec leur cérémonie à Verdun qui ne pouvait être que catastrophique. Je ne me doutais pas qu’elle constituerait un de ces sommets du sacrilège qui vous dit, bien plus qu’une longue analyse, combien l’effondrement dans les abysses est complet, achevé, plié comme ils disent ; le sommet au tréfonds des abysses, voilà quelque prodige bien remarquable de l’inversion... Le Diable est bien parmi eux, mais, pour eux précisément, c’est bien celui de Charles Trenet (La Java du diable), diabolique comme il se doit mais aussi et surtout plein de dérision pour eux, pour ses serviteurs zélés.
Ainsi vais-je vous parler de ce que je n’ai pas vu, sinon entrevu ici et là, quelques images à un JT et un reportage sur les randonnées fun sur le champ de la bataille, et aussi les sacrément chouettes retombés économiques des commémorations sur cette ville “qui change de visage”, qui “modernise la tradition”, qui “songe à son futur grâce à son passé”, qui “se tourne résolument vers l’avenir”, et autres remarques d’une profondeur vertigineuse par les artistes du glauque cloaque caractérisant le balbutiement qui nous sert désormais de langage, – mais qui veille, toujours et encore, à cette même tendance : détruire le passé, et qu’il n’en reste plus rien façon-Hiroshima, et tenter jusqu’à perdre haleine que leur futur singulier devienne l’avenir de tous. Il y eut également un ami qui m’en parla, qui avait vu, qui s’était forcé à voir toute la cérémonie, qui en avait des larmes dans la voix. Il y a aussi ce texte de Robert Redeker, sur Figaro-Vox, ce 30 mai, qui nous dit tout de je ce que n’ai pas vu ni entendu, et qui le dit exactement comme il fallait, en nous restituant l’intensité du souvenir autant que la banalité absolument ordurière du sacrilège commémoratif : au silence méditatif et recueilli d’une cathédrale résonnant des vers de Péguy (« Mère, voici vos fils qui se sont tant battus... ») qui honorent votre âme poétique ont succédé les flons-flons, les tambours noirs et les sauts de cabri des “jeunes” parés de fluo entre les tombes du grand cimetière sous la lune éclipsée. Mais tout cela, je l’ai deviné si aisément. Je n’ai rien vu, rien entendu, par conséquent je vais vous en parler magnifiquement parce que je sais exactement ce qu’ils valent et ce qu’ils font.
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10 novembre 2018 – Cela fait plusieurs jours que je soupèse et suppute d’écrire ce texte que je commence ici et ainsi. Il ordonne une belle et bonne rupture avec l’actualité de ces temps amers et désordonnés que nous vivons, emportés par notre tourbillon de crises, frôlant et croisant la folie à chaque instant. Je voulais vous parler de ma forêt dont il m’arriva parfois de dire quelques mots, comme cette fois où je l’entendis chanter de ce bruissement mélodieux venu des cieux, des feuilles qui tombent sans un bruit, sans un souffle de vent...
Justement, il s’agit de la même saison, cette année de plus en plus retardée, la saison de la défeuillaison des arbres. Il est vrai que le rythme des saisons en prend à son aise et la situation actuelle de la forêt, dont je veux vous parler et qui ne cesse de m’enchanter depuis quatre ou cinq jours (je l’ai réalisé samedi dernier), est notablement en retard par rapport à ce que j’avais l’habitude d’en connaître. Plus encore, ce délai qui laisse les feuillages en l’état jusque bien plus tard, permet à la sublime libération des couleurs de l’automne de toucher en même temps toutes les espèces. Le temps étant au grand calme ces derniers jours, quasiment sans le moindre souffle avec le soleil bas qui dispense à l’aube ses premiers rayons sans la moindre entrave, et ainsi le spectacle est-il achevé dans sa plus grande extension possible. “C’est un spectacle total” comme disent incidemment les “artistes-communicants” de l’Art Contemporain (A.C.).
(Suite)
Dans un très-récent Forum[...] on a un peu glosé sur ce qui a été prestement baptisé “guerre industrielle”. Un argument a été opposé à la thèse que présentait le texte. Je crois pouvoir le résumer en disant que le passé, celui d’avant-le-canon, n’était pas moins destructeur (dans le sens de tuer de gens) que le présent, et que le canon fut après tout et dans certaines circonstances quelque chose de bénéfique, sinon d’humanitaire ou de vertueux à la limite, et ainsi de suite pourrait-on penser, jusqu’à la guerre moderne qui pourrait être jugée selon ce raisonnement finalement moins meurtrière que celle qui fut menée par les hordes de Gengis Khan.
Pour mieux situer le débat, je cite le principal message présentant l’argument à la thèse ; on notera à mon insistance expresse qu’il n’y a rien de personnel dans mon propos, ni de polémique d’ailleurs. Si on le prend dans ce sens on aura bien tort... La citation n’est là que pour mieux poser les termes du débat, et la question du canon et de la poudre figure comme une hyperbole annonçant l’avenir, pour en venir à la “guerre industrielle”. L’on notera aussitôt, comme il est dit dans le texte à plusieurs reprises, par l’Arioste lui-même, et d’ailleurs dans le titre également (“la Fin des Héros”), qu’il n’est point question de prouver une chose selon le nombre des morts et des blessés mais de nous entretenir des vertus que l’homme parvient à montrer dans cet événement terrible qu’est la guerre selon ce qu’il en est de la guerre : le courage, l’héroïsme, le sens de l’honneur, la noblesse du caractère, etc., et j’y ajouterais la “magnanimité” dans le traitement qu’on peut faire aux vaincus, voire même dans la considération haute qu’on peut avoir de l’ennemi (voir la très belle définitiondu mot dans Wikipédia).
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La Grande Guerre a éclaté parce que la réalité géographique, ethnologique et psychologique de l’Europe était précipitée dans le déséquilibre, parce que la dynamique déterminée par ses composants et exprimée dans sa politique et son économie était devenue insupportable. L’Europe était entraînée dans une dynamique de déstructuration. (“Déstructuration”, qui est l’opération précisée et détaillée d’une “déconstruction” menée dans les parties essentielles, est un mot qu’on retrouvera souvent dans ces pages.) Le phénomène de l’immédiat avant-guerre jusqu’à la Grande Guerre pourrait solliciter l’analogie de la catastrophe tellurique ; il ressemble à ce phénomène de la croûte terrestre qui se craquelle, se fend et éclate enfin sous la pression des forces du feu déchaînées par le cœur en fusion du monde. Les guerres européennes, entre 1815 et 1914, ont des causes humaines et terrestres, référencées, compréhensibles même si elles sont condamnables, exprimées par diverses plumes même si elles ne sont pas à mettre entre toutes les mains. La Grande Guerre – comme peut-être 1870, qui l’annonce – diffère de tout cela. Découvrant la rareté de ces “sources”, comme ils disent, des causes de la guerre, les historiographes assermentés se trouvent emportés dans le scepticisme soupçonneux ; lorsqu’ils rencontrent la suggestion, qui sied parfaitement aux exigences du système, que cette guerre n’a aucun sens, les voilà qui exultent ; l’explication et eux, on ne se quitte plus. Pour mon compte, c’est à l’inverse que je vais aussitôt ; sans cause conjoncturelle décisive, convaincante, exclusive, cette guerre est évidemment compréhensible par une immense cause structurelle ; l’immensité de la catastrophe en répond.
De quelle explication s’agit-il ? La Grande Guerre de 1914-1918, jusqu’à son terme, en 1919 (les Traités), achève un cycle marqué par la montée d’une puissance industrielle et technologique, au point où les composants du phénomène forcés par les pressions paroxystiques de cette situation ne peuvent plus se côtoyer ni, bientôt, se supporter. Les observations les plus remarquables sur cette sorte de “mystère historique” qu’est la cause du déclenchement de la Grande Guerre, ce soi-disant “mystère historique” justifiant après tout pour les historiographes que la guerre soit interprétée comme n’ayant aucun sens, m’ont paru toujours être de l’ordre du psychologique. Cet ordre seul rend compte de la marche inéluctable, et malheureusement justifiée par la puissance même du processus, vers la guerre. L’argument est d’une puissance irrésistible.
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Oui, pourquoi la Grande Guerre a-t-elle eu lieu ? Continuer à rôder sur les lieux du crime après l’évocation du climat français revient nécessairement à se tourner vers l’Allemagne. Nous restons fidèles à notre méthode, écartant les explications rationnelles recuites aux idéologies coriaces de nos illusions modernistes, nous attachant aux grands révélateurs des tragédies humaines que sont la psychologie et la culture, pour continuer à explorer le “climat” d’une époque comme l’on parle de l’environnement qui enferme certaines âmes et forge les volontés. Il nous semble que cet extrait d’une lettre d’un Allemand à un Allemand, de Rathenau retour d’Angleterre après une visite de plusieurs capitales européennes, adressée au prince von Bülow, sonne comme une description “climatique” qui est comme une réponse à Jules Isaac :
«Il y a un autre facteur important, auquel en Allemagne nous ne prêtons pas toujours attention : c'est l'impression que fait l'Allemagne vue du dehors ; on jette le regard sur cette chaudière européenne (c'est moi qui souligne [écrit von Bulow, en commentaire de la lettre de Rathenau]), on y voit, entourée de nations qui ne bougent plus, un peuple toujours au travail et capable d'une énorme expansion physique ; huit cent mille Allemands de plus chaque année ; à chaque lustre, un accroissement presque égal à la population des pays scandinaves ou de la Suisse ; et l'on se demande combien de temps la France, où se fait le vide, pourra résister à la pression atmosphérique de cette population.»
(Suite)
Le 10 juin 2008, nous publiions une analyse [reprise dans cette série] offrant une nouvelle interprétation de la Première Guerre mondiale, sous le titre: “A un siècle de là”. Aujourd’hui, nous précisons et nous élargissons à la fois notre propos, en le centrant sur la bataille de Verdun, “la plus grande bataille de tous les temps”. C’est une démarche caractéristique du phénomène “contraction-élargissement” qu’on constate par ailleurs à propos de nos crises présentes: contraction (donc, précision) sur un point précis et exemplaire (Verdun) du cas général (la Grande Guerre), élargissement du domaine à la crise générale de la modernité, – soit, Verdun comme une sorte de “point-omega” de la crise générale.
Nous ne cachons pas une seconde que l’expérience vécue, aboutissant au livre et objet d’art photographique Les Âmes de Verdun, dont nous vous avons parlé, a joué un rôle essentiel dans cette réflexion. L’émotion du souvenir, l’émotion esthétique de l’histoire retrouvée dans sa forme tragique reconstituée, sont de formidables moteurs pour l’intuition qui devrait être le grand guide de l’Histoire; certes, nous la préférons, lorsqu’elle s’appuie sur la connaissance bien tempérée, aux décomptes d’apothicaire des instituts universitaires et scientifiques qui prétendent s’emparer de l’histoire et qui nous ont conduits à la catastrophe intellectuelle et historique qu’est notre temps, – là où ils ne comprennent plus rien de ce qui nous arrive tout en prenant l’air entendu à ce propos.
Notre propos est très ambitieux puisqu’il implique une proposition de restructuration complète de l’histoire de notre temps. Il s’agit de cette époque que nous serions tentés de désigner comme l’“ère technologique”, que certains scientifiques ont désignée comme une nouvelle ère géologique marquée par l’action de l’homme. (“Anthropocène”, ère géologique commencée à la fin du XVIIIème siècle avec l’introduction de la machine et de la thermodynamique.) La bataille de Verdun trône au cœur de ce schéma, à la fois référence et illustration.
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Le texte de William S. Lind, que nous commentions le 17 juin (2008), fait largement référence à Robert A. Doughty, général de l’U.S. Army et chef des services historiques de l’U.S. Army lorsqu’il quitta le service actif en 2005. Doughty a été et reste le maître d’œuvre d’un courant historique révisionniste fondamental aux USA, qui remet en question la vision traditionnelle de la Première Guerre mondiale, – “vision traditionnelle” aux USA, totalement influencée par la propagande anglo-saxonne (britannique), qui fait de la France un second rôle dans ce conflit, perpétuant ainsi l’une des grandes machinations de la tromperie historique du XXème siècle.
De ce point de vue, – une fois n’est pas coutume, – la lumière vient des USA, où l’historiographie officielle et militaire s’est révoltée contre cette déformation qui apparaît flagrante après quelques recherches sur l'histoire du premier conflit mondial. Cette déformation n’est pas qu’historique, elle fait sentir ses effets aujourd’hui, dans le domaine politique. Elle a permis l’entreprise de propagande des néo-conservateurs durant la guerre en Irak et a pesé lourdement sur la situation politique durant ce conflit. Elle continue à influencer la politique et contribue notamment, en France, à alimenter le penchant des intellectuels français pour la perception anglo-saxonne du monde.
(Suite)
5 novembre 2018 – Comme toujours depuis que nous sommes dans la phase finale de l’effondrement (depuis 2014), il y a, de plus en vivement et d’une manière de plus en plus pressante, une intégration des crises, une accélération de leurs paroxysmes et, comme dirait l’écrivain, une extension du domaine des crises. Tout s’enroule et se déroule, irrésistiblement telle une secousse sismique furieuse, à la manière d’un tsunami géant qui se déchaîne, toutes ces choses dont on se dit que rien ne peut les arrêter tant elles semblent recéler et exprimer toute la puissance de la nature et du monde lancée dans un spasme qu’on qualifierait finalement de “libérateur”.
Nous sommes là comme des spectateurs car rien d’autre n’est possible dans un monde où les événements évoluent d’eux-mêmes, comme se développent furieusement les grandes catastrophes naturelles. Au moins, nous ne prétendons pas ignorer cet ébranlement du monde, au contraire de ceux de nos contemporains qui continuent à chanter les louanges du triomphe du sapiens postmoderne.
• Vendredi, les ministres des trois “grands” européens (Allemagne, France, UK) et Mogherini de l’UE ont réaffirmé leur volonté d’appliquer, conjointement avec les Russes et les Chinois, le traité JCPOA avec l’Iran. Le même jour, Trump et Pompeo annonçaient l’entrée en vigueur des sanctions contre l’Iran. Quels que soient les aménagements tactiques et les commentaires apaisants que nous réserve la presseSystème, le fait est qu’il s’agit d’une situation de confrontation directe des USA avec l’UE. La chose empirera si et lorsque, comme l’envisage Tom Luongo, les Européens décideront éventuellement (prudence) d’utiliser le système russe SFPS à la place du SWIFT emprisonné par les USA (« Lorsque vous entendrez l’annonce par une banque allemande placée sous la menace de sanctions américaines pour l’achat de de pétrole ou de gaz russes qu’elle va utilisez le SFPS comme système de transfert, vous saurez qu’il s’agit du signal d’avertissement général pour les marchés... »).
D’où ceci, que nous confie WSWS.org : « L'antagonisme croissant entre l'Europe et les États-Unis et la transformation des relations internationales entre États en une maison de fous pour tous contre tous préparent le terrain […] pour une conflagration mondiale qui dépasserait en ampleur même les guerres mondiales du siècle dernier. »
• « Maison de fous » ? L’UE, qui se dresse face aux sanctions US, est menacée elle-même d’implosion, ou “explosion intérieure”, avec l’affaire italienne qui va franchir un pas supplémentaire d’ici quelques jours, en un temps où décidément l’Italie n’est pas la Grèce. Séisme intérieur en devenir, qui montre que nul n’est sûr de ses arrières dans ces affrontements « de tous contre tous » : dans un cas, vous observez que l’Europe pourrait et devrait réagir d’une façon concertée et collective, dans une véritable union ; dans l’autre, vous mesurez combien cette union est fragile et mérite avec bien des raisons d’être secouée jusqu’à se briser.
• « Maisons de fous » certes, et encore plus pour les USA eux-mêmes, absolument en-dedans d’eux-mêmes, mettant en cause leur fondement historique et dévoilant leur ontologie-simulacre... Demain, leurs citoyens votent selon la loi des élections midterms. Le résultat importe-t-il vraiment ? Dans les deux cas (victoire de l’un ou l’autre parti), il semble impossible de prévoir autre chose que l’aggravation de la tension dans ce qui est déjà une “guerre civile froide”, ou « la politique américaine[…] devenue guerre civile par d’autres moyens [que la violence classique] », comme l’écrit James B. Jatras :
« Ceux qui en appellent à plus de civilité et à un retour au discours policé peuvent s’épargner cette peine. Il est beaucoup, beaucoup trop tard. [...] Même si Patrick Buchanan a raison d’observer que le degré de violence intérieure n’atteint pas celui qu’il a connu en 1968, la profondeur de la division existentielle est bien plus grande. »
C’est ce qu’Ilana Mercer nomme The Desunited States of America, en développant un discours radical, encore plus pour une paléo-conservatrice, en allant jusqu’à la faiblesse originelle de cet assemblage qui n’a plus rien d’une nation parce qu’il ne l’a jamais été, – décidément 2020 et ce qui précède ressemble bien à 1860 et ce qui précéda, en plus décisif : « Les USA ne sont pas unis, pas plus que l’Amérique n’est une nation de quelque point de vue qu’on l’observe. Elle ne l’a pas été depuis bien longtemps. [...] L’Amérique est une économie, pas une nation. [...] Une coexistence délicate, et nullement une unité forcée, est le seul espoir pour un retour au calme dans ce pays. Une désunion respectueuse est la seule voie acceptable qui s’ouvre à nous. »
• Là-dedans, observons-nous pour faire un aparté trumpiste, le président Trump est bien le modèle que pressentait Michael Moore et que nous avons toujours privilégié, un « cocktail Molotov humain[...] que les gens lancent sur notre système politique ». En se référant pour l’esprit de la chose au film V for Vendetta, Tom Luongo trouve une autre image, mais complètement similaire, ce qui montre la durabilité et la résilience de la perception de la situation : « Les gens veulent que l'ordre politique actuel soit démantelé. Et ils ont choisi Trump pour faire exactement cela. Lancez un train rempli de dynamite vers le Capitole et faites-le exploser. »
• Les Russes sont-ils “les seuls adultes” dans la « maisons de fous » ? Ils observent, incrédules et stupéfaits, à la fois ces incroyables désordres internes à finalité déstructurante de chacun de leurs “partenaires”, et à la fois ces provocations, menaces, anathèmes que les mêmes, acteurs épuisés d’une civilisation exsangue, ne cessent de leur lancer. Le Saker-US, lui, ne cesse pas de ne pas en revenir, face à un tel désordre, un tel déni, une telle schizophrénie fardée en simulacre : « Un diplomate russe de haut rang confirme que la Russie se prépare à la guerre – Quelqu’un y prête-t-il attention ? ». On connaît certes les divers épisodes, y compris les plus récents et les plus pressants, de la stupéfaction sans fin et de l’incrédulité sans bornes des Russes devant nos agitations ; dans l’article cité, le Saker-US décompte les articles qu’il a publiés depuis 2014 pour dire et redire la même chose dans la « maison de fous » : “Halte au fou !”, – mais c’est comme s’il criait dans le désert...
• Car le lieu peut-être le plus extraordinaire par son exotisme de la « maisons de fous », c’est l’OTAN en ribaude jusqu’à après-demain, en Norvège, bien loin du désert où l’on crie “Halte au fou !”, pour les “grandes manœuvres” Trident Juncture. Le rapport qu’on peut en faire, au milieu de ce qui est quasi-officiellement qualifié de “chaos” dans les opérations de communication, avec assentiment de la presseSystème, concerne le froid glacial de l’affaire d’une part, peut-être comme un signe paradoxal du Ciel et du “réchauffement climatique” ; et, d’autre part et selon une source du meilleur aloi possible, l’atmosphère lugubre qui entoure un milieu, – celui des officiels, des membres zélés et des généraux de l’OTAN, – où « la guerre prochaine avec la Russie est perçue comme inévitable, comme une certitude ».
... Tiens, pour cette fois depuis bien longtemps dans un tour de l’horizon crisique, pas un seul mot de la Syrie... Même la crise syrienne ne tient plus le rythme du tourbillon crisique.
Nota Bene : Ce texte divisé en deux parties comprend un extrait important d’une conférence donnée par l’historien Guglielmo Ferrero à l’hiver 1916-1917. Ce texte est le quatrième d’une série de dix reprises du site dedefensa.org(plus un inédit), concernant la Grande Guerre. Cette série nous mènera jusqu’au 11-novembre, date du centenaire de la fin de ce conflit.
11 novembre 2008 — Nous n’avons ni l’habitude, ni le goût des commémorations. Cette fois, la chose est différente, pour le 90ème anniversaire de la Grande Guerre. Il y a deux raisons à cela.
La première, nos lecteurs en ont déjà lu là-dessus,– certains ont eu même l’aimable sagesse, dont nous les remercions, de passer une commande de son objet. Il s’agit du livre d’histoire et album de photos à la fois, Les Âmes de Verdun. [...]
L’on sait que cet ouvrage, en plus d’être de circonstance, entend marquer une circonstance historique essentielle en lui donnant toute sa puissante actualité. (Bien sûr, dans ce cas, “Verdun c’est bien plus que Verdun”; notre Verdun c’est la Grande Guerre et, en vérité, la Grande Guerre dans la dimension que nous lui donnons ici, qui dépasse très largement cette guerre.) Le 90ème anniversaire de la Grande Guerre apparaît alors comme un événement riche d’une opportunité historique poursuivie jusqu’à nous, en plus d’être la commémoration qu’on sait. C’est toute la thèse du livre et c’est aborder la deuxième raison, le second argument de cet article. Nous estimons en effet que la Grande Guerre est l’événement fondateur de la crise dont nous subissons aujourd’hui les soubresauts gigantesques. Au contraire de l’école de pensée, puisque école et puisque pensée il y a, de l’historiographie moderne ou postmoderne, histoire réduite aux abats dont la quête zélée et constante a été de chercher à réduire l’événement à un monstrueux artefact sociologique ou nationaliste et à le priver de tout sens évidemment, au contraire de cette entreprise réductrice nous estimons que la Grande Guerre est un événement fondamental dont le sens foudroyant éclaire toute la crise de la modernité. La Grande Guerre n’est pas tant essentielle pour avoir provoqué le désordre du XXème siècle que pour avoir révélé avec une brutalité inouïe la crise de la modernité qui s’organisait et montait vers son paroxysme depuis la Renaissance, le XVIIIème siècle, la Révolution française et la “révolution tranquille” de la machine et du choix de la thermodynamique comme source d’énergie pour la civilisation industrielle. A cette lumière et par-dessus le XXème siècle qui fut surtout à partir de son deuxième tiers la tentative de dissimulation de la crise de la modernité derrière le masque sanglant des idéologies, le lien entre elle et nous est droit, clair et sans le moindre pli, bien plus qu’entre tout autre événement du XXème siècle et nous-mêmes. Nous parlons ici de l’esprit, nullement des allégeances idéologiques et du rangement du conformisme qui caractérisent nos élites attachées aux vestiges du XXème siècle, particulièrement celles qui écrivent la Grande Guerre avec leur technique d’historien des abats.
(Suite)
04 novembre 2018 – Voici quelques remarques en marge de la série en cours d’articles sur la Grande Guerre dans ce Journal-dde.crisis. Une réaction d’un de nos plus prolixes lecteurs que la digression ne décourage pas (Voir “Grande envolée” dans le Forum de 14-18 en diagonale) m’en donne l’occasion.
Peut-être devais-je inconsciemment attendre cette occasion pour insister sur l’aspect fondamental qui va suivre... Il s’agit de mieux faire comprendre mon intérêt considérable pour la Grande Guerre, qui n’a rien à voir avec les passions habituelles dont on débat à ce propos : nationalisme, patriotisme, “guerre démocratique”, “boucherie insensée”, etc. Même si tout cela est présent dans tout regard qu’on jette sur ce conflit, cela n’est en rien essentiel ni déterminant pour moi, en rien et en aucune façon.
L’“aspect fondamental” qui explique mon “intérêt considérable” reflète ceci dans mon esprit que 14-18 est beaucoup plus important, beaucoup plus “moderne” au sens ironique de la remarque, que 39-45 qui est le fruit de tant d’exégèses, passions, arguments, de nos postmodernes. Dans leur bouillie mémorielle dont peu de chats feraient leur pitance, pour faire correspondre le passé à notre présent totalitaire, 39-45 est un complet simulacre pour leur narrative ; mais 14-18, beaucoup plus dangereux, redoutable torpille, attaque inattendue, traquenard par complète surprise, et par-dessus tout argument extrêmement “moderne” pour pulvériser l’argumentation de la postmodernité en faveur d’elle-même.
(Suite)
... Nous enchaînons sur notre “F&C” du 6 mai [2008] développé à partir du texte de Fareed Zakaria, apprécié essentiellement comme une ode à la gloire, à l'efficacité et au bonheur de la globalisation. Nous avons tenté de montrer combien la description que fait Zakaria de la globalisation distille un optimisme structurel, malgré quelques broutilles sûrement jugées comme “conjoncturelles” que concède Zakaria. Nous observons évidemment combien cette analyse contraste avec celle que nous faisons, avec d’autres, à partir d’une appréciation catastrophique de la situation de notre temps historique, de la situation du monde dans sa dynamique de globalisation, tout cela notamment à cause des contraintes qu’impose cette dynamique.
Nous allons renforcer notre argument en le situant dans une perspective historique. Nous publions ci-dessous un extrait d’un travail en cours de préparation [...] qui a pour objet essentiel la bataille de Verdun, et qui s’appuie notamment et bien évidemment sur une appréciation générale de la Grande Guerre et des causes de la Grande Guerre.
(Suite)
J’ai acquis à mesure des années passées une perception de plus en plus vive, et aussi de plus en plus chaleureuse et tragique de la Grande Guerre ; une perception gouvernée par une empathie de l’âme qui va jusqu’à l’irrésistible et au sublime ; une perception mesurée par le temps, comme si, en m’éloignant de l’événement terrestre, le temps qui passe me rapprochait de sa substance spirituelle. L’intuition, l’émotion, la compassion extraordinaire que j’éprouve devant tant d’horribles souffrances tiennent une place considérable dans cette perception, que la raison ne dément pas une seule seconde. Chaque fois que je regarde la fin de ce documentaire sur les restes préservés de Verdun (la campagne encore martyrisée malgré la repousse de la nature, telle croix posée ici, une marque commémorative, des restes d’une position d’une pièce d’artillerie, un blockhaus rouillé, des galeries de repos, la trace d’une tranchée, etc.), — la fin avec ce long plan en mouvement lent qui dure près d’une minute, filmant les alignement des tombes de Verdun vers l’Ossuaire entre les rangées d’arbres élancés et espacés, qu’une musique lente, funèbre mais non dénuée d’apaisement accompagne avec une solennité poignante, qu’une voix grave et contenue d’émotion dit le quatrain de Péguy :
«Mère, voici vos fils qui se sont tant battus,
»Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
»Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
»Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée.»
(Suite)
Ce sont les hasards du calendrier, un vieux projet ressuscité, le goût du retour vers un passé intuitivement deviné comme fondamental qui nous poussent vers Verdun quelques jours après la date symbolique choisie pour la commémoration du 90ème anniversaire de la bataille (les 15-17 novembre 2006 après le 11 novembre). La commémoration n’est pas dans nos habitudes ni dans notre penchant psychologique. C’est le hasard de cette immense bataille qui fait rencontrer, inscrite sur une des voûtes de l’Ossuaire National de Douaumont qui nous apparaît comme un des plus bouleversants monuments qu’on puisse concevoir, la mention d’un presque-homonyme mort pour la France (“Emmanuel de Grasset, brigadier, 6-10-89, 11-10-14”).
L’Ossuaire est écrasant. Il vous laisse sans souffle et sans un mot. Bientôt naît un sentiment diffus que vous retrouverez plus tard, amplifié, bientôt identifié si la visite se passe comme on doit désormais souhaiter et prier qu’elle se passe, — mais ici, certes, je parle pour moi comme si c’était l’auteur qui se parlait à lui-même devenu lecteur… Sentiment diffus, dis-je, et bientôt étrange, et bientôt surprenant. Le sentiment s’élargit, se renforce et se structure. Il se transforme en une méditation profonde et féconde, née de l'intuition et de l'initiation.
On découvre combien, autour de l’Ossuaire et, bientôt, sur tout le vaste territoire géographique de la bataille, celle-ci nous est restituée par l’innombrable présence de constants rappels de tous les événements qui la recomposent, jusqu’aux plus anodins. Une tombe ici, en pleine nature, sans une inscription et pourtant fleurie, un “cimetière” là, qui est un enclos pentu et feuillu, et soigneusement entretenu, d’une vingtaine de mètres de côté sans une seule tombe, avec une croix dressée sur un mausolée en son centre, quelques conifères, le sol herbeux et moussu et coupé ras, lieu à la fois harmonieux, serein et symbolique, d’où sourd un sentiment de paix haut et puissant. L’événement passé nous devient familier sans que nous le reconnaissions, rencontré à chaque détour de sentier. Nous y sommes car nous devenons son contemporain.
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31 octobre 2018 – J’ai rappelé hier notre (ici à dedefensa.org) et mon intérêt extrême porté à la Première Guerre mondiale, la Grande Guerre, cela dans la perspective du centième anniversaire de son terme, qu'il s'agisse de la paix ou de la victoire. Le même propos peut évidemment introduire cette page d’aujourd’hui, d’ailleurs brièvement annoncée hier :
« J’imagine qu’on a déjà identifié chez l’auteur de ces lignes une plume particulièrement sensible à la Grande Guerre, dans toutes ses nombreuses et exceptionnelles dimensions. On sait que nous approchons à grand pas du centième anniversaire de l’armistice et que Notre-Président, historien fameux et moraliste sans égal, célébrera la paix et nullement “la victoire”. »
D’où cette décision de commémorer à notre manière ce centième anniversaire, par un procédé bien simple qui tient de la reprise et du rappel des choses. Il y a de très nombreux textes sur la Grande Guerre dans les archives de dedefensa.org. Il est assez simple d’y accéder mais, souvent, le lecteur peut passer outre, remettre à plus tard, oublier d’y revenir, etc., bref perdre de vue le texte qu’il aurait voulu consulter. Nous allons nous “rafraîchir” la mémoire par un procédé très simple et qui ne gênera personne sans trop interférer sur notre travail quotidien : une reprise quotidienne, dans ce Journal-dde.crisis, de dix textes déjà publiés, terminant par un onzième qui sera inédit, jusqu’au 11-novembre. (On en dira plus, le temps venu, sur ce texte inédit.)
(Suite)