Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 9 novembre au 15 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • En fait, nous pourrions commencer cette “rétrospective” avec la même phrase, comme nous fîmes la semaine prochaine, en y ajoutant une majuscule et un qualificatif oubliés... “La [Grande C]rise, comme à l’habitude, suit un tracé insaisissable et court de l’un à l’autre foyer, pour rallumer les ardeurs éteintes et en enflammer d’autres.” • Cette fois, certes, il s’agit d’une énorme oscillation mais finalement qui en suit une autre qui la vaut bien, celle de l’engagement russe en Syrie, il y a un mois et demi. • Tout cela va vite, vite, très vite... • « « Les attentats de Paris, qui ont réduit cette semaine à ses deux derniers jours, ont effectivement donné une inflexion de plus à la Grande Crise, parce qu’ils en sont évidemment en tant qu’évènement un de ses effets de plus. • On doit nécessairement faire référence aux trois textes qui les concernent (deux, du 14 novembre 2015 et encore du 14 novembre 2015, un du 15 novembre 2015). On peut également en rattacher deux autres, qui leur sont indirectement liés, avant même que les attentats se produisent (le même jour encore, le 13 novembre 2015 et le 13 novembre 2015). • On pourrait même estimer que deux autres textes (du 10 novembre 2015 et du 13 novembre 2015), sur la situation de ce que nous jugeons être le déclin accéléré des USA, ont effectivement un lien indirect avec les attentats. »
Depuis plusieurs années, surtout depuis que dedefensa.org existe avec tout ce que cela suppose de contacts que je qualifierais d’“un peu plus personnels par rapport à mes activités professionnels” ne serait-ce que par le Forum, et cela dont je n’étais guère embarrassé avant, le sentiment que j’ai souvent éprouvé est que l’on me juge plutôt (et dedefensa.org avec) comme un optimiste. Ce jugement me stupéfie quand j’y pense, il me cloue sur place. (Je ne dis pas qu’il m’exaspère, quoique ce soit parfois le cas ; j’essaie, dans ce texte présentement d’aller au fond des choses, donc j’évite de m’arrêter aux humeurs qui passent.) Il n’y a rien de plus faux dans ce que je connais intimement de moi, rien de plus contraire à ce que je ressens au plus profond de moi ... Tout juste peut-on dire que j’aurais certaines parties de moi qui feraient dire que je suis un “idéaliste”, voire un “imaginatif”, voire un “rêveur” en dégradé selon le sentiment qu’on en a, ou bien un “croyant” si l’on veut entonner la Marche des Trompettes, mais cela est secondaire dans ce cas et ne dit rien du fond ou disons “de la couleur” de mon caractère ; au contraire d’ailleurs, puisque cette sorte d’attitudes qu’on me prête désigneraient sans aucun doute ce que j’élabore inconsciemment pour lutter contre le pessimisme total, le pessimisme qui pourrait aller jusqu’à devenir paralysant si je le laissais faire. (Par conséquent, observera-t-on, cela dit beaucoup de mon caractère, mais par logique inversée.)
J’ai revu récemment, par pur hasard d’ailleurs, une vidéo d’une rencontre entre Régis Debray et Jacques Derrida, – cela doit dater de 2002. Debray est invité à poser une première question par le “causeur de la communication”, l’hôte, Gisbert et son émission (peu importe laquelle). Debray explique assez longuement ses observations (c’est un bavard, je le sais) avant d’en arriver à sa question pour Derrida. Alors, il l’appuie directement sur cette remarque (autour de la septième minute de la vidéo), « Généralement, les philosophes font la théorie de ce qu’ils ne maîtrisent pas, de ce qu’ils ne pratiquent pas... Nietzsche qui était un homme en très mauvaise santé a fait une théorie de la force et de la santé... » Même si je ne m’attarderais pas à me défendre de me prendre pour “un philosophe”, ni pour une sorte de Nietzsche, ni pour une sorte de Debray ou de Derrida, parce que là n’est vraiment pas le sujet de la chose, je jugerais ce propos d’une justesse extrême lorsqu’il est étendu à cette catégorie de personnes, fâcheusement baptisées “intellectuels”, qui font profession d’écrire publiquement, et de penser par conséquent. Et ce cas, malheureusement ou non, est bien mon cas.
La question de Debray est donc : « Et vous, peut-être êtes-vous différent de ce que vous paraissez être, c’est-à-dire le déconstructeur sarcastique de toutes les illusions de la raison, et j’aurais envie de vous demander comment vous sentez-vous par rapport à ce personnage public que vous êtes par ailleurs ? » ; Derrida commence par une réponse où il dit son embarras, qui n’est pas feint du tout à mon sens, – « C’est une question extrêmement difficile... », – et je ne vais pas plus loin pour ce cas, je reviens à mon texte et curieusement je n’ai pas écouté la suite à ce moment... Mais certes, sans aucun doute, je me rappelle aussitôt, évidemment, ce texte sur Derrida assez récent (avril 2015), que j’avais écrit avec la passion d’une ardeur revigorante, comme lorsqu’on touche à une de ces vérités-de-situation, parce que l’espèce de “confession” de Derrida dans une autre circonstance que ce dialogue avec Debray est tout simplement un document extraordinaire, de vérité, d’émotion, de grandeur humaine après tout (quoique je pense, moi, de Derrida et de sa pensée à lui, – je parle objectivement de cet instant d’une confession).
...Et cet enchaînement et ce qui précède constituent un cas assez remarquable. J’ai commencé ce texte parce que j’étais au fond de ce “trou-noir” comme de l’encre de ce pessimisme dont je vous parle, puis écrivant ces premières lignes je me suis souvenu du Debray-Derrida, puis de là la connaissance personnelle que j’ai de Debray, le texte sur Derrida, etc., et l’on devrait remarquer que mon écriture, ou disons la musique générale du texte est devenue plus entraînante. Je me suis sorti peu à peu, ou bien très vite si l’on veut, de mon “trou-noir” comme de l’encre.
Nous vivons une époque terrible pour cette sorte de circonstance, et cela est nécessaire à dire car je ne crois pas que, dans une autre époque, on se jugerais aussi souvent invité à exprimer des sentiments à la fois si francs et si intimes, de cette façon, sur soi-même considéré d’un point de vue qu’on juge pouvoir intéresser au moins quelques lecteurs, avec la rapidité de transmission de la chose, les libertés de manufacture que permet la quincaillerie postmoderniste ... Cette “époque terrible”, donc : d’une part, tout, absolument tout m’invite à juger complètement justifié d’avoir ce sentiment d’un pessimisme total colorant mon caractère, comme si c’était moi-même qui m’étais inventé ce sentiment, et qui y tenais dur comme fer, comme si j’étais instruit par une accointance divine des causes universelles d’un tel pessimisme, – y compris moi-même et mon sentiment dominant d’ailleurs comme causes de ce pessimisme, – faisant ainsi un de ces cercles vicieux dont nous sommes coutumiers aujourd’hui. D’autre part, l’extrême abondance de l’information, ce phénomène du système de la communication, devant lequel j’éprouvais une réelle nausée il y a seulement une demi-heure, un quart d’heure oui, par rapport au moment où j’ai écrit les premiers mots de ce texte, jusqu’à entreprendre ce texte pour m’empêcher de vomir si l’on veut, ce phénomène de la communication me procure soudain, en un instant, une résurrection qui transforme mon sentiment en lui trouvant soudain un terrain où il peut découvrir une ouverture de lumière, où il peut soudain exprimer une volonté d’être qui sauve son être et le grandit, – et comment, pour mon compte, “être plus” sinon en écrivant à partir d’une pensée soudain reconstituée ?
(Suite)
Cette intervention doit retenir toute notre attention. L’héroïne de cet épisode de communication dont je vais parler est une jeune femme syrienne qui fait partie de ceux que nous avons coutume de désigner comme les “réfugiés-migrants” qui “affluent” en Europe, plus précisément de ceux qui ont “déferlé” durant l’été, en juillet-août, suscitant une “crise migratoire” qui a provoqué et provoque des réactions populaires très extrêmes devant ce qui a été perçu et continue plus que jamais à être perçue comme une “invasion” mettant en cause l’équilibre social, ethnique, sinon les réalités historiques et souveraines des pays de l’Europe, c’est-à-dire l’identité, l’être même de ces pays. J’ajoute que ces réactions, si elles peuvent être jugées condamnables par les esprits les plus réfléchis et les plus moralement hauts, souvent esprits des élites-Système comme on s’en doute aussitôt, n’en sont pas moins de mon point de vue complètement compréhensibles ; c’est dire, par simple logique des contraires, ce que je pense de ces jugements des élites-Système.
(J’emploie à dessein, soulignés par des guillemets, les mots indiquant effectivement ces “sentiments populaires”. Ces mots entre guillemets disent mieux qu’une longue analyse la réaction du “sentiment populaire” du côté européen et hors des consignes-Système ; ces consignes-Système étant d’une extrême banalité et surtout d’une hypocrisie encore plus extrême si c’est possible puisque l’action du Système est cause de tout cela ; et, là-dessus, se greffe le jugement que j’évoque sans le définir, que j’ai de la plupart parmi les élites-Système citées, que je considère comme tout aussi méprisables pour cette même hypocrisie, avec l’argument de la soumission et de la vassalité en plus, de tout ce qui fait partie de l’ensemble “européen/consignes-Système”.)
J’ai donc fixé l’attitude de deux des trois “partis” en présence, celui des “réactions populaires” et celui du Système, avec mes propres jugements, pour mieux en venir au propos de notre jeune femme syrienne. L’épisode est à mon sens symbolique d’une situation psychologique qui doit être assez répandue chez les “réfugiés-migrants”, et d’ailleurs il y a déjà eu des nouvelles de certains d’entre eux ayant décidé d’ores et déjà de retourner en Syrie (notamment après l’intervention russe dans ce pays, qui a été perçue comme l’amorce d’un facteur de stabilisation). La nouvelle sur la jeune femme syrienne nous vient de Hollande (le pays), d’un camp de réfugiés (cette fois, le mot simple est justifié) où elle se trouve. Elle est donnée par RT-français le 18 novembre, avec quelques déclarations, recueillies à partir d’au moins deux interviews “de terrain” de deux chaînes de TV hollandaises, suffisant très largement à faire comprendre son sentiment. (Les propos soulignés de gras l'ont été par moi.)
« Expliquant à l’équipe de télévision pourquoi le groupe de quinze personnes est sorti de leur logement, où le gîte et le couvert leur sont offerts par l'Etat hollandais, la [jeune] femme déclare “Ce n’est pas une vie lorsque vous rentrez dans une chambre et qu’il n’y a pas de télévision. Il y a juste un lit, pas de casier, pas de vie privée” [...] “Nous allons rester dehors car nous ne voulons pas manger cette nourriture, et nous ne voulons pas rester dans cette chambre. Nous fuyons notre pays à cause de la situation, et maintenant nous vivons dans une prison. Peut-être que nous devrions rentrer dans notre pays”.
» Dans un autre entretien donné à la télévision néerlandaise DenHaag TV le lendemain, la même jeune femme continue de se plaindre des conditions d’accueil en disant aux journalistes “Je veux rentrer dans mon pays”. La journaliste [qui l’interroge], qui semble choquée, lui demande : “Vous-êtes sérieuse ? Car il y a une guerre, pas vrai ?”, mais la réfugiée reprend : “Ici, ce n’est pas une vie. Là-bas, nous savons qu’il y a une guerre, mais ici il n’y a pas de vie. Vous êtes assis en prison. C’est la même situation, sauf qu’en Syrie vous pouvez vraiment vivre. Ils nous donnent 12 euros [par semaine], qu'allez-vous faire avec ça ?”. La jeune Syrienne conclut : “Nous sommes venus ici pour travailler, pas juste pour prendre l'argent de votre gouvernement et ne rien faire”. »
Je ne suis pas là pour me faire l’écho de la première réaction qui peut venir à l’esprit (“Incroyable ! Personne ne lui a demandé de venir, on l’accueille, on la loge, on la nourrit, on lui donne des sous [€12 par semaine, merde, c’est Byzance] et en plus elle se plaint parce qu’elle n’a pas la TV et pas de travail”) ; pas plus que la seconde, qui peut venir à l’esprit en réaction à la première si vous l’avez (l’esprit) plus sophistiqué, plus humaniste comme on trouve dans les âmes progressistes et “avancées” et dans ce cas moins dans les élites-Système parce que la jeune femme syrienne met tout de même en cause l’organisation et l’esprit humanitaristes du Système (“Incroyable ! On les traite comme des chiens et on ne leur donne pas la TV ni du travail, mais comme est-ce possible de la part d’une civilisation humaniste qui représente l’espérance du monde entier avec ses ‘valeurs’ ?”). Je mentionne ces réactions que je suppose typiques sans leur accorder la moindre importance, et en un sens la réaction de la jeune femme syrienne pas plus, parce qu’il s’agit d’évènements secondaires dépendant d’une cause première pour la séquence qui est la seule chose à considérer : la politique de déstructuration brutale, jusqu’à la dissolution, la politique-Système suivie par l’Europe comme par les USA dans le cadre du bloc-BAO, singulièrement depuis les années 2010-2011. La cause première, c’est le Système, avec tous ses caractères de brutalité de sa surpuissance dans la poursuite de sa politique de déstructuration-dissolution. J’ajoute même que la TV et le travail que réclame notre Syrienne, s’ils lui étaient donnés, représenteraient, dans tous les cas certainement dans l’intention inconsciente qui y présiderait puisque c’est le Système qui arrange tous ces bidules, une autre forme de la même déstructuration-dissolution, cette fois plus soft et plus ciblée sur la psychologie, et que, contrairement à ce qu’elle croit ou semble croire, elle ne sortirait pas de la prison où elle se trouve mais se trouverait dans une cellule un peu plus confortable, avec permission de sortie, etc., – mais cellule de prison quand même. Non, ce qui m’intéresse, c’est son argument principal, que j’ai souligné de gras, parce qu’il ouvre heureusement, je veux dire de la façon intellectuelle la plus heureuse, un tout autre débat : « Ici, ce n’est pas une vie. Là-bas, nous savons qu’il y a une guerre, mais ici il n’y a pas de vie. Vous êtes assis en prison. C’est la même situation, sauf qu’en Syrie vous pouvez vraiment vivre. »
(Suite)
En un sens qu’il faut manifester avec sagesse du point de vue de la symbolique, l’on pourrait dire que Daesh nous a rendu un fier service en nous révélant à nous-mêmes ; en un sens, qu’il faut manifester simplement par la bonne information des choses, c’est une sorte de renvoi d’ascenseur puisqu’il est avéré que nous avons littéralement fabriqué Daesh sans autre but que le vertige de la puissance, ou disons mieux de l’hybris parvenu au stade de l’inversion manifeste de ses effets. Bien sûr, employant ce “nous”, je ne fais que constater mon appartenance obligé à cette organisation du monde, cet enfermement, cette pression de la contrainte, ce producteur de souffrances et de révoltes furieuses qu’est le Système. Je parle, ici, de l’intérieur du Système bien que je dispose de divers stratagèmes pour lui échapper régulièrement et l’observer à loisir, comme étranger à lui, désolidarisé de lui et le méprisant, dans ces instant de libération qui me sont bien précieux. (L’inconnaissance, par exemple mais bon exemple, est un de ces stratagèmes.)
Je reprends une remarque d’un texte écrit peu après le 13-novembre pour, me l’appropriant (j’ai des accointances avec dedefensa.org), le développer au-delà de ce qu’il prétendait dire ; c’est-à-dire, l’expliciter et explorer son sens plus avant. Dans ces Notes d’analyse du 16 novembre, il est notamment écrit, au paragraphe où l’on traite de la communication (« la communication diluvienne ») : « Au contraire de “Je-suis-Charlie” et de tant d’autres occurrences, le Système n’avait pas de narrative prête et impérative sinon les ‘usual suspects’ (la barbarie, l’horreur, etc.). » Cela signifie qu’il n’a pas d’explication qui, en dénonçant le terrorisme mais en prétendant expliquer son acte, renforce le Système. Dans le cas de Je-suis-Charlie, c’était la liberté de penser et de s’exprimer, vieux truc-à-la-française devenu truc-Système dont chaque jour nous montre l’application forcenée. Dans le cas de 9/11, dans l’an d’extrême disgrâce 2001,– pour étendre la réflexion à l’origine de toutes choses dans la séquence que nous vivons, – c’était the American Way of Life dont le philosophe du régime Don Rumsfeld affirma le 29 septembre 2001, le plus justement qu’on puisse dire (cette old crapule de Rumsfeld était loin d’être stupide), qu’elle constituait la véritable cible d’al Qaïda (alors, on parlait d’al Qaïda).
(On l’a oublié, mais la véritable riposte à 9/11, ce ne fut pas le Patriot Act et toutes ces autres choses terribles, ces vilenies à-la-Pinochet dont on fait fort grand cas mais qui sont les épiphénomènes cruels et honteux d’un Système aux abois, qui ne changent rien à ses fondements, – et qui ne sont pas à proprement parler nouvelles, ces choses terribles, juste beaucoup moins dissimulées. La véritable riposte, ce fut ces exhortations de GW que Tom Engelhardt rappelait le 29 octobre sur son site TomGram, en chargeant sa plume d’une incrédulité complète et effarée : « Now, hop ahead to that long-forgotten moment when he would finally reveal just how a twenty-first-century American president should rally and mobilize the American people in the name of the ultimate in collective danger. As CNN put it at the time [20 september, 2001], “President Bush... urged Americans to travel, spend, and enjoy life.” His actual words were: “And one of the great goals of this nation's war is to restore public confidence in the airline industry and to tell the traveling public, get on board, do your business around the country, fly and enjoy America's great destination spots. Go down to Disney World in Florida, take your families and enjoy life the way we want it to be enjoyed.” » On comprend la désolation d’Engelhardt mais il s’agissait bien de la riposte du Système, en l’occurrence de sa filiale US : puisqu’il y a attaque contre l’American Way of Life, ripostons en pratiquant plus que jamais l’American Way of Life, et l’arme absolue de ce combat c’est d’emmener ses bambins à Disney World, en Floride après avoir acheté quelques actions pour permettre aux banksters de Wall Street de prospérer de feux d’artifice type-septembre 2008 en feux d’artifices à venir.)
“Nous sommes en guerre”, disent-ils, comme l’ancien secrétaire d’État Haig disait, l’après-midi de 9/11 “We are at war”. Dire cela, c’est évacuer le problème ou plutôt le nier, l’ignorer, le repousser, se voiler la face d’un geste nerveux et fiévreux pour ne rien voir. Notre problème n’est pas de faire la guerre, en admettant que nous parvenions à identifier de quelle guerre il est question, avec quel ennemi nous avons à en découdre et ainsi de suite. Notre problème est que, dans notre décrépitude absolue du point de vue du sens, nous n’avons rien à défendre qui vaille la peine, ou l’héroïsme, ou l’abnégation si l’on veut, d’être défendu. D’ailleurs, nous ne savons plus ce que sont la peine, l’héroïsme et l’abnégation, ce qui est déjà effleurer le problème.
En subissant cette attaque cette fois où nous nous trouvons à court de narrative puisque notre seule riposte est d’annoncer une guerre que nous n’avons ni les moyens, ni l’habileté, ni la volonté de faire jusqu’à son terme qui serait une victoire décisive et une paix véritablement pacifiée, nous découvrons que nous vivons selon une façon d’être et non plus selon une raison d’être, et que cette “façon d’être” est une dévastation de l’être. Aujourd’hui, il serait ridicule de riposter comme firent Rumsfeld-Bush en proclamant la grandeur d’une American Way of Life qui s’abîme dans le désordre et la corruption américanistes, qui n’est plus que la caricature d’elle-même, caricature d’une infamie, donc infamie d’une infamie. BHO ne s’y risquerait pas, le brave homme, craignant de compromettre le legs qu’il va laisser à l’histoire dans un peu plus d’un an et se contentant de soupeser le nombre de dizaines de soldats qu’il va expédier pour faire de la figuration anti-Daesh. C’est encore plus ridicule pour la France qui est cette fois l’héroïne souffrante et célébrée de l’attaque, parce que la France a abandonné depuis longtemps la French Way of Life, frappée d’apostasie et d’obsolescence honteuse comme chacun sait.
Ainsi en est-il à ce point que nous n’avons plus toutes ces “façons d’être” à brandir devant l’ennemi pour lui signifier que nous les défendrons jusqu’à quelque chose qui ressemblerait à la mort en la singeant. Alors, dans la débandade, nous nous replions sur ce qu’il nous reste, c’est-à-dire sur ce qu’il doit normalement nous rester, sur le fondement, sur notre “raison d’être” ; et cela, pour nous apercevoir avec terreur et fureur que, hop ! – disparue, envolée, finito l’argument décisif et sans réplique de “la raison d’être” auquel nous ne prêtions plus aucune attention en le tenant pour acquis, “lo spettacolo è finito” ...
Il y a de quoi être à la fois horrifié (pas par Daesh mais par ce que nous sommes devenus) et furieux (de ce que nous sommes devenus) ; il y a de quoi ... Et aussitôt, me dis-je, avec un joyeux “hop !”, la revoilà notre raison d’être ! Aujourd’hui, en plein jour et dans la lumière, je constate cette évidence que notre seule “raison d’être” possible est notre horreur et notre fureur devant ce que nous sommes devenus, la première alimentant la seconde et réveillant, à partir du constat horrible de la chute accomplie, le besoin furieux de se transformer décisivement en se relevant.
Comme je crois assez peu au “complots”, je vais commencer par dire qu’il n’y en a pas dans ce cas... (C’est-à-dire, pour être tout à fait précis : je crois assez peu à la réussite des “complots”, ne niant pas une seconde par contre qu’il y a toujours eu des complots, et qu’aujourd’hui il y en a une prolifération extraordinaire, – je dirais même, pour le coup, “assourdissante”, – mais avec les échecs à mesure, un peu comme dans un asile d’aliénés où le comportement des fous ressemble à un complot permanent qui échoue en permanence.) “Ce cas”, c’est celui des étudiants, ou militants, ou ceci et cela en même temps, Africains-Américains ou blacks comme l’on dit sans trop craindre la censure, qui ont investi le campus de l’université du Missouri-Columbia. Ils se plaignent qu’on ne parle pas assez de leur coup d’audace, qui entend servir la cause des blacks, parce que l’essentiel du système de la communication US (dont notamment et essentiellement la presse-Système pour ce qui est de leurs récriminations) s’est précipité sur les attentats de Paris. Ils y voient un complot...
« Les militants, qui ont récemment pris le contrôle du campus de l'Université du Missouri-Columbia, espéraient que leur action ferait grand bruit dans le paysage médiatique américain. Toutefois, les médias américains se sont massivement concentrés sur la vague d'attentats sanglants qui a frappé la France le 13 novembre, relayant ainsi au second plan les protestations de défenseurs de la cause noire qui dénonçaient les injustices raciales dont les Afro-Américains sont victimes aux Etats-Unis. “Intéressant de voir comment les journaux couvrent les attaques terroristes de Paris mais ne disent rien sur l’attaque terroriste à ‘Mizzou’ [l’Université du Missouri-Columbia]”, déplorait un tweet... » (voir RT-français, le 15 novembre 2015, avec une curieuse interrogation sur l’emploi du mot “terroriste” par la tweeteuse Kyra).
Je crois qu’ils se trompent, il n’y a pas complot... Il y a, pour le cas, dans le système de la communication US, cet événement extraordinaire par rapport aux temps passés que je connus bien qu’un événement non-US qui ne soit pas absolument impératif (les crises pullulent, Paris 13-novembre n’a pas écrasé le reste) puisse prendre le pas sur tout ce qui se passe aux USA de cette façon. On est alors conduit, ou dirais-je pour plus de sûreté et ne compromettre personne que je suis conduit à observer qu’il y a la formidable force d’attraction de ce qu’on a coutume de nommer sur ce site la Grande Crise, ou la Grande Crise d’effondrement du Système, – vous voyez à quoi je fais allusion, parmi les tics innombrables de dedefensa.org ? (Ce qui induit, je le reconnais, que je fais mienne la thèse que l’évènement parisien de vendredi dernier est un événement majeur, une étape importante de cette Grande Crise ; pas la première, d’étape, bien entendu et quant à savoir s’il s’agit de la dernière, de l’ultime... On verra plus loin et on verra bien.)
Cette formidable force d’attraction de la Grande Crise transitant par le 13-novembre se marque d’abord dans le système de la communication. La “couverture” médiatique et de communication (moi, j’appellerais ça plutôt “l’édredon”) des attentats de Paris a été, est et sera encore pendant quelques jours tout simplement phénoménale. Tiens, comparez avec ceci, dont vous pourriez vous souvenir, c’est-à-dire la “couverture” dérisoire par comparaison de la série d’attentats de Madrid du 11 mars 2004, également montés comme une opération minutieusement coordonnée sur le réseau ferroviaire de banlieue, qui fit tout de même (oups) près de 200 morts et 1.400 blessés. Cela ne signifie nullement que la qualité du point de vue de la communication soit à la mesure de cette quantité si extraordinairement amplifiée pour le 13-novembre, surtout si l’on considère l’état de détresse avancée de ce qui est nommé, également sur ce site, la presse-Système, et j’affirmerais même : “tout au contraire”... Mais l’intérêt est dans ceci que la force et l’effet de masse dans la communication sont là, et il est alors tout aussi d’un réel intérêt de savoir s’il ne s’agit pas d’un événement en soi, qui semblerait alors, si c’était le cas, avoir une grande et forte signification, et qui pourrait, lui, recéler un effet qualitatif indépendant de l’extrême bassesse du contenu de la communication.(C'est un peu la thèse du globalisme selon laquelle le tout est, dans certaines conditions dynamiques, d'une autre substance que l'addition de ce qui le compose.)
(Je dis tout cela, je m’en avise exactement à l’instant, sans prendre en compte l’hypothèse d’autres attentats à venir, ou d’autres évènements de crise, hors de France et même hors d’Europe, également à venir, peut-être dans les prochains jours ; alors que le 13-novembre a eu lieu sans que nous ayons pu “digérer” cet autre évèement colossal d’il y a 45 jours, que fut l’intervention russe en Syrie … Et disant ceci et cela, justement, me vient à l’esprit l’idée en forme d’hypothèse, aussitôt écrasante par son évidence, et sur laquelle on reviendra sans aucun doute par d’autres rubriques et méthodes d’écriture sur ce site, que nous sommes entrés dans la phase de perte totale de l’illusion du contrôle de notre Grande Crise. Il faut bien avoir à l’esprit l’importance du mot “illusion” ; la perte, ou l'absence de contrôle humain de la Grande Crise est d'évidence puisque c'est l'essence même de la chose d'être hors de notre portée, mais ce que nous avons perdu le 13-novembre c’est l’illusion que nous contrôlions encore quelque chose d’elle. C’est peut-être cela, essentiellement, que salue ce déluge de communication.)
Nous vivons des heures étranges, écrasés sous la force diluvienne de la communication qui tient la perception sous son empire, transformant démesurément l’événement, comme une de ces ombres immenses de son Nosferatu que Murnau, au sommet de son art expressionniste allemand, projetait sur les murs de la ville terrifiée, dans le film du même nom ; pendant ce temps, Assad, l’innommable Assad, le président-qui-ne-devrait-pas-exister, nous dit qu’il est désolé pour ce qui survient à Paris, mais que la Syrie, vous savez, vit cela chaque jour, depuis cinq ans. Quoiqu’on pense d’Assad, si on peut appeler “penser” pour la plupart de ceux qui émettent l’avis standard-Système à son propos, ce qu’il dit est vrai et laisse à penser. Et pourtant, je m’y tiens... Malgré l’évidence, je ne crois pas une seconde que cette fantastique disproportion de la communication, de la perception, de l’appréciation, soit simplement un accident technique ou une aberration de nos sens, ou bien encore une disproportion épouvantable de notre attention pour nous-mêmes et de notre inattention pour les autres ; il y a de cela, mais il y a aussi dans cet aspect de l’événement, tapie, une profonde vérité-de-situation qui nous parle de notre Grande Crise arrivée à un moment historique, ou métahistorique puisque nous sommes sur ce site, de son évolution. C’est simple et pure intuition, dire cela, mais l’on sait l’importance que j’attache à l’intuition ; et de la traduire aussitôt en une question pratique : ne sommes-nous pas dans la possibilité aujourd’hui proche, mais que nous ne sommes pas encore assurés de voir menée à bien, que la cuirasse que le Système nous impose pour la perception du monde soit en train de céder ?
(Suite)
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 2 novembre au 8 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • La crise, comme à l’habitude, suit un tracé insaisissable et court de l’un à l’autre foyer, pour rallumer les ardeurs éteintes et en enflammer d’autres. • La crise syrienne n’est pas de Syrie seule, mais phase d’un ensemble plus vaste qui, cette semaine, touche de plein fouet les USA avec le débat dit-des Boots on the Ground (des soldats à terre, voir le 3 novembre 2015). • Le caractère de cette phase crisique se confond avec le caractère du président des États-Unis, indécis, incertain, plein de demies-mesures, qui enrage le Pentagone si bien qu’on parle d’une “crise” (quoi d’autre ?) entre la Maison-Blanche et le Pentagone (voir le 7 novembre 2015). • Pendant ce temps, l’affaire de l’avion russe qui a explosé en vol au-dessus du Sinaï entraîne vivement l’Égypte dans la crise (le 6 novembre 2015), tandis que le Congrès des États-Unis débat comme au Café du Commerce de la possibilité d’une Troisième Guerre mondiale (le 5 novembre 2015). • Dans ce désordre tout entier marqué par la démence, notre recommandation est de suivre les chemins de l’inconnaissance (voir le 5 novembre 2015), un peu comme Gustave Le Bon le reconnaissait sans l’identifier, déjà en 1915 (voir le 4 novembre 2015), tandis que notre chroniqueur-rêveur invoque “la puissance bienveillante du monde” (le 6 novembre 2015). »
La guerre c’est une chose sérieuse, qui vous apprend à vivre et vous apprend que la vie ce n’est pas “se laisser vivre”, et que la vie c’est aussi la mort brutale apprise et survenue dans le quotidien des vies. Je le sais bien, ayant vécu dans les premières dix-huit années de ma vie, huit années de guerre, de 1954 à 1962 en Algérie. C’était justement la sorte de guerre qu’on affronte aujourd’hui (voir la bataille d’Alger de 1956-1957, la vraie pas le film), et qui vient de frapper durement Paris alors que Paris se refusait à la vivre vraiment (l’épisode “Je-suis-Charlie”, vécu comme un symbole malgré le sang répandu, n’a absolument pas la signification du carnage d’hier soir, justement à cause de cette dimension de carnage). C’est aussi la chanson de Reggiani, celle de 1967, dont notamment le premier quatrain, quelque signification qu’on ait voulu donner à la chanson (d’une façon générale, anti-fasciste ou bien pour célébrer la lutte contre l’Allemagne nazie), dit ceci qui ressemble tant à la situation de nos contrées civilisées, celles que nous avons l’habitude de regrouper sous l’expression de “bloc-BAO :
« Les hommes avaient perdu le goût
» De vivre, et se foutaient de tout
» Leurs mères, leurs frangins, leurs nanas
» Pour eux c’était qu’du cinéma
» Le ciel redevenait sauvage,
» Le béton bouffait l’paysage… alors...»
“Alors” ? Devant tant d’abandon où s’abîme notre monde, certes, les loups ont jugé tout à fait naturel et de la meilleure occasion du monde d’entrer dans Paris et de faire ce qu’ils nous ont avertis qu’ils feraient... Les élites-Système n’ont pas versé une larme sur les 224 personnes tués dans le vol 9628, notamment parce que c’étaient des Russes, et que les Russes, hein, après tout... C’était bien mal à propos et une impolitesse insensible et inutile, parce que le désordre frappe partout.
La chanson citée ci-dessus se nommait, on s’en souvient, Les loups sont entrés dans Paris. Quelle pensée secrète, quelle impulsion venue d’on ne sait où, m’a conduit à écrire hier, dans ce Journal dde.crisis, un texte sur Paris, gloire & nostalgie, qui célébrait le Paris qui n’est plus, le Paris d’avant cette “guerre totale” qui est en vérité l’enfant du désordre absolu, universel, mondialisé et globalisé qu’ils ont tant contribué à mettre en place, à entretenir, à couvrir de leurs vœux. Bouleversé très certainement et très profondément, inutile d’en douter, sans avoir à suivre les consignes de son conseiller en communication, le pathétique président-poire a dit toute son horreur et annoncé la première mesure d’urgence : la France a fermé ses frontières, gommant d’un seul trait rouge du sang des victimes l’un des principes fondamentaux d’un demi-siècle de la politique qu’on sait. Si la France n’avait pas suivi cette “paix européenne” qui s’ouvre sur le monde, ce qui s’est passé hier se serait-il passé hier ? Je ne retirerais évidemment pas un seul mot de ce passage du texte d’hier, qui concerne le Paris d’aujourd’hui, soudain éclaboussé de sang ; j’ajouterai simplement, parce que les évènements vont si vite qu’on ne peut tout écrire, que ces évènements vont ainsi obliger la “presse-Système” à parler des “bruits excessifs” du monde de feu et de sang qui est le nôtre, et “des carnages” qui vont avec, qu’elle dissimule en général avec un brio qu’on retiendra comme sans précédent...
« [La France] est entrée dans l’ère de la “paix européenne” qui s’avère, dans la mesure de la profondeur des choses et si l’on a assez de force de caractère pour écarter les geignements de l’affectivisme (spécialité des commémoration des champs de bataille), infiniment pire que les pires des carnages puisque l’enjeu en est simplement la destruction du monde, sans bruits excessifs (la presse-Système y veille), sans carnages (la presse-Système veille à ne pas nous en informer), sans rien du tout (ce qui est la définition de la presse-Système), – par déstructuration silencieuse et dissolution à peine chuintante, – par pure entropisation des choses, c’est-à-dire l’effondrement diluvien dans le trou noir du rien et qu’on n’en parle plus pour leur éternité. Dans ce contexte où la France s’est inscrite avec la prise du pouvoir par les hordes énervées et hystériques de ces étranges zombies postmodernistes qui tiennent la place, la logique que j’illustrai plus haut par des exemples d’époques diverses n’a plus de raison d’être... »
Je ne retirerai pas un mot parce que, tous comptes faits, ce ne sont pas vraiment “les loups” selon-Reggiani qui sont entrés dans Paris. L’histoire du terrorisme de ces dernières années, et notamment de celui de Daesh (voir le général Flynn que n’a pas vu la presse-Système, cet ancien chef de la DIA qui vous disait tout sur ce qui nous attendait, et principalement comment nous l’avons créé nous-mêmes), vous dit tout à cet égard ; c’est “Le désordre [qui] est entré dans Paris”, ou bien “Les loups du désordre” qu’il aurait fallu écrire, que sais-je, car le terrorisme est bien l’expression même du désordre, de la déstructuration et de la dissolution de nos sociétés, l’abjection de cette “contre-civilisation” dont nous avons hérité. Bien entendu, ils vont renforcer leur pseudo-État policer, leurs régiments de surveillants de l’ordre public dont on sait bien les arrière-pensées mais qui se trouvent soudain placés devant l’affreuse évidence du désordre du monde auquel ils ont tant contribué.
Le choc psychologique de la soirée du 13 novembre (11/13 dira-t-on désormais, avec la malédiction du chiffre 11), par l’ampleur inimaginable encore quelques heures plus tôt de l’attaque, le caractère aveugle des tueries, – cette attaque de la sorte de celles que subissent dans l’indifférence de la presse-Système depuis des années et des années tous ces gens en Afghanistan, en Irak, en Syrie et dans tant d’autres lieux, et même en Russie qui en a eu son lot, – ce choc va bouleverser les psychologies. Il va secouer l’Europe déjà agonisante au milieu de la crise des migrants avec les liens qu’on imagine, comme aucun autre événement ne l’a fait avant durant cette séquence ; il va faire trembler sur leurs bases toutes ces conceptions qui ont fabriqué ce monde de désordre absolu et eschatologique d’où naissent des choses comme Daesh auxquelles nous prêtons à peine discrètement main forte lorsqu’il s’agit de faire de la fine politique-Système. Nous n’avons pas fini d’en subir les contrecoups qui sont de l’ordre du psychologique et de tout ce qui va avec et s’inscrit sans nul doute dans le courant de l’accélération de la crise générale d’effondrement du Système.
Bien sûr la grande lutte contre le terrorisme va prendre une nouvelle dimension, et nous nous trouverons alors devant nos incroyables contradictions. Ce n’est pas Bachar qui a fait ce qui s’est passé à Paris, mais ceux dont on espérait qu’ils auraient la peau de Bachar, et c’est Bachar que nous n’avons cessé de maudire comme ennemi de l’humanité. Les spécialistes du contre-terrorisme vont venir nous dire que Daesh et ses amis sont terriblement bien organisés ; qu’il va falloir s’y mettre pour en comprendre tous les dédales... Qu’ils aillent donc voir la CIA pour les détails des dédales, cela leur fera gagner du temps.
La réaction dans l’anathème contre la barbarie, à la mémoire des victimes de ces crimes odieux, les serments d’une lutte sans merci, tout cela ne va pas manquer dans les jours et les semaines qui viennent. Leurs symboles (drapeaux en berne, bandeau noir, marche républicaine, unité nationale) seront partout au rendez-vous, comme ils ont l’habitude de faire, – mais même le symbole s’use et se fane. Ce n’est rien par rapport à la profondeur du choc dans les psychologies. Nous avons désormais à nous attendre aux effets de cette profondeur du choc sur tout le dispositif de notre monde, sur tout le Système, – d’autant que Daesh & Cie ne s’en tiendront pas là.. On ne subit pas un choc pareil sans qu’un ébranlement, une réplique comme l’on dit des phénomènes sismiques, ne se fasse sentir à un moment ou l’autre dans le terme des semaines et des mois qui viennent, d’une puissance et d’un sens qu’on ne peut imaginer.
Vu, il y a quelques jours, un documentaire sur la chaîne Histoire, dont le titre est Paris la nuit, cela faisant partie de toute une série sur Paris. Le documentaire embrasse la période 1945-1950 (plutôt 1950) jusqu'à 1965-1970, bref ce petit quart de siècles qui vit le monde nocturne parisien et même international devenir absolument germanopratin, de la période du swing, du Tabou, de Boris Vian et de Claude Luther, à celle surtout des cabarets minuscules et extraordinairement chaleureux, où toute une génération (Brassens, Ferré, Catherine Sauvage, Rochefort, Noiret, Mouloudji, Aznavour, Gainsbourg, Barbara, Lama, Brel, Cora Vaucaire, etc.) trouva son public restreint puis, pour certains, sa gloire au-delà de la Seine (Bobino, l’Olympia, les studios). Ma nostalgie, dont on sait qu’elle est chez moi un sentiment si intense et extrêmement significatif, qui va bien au-delà du souvenir, qui constitue en soi le défricheur du souvenir pour la tâche indicible de l’éternité, ma nostalgie était intense.
Durant cette période, dans le milieu des années 1950, j’étais à l’aube de l’adolescence et, pour chaque “grandes vacances”, nous nous rendions à Paris (mon père devait faire sa visite annuelle à la haute direction de l’Alsthom, qu’il représentait en Algérie). Nous allions vers la capitale, venant de Mennecy où ma grand’mère avait une maison de campagne héritée de sa cousine, la femme du professeur Béal (du vaccin contre la tuberculose BCG) et pour autant non moins redoutable et terrible suffragette féministe ; l’arrivée vers la capitale, sans autoroute (inconnues à l’époque), par des routes bordées d’alignements arbres sans fin, ces routes souvent solitaires qui semblaient se perdre dans l'horizon, c’était comme si je tenais la promesse d’entrer dans un monde merveilleux et hors du temps mais c’était surtout, – je ne m’en avisais pas encore, – le pittoresque et le style, et je dirais même l’équilibre et l’harmonie de la tradition survivante. La perspective de Paris me fascinait comme par une magie sans exemple, et je me tenais muet d’émotion et d’admiration à l’entrée dans la grande ville sans exemple ni équivalent.
Certes, je ne connus rien de cette vie parisienne de la nuit, mais un peu par des échos, par mon oncle Jules. Homme de cabinet ministériel, d'abord proche du ministre Jacquinot dont il était “le compagnon” attitré dans les premières années d’après-guerre, mon oncle était un homosexuel d’une chaleur et d’une drôlerie incomparables, d’un charme fou ; ses nombreuses sœurs (dont ma mère) ne cessaient de l’entourer pour pouffer avec “le petit Jules”, avec lequel elles partageaient une complicité si chaleureuse. Il faisait partie de l’escadron nocturne de “la bande de Versailles”, du nom de Louis Amade, parolier de Bécaud et préfet de Versailles, et aussi avec Gilbert Bécaud, Jean-Claude Pascal et d'autres, constitué pour écumer les nuits parisiennes.
Paris était magique, vous dis-je. Les Américains qui avaient conquis le monde y venaient avec vénération, comme s’il s’agissait du centre du monde. Les milliardaires US, les “un peu plus de 1%” d’alors, se regroupaient en association pour dégager des centaines de $millions et sauver gracieusement le château de Versailles alors en ruines, pour la plus grande gloire de la France comme une part importante de la gloire du monde... J’ai noté cela dans La Grâce de l’Histoire, par une simple anecdote dont l’héroïne était une personne de grande qualité :
« Pourquoi sinon pour saluer une évidence qui transcende les modes, les politiques et les siècles – pourquoi penser à cette autre image restée au fond de ma mémoire, comme la mère nourricière dispose sa terre fertile, de l'actrice américaine Lauren Bacall, plus vieille de tout le temps de sa carrière et à peine vieillie, et devenue une autre femme, devenue véritablement une femme internationale, qui passe à l'émission ‘Inside the Actor's Studio’ en 1999, où la question lui est posée, extraite du rituel où l'on déroule le “questionnaire de Bernard Pivot”, selon la présentation immuable du présentateur et réalisateur de l’émission James Lipton : “Qu'est-ce qui vous fascine par-dessus tout ?” De cette voix brève et qui semble métallique mais qui se révèle être une voix de gorge, sans trembler ni ciller, Bacall répond comme cela va de soi, comme une flèche se fiche dans la cible et au cœur, sans un souffle, presque sans un mot, comme si la réponse était inscrite dans le vent et dans l’histoire du monde :
— Paris. »
(Suite)
Le constat m’est (re)venu, toujours le même d’ailleurs, mais avec une force particulière ce matin : qu’est-ce que la communication nous dit de la situation du monde ? Comment s’y reconnaître ? Cela, à propos de plusieurs articles d’auteurs connus dont je vais dire quelques mots pour bien préciser le problème, en même temps que je rappellerai un cas constant à propos duquel ce “doute du doute” est à chaque fois signalé lorsqu’on se réfère à la sources. Ces exemples précis et concrets seront là pour rappeler combien ce que mon discours peut avoir de théorique, trouve en vérité son expression constante dans la communication du monde, dans cette force foisonnante (le “système de la communication”) qui est à la fois la malédiction et la sauvegarde de notre époque crisique si affreusement tourmentée.
C’est d’abord un article de Justin Raimondo, de Antiwar.com, de ce 10 novembre 2015, repris le 11 novembre au matin, par Russia Insider (RI). On les connaît bien, les deux : et Raimondo/Antiwar.com, et RI : adversaires acharnés du Système, de la politique-Système, belliciste et provocatrice des USA ; par conséquent, plutôt (pour Raimondo) et complètement (pour RI) partisans de la Russie dans son état actuel et avec sa politique en cours. Le sujet du texte de Raimondo, c’est le cas d’Hillary Clinton, qui serait élue présidente en 2016, et qui aurait suivi une politique de confrontation accentuée avec la Russie jusqu’à nous mener au bord de la Troisième Guerre mondiale, quasiment en cours de déclenchement en ce jour de 2018 hypothétiquement choisi par Raimondo. Bien sûr, il s’agit du même texte, mais les titres varient : « The Russian Question – Are we in for another nuclear standoff with the Kremlin? » (Raimondo), « Hillary Clinton Could Start World War III – Her dilettantism in foreign policy combined with her slavishness to war-mongering advisors - in common with nearly all leading candidates for the US presidency - make a mistake which could lead to war all the more likely » (RI).
Laissons le détail du texte, citations, précisions, etc., pour en venir à l’impression que j’en ai recueillie. (Certains jugeront cette impression d’autant plus incongrue, ou bien injustifiée c’est selon, dans la mesure où le texte se termine sur l’appel de Raimondo aux lecteurs du site pour qu’ils participent à la campagne d’appel à donation en cours chez Antiwar.com ; mais non, je ne crois pas que ceci [la réflexion sur la perspective d’une guerre mondiale] ait été écrit dans le but d’avoir une influence sur cela [l’appel à la donation], même si ceci est évidemment, et normalement, utilisé pour renforcer l’influence de l’argument en faveur de cela.) Lisant le texte de Raimondo, on a l’impression d’une Russie sur la défensive, partout dominée stratégiquement par les USA ; dans un texte qui suit, le 11 novembre et sur un autre sujet, Raimondo décrit la même Russie comme affaiblie sinon en déroute économiquement, avec même la précision d’une démographie en cours d’effondrement. (*) Bien entendu, les textes de Raimondo se terminent par l’habituelle dénonciation du bellicisme de Washington-Système, mais tout de même, ils laissent une impression mélangée. Certains pourraient dire que Raimondo, libertarien bon teint, n’aime pas la Russie qui est notablement statiste ; ce n’est certainement pas un argument acceptable pour justifier ce qui pourrait être vu par certains autres comme une déformation inutile de l’image de la Russie, telle qu’elle existe actuellement, alors qu’elle s’est imposée comme le seul adversaire de taille face au Système dévorant et furieux que combat Raimondo, et qu’elle fait un travail remarquable. (Il faut savoir choisir l’“ennemi principal” et s’y tenir quand l’enjeu est de cette taille.) Quoi qu’il en soit, ce qui m’importe de rapporter ici, c’est l’espèce d’impression mélangée et incertaine que j’en retire à l’égard d’un commentateur que je suis depuis presque quinze années et qui ne m’a jamais laissé, jusqu’ici, une telle “impression incertaine et mélangée”, – alors que, j’en ai la plus complète conviction, il a écrit ces articles en toute bonne foi, dans sa mission antiSystème telle qu’il la conçoit. C’est ce contraste entre “impression incertaine et mélangée” et “toute bonne foi” qu’il m’intéresse de mettre en évidence.
Le deuxième cas concerne le Saker-US. Il s’agit de deux textes qui sont écrits quasiment simultanément, le 8 novembre pour UNZ.com, le 9 novembre pour son propre site (Saker-USA). Dans le premier, dont on a déjà parlé par ailleurs sur ce site, la description de la politique et de la position russe en Syrie est faite dans des termes extrêmement dynamiques, avec des références sur les détails opérationnels données qui sont extrêmement précises, donnant l’impression d’une “montée en puissance” remarquable et remarquablement dissimulée de la Russie en Syrie. Le second, par contre, donne une impression contraire. Sans abandonner une seconde la cause russe, bien au contraire, mais dans la façon dont la situation est décrite, sans apporter d’éléments opérationnels nouveaux et sans démentir aucun des éléments signalés précédemment, l’auteur donne l’impression inverse à celle du premier texte. C’est un petit peu l’affaire du “verre à moitié plein et du verre à moitié vide” si l’on veut, mais, me semble-t-il, sans que le jugement sur la dynamique de la situation soit tranchée d’une façon satisfaisante.
... Qu’importe, il ne m’importe pas de trancher mais de signaler, entre ces deux textes, ce que je signalai plus haut à propos de Raimondo. Je ne vois rien qui puisse contredire le jugement de “la bonne foi” de l’auteur et de la fidélité à ses options et à ses choix bien connus, mais je retrouve complètement cette “impression incertaine et mélangée” signalée plus haut.
Maintenant, le “cas constant” annoncé plus haut, “à propos duquel ce ‘doute du doute’ est à chaque fois signalé lorsqu’on se réfère à la source”. Il s’agit du site israélien DEBKAFiles, et l’on sait qu’effectivement, à chaque occasion, dedefensa.org signale à la fois ses liens (avec les services de sécurité israéliens) et ses variations d’optique et de points de vue sur certaines situations. (Certes, il y a des domaines où DEBKAFiles ne varie pas : son maximalisme anti-palestinien et pro-sioniste, sa méfiance sinon son mépris à l’encontre d’Obama, une attitude critique de Netanyahou pour les interférences de ce qui est jugé comme une attitude politicienne sur les nécessités de sécurité.) Il y a depuis un mois et demi, chez DEBKAFiles, des variations par rapport à la Russie-en-Syrie, qui vont du complet dénigrement à la reconnaissance d’une puissance nouvelle exceptionnelle, que nous tentons à chaque fois d’expliquer mais qui ne nous permettent en rien d’avoir une complète certitude de ce qu’il importe d’en juger à cet égard par rapport à cette source. Là aussi, quoique dans un autre registre puisque DEBKAFiles reste un site lié à des forces du Système, “impression incertaine et mélangée”.
Cette réflexion ne concerne aucun des faits mentionnés, aucune des opinions engagées, aucun des auteurs ou organisation envisagés, aucun des partis pris, ou mal-pris, ou pris-et-abandonnés, mais la communication elle-même, sa fluidité, son insaisissabilité qui sont des phénomènes extérieurs à nous (telle est ma conviction) ; mais la façon dont nos psychologies, et au-delà nos jugements et l’action de notre raison y sont sensibles. J’écris cela en affirmant, et réaffirmant avec une force extrême, même et peut-être surtout parce que je l’ai déjà écrit souvent, que le terrain intellectuel où nous évoluons n’est absolument en rien celui de la propagande, mais celui de la conviction enfantée par les psychologies (je dis “enfantée par” comme je parle de la sage-femme aidant l’enfant à sortir du ventre de la mère) ; celui de la force plus ou moins grande de ces psychologies, de leur fatigue plus ou moins affirmée, qui contribueront évidemment à façonner la conviction dans sa force, dans sa résistance même à la tentation de la manipulation, ou plutôt de l’auto-manipulation comme l’on parle d’automutilation. C’est-à-dire que je ne crois en aucune façon, pas un instant, que nous soyons dans une époque de menteurs ni dans le temps du mensonge, c’est-à-dire de l’acte volontaire de trahir ou de cacher la vérité ; mais dans l’époque de la sincérité de la croyance dans les choses les plus variées, les plus mélangées, les plus contradictoires, les plus folles, les plus ternes, des plus hautes et sublimes aux plus inverties et perverses, dans un cadre où ni la hauteur ni la perversité ne disent nécessairement leurs noms, dans l’époque où le jugement a d’immenses difficultés à conserver le sens de la mesure, et l’âme poétique à identifier le chemin menant le plus rapidement et le plus assurément à l’accès aux vérités-de-situation. Nous ne sommes pas dans une époque de tant de mensonges prêts à créer leurs menteurs mais dans une époque de folies prêtes à investir l’esprit, de faiblesses de caractère, de pertes de caps à tenir pour suivre et poursuivre, de confusions des circonstances qui font des lignes tracées des bouillonnements tourbillonnants. L’époque ne trahit pas ni ne cache la vérité, elle ne sait plus ni la trouver, ni la reconnaître, elle ne sait même plus que la vérité existe et elle ne sait même plus ce que c’est que la vérité, qu’il y a quelque chose qu’on pourrait désigner du nom de “vérité”, que le mot “vérité” existe et qu’il peut même s’écrire “Vérité”. Nous sommes laissés à nos propres investigations, souvent à nos propres errements, parfois à ces instants d’illumination qui nous transfigurent.
(Suite)
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 26 octobre au 1er novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • La crise syrienne ne se ressemble plus désormais : il est évident qu’elle atteint une phase d’élargissement et d’approfondissement qui en fait le cœur de la Grande Crise Générale, attirant à son tour vers elle, comme l’avait la crise ukrainienne précédemment, tous les facteurs de tension et de déstructuration. • Ainsi, certains font-ils une analogie entre la situation présente et l’année 1983, qui vit la plus grave crise de la Guerre froide, – bien qu’on ait été très discret à son égard sans doute pour en dissimuler la gravité (voir le 29 octobre 2015 ). • Mais cette analogie, particulièrement dramatique et tragique, présente une très grande différence avec 1983 : cette année-là, c’était l’URSS qui était à la dérive, alors qu’aujourd’hui la Russie se sent plutôt triomphante (voir le 28 octobre 2015). • Les USA, eux, sont dans la plus complète confusion, sans la moindre visions stratégique ni la moindre cohérence politique, et dans une voie qui, pour certains, les apparente à un véritable “État terroriste” (voir le 1er novembre 2015). • Dans cette terrible situation générale où les USA ne cessent de compromettre leur destin, on saluera un ex-président, Jimmy Carter, qui nous fait regretter ce que pourrait être une véritable diplomatie US (voir le 26 octobre 2015). »
Je vais m’attacher à un aspect très important, le plus important d’ailleurs, dans tous les travaux de ce site, – la psychologie ; plus précisément, la psychologie US depuis que les Russes sont en Syrie. Je crois en effet qu’il existe une très forte possibilité que cette intervention russe, – sans l’avoir voulu précisément, mais peut-être inconsciemment, qui sait..., – inflige, si ce n’est déjà fait mais encore mal ressenti, un choc psychologique terrible à la psychologie US. Je parle de la psychologie militariste et expansionniste qui gouverne cette puissance dont l’oxygène, le sang même, la fonction vitale se nomme : hybris. Je vais même avancer, dans ce Journal dde.crisis où je me sens après tout plus libre que dans les textes courants du site pour laisser vagabonder l’inspiration des forces intuitives, que ce choc psychologique ne pourrait se comparer qu’à ceux, respectivement, de Pearl Harbor et du 11 septembre 2001. La forme est différente certes, l’intensité apparente sans commune mesure, la chronologie complètement sans comparaison, mais l’effet profond, souterrain, me semble pouvoir être envisagé comme étant similaire. Il y a aussi la question du sens, du point de vue trivial de l’orientation stratégique ; au contraire de Pearl Harbor et de 9/11, le sens de ce choc n’apparaîtrait nullement comme une sorte d’appel puissant et en apparence réussi pour la mobilisation d’une “puissance assoupie”, mais comme la découverte du trou noir et glacé de la déroute puisque se produisant alors que les USA vivent depuis près de quinze ans en état permanent de guerre et de mobilisation.
Je crois que nous allons très vite lire sur le site un texte sur le thème : “Les Russes en Syrie, s’ils n’ont pas changé le monde, vont provoquer, ou peut-être ont déjà provoqué au sein de cette communauté de sécurité nationale de Washington qui constitue la colonne vertébrale du Système bien plus que tout le reste (y compris la finance), une terrible crise psychologique”. On y étudiera les causes de ce phénomène et la façon dont les USA peuvent soit tenter d’y remédier, soit ne même plus avoir la force de tenter d’y remédier. Moi, dans ce texte-là, je vais m’attacher à tenter de montrer en quoi il pourrait s’agir d’un “choc psychologique” équivalent à ceux de Pearl Harbor et de 9/11, mais avec cette capitale dimension d’inversion (le “trou noir et glacé de la déroute”).
Pour Pearl Harbor, c’est évident : le choc de l’attaque venue de l’extérieur est d’une très grande force et modifie de fond en comble la psychologie de l’américanisme, suscitant une intense et immédiate mobilisation. Laissons de côté les implications intérieures et manigances diverses : l’attaque jetant les USA dans la guerre, donc constituant le remède temporaire de la Grande Dépression ; les manœuvres de Roosevelt pour au moins favoriser ce conflit, sinon le précipiter, jusqu’aux soupçons dont certains sont notablement étayés selon lesquels Roosevelt était au courant de l’attaque mais n’en avait pas averti le commandement de l’US Navy, notamment l’amiral Stark commandant la Flotte du Pacifique à Hawaii. Je garde le fait psychologique qu’il faut lier très serré au fait de l’événement survenu du dehors (ou au dehors) des USA. C’est cela en effet, cette incursion du dehors de la nation exceptionnelle, choisie par le Seigneur, qui importe par-dessus tout ; il n’y a pas de plus grand sacrilège ni de plus grand malheur qu’une intervention hostile contre cette “Cité de Dieu”, une intervention qui viendrait des terres et des projets vulgaires conçus dans le reste du monde, qui est d’une substance beaucoup plus basse.
... Pour cette raison, je ne retiens pas le Vietnam et sa défaite de 1975 comme un de ces “chocs psychologiques”, parce que la catastrophe vietnamienne est d’abord le produit d’une guerre civile intérieure (révolte des Noirs, révolte des campus, mouvements de contestation et de contre-culture, etc., se cristallisant dans l’opposition à la guerre du Vietnam). Les agitations intérieures, les malheurs intérieurs, les dangers intérieurs, font partie de ce qui est concevable et paradoxalement acceptable, même si la mort et le suicide pourrait sanctionner l’épisode. C’est l’aspect très paradoxal de la citation qu’on fait souvent sur ce site, du fameux discours de Lincoln de 1838 : « Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. » Il y a certes dans ces deux phrases une sinistre prédiction, et c’est dans ce sens qu’on les cite souvent ; mais il y a aussi une incroyable affirmation d’arrogance et d’hybris, d’affirmer que seuls les États-Unis sont capables de détruire les Etats-Unis, c’est-à-dire que nulle force extérieure n’est autorisée en fait à entretenir de tels projets à leur encontre, et qu’il puisse y avoir des occurrences qui puissent survenir dans ce sens représente un choc absolument fantastique. Pour cette raison, les troubles intérieurs qui rendent compte des aléas de la seule histoire universelle possible pour ce pays unique, c’est-à-dire sa propre histoire, constituent bien moins un choc psychologique que les troubles venus de l’extérieur, nécessairement sacrilèges, avec tout le poids du choc qui est presque un défi infâme lancé au Seigneur-Créateur de la chose.
Ainsi en venons-nous à 9/11, qui a quelque chose d’infiniment mystérieux pour moi. (Et qui dit “mystérieux” dans le cas de la Grande République bidon-gilden qui est toute entière une construction dont le but extrahumain et surhumain est dès l’origine la déstructuration et la dissolution du monde, dit nécessairement maléfique ; encore plus, certes si l’on tient compte de tout ce qui a été révélé depuis à son propos, – cela pour les plus innocents, les autres étant depuis longtemps au courant.)
(Suite)
Après une journée de réflexion, je me suis décidé dans le sens qu’on va lire. C’est un phénomène digne d’être présenté, l’intrusion de la crise du monde dans l’inconscient, ou la surconscience d’un être, de façon si aigue, si insistante, comme si la crise du monde nous pressait et annonçait ainsi sa complète réalisation ... (Car ma conviction est que je ne suis pas le seul dans ce cas, qu’on le sache ou pas, qu’on le dise [ou l’écrive] ou non.)
Je ne suis pas du tout coutumier des rêves, et non plus des cauchemars. C’est-à-dire que je ne me souviens que très rarement des rêves, dont les cauchemars, que je fais nécessairement puisque le rêve est une activité coutumière du sommeil. Ces dernières années et plus, – je parle du temps passé depuis le début du siècle, et même avant, même plus longtemps avant, je ne sais, – je n’avais aucun souvenir de mes rêves à mon réveil ou après ; parfois quelques bribes, la sensation d’avoir rêvé, mais rien de plus ; je n’ai pas, au-delà de ces très récentes expériences dont je parle ici, le souvenir de m’en être souvenu... Et puis, voilà que tout change. Le phénomène me paraît remarquable dans la mesure où en moins d’un mois, deux rêves-devenus-cauchemars s’inscrivent dans ma mémoire de réveil avec une force, une minutie dans le détail, une puissance telle que le phénomène influe radicalement sur mon humeur à ce réveil, que j’identifie précisément la chose, que je dois me battre pied à pied contre cette humeur en en sachant parfaitement la cause comme si elle existait vraiment, bien vivante et réelle, et encore devant moi, là, avec moi, en détaillant mon cauchemar, en l’assumant, en le comprenant selon mon interprétation... Je vous dirais comment j’en ai triomphé.
On se souvient bien sûr que le premier de ces deux cauchemars successifs fit l’objet d’une chronique du Journal dde.crisis le 12 octobre, il y a moins d’un mois, d’ailleurs avec des réactions extrêmement passionnantes des lecteurs de la chronique. Le destin récidive dans cette nuit du 4 au 5 novembre, et j’espère ne pas lasser ces mêmes lecteurs en m’y attachant. Là aussi, puissance du rêve, minutie du détail, images gravée très profondément, logique-onirique du développement avec ses contrepieds, ses dissimulations et ses ruptures d’apparence illogique, sa symbolique à fleur de conscience, etc. ; puis humeur extraordinaire, particulièrement active et puissante au réveil, je l’ai déjà dit, à croire que la chose noire comme de l’encre et comme une nuit sans fin reste présente, bien vivante, elle aussi sortie de sa nuit pour me poursuivre... Tout y est.
Que s’est-il passé ? Nous roulons en voiture sur une autoroute d’une beauté somptueuse, d’abord à cause du lieu et des environs où il se déroule : un paysage d’une puissance inouïe, et pourtant comme d’une douce beauté également très grande, entre deux chaînes de montagne élancées, acérés et très hautes, qui proclament leur puissance de granit, avec à leur hauteur habituelle dans ces paysages alpins des forêts de sapins sur le flanc, avec une vallée très large entre les deux chaînes, presque une plaine, pour les rassembler mais dans un mouvement très ample et très large, donnant ainsi à l’ensemble un mélange de grandeur, de sublimité, mais aussi d’ouverture et d’apaisement, et je dirais, par-dessus tout, de bienveillance, comme peut le montrer un géant sûr de sa force et de sa grandeur, et attentif au reste. (En vérité, rien à voir, à aucun moment, avec l’impression d’écrasement qu’on peut parfois éprouver dans les vallée plus encaissés ; dominés par l’immense hauteur presque inaccessible et pourtant qui vous domine directement, comme certains l’éprouvent parfois à Chamonix.) L’autoroute est à flanc de la pente très forte, au milieu des sapins, parfaitement intégrée dans l’ensemble, dans la structure de ce monde jusqu’à ne plus s’en distinguer par son incongruité moderniste, et pourtant sans aucune trace de la pénombre qui baignent souvent ces grandes forêts d’arbres sombres qui ne se départissent jamais de leur ombre puissante avec leur feuillage persistant. En un mot, ce paysage a quelque chose d’unique dans l’équilibre de ses vertus et la force de la proximité qu’il arrive à établir : sublimité, puissance, sombritude irradiant une lumière indéfinissable (il n’est question ni du ciel, ni du soleil, ni du temps qu’il fait dans mon rêve), enfin, toujours et encore, cette omniprésente bienveillance trempée dans l’harmonie et la sérénité, comme une musique universelle.
Dans la voiture, ma femme et moi sur les sièges de devant, et deux personnes à l’arrière. Je suppose, sans aucune certitude à aucun moment, que ce sont les deux filles de ma femme, d’un premier mariage, deux jeunes femmes presqu’à la maturité aujourd’hui, dans leurs trentaines. Tous ces personnages d’habitude si proches de moi sont désincarnés, comme déjà lointains, presque perdus. Bientôt s’annonce une halte, qui doit être, je le suppose là aussi, ce qu’on nomme communément et d’une façon si incongrue dans ce paysage grandiose, une “station-service”. L’accord général se fait pour un arrêt, pour faire quelques pas, peut-être pour regarder, pour humer... On emprunte la bretelle montant vers une petite plate-forme (nous roulons sur le flanc haut de la montagne) où se trouve la chose. C’est une bien étrange “station-service” : un très grand bâtiment de bois dans ce qui doit être le style du pays, et de quel pays d’ailleurs ; si l’on veut un très grand chalet plutôt étalé en surface qu’en hauteur (pas plus d’un étage), sur le site qui est comme un rivage temporaire creusé artificiellement pour l’autoroute dans l’océan des sapins qui grimpent ou qui dévalent la pente c’est selon. Je n’ai aucun souvenir : y a-t-il d’autres véhicules sur cet emplacement qui doit faire office de “parking” ou sommes-nous le seul ? Comme je l’ai dit, la “station-service” est étrange, mais elle est aussi sublime dans son unicité ; non seulement la beauté indicible et comme d’un autre temps de cette construction du chalet de bois, mais aucune enseigne, pas le moindre indice de ce qui serait un magasin comme c’est la coutume des “stations services”, nulle part la moindre chose qui ressemblerait à ces infâmes choses, des pompes à essence. Rien de tout cela ne nous étonne.
Il y a un chemin qui s’enfonce derrière le chalet-station, adossé à la pente de la montagne et sous les auspices des sombres sapins, et s’ouvre plus loin sur une échappée qui semble brusquement enrobée de lumière. Nous décidons d’aller faire quelques pas dans ce sens, ma femme est devant avec celle qui paraît être sa fille ainée, moi avec celle que je suppose être la cadette, dont j’ai l’étrange sensation qu’elle devient garçon en gardant le caractère de la fille, puis, situation complètement différente, elle ou lui devenu peut-être bien mon neveu lorsqu’il approchait de ses vingt ans ; il avait toujours été mon préféré des garçons dans la famille et, pendant un temps, j’aurais aimé qu’il ait été mon fils. Mais soudain, tous deux ont disparu lorsqu’on s’aperçoit qu’il n’y a plus personne devant nous. Ma femme et sa compagnie ont disparu de notre vue, bien que le chemin soit assez long pour qu’on y voit loin, et lumineux comme j’ai dit. Je décide de presser le pas pour les rattraper et conseille à ma propre compagnie de retourner vers le chalet pour nous y attendre, pour tenir conseil lorsque nous serons revenus. Une impression rapide d'un temps assez long d'une marche endiablée mais rien n’y fait : personne. Je reviens sur mes pas, vers le chalet-station, et là, quelle surprise ! Il n’y a plus de chalet mais une de ces infâmes bâtisses blanchâtres, carrées et trapues, sans aucune structure réfléchie, efficace, esthétique, comme on en faisait dans les années soixante au début de mon époque, dans leurs “stations-service”, les murs pleins de salissures, la peinture écaillée, avec des fissures, puante de matière à bon marché et de conception artificielle et industrielle. J’entre, je ne sais comment, ne retrouve pas ma compagnie, et d’ailleurs il n’y a personne, absolument personne, avec un silence de mort par anéantissement des choses, et dehors plus de voiture, plus de “parking”. Je suis à nouveau en-dehors du bâtiment infâme et m’aperçois qu’en fait il est complètement en ruines avec juste la structure intacte pour témoigner de ce que fut cette chose, avec des poutres d’acier abattus, des tiges de fer tordues et rouillées, avec des plaques de contreplaqué bouffées par l’humidité, une ruine de contrefaçon, de toc, dans laquelle on ne peut plus entrer depuis si longtemps puisque complètement informe, avec cette odeur caractéristique de la ruine de toc vieillie dans les intempéries comme par une punition, envahie par des sortes de lianes hostiles, des ronces agressives et méchantes. Je me tourne et regarde l’autoroute ; qui parle d’autoroute ? Un reste immonde de vielle route d’un béton fissuré et informe rappelant une vague direction et suggérant un usage incertain et sans aucune nécessité, avec son bitume craquelé et usé, parcouru sinon recouvert bientôt de plantes sauvages, peut-être quelques branches pourries, voire des pierres venues d’un éboulis, tout cela dépotoir sans queue ni tête, sans avant ni après... Une angoisse extraordinaire m’étreint alors et je découvre, comme Hercule supportant le monde, le véritable sens, le poids, la force, la substance, l’écrasante vérité du mot lorsqu’il s’accompagne d’une telle désolation des œuvres humaines : solitude, comme l’on dit d’une ruine infâme qui sollicite l’oubli comme ultime faveur... Le “réveil” sonne alors, quelques note du pauvre Franz Liszt qui n’aurait jamais oser s’imaginer enfermé dans un téléphone portable pour cette fonction dégradante du réveil, et je déserte brusquement mon cauchemar. J’ignore si je l’ai interrompu, si l’on “interrompt” un cauchemar, dans tous les cas je me suis levé aussitôt.
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On se rappelle, dans tous les cas je l’espère, que j’ai déjà parlé de Gustave Le Bon et de son livre Psychologie de la guerre dans cet auguste Journal dde.crisis (le 15 septembre). Je venais à peine de commencer sa lecture et ces jours-ci j’en suis proche de la fin. (*) J’en reparlerais sans doute mais ce que je puis dire déjà, comme impression générale d’un livre écrit en 1915 est d’une part qu’il est, selon ce que j'en ressens dans ma conviction la plus forte, d’une étonnante véracité sur les conditions et la signification de cette Grande Guerre, reflétant un état d’esprit assez courant à l’époque ; là-dessus, j'ajoute que cela signifie que nous n’avons pas apporté beaucoup sur la connaissance de cet événement fondamental en un siècle car nous n’avons pas dit beaucoup de choses en mieux et écrit tellement de choses en pire. D’autre part, je trouve ce livre de 1915 beaucoup moins touché par la propagande, ou mieux dit, par la narrative, que ce que l’on a écrit dur la Grande guerre, surtout depuis 1945 où la mission principale des historiens, c'est-à-dire leur consigne, ne fut pas d’approcher la vérité mais d’exonérer l’Allemagne de toute responsabilité majeure ou comportement condamnable (durant la Grande Guerre), pour ramener le côté sombre de l’Allemagne à la seule période nazie et permettre de faire “Notre-Europe” aux petits oignons, avec une Allemagne hyper-démocratisée et lavée de tous ses péchés uniquement réservés au seul Adolf, – et honorable, l'Allemagne, avant et après lui. Le bouquin de Le Bon nous en raconte beaucoup, rétrospectivement, sur l’infamie obscène et absolument puante qu’est notre époque, notamment pour ce qui est de ce qu’ils nomment, ces valets-Système, l’“histoire”. Bref, vous mesurez mon humeur...
Bon, je reviendrai sur certains aspects du contenu de ce livre qui mérite bien autant d’attention que le célébrissime Psychologie des foules (du même Le Bon) ; dans l’attente certainement impatiente de mes lecteurs, je vais m’attacher ici à un point qui permettra d’introduire et de donner un coup de main aux esclaves de dedefensa.org qui se sont attelés à un texte, tout proche d’être mis en ligne dans nos colonnes, dont le thème est une mise à jour du concept d’inconnaissance (pour l’origine de la chose, voyez le 13 juillet 2011). Ce n’est pas que Le Bon en parle expressément et précisément, mais il fait des remarques qui montrent à la fois que la nature des choses est mieux révélée par l’inconnaissance que par la connaissance acharnée de tous les détails scientifiquement rangés, et que lui-même suivait cette méthode sans lui en donner le nom. Toute l’approche de son travail est, à mon avis, résumé par cette citation qui fait le début de l’introduction du second chapitre (Les incertitudes des récits de la bataille) du Livre II (Les inconnues de la guerre), p.325. Tiout au long de son travail, il ne se prive pas de pulvériser l’information officielle du temps de guerre, ce qui montre une lucidité dont tant de nos chroniqueurs et commentateurs (cf. presse-Système) sont totalement, systématiquement, grossièrement et honteusement dépourvus :
« Je n’ai nullement l’intention d’aborder dans les pages qui vont suivre la description des principales batailles de la guerre européenne. J’en veux seulement retenir quelques enseignements psychologiques tels que le rôle de l’imprévu et de la volonté dans les grands évènements et aussi une justification de cette thèse : qu’il est est à peu près impossible de savoir comment se sont exactement passés des faits observés par plusieurs milliers de personnes. Le résultat final est connu ; mais la plupart des explications et des interprétations restent erronées. »
Autrement dit, cet homme sait déjà que les récits officiels sont, sinon faux, certainement douteux et tributaires de points de vue et de perceptions complètement différentes et biaisées (y compris entre alliés), particulièrement et précisément en temps de guerre ; il sait donc que les spéculations, informations, analyses, etc., du détail, de la structure et des interventions des humaines sont impuissants à nous restituer la réalité ; il sait enfin que ce qui subsiste et s’impose comme une vérité est le “résultat final” parce qu’on peut l’apprécier soi-même si l’on a l’expérience et l’intuition de le faire. Ainsi a-t-il défini en quelques lignes ce que nous nommons, pour notre part, dans dedefensa.org, la vérité-de-situation.
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Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 19 octobre au 25 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • Désormais, la crise syrienne est devenue une affaire fondamentalement russe, où la Russie conduit les affaires, tant au niveau militaire qu’au niveau diplomatique. • L’opinion publique, en Russie mais aussi aux USA, comprend parfaitement ce phénomène (voir le 23 octobre 2015 et le 24 octobre 2015). • D’une façon plus générale, on voit ainsi se développer devant nos yeux le phénomène historique de la résurrection pleine et entière d’une puissance qui a connu depuis un siècle tant de vicissitudes ; cela vaut à nouveau pour le rôle de la Russie en Syrie (le 24 octobre 2015) autant que pour des questions plus larges et plus “hautes” concernant le destin de la Russie et le rôle de la spiritualité dans ce destin (le 21 octobre 2015 et le 25 octobre 2015). • Il y a également l’aspect purement militaire, et la Syrie joue également le rôle de révélateur de la renaissance incontestable d’une puissance qui n’est pas loin de pouvoir prétendre au premier rôle (voir le 19 octobre 2015, le 21 octobre 2015 et le 22 octobre 2015). • L’on aurait pourtant bien tort de voir dans ce phénomène l’arrêt du désordre général : ici ou là (le 23 octobre 2015), dont aux USA (le 20 octobre 2015), il se poursuit à son rythme. »
Je vais écrire ici sans tenir le moindre compte des faits qui sont venus après la première impression qu’il m’importe de décrire ; c’est-à-dire que je ne veux parler que de la “pensée spontanée” si l’on veut, qui révèle ce qui s’est mis dans votre esprit à force de perception, d’expérience, d’intuition, et qui s’impose à l’occasion d’un évènement. Ma démarche ne prétend en rien décrire une réflexion politique ou autre, ni polémique par exemple, sur le sujet abordé ; le sujet, lui, n’est ainsi qu’un révélateur de ce qui forme la structure de l’esprit dans sa réaction. Il s’agit de ma réaction à partir des premières nouvelles depuis qu’on a appris qu’un avion russe avait explosé en vol au-dessus du Sinaï hier après-midi ; depuis l’affirmation par Daesh (l’État Islamique), une ou deux heures plus tard et sans aucune documentation convaincante en quoi que ce soit, qu’il était le responsable, l’auteur et le maître d’œuvre de la destruction de l’avion... J’en reste là pour l’“exposé des motifs”, comme on dit, pour passer aux réactions de l’esprit sans plus m’intéresser aux faits.
Sans aucune autre information ni spéculation, apparaît l’idée que Daesh pourrait très bien avoir voulu faire cela, y aurait pensé peut-être, bref qu’il aurait très bien pu faire son travail de terroriste, quoi qu’il en soit des faits eux-mêmes. Là-dessus, se greffe aussitôt l’autre idée, très largement substantivée, notamment par l’ancien directeur de la DIA, que Daesh est une production pratiquement labellisée Made in USA, presque autant que le sont DisneyWorld ou le JSF ; qu’ils (les USA) l’aient voulu ainsi, qu’ils n’aient pas expressément suivi de plan, qu’ils aient perdu ou pas le contrôle de la chose (Daesh), peu importe ici. Je veux simplement signaler la conclusion aussitôt venue à l’esprit : Daesh, c’est-à-dire les USA, en plein travail courant de terrorisme, qui pourrait être soupçonné d’avoir fait exploser un avion civil en vol, qui pourrait s’en étonner ? (Un commentteur impertinent disait hier quelque chose comme : “S'il est avéré que Daesh a commis un tel acte, alors la Russie pourra accuser les USA d'avoir commis un acte de guerre à son encontre”.) Ainsi cette conclusion se transforme-t-elle en ce titre qui ne fait que joindre en une conclusion évidente les différentes proposition du raisonnement : The United States of Terrorism. Dans mon esprit, et je ne suis certes pas le seul, tant s’en faut si l’on compte très-logiquement que cette conclusion est atteinte inconsciemment par nombre d’esprits qui n’osent se l’avouer à eux-mêmes, cette alchimie qui fusionne les USA et le terrorisme est faite. En un peu moins de quinze ans, depuis 9/11, le réflexe de nombre d’esprits, – encore une fois, je parle de réflexe venu de la profondeur de l’expérience et de la mémoire, sans réflexion dirigée, – le réflexe fondamental s’est développé et il est désormais que les USA sont absolument l’État-terroriste par définition, UST pour USA. (On ajoutera qu’ils n’ont pas vraiment chercher à freiner cette alchimie de la pensée des profondeurs, entre tortures, exécutions sommaires [drone], arrestations illégales, mépris total de la souveraineté, etc.)
Surtout pas de spéculation, pas de calcul, pas d’élaboration et de savants raisonnements, pas de Grand Jeu, pas de “complots” dans tout cela. Je parle de la réaction pure de la mémoire instruite par les évènements et les analyse faites à mesure, et je parle du terrorisme pur, de la méthode, de la façon d’être, et nullement de buts, de plans, de raison d’être. L’ontologie des USA, sans aucun argument de causalité et sans aucune hypothèse de finalité, est devenue ceci que cette puissance n’est rien d’autre qu’un gigantesque artefact produisant du terrorisme pour la chose elle-même, c’est-à-dire une sorte de recherche passionnée de nihilisme et de désordre dans le cadre de l’illégalité, sans autre but que cette production-là.
Quel chemin parcouru depuis 9/11, – oh boys ! Là-dessus, ce matin encore et sans aucune intention par rapport à mon sujet, pendant mon exercice sur vélo d’appartement que je fais toujours un livre dans les mains et à côté tout un matériel pour prendre des notes, un peu tremblées par le mouvement, il se trouve que je parcourais un ouvrage récemment acquis d’occasion : Le “concept” du 11 septembre – Dialogues à New York (octobre-novembre 2001), entre Jacques Derrida et Jürgen Habermas, avec Giovanna Borradori (chez Galilée). J’ai à peine commencé le livre, tout en l’ayant feuilleté comme on fait d’habitude, en très grande diagonale, saisissant une phrase ou l’autre, etc., donc je ne vous en dirai rien d’essentiel ni de détaillé. Le thème, pourtant, est dans l’exposé même du titre : la recherche de la définition du 11-septembre en tant que “concept” d’un “événement majeur”, ou la question de « Qu’est-ce donc, aujourd’hui, un “événement majeur” ? » Cela est discuté évidemment à partir de l’appréciation de 9/11 comme l’attaque fondamentale du terrorisme lancée contre les USA, et cet acte du terrorisme instituant cette activité (le terrorisme) comme un des grands phénomènes du temps, de ce XXIe siècle commençant avec l’idée que les USA en sont la première et la principale victime.
(Suite)
Il y a eu l’un ou l’autre commentaire à la nouvelle, d’origine indirectement gouvernementale préciserais-je pour amorcer le débat, selon laquelle Poutine avait ces temps dernier une popularité supérieure au pic de popularité dont il a joui durant la crise ukrainienne. (Voir le texte du 23 octobre 2015 : « [L]a popularité de Poutine n’a jamais été aussi haute, même par rapport au pic précédent, en pleine crise ukrainienne (juin 2015) : 89,1% en juin 2015, 89,9% en octobre 2015 (17-18 octobre, alors que l’intervention russe en Syrie était déjà effective et montrait son vrai visage). ») Le sondage a été effectué, soulignait dans le Forum du texte un de nos lecteurs, Mr. Toulet, « par le Centre Panrusse d'étude de l'opinion publique - VTsIOM - lequel est un organisme d'Etat, contrôlé par les autorités publiques - il dépend du Ministère du Travail et des Affaires sociales. » Et ce même lecteur commentait :
« Une méfiance de bon aloi envers les productions des grands médias et des organisation étatiques du Bloc atlantique en terme de doctrine comme de représentation de la réalité n'a aucune raison d'être incompatible avec une lucidité sur ce que sont les médias et les organisations étatiques de la Russie – c'est-à-dire eux aussi les instruments d'une propagande.
» Cela ne prouve pas que le chiffre de “90%” d'approbation des Russes envers la politique de leur gouvernement soit faux bien entendu.
» Simplement, il est aussi suspect que sa source. »
Cette intervention me paraît bien complète pour ouvrir le débat que je voudrais développer ici. Je comprends parfaitement le point de vue de notre lecteur et, sur divers points comme sur l’essentiel du propos, je suis en complet désaccord avec lui ; cela est écrit, je le précise avec force, sans la moindre acrimonie, sans agressivité évidemment, sans mauvaise humeur, je dirais presque avec entrain et bonhomie, et en tendant loyalement la main. Je n’entends pas une seconde ouvrir une polémique mais bien, à travers une réplique argumentée, tenter de mieux définir encore la façon dont nous travaillons, dont je travaille, etc., et tout cela engageant ma seule responsabilité... C’est-à-dire que l’on n’entendra nulle affirmation qui se voudrait objective, qui ferait appel à une référence ferme en-dehors de moi, éventuellement au nom de laquelle on pourrait condamner (mon interlocuteur dans ce cas) en s’en lavant les mains ; rien de cela parce que je ne mange pas de ce pain-là ; rien de cela non plus, – et là, j’entre dans le vif du débat, – parce qu’il n’y a rien de cette sorte qui le permette, aujourd’hui, dans le monde de la communication. J’avancerais l’interprétation que l’on nous a forcés tous dans cette position formelle en matière de communication et d’information, qui n’empêche pas de chercher à nouer des liens entre nous, certes, mais qui au départ nous force à figurer dans ce cadre paradoxalement informe, désarticulé, instructuré, inexistant du “chacun pour soi”, qui devient en un peu plus élaboré “à chacun de se faire sa religion” ; ainsi en a voulu le Système qui a organisé la plus formidable offensive d’individualisme et d’isolement de l’individu qu’ait jamais expérimenté l’espèce, et ainsi nous laisse-t-il face à nous-mêmes, chacun face à soi-même, dans un formidable réseau de communication et de circulation d’information. (Je dirais naturellement que cela vaut pour le lecteur de dedefensa.org : chaque lecteur doit juger de ce “média” pour lui-même, et trancher de cette façon, seul à seul avec dde.org.) ... Que tout cela fasse office de préambule que l’on doit garder à l’esprit, avant de passer au cœur du débat.
Dans les remarques de notre lecteur rapportées plus haut, nombre de détails sont contraires à ma conviction et à mon expérience et, par conséquent, l’ensemble ne peut rencontrer mon sentiment. J’essaie de ne pas faire trop long, mais je compte bien également faire de cette réplique bien plus qu’une réponse, je le répète, c’est-à-dire en faire un élément de plus pour renforcer l’explication permanente que je dois, que dedefensa.org doit à ses lecteurs (dont Mr. Toulet, certes) pour expliquer notre méthodologie, à dde.org et à moi. Ne pas faire trop long, c’est-à-dire faire (assez) court en se limitant au commentaire de trois “détails” essentiels des remarques de notre lecteur, qui m’arrêtent, avant de passer à un exposé plus général.
• On nous parle de “méfiance”, ou de “méfiance de bon aloi”. Je rejette pour mon compte cette attitude, étant un homme de confiance, notamment parce que je suis un homme de foi (de fides : confiance). Moi, je parle de “doute” et même de “doute-absolu” (voir “vérité-de-situation” dans le Glossaire.dde). La méfiance est un trait de caractère dont je suis absolument dépourvu, le doute est un jugement subjectif (pas celui d’un tribunal, mais le mien) dont la cause est l’objet du doute, – et du doute, on s’en doute, je fais le miel de toutes mes analyses et réflexion sur l’état présent du désordre du monde. Autrement dit, ce qui détermine mon jugement sur les affaires de ce monde n’est pas un trait de mon caractère mais ce que je juge, par ma raison, mon expérience et surtout l’intuition qui j’espère m’est donnée, des affaires de ce monde ; et il se trouve que les affaires du monde, aujourd’hui, ici et maintenant, justifient absolument l’utilisation d’un tel outil, non pas à cause de mon caractère mais à cause de ce qu’est le monde aujourd’hui.
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Ce matin, il y eut la promenade quotidienne avec Klara, dont je vous ai déjà parlé. C’est le deuxième jour de grand soleil, après des semaines d’agitations et d’incertitudes climatiques diverses. Mais le “grand soleil”, en automne, c’est quelque chose de tout à fait particulier ; c’est le paradoxe d’une lumière retenue et pourtant éclatante, toute en nuances et qui pourtant vous éclaire jusqu’au fond de vous-même, une lumière comme réduite à sa source mais qui semble renaître de partout, translucide et légère, une lumière de grâce pure. Les couleurs de l’automne, innombrables, chatoyantes et changeantes, transfigurées par cette lumière unique, semblent faites pour grandir l’âme poétique.
Toutes ces pensées étaient-elles en moi, ce matin ? Rien n’est moins sûr, car mon humeur était sombre, – pour changer commentera-t-on sarcastiquement. Puis vint la marche dans la forêt et l’effleurement de l’enchantement naquit. La forêt où je fais ma promenade n’est pas uniforme en sous-bois mais plutôt par endroits épars, des taillis souvent volumineux alternant avec des espaces vides de belle ampleur ; elle a par contre une imposante frondaison du dessus, comme une voute végétale. Cet arrangement parut, ce matin, comme voulu par le Ciel, pour en faire une œuvre magnifique. Au-dessus de ma compagne fidèle beaucreronne et de moi, c’était une voute dorée, resplendissante, comme si les feuilles prêtes à tomber étaient des feuilles d’or frémissantes ; et la lumière rebondissait sur les taillis épars, et ainsi formant comme l’on dirait de l’arche d’une cathédrale car tous ces ors et toute cette lumière ne ternissait rien du clair-obscur de la forêt qui lui laisse des projections de son ombre profonde au milieu de la lumière. Je gardais encore un peu de mon humeur sombre mais laissais la beauté du monde amadouer peu à peu mon âme. “Courage, semblait me dire Klara qui connaît bien des secrets du monde, dans peu de temps cela ira bien mieux encore.”
Ainsi se poursuivit la promenade jusqu’à son point extrême, puis le retour entamé. J’arrivai à ce même passage sur le retour, un peu plus protégé par la topographie des bruits de la civilisation, voiture ou train dans le lointain, parfois un aéronef pour dire comme dans le temps ; il faut dire que ce matin, la civilisation était particulièrement discrète... C’est alors que, marchant dans le silence et dans la lumière marquée d’ombres propices, sans guère de vent sinon pas du tout, avec le ciel éclatant dans les échancrures de la voute, je sentis qu’il se passait quelque chose. Cela ne me parut pas un élément nouveau, mais plutôt quelque chose qui avait existé au long de ma promenade mais que je n’avais pas deviné, peut-être un reste d’inattention humaine, les restes de l’humeur sombre voire mes limites naturelles, et que soudain je commençais à percevoir. Je tendis l’oreille, littéralement, pour percevoir d’abord que le silence était complet (la civilisation définitivement muette et les oiseaux semblant décidés à respecter ce moment) ; puis que ce silence complet l’était en fait pour que je puisse entendre quelque chose d’au-delà du silence. C’est une de ces occurrences où vous devez, non pas affûter vos sens, mais les adapter pour les projeter dans une dimension nouvelle.
Ainsi le silence laissa-t-il place à un léger chuintement que j’avais, dans l’instant précédent, deviné plus qu’entendu, et qui, bientôt, se transforma en une sorte de basse continue mais non pas uniforme et à peine suggérée, dont je ne pouvais identifier ni la forme ni la matière. C’était ce chuintement en basse continue qui, peu à peu, prenait la forme d’une harmonie étrange, plutôt suggérée qu’interprétée ; j’avais alors atteint, me dit-elle en connaisseuse, presque la même oreille que Klara pour distinguer les sons. Puis la vue, transportée par l’audition, se mit elle aussi au diapason et, bientôt, je vis ce que je ne voyais pas. L’espace vide enserré mais non contraint dans cette floraison chamarrée, éclatante et presque éblouissante dans le clair-obscur, était parcouru de feuilles mortes qui tombaient à leur rythme, en dansant comme fait une feuille que n’entrave aucun souffle d’air ; et ce mouvement infiniment multiplié, cette danse aérienne et gracieuse, finissait par produire par le seul frottemet de l'air une harmonie de tous ces sons presque inaudibles pour chacun, mais additionnés et eux aussi multipliés, pour produire enfin, au-delà, quelque chose qui ressemblait à une structure sonore, fondamentalement formée selon les lois éternelles de l’harmonie. C’est alors que mon oreille embrassa le monde et que je dis, déjà à l’arrêt et désormais comme interdit mais dans le sens d’être presque emporté dans mon immobilité devant ce spectacle invisible et inaudible, et pourtant plus sublime qu’aucun autre en cet instant : “Et c’est ainsi que la forêt chante”...
L’instant dura ce qu’il dura, qu’importe la mesure. Je repris ma marche, la tête pleine de cette harmonie subtile et sans égale que je n’entendais déjà plus. Bientôt, nous atteignons la clairière, les premières maisons, et nous sortons de la forêt. “La forêt chantait”, dis-je à Klara qui, occupée à sentir quelque trésor caché dans les herbes, me répondit distraitement : “Évidemment...”
Mon humeur ne m’a pas quitté pour autant mais peut-être, quelque part en moi, s’est glissé un fragment de pierre précieuse qui ressemble à un morceau d’éternité. Je regrettai un instant que l’humaine nature soit dotée de tant de capacités dont elle ne cesse de se féliciter, qu’elle ne puisse se satisfaire de la splendeur et de l’harmonie du monde. Cette pensée est assez vaine parce que nous sommes ce que nous sommes, mais il faut l’avoir eue pour comprendre que “se satisfaire de la splendeur et de l’harmonie du monde”, même pour un instant, c’est entrevoir l’éternité.
Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 12 octobre au 18 octobre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.
« • Nous éloignant pour un instant du temps courant de la crise syrienne, ou “épisode syrien de la Grande Crise Générale”, on peut constater que le phénomène crisique se développe ailleurs d’une façon satisfaisante, en France au niveau des troubles civils (le 13 octobre 2015), en Europe en général à la lumière de la crise des “réfugiés-migrants” (le 13 octobre 2015), en Ukraine avec la poursuite des avatars de “Kiev-la-folle” (le 14 octobre 2015). • Dans notre F&C du 15 octobre 2015 et à la lumière de l’une et l’autre nouvelles de dimensions globales qui mettent directement en cause le système, nous abordions le problème de notre Grande Crise Générale du point de vue de la nécessité d’ouvrir la réflexion sur les dimensions sacrée et métaphysique qui lui sont fermées par les normes du Système. • Notre Glossaire.dde du 18 octobre 2015 concerne la même sorte de problème. • L’autre sujet de cette semaine est bien sûr la crise syrienne qui n’en finit pas de développer une dynamique exceptionnelle (voir le 12 octobre 2015 et le 15 octobre 2015) et de marquer le rythme de l’effondrement de l’influence de la puissance US, tant dans les faits que dans la perception (voir le 16 octobre 2015, le 17 octobre 2015 et le 18 octobre 2015). »
Je vais vous parler dans ce Journal dde.crisis de la Russie, une fois de plus par rapport au courant général de la communication, cette fois dans des termes peut-être moins courants qu’à l’habitude, à la suite d’une une drôle de circonstance (éditoriale). Cela est du certainement au travail intensif que nécessite le site, qui fait qu’on tient très approximativement dans l’esprit le catalogue des différents textes publiés ; mais aussi et surtout, cela tient à l’inspiration des évènements en cours, qui vont si vite dans la perception que j’en ai, qui me poussent à mentionner régulièrement à la fois la contraction du temps et l’accélération de notre histoire devenue Histoire, c’est-à-dire l’histoire sous l’influence directe de la métahistoire. Enfin, voici toute l’affaire...
On sait qu’il a été introduit dans la rubrique Glossaire.dde une sorte de “sous-rubrique” introduisant la reprise de texte complets publiés dans la Lettre d’Analyse (papier) dde.crisis (on est en terrain connu) avant que celle-ci ne jette l’éponge. Les modalités de l’opération sont exposées dans un texte du 28 novembre 2014, et le premier texte de la formule a été publié le 29 novembre 2014 (le Glossaire.dde devient dans ce cas Glossaire.dde-crisis). Rédigeant le texte d’hier (“Que cherche la Russie en Syrie ?”) et réalisant les perspectives qu’ouvraient le développement du commentaire (l’écriture elle-même et la logique qu’elle suggère entraînent la pensée et lui donnent l'impulsion qui importe), je me suis fait la remarque qu’un numéro de dde.crisis du 10 avril 2012 serait le bienvenu dans la rubrique/“sous-rubrique” Glossaire.dde-crisis. Aussitôt dit, aussitôt fait : je me mets au travail pour aménager le texte du 10 avril 2012, essentiellement du point de vue technique pour l’adapter à la “mise en page” de la rubrique, à partir de la mise en page initiale de la Lettre d’Analyse. Je m’apprêtais donc à préparer la mise en ligne d’un nouveau Glossaire.dde-crisis lorsque je m’aperçus avec la stupéfaction qu’on imagine, en parcourant rapidement les archives, qu’il s’y trouvait déjà, au 10 mars 2015. La découverte n’a pas été évidente parce que j’avais choisi pour la nouvelle mouture un titre général différent (“Un destin russe”) que celui qui avait été choisi pour le texte du 10 mars (“Opérationnalisation de la spiritualité”) ; ainsi suis-je passé à côté d’un étrange “doublon” !
“Étrange doublon”, certes, mais qui n’est pas sans signification. Au contraire, il dit, bien plus que tout raisonnement, qu’il existe dans mon esprit le constat d’une situation complètement nouvelle entre le 10 mars et cette fin de mois d’octobre, à peu près bien sûr depuis le début de l’intervention russe en Syrie qui a l’importance qu’on sait. (L’Histoire va vraiment très vite, ou bien je suis victime de mes propres hallucinations...) Le texte déjà référencé, du 24 octobre, est la marque de cette situation nouvelle. Effectivement, je le répète, mais plus précisément encore : c’est lui (ce texte) qui m’a conduit à considérer qu’un long commentaire sur la question de l’“opérationnalisation de la spiritualité”, spécifiquement lié au “destin russe” dans le cadre de l’intervention russe en Syrie, avait toute sa place sinon sa nécessité. Ainsi mon avis est-il qu’il est intéressant de lire ou relire le texte du 10 avril 2012 republié le 10 mars 2015 à la lumière de ces évènements courants.
C’est ce que j’ai fait, naturellement et minutieusement, puisqu’il s’agissait de le préparer pour une publication alors que j’avais oublié que l’opération était déjà faite. Comme on s’en doute ou comme on le sait, selon qu’on s’en est tenu au titre ou qu’on a lu le texte, il est question de la dimension spirituelle introduit dans la politique, et de cette dimension spirituelle précisément dans le chef de la politique russe. Ce qui m’a frappé dans l’analyse et la thèse qu’on peut en déduire, justement, c’est la façon subreptice, indépendante des acteurs de la campagne électorale, par laquelle la dimension spirituelle s’est introduite non seulement dans le débat, mais dans la politique russe elle-même durant cette période entre les élections législatives (décembre 2011) et l’élection présidentielle (élection de Poutine, 3 mars 2012). C’est en effet durant ces trois mois que la politique russe s’est redressée, c'est-à-dire hissée vers le haut ; proclamée comme un “renouveau” depuis l’arrivée de Poutine en 2000, cette politique était restée ambiguë et même s’était subvertie, notamment avec le pic du vote russe à l’ONU (début 2010) laissant faire l’opération du bloc BAO contre la Libye de Kadhafi ; cette subversion suivait d’ailleurs une logique constante puisque le “renouveau” russe n’était conçue que comme toute proche sinon intégrée au moins dans l’ensemble ouest-européen sinon euroatlantique du bloc BAO ; et puis, brusquement, le redressement du début 2012... C’est essentiellement l’agression type-“agression douce”, pseudo-regime change, qui est la cause opérationnelle de ce changement, mais le changement lui-même avec le mystère de sa cause ontologique est d’une ampleur formidable et encore mal mesurée dans ses conséquences, à cause de l’introduction de la dimension spirituelle. Je cite ici quelques extraits du texte Glossaire.dde décrivant ce phénomène de l’intrusion subreptice, sans volonté spécifique des acteurs concernés, de la spiritualité dans la période électoraliste décembre 2011-mars 2012.
« ...En commentaire de ces élections de décembre 2011, au climat bien plus menaçant que les résultats eux-mêmes, nous écrivions, le 8 décembre 2011 sur dedefensa.org : “L’issue temporaire la plus prometteuse autre que cette simple lutte contre le désordre qui monte resterait pour Poutine, plus que jamais à notre sens, un appel du Premier ministre devenu candidat à la présidence à la mobilisation, à la dénonciation des dangers extérieurs qui sont moins géopolitiques que systémiques, – la vision de cet enchaînement irrésistible de la crise d’effondrement du Système... [...] [C]ela se nomme, en appeler à l’‘âme russe’ et, pour Poutine, cela lui donnerait la vertu de paraître comme le premier dirigeant à décrire publiquement l’ampleur de la crise qui conduit à l’effondrement de notre contre-civilisation”.
(Suite)
Je vais vous parler de deux personnages de cet épisode de nos “Folies-Bouffes”. Vous les connaissez, ils se nomment Benjamin Netanyahou et Jimmy Carter. Cette époque est celle des “Folies” apparemment incompréhensibles, se succédant à un rythme endiablé, comme on en eut un exemple dans les deux-trois jours qui viennent de s’écouler et qui font le sujet de cette page du Journal dde.crisis. Il importe de noter bien que j’emploie le mot “Folie” dans le sens de la dérision (pas “Folies-Bergère”, mais quoi, tout de même de ce domaine quasiment de l’entertainment), et “Folies-Bouffes” pour appuyer sur ce sens. Pourtant, j’insiste là-dessus, ce terme qui paraîtrait moqueur et léger par les références qu’il suggère, ne l’est pas du tout sous ma plume ; je l’emploie plutôt sur un ton attristé, résigné, comme on fait le constat d’une situation plus consternante et décourageante que ridicule et dérisoire, ou plus précisément “plus consternante et décourageante” parce que ridicule et dérisoire.
Précisément et dans un autre sens, je voudrais, avec ce mot de “Folies” dans le sens où je l’emploi, proposer le sens de l’étrangeté, de la futilité de la pensée égarée, de l’absence de rationalité, de l’inversion des tendances essentielles de la vie publique, mais aussi la suggestion des aspects tragiques avec des nuances de tragi-comédies ou de tragédie-bouffes, mais également enfin avec la force de ce tragique bien réel dans la mesure des conditions et des conséquences que suggèrent les deux évènements. Notre époque est à la fois extraordinairement ridicule et terriblement tragique, et ce contraste ne cesse de prendre notre jugement à contrepied. On ne peut donc pas se contenter d’en ricaner avec mépris et dérision ou de s’en effrayer avec terreur et horreur, mais les deux à la fois, et presque dans un même élan du sentiment. Ce n’est pas chose aisée.
• De Netanyahou, on sait tout sur sa affirmation d’il y a deux jours, aussitôt jugée en général monstrueuse. Ce n’est pas vraiment tout à fait du négationnisme mais pas loin et si proche, malgré ses dénégations dites après son discours-que-chacun-sait (« Je ne dis pas qu’Hitler doit être lavé de toute responsabilité, mais simplement que le père de la nation palestinienne [le grand mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini] voulait détruire les Juifs »). Curieusement, “Bibi” avait dit un peu la même chose en 2012 (Husseini comme « l’un des principaux architectes de la solution finale ») et nul n’avait relevé le propos, ce qui doit conduire à s’interroger sur nombre de choses ; cette fois, par contre, quel tintamarre... Les Allemands sont furieux parce que pour eux, il ne peut y avoir qu’un seul et unique coupable, et il est leur, il est Allemand, et c’est bien lui et pas un autre. (Vue d’un point de vue un peu libre, la réaction allemande a quelque chose d’obscène et de surréaliste.) Certains jugent que “Bibi” a perdu la tête, d’autres le méprisent ouvertement. On aura une mesure de la tempête soulevée par “Bibi” en lisant ces quelques lignes d’Elie Barnavi, historien et essayiste, Professeur émérite d'histoire moderne à l'Université de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d'Israël en France.
« Comment rendre compte d’une telle prostitution de la Shoah ? Quel est le cheminement d’une pensée capable d’y aboutir ? C’est simple, hélas ! Dans la camisole de force politique où il se débat, “Bibi” fait feu de tout bois. Hier, pour prévenir l’accord nucléaire avec Téhéran, les Iraniens étaient accusés d’être les nouveaux nazis. Aujourd’hui, dans les affres des attaques au couteau qui mettent à mal le mythe de l’unité de Jérusalem, c’est le tour des Palestiniens d’endosser l’uniforme S.S., celui de Mahmoud Abbas de prendre la place du Grand Mufti.
» Cependant, cette fois, Netanyahou atteint des bas-fonds où même ses pires adversaires n’imaginaient pas qu’il pût plonger. Cette fois, il foule aux pieds le Saint des Saints de la mémoire douloureuse de ce peuple. Cette fois, en faisant d’un collaborateur minable, représentant d’une province marginale de l’empire britannique, le principal promoteur de la Solution finale, il offre un cadeau inespéré aux négationnistes de tout poil : si lui le dit, c’est que c’est vrai, Hitler n’est pas si coupable que cela. Cette fois, il dédouane du même coup tout ce que l’Europe compte d’extrême-droites plus ou moins nostalgiques du fascisme, voire du nazisme. »
• On a eu moins de choses en écho, moins de réactions, concernant le second personnage et son acte. Il s’agit de l’ancien président Carter, qui en tant qu’ancien président reçoit une synthèse quotidienne des services de renseignement US qui, – à mon avis assez humble mais point exempt d’intuition, – ne doit pas contenir d’immenses secrets mais plutôt des analyses plus ou moins accessibles par ailleurs, et souvent extrêmement fausses comme le renseignement US s’en est fait spécialité et habitude. Une fois, comprend-on, a été adjointe pour l’édification des anciens présidents une carte montrant les positions de Daesh en Syrie, un document dont on a précisé qu'il n’est pas classifié. Carter, qui a d’excellentes relations avec Poutine, lui a proposé, par courriel, ce document pour l'aider à ajuster mieux ses frappes en Syrie, sans la crainte de commettre une vilenie assimilable à la trahison puisqu'officiellement Daesh est honni par everybody dans la civilisation courante et dominante ; finalement l’ambassade de Russie à Washington a répondu avec gratitude et reçu la carte en retour même si, probablement, la chose n'apprend pas grand’chose aux Russes. The Free Bacon a développé la nouvelle à partir d’une vidéo de la NBC et Russia Insider en donne une courte synthèse en faisant quelques remarque acerbes sur la façon dont Carter a été jugé en l’occurrence. Certes, il n’y a pas à proprement trahison, mais le soupçon pèse lourdement, – soupçon de trahison infâme car dans les salons de Washington on a le jugement leste, assorti du soupçon de gâtisme. Voici quelques mots de The Free Bacon, publication notoirement neocon ; le propos n’a rien à voir avec la vigueur de celui qui accompagne les commentaires anti-Netanyahou mais il met implicitement l’ancien président dans le même sac des sacrilèges, cette fois par trahison de la stratégie des États-Unis, dont on connaît le caractère limpide et sans barguigner :
« “I sent [Putin] a message Thursday and asked him if he wanted a copy of our map so he could bomb accurately in Syria, and then on Friday, the Russian embassy in Atlanta—I mean in Washington, called down and told me they would like very much to have the map,” Carter said at his Sunday school class in Georgia, according to a video of his remarks first aired by NBC News. “So in the future, if Russia doesn’t bomb the right places, you’ll know it’s not Putin’s fault but it’s my fault,” he added as the audience laughed.
Obama administration officials have publicly said the United States will not collaborate with Russia as long as it targets U.S.-backed rebels in an effort to prop up Syrian President Bashar al-Assad, a longtime ally of Moscow. The administration has said Assad must eventually step down as part of efforts to seek a political resolution to the Syrian war. “We are not prepared to cooperate on strategy which, as we explained, is flawed, tragically flawed, on the Russians’ part,” said Ash Carter, U.S. defense secretary, earlier this month.
Je vais dire aussitôt que je tiens pas une seule seconde à débattre de ces cas précisément, de ce qu’ont fait ces deux hommes, de ce que cela représente, des torts de l’un ou de l’autre, de la calomnie ou de la justesse des accusations et jugements contre eux, etc. Je ne tiens aucun compte, dans la mesure du possible de l’humaine nature, des sentiments et jugements que je porte sur l’un et l’autre. Je suis là-dessus, volontairement, complètement neutre, en réfrénant complètement tel ou tel réflexe pour plaider ou commenter dans un sens ou dans l’autre parce que ce rejet absolu de cette procédure est la méthodologie que j’ai choisi.
(Suite)