Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.

“Kiev-la-folle”, tragédie-bouffe

  samedi 12 décembre 2015

Il y a deux ans déjà, nous étions entrés dans la crise ukrainienne après la rupture entre Ianoukovitch et l’UE (18 novembre 2013). Moi, je n’avais rien vu venir très précisément, suivant d’une façon très épisodique les “révolutions de couleur“, les parcours des oligarques, la corruption, etc. La crise me prit par surprise comme une tragédie et c’en fut une effectivement ; entre l’épisode de novembre 2013 et le coup d’État de février 2014 (deux ans bientôt ou déjà ) l’Ukraine s’embrasa tragiquement. Après la symphonie brutale et orchestrée comme on est usurpé du Maidan, il y eut la “nuit des dupes” du 21 février qui aboutit à la fuite de Ianoukovitch, puis très vite la sécession de la Crimée et la guerre cruelle du Donbass, avec les tourments intérieurs au son de la croix gammée et du fric US distribué aux oligarques, et le frisson de la possibilité de l’apocalypse nucléaire qui courait dans ces sombres évènements. L’art de l’irréel et la haine de la vérité de cette contre-civilisation achevèrent de tuer la réalité et je concoctai fiévreusement le concept de déterminisme-narrativiste. Puis la crise s’est subrepticement mais irrémédiablement encalminée dans Minsk1, puis Minsk 2, etc., grâce à la patience habile de Poutine, le sens de la manœuvre couarde de Merkel-Hollande, l’incompétence stupide de Porochenko et la lourde stupidité du pseudo-éléphant (le noble animal mérite mieux) des USA dans le magasin de porcelaine. Tout ce qui se fait depuis verrouille le désastre : le sabotage de l’alimentation d’électricité de la Crimée par l’Ukraine conduit les Russes à intervenir d’urgence et à accélérer l’intégration de la Crimée dans la Russie ; l’intervention du FMI pour annuler la dette russe de l’Ukraine fait un peu plus tomber les masques (le FMI instrument des USA, cela allait mieux quand cela se voyait moins) et ne sauve l’Ukraine de rien.

La vérité-de-situation de l’Ukraine, aujourd’hui, c’est cette scène grotesque qui a eu lieu hier ou avant-hier, je ne sais, à la Rada. Le Premier ministre Iatseniouk, si séduisant avec sa tête rasée d’avorton sorti d’une fausse couche bureaucratique, parle à la tribune ; un député du parti du président Porochenko, Olej Barna, arrive d'un pas énergique vers la tribune, un bouquet de roses à la main ; désarçonné et n’y comprenant rien, Iatseniouk le laisse monter derrière lui, peut-être aime-t-il les roses et qu’on lui conte fleurette, peut-être est-ce la tendresse pense-t-il en acceptant le bouquet et ainsi les bras embarrassés ; Barna le saisit alors par les épaules pour l’éjecter de la tribune ; Iatseniouk résiste sans trop y croire ; l’autre le saisit par l’entrejambes, littéralement par les couilles puisque Iatseniouk doit être doté de ce noble instrument, pour achever le travail ; la Rada bascule avec l’orateur dans le désordre complet tandis qu’on voit Iatseniouk se remettant, contemplant la scène, posant le bouquet, puis le reprenant après tout et s’éclipsant avec la discrétion des grands hommes tandis que le baston cogne dur autour de lui entre disons une trentaine d’élus de la nation... La vérité-de-situation de l’Ukraine, aujourd’hui, c’est le trou noir du désordre (ici avec sa touche de grotesquerie très ukrainienne) qui grandit sans cesse comme s’il ne devait jamais cesser.

Ainsi vont les crises aujourd’hui : elles naissent dans un bruit terrible de tragédie puis s’étiolent peu à peu ; elles se déstructurent, se dissolvent dans cette drôle d'espèce de tragédie devenue bouffonnerie sans perdre leur caractère d’origine puisqu’il est dit qu’elles doivent durer jusqu’à l’entropisation par la néantisation du Grand Tout. La tragédie de la crise ukrainienne est devenue une tragédie-bouffe, ayant pris sa place dans le processus de déstructuration-dissolution du monde, jusqu’à la néantisation de l’entropisation. La crise couve toujours, elle peut exploser à nouveau comme font les volcans épisodiquement, car rien ne cesse jamais dans ce processus de destruction du monde enfermé dans sa contradiction de l’infinitude qui finira par engloutir le diabolus ex machina lui-même. C’est bien son propre monde que le Système réduit à la néantisation de l’entropisation, comme si c’était lui-même.

Apologie de la psychologie de l’apocalysme

  jeudi 10 décembre 2015

Y a-t-il eu, avant nous, une époque où, d’une façon rationnelle, posée, raisonnée, débattue et argumentée, un tel sentiment sinon un tel désir s’est ainsi répandu peu à peu, mais dans un laps de temps très court, venus d’esprits raisonnables et d’une façon qui ne l’est pas moins ? On comprend bien que je ne parle ni d’une psychose, ni d’une Grande-Peur qu’aurait inspirée tel ou tel événement, non plus que d’une pulsion collective d’hystérie ou de religiosité exacerbée, ni d’hystérie religieuse. Ce cas n’est absolument pas le bon pour notre affaire, et c’est bien du domaine de la raison raisonnante que je parle en parlant de ce qu’on nomme ici, sur ce site, “apocalysme”.

(En fait, l’expression complète, disons “militante“ dans le bon sens, c’est “apocalysme-antiSystèmecomme on l’a vu, et c’est de cela que je veux parler en développant ce propos sur “la psychologie de l’apocalysme” puisqu’il s’agit nécessairement de mettre en cause le Système, de le mettre en accusation et de le condamner sans appel possible, puisqu’effectivement tout passe par ce défi et ce combat. Quoi qu’il en soit et pour ne pas trop charger le propos, et aussi pour faire entendre que nous nous trouvons dans le domaine de l’appréciation de la seule psychologie et nullement du parti-proclamé antiSystème qui découle de cette psychologie lorsqu’il s’agit d’agir, j’en reste à l’emploi du mot “apocalysme” seul.)

Pour répondre à la question de tête, mon impression, avec les limites de mes connaissances, est certes qu’il s’agit d’une situation absolument inédite : des “gens raisonnables” et des “esprits libres” en viennent, de plus en plus nombreux, à considérer comme la seule issue possible quelque chose d’extrêmement vague certes mais qui recèle en elle une brutalité et une radicalité inouïes, quelque chose qui peut être justement résumée par le mot fameux d’“apocalypse”, ce qui serait une sorte de tabula rasa si l’on veut. Cela embrasse tous les constats, thèses, prospectives et autres, comprenant les mots d’“effondrement”, de “dissolution”, de “catastrophe finale”, et concernant ce qu’ici on nomme le Système, ici le capitalisme lorsqu’il est pris dans son aspect global et général, ici la civilisation occidentalististe, etc. (On connaît suffisamment les expressions que nous affectionnons sur ce site, et moi en premier, pour désigner la chose qui doit s’effondrer, – le Système d’une part comme organisation élaborée et écrasante issue du “déchaînement de la Matière” de la charnière entre les XVIIIe et XIXe siècle après une évolution de plusieurs siècles, d’autre part la “contre-civilisation” qu’est devenue notre civilisation après cette fracture terrible de l’Histoire, – les deux comme deux faces d’une même pièce ou deux poupées russes qui s’emboitent...)

Bien entendu, la parenthèse ci-dessus rappelle, sans surprise, que je fais évidemment partie de cette psychologie-là depuis fort longtemps, bien avant que l’on puisse envisager une extension de cette “psychologie de l’apocalysme” au point d’envisager d’en faire un courant de pensée rationnel. Je situerais ce basculement de ma pensée autour du début du siècle, après l’attaque 9/11 et dans les réflexions que cette attaque, par son caractère extraordinaire et symboliquement remarquable, avait suscitées concernant la validité de cette civilisation qui prétend être “la nôtre”. La réflexion avait bien été préparée par les années 1990 et la façon dont le monde “de l’Ouest” avait gâché de la manière la plus barbare qui soit l’occasion qui lui était donnée de mettre en place des relations internationales apaisées. Ce fut tout le contraire et, en ce sens, 9/11 en était la conséquence, – conséquence symbolique de “notre barbarie”, – aussi symboliquement considérée que l’avaient fait sur l’instant les victimes de l’agression en en faisant une attaque contre “leur” civilisation. Ainsi est-ce bien autour de cette période que ma réflexion commença à embrasser le problème de cette “civilisation” du point de vue le plus fondamental qui soit, – déjà pointait l’idée de ce qui deviendrait dans mon esprit une “contre-civilisation”. Je m’appuyai notamment pour le plus précis sur ce que j’avais trouvé de réflexion dans ce sens, quoique incomplètes à mon sens, dans les derniers travaux, à la fin des années 1940, du philosophe de l’histoire Arnold Toynbee (*), et en plus avec des références plus lointaines de ce puissant courant qui, dans les années 1919-1933 et en France principalement, avait mis en cause le processus d’“américanisation” du monde.  (Voir sur ce dernier point une version initiale de la Troisième Partie de La Grâce de l’Histoire, qui traite de cette période.) Cette réflexion ne pouvait qu’aboutir au constat du blocage mortel de cette civilisation, démontré par les évènements eux-mêmes, c’est-à-dire de la nécessité de sa destruction ; cela était conçu non pas comme un complot ni comme une guerre, mais comme une évidence pressante, un besoin irrésistible de la nature du monde.

C’est sur cette base de réflexion que ma psychologie a rapidement évolué vers cette conception de l’apocalysme, s’appuyant sur les constats que j’avais développés rationnellement et les confrontant en permanence et d’une manière radicale, comme m’y invitait la situation du monde, à l’évolution de cette situation du monde qui ne fit et qui continue de plus en plus rapidement à ne faire qu’en confirmer le bien-fondé ; parce que c’est bien cela, c’est bien l’évolution du monde, avec l’extraordinaire rapidité des évènements, avec également les intuitions que suscitent ces évènements ou qui surgissent à l’occasion de ces évènements, qui constitua l’élément-moteur de mon évolution psychologique, en confirmant “expérimentalement” comme l’on dit pour une science, ou bien “opérationnellement” si l’on veut, les propositions de mes réflexions rationnelles. On comprend alors, de même qu’il me semble qu’on pourrait le comprendre aisément en parcourant les archives du site, que cette psychologie n’est chez moi en rien névrotique ou d’une Grande Peur, ni hystérique ou religieuse, ni d’hystérie religieuse. Je l’assure, fermement  et sans la moindre hésitation après toutes les précautions qui ont précédé, ce ne fut jamais mon cas, et j’ai assez fréquenté de psychiatres pour d’autres cas que le mien pour être fixé à cet égard : cette psychologie de l’apocalysme est, chez moi, complètement et entièrement faite toute de raison. On doit donc chercher, et d’ailleurs on les trouvera aisément, des explications rationnelles à l’existence et au développement d’une telle psychologie qui pourrait, à première vue et pour des jugements qui restent attachés à ces idéologies lénifiantes et éculées prometteuses de “lendemains qui chantent“, sembler défier la raison et qui, au contraire, ne fait que la combler.

(Suite)

Archives : Rétrospective du 23/11/2015 au 29/11/2015

  lundi 07 décembre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 23 novembre au 29 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • Le phénomène de “tourbillon crisique”, décrit en d’autres temps pas si lointain (13 juillet 2015) comme une sorte d’intégration permanente de tous les paroxysmes des diverses crises en cours, est désormais si constant qu’il ne permet plus d’avoir d’autre sujet que lui-même. • Mais, certes, en abordant ce “sujet”, vous les abordez tous, ou plutôt le contraire : en traitant tous les paroxysmes crisiques en cours, vous êtes “dans le sujet-‘tourbillon crisique’”, qui n’est qu’une caractérisation de plus, mais avec très forte dynamique d’intégration, de la Grande Crise de notre civilisation/du Système. • Ainsi parle-t-on de tout ce qui tourne autour de la Syrie, et de ce qui en paraît disjoint mais qui lui est intimement lié : selon certains, il s’agit de “l’époque la plus dangereuse de tous les temps” (24 novembre 2015) ; pour nous c’est aussi le globalisation qui se morcelle en “bulles psychologiques” (28 novembre 2015). • Tout de même, disons que la semaine fut marquée par la destruction d’un Su-24 russe par la Turquie (24 novembre 2015, 25 novembre 2015 et 26 novembre 2015) et l’abracadabrantesque alerte au terrorisme à Bruxelles, suite au 11/13 de Paris (24 novembre 2015 et 27 novembre 2015). • Sur le fond et pour ce qui vient, nous avons beaucoup à penser pour ce qui concerne la politique russe (23 novembre 2015), la politique française elle-même (25 novembre 2015) et les frasques de la famille Erdogan (27 novembre 2015). »

Conflit de psychologies et antiSystème

  lundi 07 décembre 2015

Rédiger le texte de dedefensa.org portant sur l’“Orgie d’apocalysme-Système”, c’était convoquer directement le thème de l’affrontement entre apocalysme-antiSystème et nihilisme-Système dont on s’explique largement, comme on l’a fait dans d’autres textes nombreux. Là-dessus, je lis le texte du Saker-US, sur UNZ.com, du 6 décembre 2015 (« Week Nine of the Russian Intervention in Syria: The Empire Strikes Back »), qui présente une vue crépusculaire de la position de la Russie en Syrie à la suite de l’incident Su-24, où la Russie se trouverait en position d’extrême faiblesse, sinon désespérée, face à la “riposte de l’Empire (“AngloSioniste”, selon l’expression favorite de l’auteur).

L’extrême du propos est bien résumé par un commentaire d’un lecteur : « One thing is clear: If I was a general about to lead my troops into battle I would certainly not hire “The Saker” to rally and inspire them with courage and motivation. What Saker essentially is saying is: Move on folks. Let´s hope and pray for the best but in reality, the battle is over. The Empire is all over us and there is nothing we can do, run for the shelters. What saker is doing, perhaps not intentional, is what the people he probably despises more than anything, the “fifth columns” in the Russian society, does. To instil a sense of hopelessness and apathy even before the battle has started. » ... Mais je ne vais pas argumenter sur ce terrain parce que là n’est pas mon propos et là ne peut être en aucune façon mon propos ; il est plutôt de montrer, avec cette citation, à quel extrême de la perception conduit cette sorte de psychologie.

L’essentiel de mon propos est bien d’illustrer cette psychologie qui conduit à juger des évènements selon les normes et les références rationnelles telles que la politique, la stratégie, etc., et à en faire les éléments décisifs sinon exclusifs de la bataille en cours ; même si ces normes rationnelles sont sollicitées d’une façon extrême (et parfois paroxystiques sinon hystériques), elles restent intérieures au Système et dépendantes de lui. De même, un texte affirmant la “victoire” de la Russie, – si ce terme a encore un sens, – et la jugeant comme décisive pour cette même “bataille en cours”, ressort de la même catégorie et se place en contradiction complète avec l’autre psychologie dont je parle. Au contraire, je vois cette “autre psychologie” illustrée assez bien par ce passage d’un texte du 19 novembre, sur ce site, décrivant l’action de Poutine selon cette perception opposée, et d’ailleurs repris dans un texte du 30 novembre dans le même sens :

« Peut-être même l’homme [Poutine] navigue-t-il à vue, nullement par ignorance mais par expérience (il a vécu la dissolution-expresss de l'URSS), se contentant d’appréhender au mieux les spasmes de ses “partenaires” et de protéger à mesure les intérêts de la Russie, tout en n’espérant pas trop dans la manufacture de plans importants à long terme, de Grand Dessein ou de Grand Jeu. Ce serait sans doute l’hypothèse la plus intéressante finalement, intégrant deux aspects en général reconnus de sa personnalité, qui sont une vision froidement réaliste des choses et une prudence constante dans l’action, y compris dans les actions les plus décidées et les plus rapides ; et, surtout, impliquant que Poutine ne serait pas loin d’admettre que le système général du monde, – bref, le Système, dont lui-même fait nécessairement “partie-en-partie”, – n’est pas vraiment réformable et qu’il faut donc attendre des bouleversements majeurs en acceptant l’idée qu’on n’en soit ni l’initiateur ni le maître. »

... En effet, il s’agit bien là d’un conflit de deux formes de psychologies complètement différentes, percevant et interprétant malgré leur apparente position d’alliance qui se révèle n’être que de circonstance quasi les mêmes évènements comme s'ils étaient d'essences différentes. Pour le Saker, l’“Empire AngloSioniste” est plus fort que jamais, pour ainsi dire, comme d’autres diraient qu’il est en pleine débandade, et cela suffit à fixer l’essentiel ; pour l’autre psychologie, dont je suis, le désordre est plus grand que jamais, jusqu’à l’emploi de l’expression de “Grand-Désordre qu’on lit dans dedefensa.org. Disons pour être plus précis dans le cas exemplaire exposé ici que pour l’un, le sort de la Sainte-Russie règle le sort du monde, et si elle est emportée nous le serons avec elle, et si elle l’emporte nous serons vainqueurs avec elle. Pour l’autre, c’est l’expansion du désordre qui importe, parce qu’il porte la seule voie mortelle qui accélère la transmutation de la surpuissance du Système en autodestruction, et cette expansion est en cours d’une façon exponentielle.

Il n’y a aucune argumentation rationnelle qui peut trancher entre l’une et l’autre psychologies, simplement parce qu’il n’existe plus aucune référence stable de la réalité selon l’évidence de l’inexistence de celle-ci. (Voir le Glossaire.ddevérités-de-situation & Vérité”.) Les arguments reposent sur l’intuition, la conviction, et bien sûr un arrière-plan d’expérience mais qui n’est qu’un complément, qui n’est en rien décisif. Par conséquent, le dialogue est simplement impossible alors que, à mon sens, cette opposition de deux types de psychologies qu’on jugerait dans le même camp des antiSystème constitue le véritable enjeu des affrontements à venir (et quand je dis à venir, c’est du tout proche que je parle : dans les mois à venir, à peu près).

La situation ne cesse de devenir de plus en plus paradoxale à cet égard, – mais qui s’en étonnerait dans une époque si étrange, si unique, si exceptionnelle ? Les psychologies-Système, celles du nihilisme-Système, n’ont aucune force, il s’agit de psychologies de robots et d’êtres contraints dans l’asservissement, ou bien continuellement sous l’effet de drogues euphorisantes. (Ainsi le véritable ennemi dans la lutte Apocalysme-antiSystème versus nihilisme-Système, pour les antiSystème, c’est bien entendu le Système que représentent ces psychologies si affaiblies.)

Il faut alors conclure qu’avec ces deux perceptions différentes dans le camp des antiSystème, et selon ma perception à moi selon laquelle l’effondrement du Système est en cours et inéluctable, la véritable bataille qui nous attend c’est bien celle qui va se dérouler à l’intérieur du camp de ceux qu’on est en droit, pour l’instant présent qui n’est en rien comptable de l’avenir, de dire antiSystème. Chacun des deux aura un adversaire à son niveau, qu’on peut juger “pour l’instant présent qui n’est en rien comptable de l’avenir” loyal, courageux, honnête, mais dans un certain sens d’autant plus impitoyable qu’il jugera (dans tous les cas, dans un des deux partis certainement) avoir en face de lui un proche qui s’est fourvoyé et qu’il faut remettre dans le bon chemin. Sur le fond, la chose n’est pas moins importante et même au contraire, car l’enjeu de la bataille est fondamental et dépasse tout le reste ; il s’agit des conditions qui existeront dans l’ère de l’après-Système, sur les points les plus fondamentaux du sens des choses.

Le “Manchurian President”, ou la dissolution

  samedi 05 décembre 2015

Tout le monde se rappelle ou connaît, ou doit découvrir le thème de The Manchurian Candidate (le livre, les deux films) (*), et je me rappelle que l’un ou l’autre avait évoqué la chose pour le candidat Obama... Je ne sais s’il fut un Manchurian Candidate mais je me demande s’il n’est pas un “Manchurian President”.

Manchurian Candidate, c’est presque devenu une expression symbolique ou imagée du langage courant, pour désigner un “candidat” (un homme politique lancée dans l’arène, etc.) dont l’esprit conformiste-Système est implicitement décrit par le symbole d’un emprisonnement par une force extérieure, d’une manipulation par des forces puissantes, à peine occultes le plus souvent lorsqu’on utilise l’expression, dans ces temps de déliquescence d’une civilisation peuplée de tant et de diverses entreprises de manipulation, et de l’estime à mesure qu’on porte à nos élites. Mais il y a aussi une part de mystère dans le thème du Manchurian Candidate, et je dirais même que c’est l’essentiel alors que l’usage qu’on en a fait récemment est plutôt polémique et d’un “complotisme” très peu élaboré. Moi, c’est dans ce sens du mystère que je voudrais développer l’hypothèse du Manchurian President, avec d’autant plus de justification que je considère qu’Obama est toujours un mystère, qu’il l’est sans aucun doute pour moi, qu’il l’est sans doute en général, – cela signifiant que je tiens ce questionnement sur le président des États-Unis comme une sorte de vérité-de-situation qui n’est pas négligeable.

Ce qui m’a inspiré et poussé à cette interrogation, puis à cette réflexion pour le Journal dde.crisis, ce sont les remarques/paraphrases faites par le colonel Pat Lang, rapportant des déclarations d’Obama, les paraphrasant, appréciant de quelques mots son comportement, tout cela repris dans le texte du 3 décembre sur L’hyperimpuissance en mode-turbo. Je rappelle ici les principales remarques de Lang qui m’ont frappé, Lang qui a la langue dru mais qui ne l’a pas à n’importe quel propos, je veux dire pas d’une manière irresponsable et pour le seul usage de la polémique...

« Notre collègue David Habakkuk a fait remarquer ici que le lieutenant général Flynn et la DIA ont rencontré dans l’administration borgiste d’Obama un « récit impénétrable ». [...] Lui et son équipe borgiste ne comprennent-ils pas que ces forces islamistes recherchent une Syrie dans laquelle leurs diverses visions d’un avenir islamique sunnite triomphent et dans laquelle les minorités religieuses sont réduites à la dhimmitude. Est-ce ce que l’empereur de nous tous pense être un résultat souhaitable en Syrie ? [...] SWMBO a écouté cela et a fait remarquer que cet homme ne sait rien de la guerre. Je suis d’accord. [...] Son attitude. Sa majesté impériale a affiché le dédain pétulant désormais familier pour tous ceux qui osaient le questionner. L’atmosphère était le genre de chose que l’on voit dans les réunions dans lesquelles un professeur essaie de contenir son condescendance envers les étudiants. Sa référence au Royaume-Uni comme « les Britanniques » était douloureuse à entendre. »

Ce qui est impressionnant dans ce que dit Lang, et qui rejoint beaucoup d’observations, d’impressions, d’appréciations, etc., c’est l’image de cette espèce de “forteresse de la communication” où s’est enfermé ce président, avec l’aide de son équipe “à-la-Borgia” dit Lang, et la forteresse constituée selon une expression que j’imagine venir du Général Flynn qui a tenté de la percer sans succès pendant deux ans,  d’une “narrative impénétrable”. On peut trouver de plus en plus d’analyses qui illustrent cette situation, notamment chez Robert Parry qui s’est fait une spécialité de mettre à jour cette situation. (Voir son article tout récent du 2 décembre où il analyse les incroyables écarts de langage et de considération d’Obama vis-à-vis des Russes, et notamment des Russes victimes du terrorisme, sans montrer le moindre intérêt pour les vérités-de-situation que le vaste appareil de puissance à sa disposition, ainsi que ses contacts internationaux, lui permettraient d’éventuellement découvrir.)

Il semblerait alors assez juste d’observer qu’Obama nous a quittés depuis un certain temps, complètement absorbé et satisfait par sa “narrative impénétrable”, avec sa Garde Prétorienne faite de communicants divers, proliférant et pullulant, et de quelques Gardiennes suffisamment hystériques (Samantha Powers, Susan Rice, etc.) mises aux postes-clef avec pour consigne d’effrayer l’imprudent qui tenterait de franchir le pont-levis de la communication faussement abaissé pour faire croire que le président nous écoute comme on écoute le monde, comme les Indiens écoutent les Esprits dans la Grande Prairie, comme Bob Dylan écoute la réponse dans le vent (“Blowing in the wind”).

Qui est donc cet homme ? Quel Mystère l’habite et l’enveloppe plutôt, après tout, qu’être lui-même un mystère ? Il est vrai, je l’avoue, que cette expression découverte dans le texte de Pat Lang, – sa “narrative impénétrable”, – cette expression ne cesse de me fasciner et c’est bien elle qui me pousse à m’attacher à ce sujet de savoir qui est cet Obama finalement... Cette expression a une grande allure, elle contient un pouvoir considérable d’exciter l’imagination et d’en offrir des images, elle parvient à solidifier le fluide parfait qu’est la communication, à transformer les incertaines bulles sonores des narrative en énormes blocs de pierre qu’aucune armée au monde ne saura jamais percer, et le tout formant cette “narrative impénétrable” qui semblerait être la forteresse ultime faite de toutes les forteresses du monde. “Il semblerait alors assez juste d’observer qu’Obama”, – pour reprendre expressément l’expression employée plus haut, – n’a nul besoin de “nous quitter” parce qu’en fait il me semble bien qu’il ne nous a jamais rencontrés.

Après des années d’observation, de supputations, d’hypothèses à son égard, et alors qu’il approche de la fin constitutionnelle de son existence historique (dans moins d’un an), j’en viens de plus en plus à conclure que cet homme est profondément doué pour l’inutilité la plus complète de quelque activité que ce soit. Il a un charme évident, un remarquable talent d’orateur, un superbe contrôle de soi, le sens de l’humour et celui de la répartie, le mouvement enveloppant et le geste plein de grâce ; il donne la sensation de tout apprendre et de tout comprendre d’un même élan, comme en passant, donc de disposer d’une belle intelligence utilitaire ; certains le trouvent également arrogant, distant, dédaigneux et presque indifférent mais un poète vous dirait que les grands hommes sont comme ça, que la grandeur de leur destin leur impose cette attitude, que ces défauts sont des vices de seigneur... Effectivement, Obama entretient à grands frais une cour de poètes libéraux et progressistes qui ne cessent de chanter ses louanges et de faire de ses attitudes les plus insupportables le signe de vertus aussi extraordinaires que dissimilées ; certes, laissez donc parler les poètes, il leur arrive de voir les choses derrière les choses.

Mais au-dessus de tout, – certes, vous l’attendez je l’espère, ce “mais” inévitable, qui ne peut faire que venir à cet endroit de l’observation, pour disperser tout le reste en poussière et réduire à une poussière tout cette vaste mobilisation d’observations nuancées et sophistiquées, – au-dessus de tout il y a cette immense, cette écrasante vérité-de-situation que cet homme est vide, désespérément vide, inéluctablement vide. Obama n’est qu’une enveloppe, une sorte de “bulle” humaine, magnifiquement ornée et qui s’est cadenassée elle-même, presqu’avec jubilation et avec une sûreté de soi arrogante absolument inimitable, dans cette “narrative impénétrable”. C’est alors que nous entrons évidemment dans l’hypothèse du Manchurian President, qui implique une exploration complexe et la prise en compte de règles et de formes de pensée inhabituelles.

A ce moment, l’hypothèse évolue comme ceci : certes, Obama était bien un Manchurian Candidate, comme ils le sont tous d’une certaine façon et plus ou moins, c’est-à-dire des candidats qui doivent se vider de toute substance étrangère au destin auquel ils sont promis, pour enfin s’aligner en fin de parcours sur la narrative officielle qui, de toutes les façons, se charge de tous. Mais il faut savoir que la “narrative impénétrable” qui protège Obama n’a pas nécessairement à voir avec la narrative officielle ; non pas qu’elle la concurrence, qu’elle la met en cause, simplement elle n’est absolument pas du même domaine et n’implique que la protection d’un destin personnel. Il en résulte que le Manchurian Candidate qui devait, après son parcours initiatique pendant la campagne, se transformer en président-conforme, s’est réfugié dans sa “narrative impénétrable” comme dans une forteresse et s’est transformé en Manchurian President, prolongeant au-delà du contrat prévu cette situation de vide qu’implique, disons le Manchurian Character. Cela me conduit à penser sans trop forcer la logique, je veux dire comme assez naturellement, que cet homme complètement, immensément vide, est un homme complètement indifférent à des choses telles que la vérité, – et précisément, à la vérité elle-même. Il s’en fout, littéralement. Il n’est certes pas un menteur puisqu’il ne veut rien connaître de la vérité et qui ignore totalement le concept de vérité ne peut par conséquent connaître celui de mensonge... Il est indifférent à cette sorte de chose, et tout notre blabla, en vérité, n’est rien de son affaire. En ignorant la vérité comme font les présidents-conformes, il ne s'est pas sali les mains à mentir comme c'est le privilège d'un Manchurian President.

(Suite)

...Sorte de prémonition a posteriori

  mercredi 02 décembre 2015

Dans cette réflexion qui concerne les Russes et la Syrie, ce “a posteriori” me chiffonne, de savoir si l’on me comprendra bien, selon ce que je veux transmettre comme pulsion intellectuelle signifiant la force du message à propos duquel cette pulsion tenterait de me faire entendre raison. Cette idée-là aurait dû me venir, si l’on s’en tient à la chronologie du temps, deux mois plus tôt et un peu plus encore que ce que j’entends signifier aujourd’hui ; d’autre part, ce retard n’en est pas un car il ne s’agit pas ici d’une compétition ni d’une enquête pour réunir des preuves mais bien de la meilleure façon de se bien faire entendre. Cette “prémonition” ne pouvait me venir à l’heure dite où elle aurait été effectivement prémonitoire, mais plus tard, quand l’emploi du terme paraît paradoxal, provocant ou simplement futile au milieu d’une situation établie qui semblerait indiquer une toute autre direction que celle qu’indique la prémonition. C’est que les éléments de la “prémonition” (« ...sentiment de savoir ce qui va arriver dans [l’avenir]... conviction, juste ou non, que quelque chose va arriver dans [l’avenir]. ») n’étaient pas réunis au départ, et il se serait alors agi de l’affirmation bien audacieuse d’une “divination” (« ...pratique occulte et métaphysique de découvrir ce qui est inconnu: l’avenir... et cela par des moyens non rationnels. »)... Enfin, il est temps de laisser ces préliminaires presque techniques pour en venir au principal, tout cela ne servant finalement, — mais ce n'est pas rien, – qu’à soigner l’élan et l’ardeur dont on a besoin pour se lancer dans la confidence, tout en donnant une indication précieuse sur la sorte de propos où je m’engage.

Il s’agit des affaires du monde, il s’agit du cœur actuel du “tourbillon crisique” qui est le caractère central actuel de notre situation générale, il s’agit de la Syrie, il s’agit enfin de l’intervention russe en Syrie commencée officiellement le 30 septembre et dont l’ordre d’activation fut donné le 13 septembre par le président russe Poutine. Cette prémonition “a posteriori” décrit l’idée selon laquelle cette intervention constitue désormais, – c’est-à-dire ce qu’elle n’était pas nécessairement au départ, – un tournant décisif dans cette situation générale, non pas en termes géopolitiques ni politiques, ni quoi que ce soit de cette sorte des activités humaines habituelles, mais en termes crisiques directement compréhensibles et directement intégrables dans cette situation générales, dans tous ses effets. Même s’il y a évidemment de ces effets à ces niveaux et dans ce sens, l’action de la Russie ne se fait plus principalement dans le champ de la politique, – pour les intérêts de la Russie, pour sa sécurité nationale directe (contre le terrorisme dont une des orientations est le Caucase) et indirecte (protection de la Syrie) ; elle ne se fait plus principalement dans le champ de la géopolitique, – pour modifier, sinon faire basculer l’équation des influences dans la région, pour écarter une hégémonie nuisible et productrice de désordre et la remplacer par un ordre assuré par une action conjointe où la Russie occupe la place centrale. On a pu le croire au début de l’intervention et sans aucun doute était-ce dans l’esprit de ceux qui prirent et observèrent cette décision. Mon observation est que cette intervention russes a échappé à ces intentions de départ, qu’elle a acquis suffisamment de puissance dans le domaine de la perception, de la communication, et de l’influence du récit qui en est fait pour bouleverser le rythme et l’activité de la Grande Crise, et lui faire prendre son orientation décisive. Elle s’est haussée elle-même à un niveau supérieur de celui où elle a été activée et, désormais, ne concerne plus guère la Russie elle-même, ni les autres, mais un domaine qui nous dépasse tous et nous englobe tous.

Je ressens ceci que les Russes, et Poutine en particulier, ont une attitude à cette mesure, sans qu’ils s’en aperçoivent nécessairement, et je dirais même “nécessairement sans qu’ils s’en aperçoivent”. Ils agissent comme s’ils étaient hors du jeu des puissances, même vis-à-vis de leurs alliés (Chine et Iran), ne montrant aucune considération pour les vieilles amitiés (la Turquie) dans la façon de traiter leur félonie, aucun respect pour les puissances déclinantes et hier triomphantes (les USA), intéressés mais tactiquement plus que stratégiquement par l’idée de coalition, ne paraissant montrer aucun étonnement mais entreprenant aussitôt avec une conviction inébranlable un travail de consolidation massive de leur présence qui ne peut avoir pour effet véritable que celui de créer un choc crisique considérable. Ils sont déterminés au pire en termes opérationnels, sans aucune retenue parce que non seulement “le pire est toujours possible” mais parce que ce “pire” est infiniment probable sinon déjà là à l’exclusion du reste, et de toutes les façons nécessairement préférable à n’importe quoi d’autre dans ces situations de subversion et de crise si grandes où il est préférable d’aller au terme ; et ce terme est désigné “le pire” par la logique d'une raison épuisée par sa propre subversion mais ne l’est plus en tant que vérité-de-situation.

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De la “nostalgie infinie”

  mardi 01 décembre 2015

Je crois avoir dit quelques mots sur la nostalgie, de-ci de-là dans ce Journal, y compris d’avoir peut-être dit un mot ou l’autre de ce texte que je vais citer. (Je découvre [!] grâce à l’intrépide moteur de recherche que trois titres du Journal dde.crisis comporte le mot : « Ma nostalgie et leurs $500 millions », « Cauchemar & nostalgie d’Empire », « Paris, gloire & nostalgie ».) J’en ai aussi entendu quelques échos chez quelques lecteurs. Cela me paraît suffisant pour saisir l’argument, comme je médite de le faire depuis quelques temps, pour en faire une transition acceptable, – certainement pas une mise au point, non, mais un artifice de conjoncture. Il s’agit donc d’introduire la citation dans ces pages d’un large extrait de la Conclusion (sera-ce encore la “conclusion” dans la mouture définitive du livre ?) du Tome II de La Grâce de l’Histoire. Cette machine infernale (La Grâce), qui avait déjà pris son temps et du volume avant d’accoucher de son Tome I, procède de la même façon, sinon en plus affirmé encore, avec le Tome II. Tous les délais sont pulvérisé, le texte initial a été mille fois relu, cent fois corrigé, dix fois allongé ; le résultat, dont nul ne sait s’il s’agit de la version finale, n’a plus rien à voir avec la mouture originale, ce qu’on nomme le “premier jet”. Ainsi de la “conclusion”, qui a pris une importance si considérable, sur la forme et sur le fond, que j’ignore si elle restera “conclusion” jusqu’au bout, – je l’espère, tout de même...

Mais venons-en au fait. Dans cette partie, plusieurs thèmes sont abordés, dont j’espère qu’ils feront la transition vers la troisième partie de l’aventure, puisqu’il y a un Tome III prévu, oui un troisième volume, et c’est bien dire combien le pessimiste dissimule d'espèrances secrètes quant à son destin, – à ce point que certains le qualifieraient d'optimiste, et même d'optimiste-utopiste... Brièvement dit, il y a le thème du Mal et de la matière (Matière) ; puis ensuite, et c’est là que je veux en venir bien entendu, celui regroupant, selon l’intitulé lui-même, « la nostalgie, le passé et l’éternité, et [...] l’Histoire providentielle ». Dans cette démarche, la nostalgie occupe la première place, chronologiquement et par rapport à moi, mais en prestigieuse compagnie, – l’éternité, rien que cela !

Mais parlons avec  moins de légèreté car la chose n’est pas exempte de gravité... Il s’agit de m’expliquer de l’importance que j’accorde à ce sentiment, de la vertu la plus haute dont je le pare, de la façon dont il agit sur moi, nullement comme un frein, comme un retrait ou un refus de la vie, comme un repliement hors du monde, comme une rêverie éthérée, presque comme une pathologie (comme la mélancolie que je juge être effectivement proche de la pathologie), mais tout, absolument tout on contraire de tout cela. Pour moi et selon mon expérience constante, la nostalgie est à la fois mon sang et mon esprit, ma raison d’être et ma raison de penser, mon ardeur créatrice d’énergie, la main secourable qui m’aide à me relever chaque fois que je chute, – et vous ne trouverez rien là-dedans qui me détourne des évènements du monde d’aujourd’hui et de ma responsabilité d’en rendre compte comme en témoigne tout de même le site dedefensa.org.

Voici donc la chose pour le lecteur qui veut tenter l’aventure de cette longue lecture qui nous emporte loin des évènements furieux qui nous secouent, – ou bien qui nous en rapprochent secrètement, bien plus qu’on croit, qui sait. Que ce lecteur sache qu’il s’agit d’une partie d’un texte (la pseudo-“conclusion”) qui a un avant et un après, donc que l’interprétation de ce texte et son éventuelle critique sont soumises à la difficulté de saisir précisément la signification d’une partie d’un tout comme si elle était un tout. (Tout de même, je pense qu'il laisse voir ce qu'il illustre d'essentiel.) Je termine l’extrait à l’endroit où j'en suis de ma nième relecture pour garder un texte soumis à autant d’attention et d’intérêt de ma part ; je termine tout de même en laissant les trois premières lignes d’un nouveau paragraphe indiquant que la deuxième référence manifestant cette conception de ma nostalgie, après l’“Algérie-perdue”, est ce que j’ai coutume de nommer “l’intuition de Verdun”. Que le lecteur ait également à l’esprit que la “nième relecture” n’empêche nullement qu’il y pourrait bien sûr y avoir une “nième + 1” relecture avec de nouvelles corrections, et peut-être bien une “nième + 2”, et ainsi va la vie...

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Archives : Rétrospective du 16/11/2015 au 22/11/2015

  lundi 30 novembre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 16 novembre au 22 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • Le 13-novembre, comme il est désormais coutume de nommer l’événement, est devenu un fait historique formidable sans aucune certitude que quoi que ce soit ne justifie cette importance : à cet égard, la communication fait son travail avec un zèle étourdissant. (Voir le 16 novembre 2015.) • L’on peut conjoncturer que cette crise est ressentie comme étant d’une extraordinaire importance pour répondre à l’attente inconsciente et fébrile de notre époque d’une dramatisation décisive de chaque évènements qui permettrait à la Grande Crise d’effondrement du Système d'accélérer et de s'aggraver encore, sinon de commencer enfin à dégager ses effets décisifs. (Voir le 16 novembre 2015.) • Dans cet ordre d’idée, il est envisagé que le 13-novembre s’inscrive comme une grande date à côté du 11-septembre et que le sigle 11/13 pourrait prendre sa place derrière 9/11 ; et ainsi la question que nous posons : 11/13 termine-t-il une époque qu’a commencé 9/11, autour du mot “terrorisme“ et du symbole que ce mot manifeste ? (Voir le 20 novembre 2015.) • Un autre aspect nous a arrêtés, au cours de cette semaine, par la façon dont il s’insère dans la perspective de la Grande Crise du Système : le caractère apocalyptique que certains reconnaissent à l’action de Daesh, avec certains aspects stratégiquement illogiques qui ne s'expliqueraient que si Daesh recherche une confrontation générale comme une sorte d’Armageddon (Voir le 22 novembre 2015.) »

Nous sommes tous Le feu follet

  samedi 28 novembre 2015

Ceci remonte assez loin, certes, mais nous concerne tous comme s’il s’agissait d’aujourd’hui. Cela concerne l’acteur Maurice Ronet d’autres temps mais également notre malaise psychologique à tous, ici et maintenant... Oyez, oyez ces échos d’une époque enfouie et enfuie, et qui me remplissent de nostalgie mais qui, pourtant et déjà, annonçaient notre époque présente, ici et maintenant.

Je ne cacherais pas que, in illo tempore absolument non suspecto, j’avais une grande estime pour l’acteur-réalisateur-écrivain Maurice Ronet, pour les personnages qu’il incarnait à l’écran, pour cette psychologie de lui et ce caractère qu’il laissait deviner (un peu comme le cas Patrick Dewaere, dirais-je). Ronet est resté dans ma mémoire comme une rencontre que je n’ai pas pu faire, et que j’ai toujours regrettée. Ce devait être en 1966 ou 1967, je ne sais plus. J’avais dans mes bagages un de ces romans que je ne publierais jamais, qui était involontairement sur le thème très en vogue de l’incommunicabilité : à partir de l’idée d’une population dans laquelle s’était généralisé le port des lunettes de soleil (à cette époque, les fameuses Ray-Ban [*] des pilotes US faisaient fureur), – au point que plus personne n’était capable de saisir le regard de l’autre puisque plus personne n’avait de regard du fait des lunettes...

Je fais connaissance par quelque hasard de sortie d’un jeune homme de mon âge (disons X, pour faire court puisque son nom s'est enfui depuis si longtemps de ma mémoire), – ce X qui essaie de se faire une place au cinéma dans la réalisation. Je lui parle de l’idée du bouquin, comme ça ; il s’exclame que cela pourrait bien séduire Ronet, qu’il connaît bien puisqu’il a été quelque chose avec lui, peut-être bien comme assistant-réalisateur dans son premier film mais je ne suis sûr de rien. (Ronet venait de commencer une carrière de réalisateur avec Le voleur de Tibidabo, en 1965.) On arrange ça très vite, moi-même plein d’ardeur ; je file un exemplaire du manuscrit à X, qui lit, juge que cela fait l’affaire, promet de le transmettre à Ronet ; là-dessus un rendez-vous est conclu, selon l’affirmation de X que Ronet est intéressé, dite comme si Ronet avait jeté un œil sur le bouquin. On imagine ma jubilation. Le rendez-vous est fixé. Au dernier moment, X me téléphone : le rendez-vous est annulé par défaut de participant puisque Ronet a disparu. X m’explique qu’il est comme ça, Ronet : tout d’un coup, il disparaît, personne ne sait où il est, une sortie qui se prolonge dans une succession de buveries, une ivresse de quelques jours, parfois une semaine, plus même, sans plus aucun signe pour personne. X me dit qu’on remettra ça lorsque Ronet sera revenu dans le monde des vivants, mais tout cela devenu assez vague, de plus en plus insaisissable comme si l’occasion se dissolvait, comme si l’enthousiasme s’éteignait à mesure que l’ivresse et l’oubli du monde avait emporté l’acteur-réalisateur ; le Ciel avait décidé que nous ne nous rencontrerions jamais... Et c’est ainsi que je n’ai jamais rencontré Maurice Ronet, jamais su s’il avait lu mon livre à jamais impublié et oublié, jamais su s’il y avait vraiment eu de rendez-vous envisagé, mais convaincu moi-même par cette partie de l’argument de la disparition inexplicable que cet homme (Ronet) était bien égal à ce que je ressentais de lui, homme déchiré, homme perdu et désespéré.

Si je dis tout cela, bien entendu, c’est parce que je viens de revoir Le feu follet, de Louis Malle, d’après Drieu La Rochelle, avec lui, Maurice Ronet, envoutant le film et le transcendant de sa désespérance absolument pathétique, avec un jeu si “criant de vérité” comme ils disent qu’on ne peut éviter de penser que Ronet-Leroy (rôle d’Alain Leroy) joue le rôle de sa vie comme si sa vie se résumait à ce rôle. (J’ignore ce que Ronet en a pensé, s’il a voulu réellement ce rôle selon l’importance et le sens qu’on lui voit, s’il a participé à son élaboration, et peu m’importe : je juge l’œuvre brute, précisant en plus que je n’ai pas lu le livre de Drieu, qui date de 1931 et adapte la vie d’un ami de Drieu, Jacques Rigaud, écrivain partant dans tous les sens, morphinomane et héroïnomane tombé dans une fin de vie d’errance et de désespérance ; qui se suicide en 1929, à 31 ans, d’une balle en plein cœur dans la maison de repos où il était en cure de désintoxication, comme Ronet-Leroy dans Le feu follet.)

J’ai été surpris par la vision de ce film déjà vu deux fois, mais il y a longtemps, d’abord pour une sorte de “raison technique”. J’ai souvent succombé, en voyant d’anciens films, à la pression que la postmodernité exerce sur nous, qui est d’introduire la notion d’obsolescence, essentiellement dans les arts et autres activités dépendant fortement de la technique et des technologies, – et qu’y a-t-il de plus sensible à cela que le cinéma ? Rien de semblable avec Le feu follet. Le film se voit comme s’il était tourné d’hier, comme s’il était extraordinairement actuel (pas “moderne”, hein, comme on clame en général pour les vieilleries qu’on réhabilite en conformité à l’époque qui le fait qu’elles sont restées “étonnamment modernes”, non je dis bien “actuel”). Le noir-et-blanc lui va à ravir, en appuyant l’atmosphère extraordinaire de tension et de puissance qui électrise littéralement ce film sans le moindre acte de violence, sans la moindre péripétie à suspens, sans le moindre éclat de voix. Dès le début, l’on connaît le fin, lorsque la caméra, passe et repasse avec insistance, au rythme des allées-et-venues de Ronet-Leroy marmonnant des mots sans guère de sens et filmé dans le miroir de la chambre de la clinique privée où il achève “avec succès” sa cure de désintoxication, sur ce miroir où est écrit au marqueur, en lettres énormes, la date fatidique du “23 juillet” dont on comprend assez vite ou après-coup,  qu’importe, qu’il s’agit du jour choisi par lui pour son suicide ; tandis que, quelques instants après, Ronet-Leroy range ses affaires et s’arrête un instant sur un revolver qu’il a soigneusement enroulé dans un foulard, un de ces fameux Luger P.38 Parabellum, dont il vérifie le chargeur. Et l’on connaît déjà si bien la fin que de tous côtés l’on dit à Ronet-Leroy “vous êtes guéri” comme on lui dirait qu’il est par conséquent détaché de ce monde des accidents de la matière, paradoxalement libéré pour conduire à bien son dessein et répondre à l’appel de son destin.

... Il est alors logique de constater que la question de l’alcoolisme (cure de désintoxication réussie ou pas, qu’importe) n’apparaît que de peu d’importance dans le film tel que je l’ai vu, avec mes yeux de 2015. Même si Ronet-Leroy “replonge” à la fin, quelques heures avant l’acte fatal, cela importe peu. Ce qu’il porte avec lui, désormais, vu aujourd’hui, ce n’est pas la désespérance d’un être mais la désespérance d’un monde, et c’est bien cela l’essentiel de mon propos ; c’est comme si Ronet-Leroy avait senti, non pas tellement son propre destin (il ne s’est d’ailleurs pas suicidé puisque mort d’un cancer à 55 ans), mais bien le destin d’un monde dont les prémisses pouvaient être perçues puisqu’elles sont là depuis des décennies et même des siècles, – certainement depuis 1918 et le débat de civilisation qui s’est alors ouvert, qui était déjà comme une béance accompagnant notre marche vers le Progrès où il apparaît de plus en plus que cette béance c’est le Progrès lui-même.

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Il y a foule autour des restes du Su-24

  jeudi 26 novembre 2015

Avant l’on disait qu’“un malheur n’arrive jamais seul”, aujourd’hui l’on pourrait dire, d’ailleurs d’une manière assez proche, qu’“un événement n’arrive jamais seul”, surtout lorsqu’il a la brutalité, la brièveté et la netteté de l’interception et de la destruction d’un avion de combat dans un environnement politique d’une telle intensité. Bien sûr, je parle de la destruction du Su-24 russe par les Turcs, le 24 novembre. Ce 24 novembre donc, j’ai pris le relais pour donner quelques commentaires sur le premier événement au nom du site parce que, semblait-il, nos rubriques habituelles n’avaient pas du tout l’intention de s’en charger. (Ce que j’ai fait remarquer de cette façon, – à chacun ses responsabilités : « Je n’ai fait, pour cette occasion rapide, que servir de bouche-trou pour suppléer aux autres rubriques à l’occasion des évènements du jour... »).

Aujourd’hui, deux jours plus tard, on ne se trouve pas plus avancé, je dirais même qu’on a reculé tant la profusion extraordinaire d’informations en sens divers et souvent contraires, d’analyses, de synthèses, de réflexions, se heurtent et s’entrechoquent. Toutes les orientations sont explorées, par des plumes aussi assurées les unes que les autres. D’un côté, on affirme que l’OTAN est à fond derrière “le Calife à la place du Calife”, et c’est un coup pré-arrangé pour préparer bien mieux encore, une sorte de no-fly-zone en Syrie, à-la-Erdogan quoi. D’un autre côté, on vous affirme que les ambassadeurs (des pays-membres de la susdite organisation) ont drôlement rechigné durant la réunion du 24 et qu’ils commencent à montrer quelque irritation devant les pétulantes incartades du Calife dans sa bulle. (Tout de même, pour mettre un peu de lumière sur tout ça, j’ajoute une éclatante cerise sur le gâteau : il y a eu panne d’électricité sur le réseau interne de l'OTAN cet après-midi du 24 et la réunion de 17H00 s’est tenue dans une sorte de pénombre complice, permettant à certains de bailler pendant que le Turc expliquait l’affaire. Avec un temps de saison l'atmosphère était sinistre d'ennui et d'impuissance et, comme dit l’autre qui est au courant, “ils auraient aussi bien pu faire cette réunion avec des bougies”.) A côté de cela, imaginez le nombre de théories et d’analyses assurées qui ont jailli et déferlé de tous les côtés pour vous annoncer la marche vers la Troisième ou la Quatrième, voire la Cinquième Spéciale Dernière (je parle de “la” Guerre Mondiale que nous attendons tous) ; encore, ce n’est qu’un seul aspect des spéculations.. Et dire que, dedans, il se cache des choses vraies !

Ainsi peut-on dire qu’il y a un “deuxième évènement”, qui est une sorte de réplique sismique de communication du premier. Alors qu’on aurait pu prétendre, in illo tempore non suspecto où je vécus naguère, pouvoir faire un rapport acceptable de l’événement (du premier), l’irruption, non l’explosion du second, – “l’évènement de communication sur la destruction du Su-24”, – conduit à retenir, voire à rengainer sa plume, en espérant peut-être un peu vainement que la formidable poussière soulevée par le second après le premier, le “bruit de fond assourdissant” de la communication, retombe à son tour, un jour. Certains diront : cela ne change rien, le premier fait brut, la destruction du Su-24, reste un fait brut. Cela n’est nullement assuré : la destruction du Su-24 avant-hier, à la lumière de ce qu’on a écrit sur la destruction du Su-24 entre avant-hier et aujourd’hui, fait que le premier évènement s’est modifié. Cela conduit à dire qu’on ne peut pas vraiment dire ce que signifie la destruction du Su-24 par les Turcs, parce que l’extension et la puissance diluvienne de communication qui ont suivi ont tout transformé. Même s’il y a eu complot, préparation, planification, – ou le contraire après tout, même s’il n’y a rien eu sinon l’occasion d’abattre l’avion russe, – ce qui s’est passé le 24 novembre reste tel que cela s’est fait et cet événement-là ne peut plus rien nous apprendre et ne peut plus être envisagé qu’à la lumière de la tempête de communication qui a suivi. En un sens, l’affaire de la destruction du Su-24 ne pourra être envisagée et comprise que dans ce cadre pressant de communication qui s’est emparé d’elle ; hors, ce “cadre pressant” est d’abord et avant tout, cascade diluvienne et affreusement contradictoire, c’est-à-dire désordre total. Qui réussira jamais à remettre de l’ordre dans capharnaüm assourdissant ?

Pour l’instant, je suis donc obligé de constater, en reprenant un des tics du site avec ses expressions toutes faites ou plutôt fabriquées par lui-même, qu’aucune vérité-de-situation à propos de la destruction du Su-24 ne nous est encore apparue. (Ah, tout de même, en guise de chute réconfortante à ce rapide constat d’inconnaissance, j’attire l’attention de mes quelques lecteurs bienveillants sur les déclarations absolument impayables du général tchèque qui préside pompeusement le Comité Militaire de la susdite OTAN, celles que le site a citées dirais-je pour faire drôle : l’OTAN qui se juge encerclé par la base russe de Lattaquié en Syrie et le général qui dit “il faut régler l’affaire”, et que l’idéal pour ça, eh bien ce serait de la détruire, la base... Mais bon, le monde n’est pas parfait, et l’idéal n’est pas de ce monde. Dommage, et le général Pavel écrasa une larme avant de poursuivre...)

Ainsi le désordre règne-t-il.  

De la Belgique-“niveau-4“ au Su-24 abattu

  mardi 24 novembre 2015

On fait le point, en attendant d’en savoir quelque chose de sérieux ? En un sens, avec mon Journal dde.crisis, je suis un peu là pour ça, dans les moments délicats, disons comme contribution exceptionnelle aux évènements au cours soudain précipité ... Ici, en Belgique, sorte de brave pays-ectoplasme ayant accouché d’un monstre nommé-UE, nous sommes en alerte “niveau 4”, le plus haut niveau d’alerte possible. (On parle de “niveau 0” ou de “niveau-1” en premier, je ne sais plus, puis -2, -3, etc. c’est-à-dire -4, – bref, vous aurez compris que “We Are at War”. Les US, eux, partent du bas :DefCon [Defense Condition] -5, -4, -3, -2, et à DefCon-1, c’est la grande spéciale dernière, la super-nucléaire-stratégique.) Les supermarchés sont à peine fréquentés, les écoles sont fermées (mais demains elles rouvrent), les métros roulent à peine, les trains c’est tout juste, un grand nombre de magasins (plus de la moitié, à vue de nez) sont volets baissés, les badauds ne badaudent plus guère et l’on se croirait dans une semaine des quatre dimanches dans l’entre-deux fêtes de fin d’année ; seuls quelques flocons de neige, enfreignant les consignes du Premier ministre qui a fière allure, ont bravé les consignes et se sont mis à tomber … Pas beaucoup, mais juste assez pour éveiller les soupçons : la neige serait-elle dissidente et refuserait-elle l’effort de guerre qui consiste à s’immobiliser net et sur place ?

Depuis vendredi, la Belgique est sur le pied de guerre et tout le monde n’a que ce mot à la bouche : “guerre”, “guerre”, “guerre”. Les gens un peu sains d’esprit qui ont assisté au dernier Conseil européen (post-11/13) ont noté la stupéfaction des dignes participants de la chose lorsque Mogherini, disons pour cette fois la courageuse, la vaillante Mogherini, s’est levée pour dire “Non, nous ne sommes pas en guerre”.  Elle a répété trois fois la même phrase puis, constatant qu’elle ne recueillait comme réactions que l’ahurissement généralisée de ces visages qui, depuis au moins la Libye et certainement l’Ukraine, ne songent qu’à ce mot (“guerre”, “guerre”, “guerre”), elle s’est rassise, découragée. La courageuse, la vaillante Mogherini, – je la salue, pour une fois. 

Mais tout cela n’est rien lorsque nous vient la nouvelle du Soukhoi Su-24 russe abattu par les Turcs. Le commentaire de Poutine après avoir reçu les condoléances du roi Abdoullah II de Jordanie qu’il accueillait à Sotchi, – condoléances pour le vol 9628 et pour le Su-24, – sont sans complications ni précautions sémantiques : « Turkey backstabbed Russia by downing the Russian warplane and acted as accomplices of the terrorists. » (“La Turquie a frappé la Russie dans le dos en abattant un avion de combat russe et a agi comme complice des terroristes”). Ce sont des paroles extrêmement claires et fermes sur lesquelles il est difficile de revenir, qui tranchent avec la prudence habituelle de Poutine et des Russes dans les premiers instants suivant un incident de cette sorte (“attendons de connaître les circonstances exactes”, etc.). Ce sont des paroles qui annoncent que la Russie n’en restera pas là, et qui confirment, à mon sens en parlant d’abord de la psychologie qui règle tout, avec la quincaillerie qui suit, « que la Russie est sur le pied de guerre ».

Des échos que je reçois indirectement de gens, ou bien dit-on “sources”, dans des positions situées à des bons emplacements dans le système de la communication, rapportent les chuchotements selon lesquels, dans son palais hollywoodien et pré-ottoman, le Calife Erdogan a de plus en plus “un peu perdu la boule”... Ou bien, disons “la bulle”, qu’il aurait plutôt confectionné puisqu’il semble vivre dans sa bulle à lui, comme font les gens de Washington selon le constat que le brave Robert Parry, complètement effaré, ne cesse de documenter. Erdogan n’a peut-être pas tout à fait sa bulle lorsqu’il traite Poutine comme il traite les Européens de l’UE (il vient les voir dans quelques jours), par-dessus l’épaule, pour exiger un certains nombre de €milliards de plus pour tourner un tout petit peu le robinet du flot des réfugiés passant en Grèce. En convoquant l’OTAN comme il l’a fait (à peu près à cette heure, à l’heure où j’écris ces lignes), d’une façon particulièrement cavalière et insultante pour les Russes, sans avoir sérieusement parlé avec eux après la destruction du Su-24, peut-être a-t-il dans l’idée de torpiller les visites entreprenantes de notre président-poire à Washington puis à Moscou et tous ces bruits d’alliance avec la Russie ?

Ici, c’est-à-dire à Bruxelles où tout se passe, dans tous les cas je parle plutôt de l’UE, l’incident du Su-24 est considéré avec une certaine légèreté sinon de la bonhomie, un peu comme tout lorsqu’il s’agit de pertes russes, comme pour le vol 9628 : “Oh, c’est pas grave, on ne va pas en faire un drame, – A la guerre comme à la guerre, hein ?”. J’ai l’impression un peu insistante qu’ils n’ont pas vraiment raison, dans leur réaction. Il n’est nullement assuré que les troubles de Syrie qui ont un peu apaisé ceux d’Ukraine, ou plutôt les ont fait passer au second plan, ne relancent pas la crise européenne, par l’Ukraine à nouveau ou par ailleurs ; d’autant que les Russes n’ont pas vraiment apprécié qu’à l’heure de l’“union nationale” étendu au domaine des lambeaux de civilisation qu’il nous reste, et tout cela avec la Russie que d'aucuns considèrent presque comme une alliée, on ait décidé de maintenir les sanctions. J’ai l’impression que s’il y avait une relance de la tension en Europe, l’humeur russe serait notablement différente.

Tout de même, il devient de plus en plus difficile de trouver des scénarios plus complexes que ceux que nous proposent les évènements qui mettent en scène ce qui semble la folie de ces temps, et qui construisent peut-être une vérité-du-monde qui pourrait bien nous surprendre. Si tel lecteur fait remarquer que le titre d’un autre article (« L’époque la plus dangereuse de tous les temps ? ») ne répond pas à la logique la plus impeccable, il me semble assuré, à moi, qu’elle répond à la fois à la perception et à la psychologie de notre temps... Mais je ne vous en dis pas plus. Je n’ai fait, pour cette occasion rapide, que servir de bouche-trou pour suppléer aux autres rubriques à l’occasion des évènements du jour, puisque j’avais un moment pour le faire. Attendons la suite, qui devrait normalement succéder à ce qui la précède et que j’ai tenté de décrire au gré de la plume... 

A propos d’Ouverture libre

  mardi 24 novembre 2015

Je vais dire quelques mots de la  “cuisine intérieure” de dedefensa.org. Cela a sa place dans ce Journal dde.crisis, d’autant qu’on verra qu’il y est également question de certaines attitudes, jugements, positions de mon chef, je veux dire en tant que personne. Certes, il ne s’agit pas d’une “crise”, il n’y a ni urgence ni incendie en cours, et l’on peut même dire que sur nombre de points je ne fais que répéter ce qui a déjà été dit (d’ailleurs, il y a des citations dans le texte, qui sont effectivement des répétitions). Mais je ne trouve pas inutile de rappeler à la fois les règles et l’esprit de la chose, – d’autant qu’Ouverture libre a traversé une crise où j’ai cru cette rubrique moribonde et promise à disparaître, – et puis non, elle a redressé la barre. Cela mérite aussi quelques explications qu’on trouvera indirectement dans le texte.

Comme on le voit, plus que jamais OL est nettement divisée en deux sortes d’activité.  (Je me permets de céder à mon pêché mignon de modifier certains noms, mots, à établir des initiales, des interventions grammaticalement insignifiantes et pour mon compte, à la fois passe-partout et contribuant à la spécificité du site, – cela pour expliquer qu’Ouverture libre, devenue un instant Ouverture Libre pour la cause, apparaît dans ce texte sous ses initiales OL.) On peut espérer qu’OL a trouvé une sorte de “vitesse de croisière” qui lui assure une sorte de pérennité. Je vais rapidement mentionner les deux aspects de sa formule.

• Les interventions de lecteurs-contributeurs, dont certaines sont devenues régulières. Il s’agit là du domaine “naturel” d’OL, comme on le comprend et comme on va le voir plus en détails, plus loin.

• Les interventions de dedefensa.org, qui ont trouvé, je crois, une forme définitive qui me semble naturelle. Il s’agit de choisir un texte non destiné à OL mais que nous avons choisi pour son intérêt objectif, sans qu’il soit question nécessairement, ni d’y voir une adhésion complète de notre part, ni une opposition complète, ni quelque chose entre, ni rien du tout de cette sorte. Simplement le texte nous paraît intéressant en lui-même, et parce qu’il suscite chez nous une réaction détaillée et argumentée sur le sujet traité où sur l’orientation du sujet dans l’article, qui prend la forme d’un autre article, parfois même plus long que l’article cité. Cet texte signé dedefensa.org apparaît en premier essentiellement parce qu’il présente l’article cité, mais le plus souvent pour se transformer en un article indépendant exprimant notre sentiment, voire même élargissant le sujet, etc. Cette formule n’est guère concernée par les remarques qui vont suivre, simplement pace que, dans notre texte, nous précisons systématiquement, soit notre accord, soit notre désaccord, sur un ou plusieurs points de l’article cité... Cette remarque introduit d’ailleurs fort bien le concept général d’OL.

Maintenant, le concept général, qui n’est d’ailleurs pas d’une extrême originalité. J’ai jugé utile d’y revenir parce qu’on trouve dans le Forum, ces derniers jours, des remarques qui soulèvent le problème général de la formule, indiquant bien l’utilité d’y revenir justement. (« Étonnant article, j'avais l'impression de lire l'un des medias “classiques” plutôt que Dedefensa ! », « Bref, il est décevant que, sur un site où le désordre et la crise constituent le fondement des contributions, un texte vienne proposer des analyses «véritablement» révélatrices, démontrées par des faits qui ne se manqueront pas de se produire - ... ou pas ») Qu’il soit bien réalisé, sans la moindre ambiguïté possible, que ces critiques et les textes concernés ne sont cités que comme exemple du problème soulevé, sans aucune possibilité d’y voir de ma part un avis positif ou négatif, sur les unes ou sur l’autre ; qu’il soit bien compris, sans la moindre ambiguïté possible encore, que je n’émets en aucune façon, en aucun cas, la moindre critique contre de telles appréciations critiques ; qu’il soit bien compris, sans la moindre ambiguïté possible toujours, qu’il se peut très bien que je puisse être complètement d’accord sur le fond de la critique du texte, comme le contraire bien entendu...

Mais tout cela est déjà dit, peu ou prou, dans le texte de présentation de la rubrique, que je vais citer, je crois avec avantage, car c’est bien souvent un de ces textes qu’on néglige de lire (moi le premier pour des cas de cette sorte). Ce texte, qui a été récrit récemment justement à cause du problème abordé ici, dit ceci (et j’ajouterais un aveu : en relisant ce texte pour le reprendre ici, j’ai décidé d’étendre le souligné en gras, limité à “leur seule responsabilité”, à tous le reste de la phrase comme on le voit..) :

« Ouverture libre est une rubrique en complet accès libre, destinée aux lecteurs souhaitant faire une intervention sous une forme élaborée, destinée d'autre part à des interventions diverses de dedefensa.org. •  Toutes les contributions sont possibles, d'une simple présentation d'un article extérieur, d'une présentation d'article avec commentaire, à des articles inédits, etc. • Les articles et contributions sont signés du nom des auteurs et engagent leur seule responsabilité, sans aucune nécessité de conformité avec l'orientation de dedefensa.org, et sans que dedefensa.org ne prenne en rien à son compte leur orientation. • On trouve des présentations de la rubrique sur ce site le 3 janvier 2010 et le 10 janvier 2010. Il est fortement conseillé, enfin, de lire le texte du 28 septembre 2011 qui constitue une mise à jour détaillée des conditions d'accès, de collaboration, etc., d'Ouverture libre. • Bien entendu, dedefensa.org reste seul juge de l'opportunité de publication d'un article. »

Pour préciser encore le propos, je vais reprendre ici un extrait essentiel du texte du  28 septembre 2011 auquel il est fortement conseillé de se référer. On verra que le propos va dans le même sens, bien entendu, et délimite très expressément l’indépendance complète entre dedefensa.org et les textes publiés dans OL sous des signatures différentes.(Dans les textes dont des extraits sont cités, les lecteurs trouveront également les conditions requises pour publier dans OL, qui sont d'ailleurs extrêmement libérales.)

(Suite)

Archives : Rétrospective du 09/11/2015 au 15/11/2015

  lundi 23 novembre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 9 novembre au 15 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • En fait, nous pourrions commencer cette “rétrospective” avec la même phrase, comme nous fîmes la semaine prochaine, en y ajoutant une majuscule et un qualificatif oubliés... “La [Grande C]rise, comme à l’habitude, suit un tracé insaisissable et court de l’un à l’autre foyer, pour rallumer les ardeurs éteintes et en enflammer d’autres.” • Cette fois, certes, il s’agit d’une énorme oscillation mais finalement qui en suit une autre qui la vaut bien, celle de l’engagement russe en Syrie, il y a un mois et demi. • Tout cela va vite, vite, très vite... • «  «  Les attentats de Paris, qui ont réduit cette semaine à ses deux derniers jours, ont effectivement donné une inflexion de plus à la Grande Crise, parce qu’ils en sont évidemment en tant qu’évènement un de ses effets de plus. • On doit nécessairement faire référence aux trois textes qui les concernent (deux, du 14 novembre 2015 et encore du 14 novembre 2015, un du 15 novembre 2015). On peut également en rattacher deux autres, qui leur sont indirectement liés, avant même que les attentats se produisent (le même jour encore, le 13 novembre 2015 et le 13 novembre 2015). • On pourrait même estimer que deux autres textes (du 10 novembre 2015 et du 13 novembre 2015), sur la situation de ce que nous jugeons être le déclin accéléré des USA, ont effectivement un lien indirect avec les attentats. » 

Pessimisme et antidépresseur...

  samedi 21 novembre 2015

Depuis plusieurs années, surtout depuis que dedefensa.org existe avec tout ce que cela suppose de contacts que je qualifierais d’“un peu plus personnels par rapport à mes activités professionnels” ne serait-ce que par le Forum, et cela dont je n’étais guère embarrassé avant, le sentiment que j’ai souvent éprouvé est que l’on me juge plutôt (et dedefensa.org avec) comme un optimiste. Ce jugement me stupéfie quand j’y pense, il me cloue sur place. (Je ne dis pas qu’il m’exaspère, quoique ce soit parfois le cas ; j’essaie, dans ce texte présentement d’aller au fond des choses, donc j’évite de m’arrêter aux humeurs qui passent.) Il n’y a rien de plus faux dans ce que je connais intimement de moi, rien de plus contraire à ce que je ressens au plus profond de moi ... Tout juste peut-on dire que j’aurais certaines parties de moi qui feraient dire que je suis un “idéaliste”, voire un “imaginatif”, voire un “rêveur” en dégradé selon le sentiment qu’on en a, ou bien un “croyant” si l’on veut entonner la Marche des Trompettes, mais cela est secondaire dans ce cas et ne dit rien du fond ou disons “de la couleur” de mon caractère ; au contraire d’ailleurs, puisque cette sorte d’attitudes qu’on me prête désigneraient sans aucun doute ce que j’élabore inconsciemment pour lutter contre le pessimisme total, le pessimisme qui pourrait aller jusqu’à devenir paralysant si je le laissais faire. (Par conséquent, observera-t-on, cela dit beaucoup de mon caractère, mais par logique inversée.)

J’ai revu récemment, par pur hasard d’ailleurs, une vidéo d’une rencontre entre Régis Debray et Jacques Derrida, – cela doit dater de 2002. Debray est invité à poser une première question par le “causeur de la communication”, l’hôte, Gisbert et son émission (peu importe laquelle). Debray explique assez longuement ses observations (c’est un bavard, je le sais) avant d’en arriver à sa question pour Derrida. Alors, il l’appuie directement sur cette remarque (autour de la septième minute de la vidéo), « Généralement, les philosophes font la théorie de ce qu’ils ne maîtrisent pas, de ce qu’ils ne pratiquent pas... Nietzsche qui était un homme en très mauvaise santé a fait une théorie de la force et de la santé... » Même si je ne m’attarderais pas à me défendre de me prendre pour “un philosophe”, ni pour une sorte de Nietzsche, ni pour une sorte de Debray ou de Derrida, parce que là n’est vraiment pas le sujet de la chose, je jugerais ce propos d’une justesse extrême lorsqu’il est étendu à cette catégorie de personnes, fâcheusement baptisées “intellectuels”, qui font  profession d’écrire publiquement, et de penser par conséquent. Et ce cas, malheureusement ou non, est bien mon cas.

La question de Debray est donc : « Et vous, peut-être êtes-vous différent de ce que vous paraissez être, c’est-à-dire le déconstructeur sarcastique de toutes les illusions de la raison, et j’aurais envie de vous demander comment vous sentez-vous par rapport à ce personnage public que vous êtes par ailleurs ? » ; Derrida commence par une réponse où il dit son embarras, qui n’est pas feint du tout à mon sens, – « C’est une question extrêmement difficile... », – et je ne vais pas plus loin pour ce cas, je reviens à mon texte et curieusement je n’ai pas écouté la suite à ce moment... Mais certes, sans aucun doute, je me rappelle aussitôt, évidemment, ce texte sur Derrida assez récent (avril 2015), que j’avais écrit avec la passion d’une ardeur revigorante, comme lorsqu’on touche à une de ces vérités-de-situation, parce que l’espèce de “confession” de Derrida dans une autre circonstance que ce dialogue avec Debray est tout simplement un document extraordinaire, de vérité, d’émotion, de grandeur humaine après tout (quoique je pense, moi, de Derrida et de sa pensée à lui, – je parle objectivement de cet instant d’une confession).

...Et cet enchaînement et ce qui précède constituent un cas assez remarquable. J’ai commencé ce texte parce que j’étais au fond de ce “trou-noir” comme de l’encre de ce pessimisme dont je vous parle, puis écrivant ces premières lignes je me suis souvenu du Debray-Derrida, puis de là la connaissance personnelle que j’ai de Debray, le texte sur Derrida, etc., et l’on devrait remarquer que mon écriture, ou disons la musique générale du texte est devenue plus entraînante. Je me suis sorti peu à peu, ou bien très vite si l’on veut, de mon “trou-noir” comme de l’encre.

Nous vivons une époque terrible pour cette sorte de circonstance, et cela est nécessaire à dire car je ne crois pas que, dans une autre époque, on se jugerais aussi souvent invité à exprimer des sentiments à la fois si francs et si intimes, de cette façon, sur soi-même considéré d’un point de vue qu’on juge pouvoir intéresser au moins quelques lecteurs, avec la rapidité de transmission de la chose, les libertés de manufacture que permet la quincaillerie postmoderniste ... Cette “époque terrible”, donc : d’une part, tout, absolument tout m’invite à juger complètement justifié d’avoir ce sentiment d’un pessimisme total colorant mon caractère, comme si c’était moi-même qui m’étais inventé ce sentiment, et qui y tenais dur comme fer, comme si j’étais instruit par une accointance divine des causes universelles d’un tel pessimisme, – y compris moi-même et mon sentiment dominant d’ailleurs comme causes de ce pessimisme, – faisant ainsi un de ces cercles vicieux dont nous sommes coutumiers aujourd’hui. D’autre part, l’extrême abondance de l’information, ce phénomène du système de la communication, devant lequel j’éprouvais une réelle nausée il y a seulement une demi-heure, un quart d’heure oui, par rapport au moment où j’ai écrit les premiers mots de ce texte, jusqu’à entreprendre ce texte pour m’empêcher de vomir si l’on veut, ce phénomène de la communication me procure soudain, en un instant, une résurrection qui transforme mon sentiment en lui trouvant soudain un terrain où il peut découvrir une ouverture de lumière, où il peut soudain exprimer une volonté d’être qui sauve son être et le grandit, – et comment, pour mon compte, “être plus” sinon en écrivant à partir d’une pensée soudain reconstituée ?

(Suite)

« Je veux rentrer en Syrie »

  jeudi 19 novembre 2015

Cette intervention doit retenir toute notre attention. L’héroïne de cet épisode de communication dont je vais parler est une jeune femme syrienne qui fait partie de ceux que nous avons coutume de désigner comme les “réfugiés-migrants” qui “affluent” en Europe, plus précisément de ceux qui ont “déferlé” durant l’été, en juillet-août, suscitant une “crise migratoire” qui a provoqué et provoque des réactions populaires très extrêmes devant ce qui a été perçu et continue plus que jamais à être perçue comme une “invasion” mettant en cause l’équilibre social, ethnique, sinon les réalités historiques et souveraines des pays de l’Europe, c’est-à-dire l’identité, l’être même de ces pays. J’ajoute que ces réactions, si elles peuvent être jugées condamnables par les esprits les plus réfléchis et les plus moralement hauts, souvent esprits des élites-Système comme on s’en doute aussitôt, n’en sont pas moins de mon point de vue complètement compréhensibles ; c’est dire, par simple logique des contraires, ce que je pense de ces jugements des élites-Système.

(J’emploie à dessein, soulignés par des guillemets, les mots indiquant effectivement ces “sentiments populaires”. Ces mots entre guillemets disent mieux qu’une longue analyse la réaction du “sentiment populaire” du côté européen et hors des consignes-Système ; ces consignes-Système étant d’une extrême banalité et surtout d’une hypocrisie encore plus extrême si c’est possible puisque l’action du Système est cause de tout cela ; et, là-dessus, se greffe le jugement que j’évoque sans le définir, que j’ai de la plupart parmi les élites-Système citées, que je considère comme tout aussi méprisables pour cette même hypocrisie, avec l’argument de la soumission et de la vassalité en plus, de tout ce qui fait partie de l’ensemble “européen/consignes-Système”.)

J’ai donc fixé l’attitude de deux des trois “partis” en présence, celui des “réactions populaires” et celui du Système, avec mes propres jugements, pour mieux en venir au propos de notre jeune femme syrienne. L’épisode est à mon sens symbolique d’une situation psychologique qui doit être assez répandue chez les “réfugiés-migrants”, et d’ailleurs il y a déjà eu des nouvelles de certains d’entre eux ayant décidé d’ores et déjà de retourner en Syrie (notamment après l’intervention russe dans ce pays, qui a été perçue comme l’amorce d’un facteur de stabilisation). La nouvelle sur la jeune femme syrienne nous vient de Hollande (le pays), d’un camp de réfugiés (cette fois, le mot simple est justifié) où elle se trouve. Elle est donnée par RT-français le 18 novembre, avec quelques déclarations, recueillies à partir d’au moins deux interviews “de terrain” de deux chaînes de TV hollandaises, suffisant très largement à faire comprendre son sentiment. (Les propos soulignés  de gras l'ont été par moi.)

« Expliquant à l’équipe de télévision pourquoi le groupe de quinze personnes est sorti de leur logement, où le gîte et le couvert leur sont offerts par l'Etat hollandais, la [jeune] femme déclare “Ce n’est pas une vie lorsque vous rentrez dans une chambre et qu’il n’y a pas de télévision. Il y a juste un lit, pas de casier, pas de vie privée” [...] “Nous allons rester dehors car nous ne voulons pas manger cette nourriture, et nous ne voulons pas rester dans cette chambre. Nous fuyons notre pays à cause de la situation, et maintenant nous vivons dans une prison. Peut-être que nous devrions rentrer dans notre pays”.

» Dans un autre entretien donné à la télévision néerlandaise DenHaag TV le lendemain, la même jeune femme continue de se plaindre des conditions d’accueil en disant aux journalistes “Je veux rentrer dans mon pays”. La journaliste [qui l’interroge], qui semble choquée, lui demande : “Vous-êtes sérieuse ? Car il y a une guerre, pas vrai ?”, mais la réfugiée reprend : “Ici, ce n’est pas une vie. Là-bas, nous savons qu’il y a une guerre, mais ici il n’y a pas de vie. Vous êtes assis en prison. C’est la même situation, sauf qu’en Syrie vous pouvez vraiment vivre. Ils nous donnent 12 euros [par semaine], qu'allez-vous faire avec ça ?”. La jeune Syrienne conclut : “Nous sommes venus ici pour travailler, pas juste pour prendre l'argent de votre gouvernement et ne rien faire”. »

Je ne suis pas là pour me faire l’écho de la première réaction qui peut venir à l’esprit  (“Incroyable ! Personne ne lui a demandé de venir, on l’accueille, on la loge, on la nourrit, on lui donne des sous [€12 par semaine, merde, c’est Byzance] et en plus elle se plaint parce qu’elle n’a pas la TV et pas de travail”) ; pas plus que la seconde, qui peut  venir à l’esprit en réaction à la première si vous l’avez (l’esprit) plus sophistiqué, plus humaniste comme on trouve dans les âmes progressistes et “avancées” et dans ce cas moins dans les élites-Système parce que la jeune femme syrienne met tout de même en cause l’organisation et l’esprit humanitaristes du Système (“Incroyable ! On les traite comme des chiens et on ne leur donne pas la TV ni du travail, mais comme est-ce possible de la part d’une civilisation humaniste qui représente l’espérance du monde entier avec ses ‘valeurs’ ?”). Je mentionne ces réactions que je suppose typiques sans leur accorder la moindre importance, et en un sens la réaction de la jeune femme syrienne pas plus, parce qu’il s’agit d’évènements secondaires dépendant d’une cause première pour la séquence qui est la seule chose à considérer : la politique de déstructuration brutale, jusqu’à la dissolution, la politique-Système suivie par l’Europe comme par les USA dans le cadre du bloc-BAO, singulièrement depuis les années 2010-2011. La cause première, c’est le Système, avec tous ses caractères de brutalité de sa surpuissance dans la poursuite de sa politique de déstructuration-dissolution. J’ajoute même que la TV et le travail que réclame notre Syrienne, s’ils lui étaient donnés, représenteraient, dans tous les cas certainement dans l’intention inconsciente qui y présiderait puisque c’est le Système qui arrange tous ces bidules, une autre forme de la même déstructuration-dissolution, cette fois plus soft et plus ciblée sur la psychologie, et que, contrairement à ce qu’elle croit ou semble croire, elle ne sortirait pas de la prison où elle se trouve mais se trouverait dans une cellule un peu plus confortable, avec permission de sortie, etc., – mais cellule de prison quand même. Non, ce qui m’intéresse, c’est son argument principal, que j’ai souligné de gras, parce qu’il ouvre heureusement, je veux dire de la façon intellectuelle la plus heureuse, un tout autre débat : « Ici, ce n’est pas une vie. Là-bas, nous savons qu’il y a une guerre, mais ici il n’y a pas de vie. Vous êtes assis en prison. C’est la même situation, sauf qu’en Syrie vous pouvez vraiment vivre. »

(Suite)

Nous sommes horrifiés et furieux...

  mercredi 18 novembre 2015

En un sens qu’il faut manifester avec sagesse du point de vue de la symbolique, l’on pourrait dire que Daesh nous a rendu un fier service en nous révélant à nous-mêmes ; en un sens, qu’il faut manifester simplement par la bonne information des choses, c’est une sorte de renvoi d’ascenseur puisqu’il est avéré que nous avons littéralement fabriqué Daesh sans autre but que le vertige de la puissance, ou disons mieux de l’hybris parvenu au stade de l’inversion manifeste de ses effets. Bien sûr, employant ce “nous”, je ne fais que constater mon appartenance obligé à cette organisation du monde, cet enfermement, cette pression de la contrainte, ce producteur de souffrances et de révoltes furieuses qu’est le Système. Je parle, ici, de l’intérieur du Système bien que je dispose de divers stratagèmes pour lui échapper régulièrement et l’observer à loisir, comme étranger à lui, désolidarisé de lui et le méprisant, dans ces instant de libération qui me sont bien précieux. (L’inconnaissance, par exemple mais bon exemple, est un de ces stratagèmes.)

Je reprends une remarque d’un texte écrit peu après le 13-novembre pour, me l’appropriant (j’ai des accointances avec dedefensa.org), le développer au-delà de ce qu’il prétendait dire ; c’est-à-dire, l’expliciter et explorer son sens plus avant. Dans ces Notes d’analyse du 16 novembre, il est notamment écrit, au paragraphe où l’on traite de la communication (« la communication diluvienne ») : « Au contraire de “Je-suis-Charlie” et de tant d’autres occurrences, le Système n’avait pas de narrative prête et impérative sinon les ‘usual suspects’ (la barbarie, l’horreur, etc.). » Cela signifie qu’il n’a pas d’explication qui, en dénonçant le terrorisme mais en prétendant expliquer son acte, renforce le Système. Dans le cas de Je-suis-Charlie, c’était la liberté de penser et de s’exprimer, vieux truc-à-la-française devenu truc-Système dont chaque jour nous montre l’application forcenée. Dans le cas de 9/11, dans l’an d’extrême disgrâce 2001,– pour étendre la réflexion à l’origine de toutes choses dans la séquence que nous vivons, – c’était the American Way of Life dont le philosophe du régime Don Rumsfeld affirma le 29 septembre 2001, le plus justement qu’on puisse dire (cette old crapule de Rumsfeld était loin d’être stupide), qu’elle constituait la véritable cible d’al Qaïda (alors, on parlait d’al Qaïda).

(On l’a oublié, mais la véritable riposte à 9/11, ce ne fut pas le Patriot Act et toutes ces autres choses terribles, ces vilenies à-la-Pinochet dont on fait fort grand cas mais qui sont les épiphénomènes cruels et honteux d’un Système aux abois, qui ne changent rien à ses fondements, – et qui ne sont pas à proprement parler nouvelles, ces choses terribles, juste beaucoup moins dissimulées. La véritable riposte, ce fut ces exhortations de GW que Tom Engelhardt rappelait le 29 octobre sur son site TomGram, en chargeant sa plume d’une incrédulité complète et effarée : « Now, hop ahead to that long-forgotten moment when he would finally reveal just how a twenty-first-century American president should rally and mobilize the American people in the name of the ultimate in collective danger.  As CNN put it at the time [20 september, 2001], “President Bush... urged Americans to travel, spend, and enjoy life.” His actual words were: “And one of the great goals of this nation's war is to restore public confidence in the airline industry and to tell the traveling public, get on board, do your business around the country, fly and enjoy America's great destination spots. Go down to Disney World in Florida, take your families and enjoy life the way we want it to be enjoyed.” » On comprend la désolation d’Engelhardt mais il s’agissait bien de la riposte du Système, en l’occurrence de sa filiale US : puisqu’il y a attaque contre l’American Way of Life, ripostons en pratiquant plus que jamais l’American Way of Life, et l’arme absolue de ce combat c’est d’emmener ses bambins à Disney World, en Floride après avoir acheté quelques actions pour permettre aux banksters de Wall Street de prospérer de feux d’artifice type-septembre 2008 en feux d’artifices à venir.)

“Nous sommes en guerre”, disent-ils, comme l’ancien secrétaire d’État Haig disait, l’après-midi de 9/11 “We are at war”. Dire cela, c’est évacuer le problème ou plutôt le nier, l’ignorer, le repousser, se voiler la face d’un geste nerveux et fiévreux pour ne rien voir. Notre problème n’est pas de faire la guerre, en admettant que nous parvenions à identifier de quelle guerre il est question, avec quel ennemi nous avons à en découdre et ainsi de suite. Notre problème est que, dans notre décrépitude absolue du point de vue du sens, nous n’avons rien à défendre qui vaille la peine, ou l’héroïsme, ou l’abnégation si l’on veut, d’être défendu. D’ailleurs, nous ne savons plus ce que sont la peine, l’héroïsme et l’abnégation, ce qui est déjà effleurer le problème.

En subissant cette attaque cette fois où nous nous trouvons à court de narrative puisque notre seule riposte est d’annoncer une guerre que nous n’avons ni les moyens, ni l’habileté, ni la volonté de faire jusqu’à son terme qui serait une victoire décisive et une paix véritablement pacifiée, nous découvrons que nous vivons selon une façon d’être et non plus selon une raison d’être, et que cette “façon d’être” est une dévastation de l’être. Aujourd’hui, il serait ridicule de riposter comme firent Rumsfeld-Bush en proclamant la grandeur d’une American Way of Life qui s’abîme dans le désordre et la corruption américanistes, qui n’est plus que la caricature d’elle-même, caricature d’une infamie, donc infamie d’une infamie. BHO ne s’y risquerait pas, le brave homme, craignant de compromettre le legs qu’il va laisser à l’histoire dans un peu plus d’un an et se contentant de soupeser le nombre de dizaines de soldats qu’il va expédier pour faire de la figuration anti-Daesh. C’est encore plus ridicule pour la France qui est cette fois l’héroïne souffrante et célébrée de l’attaque, parce que la France a abandonné depuis longtemps la French Way of Life, frappée d’apostasie et d’obsolescence honteuse comme chacun sait.

Ainsi en est-il à ce point que nous n’avons plus toutes ces “façons d’être” à brandir devant l’ennemi pour lui signifier que nous les défendrons jusqu’à quelque chose qui ressemblerait à la mort en la singeant. Alors, dans la débandade, nous nous replions sur ce qu’il nous reste, c’est-à-dire sur ce qu’il doit normalement nous rester, sur le fondement, sur notre “raison d’être” ; et cela, pour nous apercevoir avec terreur et fureur que, hop ! – disparue, envolée, finito l’argument décisif et sans réplique de “la raison d’être” auquel nous ne prêtions plus aucune attention en le tenant pour acquis, “lo spettacolo è finito” ...

Il y a de quoi être à la fois horrifié (pas par Daesh mais par ce que nous sommes devenus) et furieux (de ce que nous sommes devenus) ; il y a de quoi ... Et aussitôt, me dis-je, avec un joyeux “hop !”, la revoilà notre raison d’être ! Aujourd’hui, en plein jour et dans la lumière, je constate cette évidence que notre seule “raison d’être” possible est notre horreur et notre fureur devant ce que nous sommes devenus, la première alimentant la seconde et réveillant, à partir du constat horrible de la chute accomplie, le besoin furieux de se transformer décisivement en se relevant.

Extension assourdissante du domaine de la Crise

  lundi 16 novembre 2015

Comme je crois assez peu au “complots”, je vais commencer par dire qu’il n’y en a pas dans ce cas... (C’est-à-dire, pour  être tout à fait précis : je crois assez peu à la réussite des “complots”, ne niant pas une seconde par contre qu’il y a toujours eu des complots, et qu’aujourd’hui il y en a une prolifération extraordinaire, – je dirais même, pour le coup, “assourdissante”, – mais avec les échecs à mesure, un peu comme dans un asile d’aliénés où le comportement des fous ressemble à un complot permanent qui échoue en permanence.) “Ce cas”, c’est celui des étudiants, ou militants, ou ceci et cela en même temps, Africains-Américains ou blacks comme l’on dit sans trop craindre la censure, qui ont investi le campus de l’université du Missouri-Columbia. Ils se plaignent qu’on ne parle pas assez de leur coup d’audace, qui entend servir la cause des blacks, parce que l’essentiel du système de la communication US (dont notamment et essentiellement la presse-Système pour ce qui est de leurs récriminations) s’est précipité sur les attentats de Paris. Ils y voient un complot...

« Les militants, qui ont récemment pris le contrôle du campus de l'Université du Missouri-Columbia, espéraient que leur action ferait grand bruit dans le paysage médiatique américain. Toutefois, les médias américains se sont massivement concentrés sur la vague d'attentats sanglants qui a frappé la France le 13 novembre, relayant ainsi au second plan les protestations de défenseurs de la cause noire qui dénonçaient les injustices raciales dont les Afro-Américains sont victimes aux Etats-Unis. “Intéressant de voir comment les journaux couvrent les attaques terroristes de Paris mais ne disent rien sur l’attaque terroriste à ‘Mizzou’ [l’Université du Missouri-Columbia]”, déplorait un tweet... » (voir RT-français, le 15 novembre 2015, avec une curieuse interrogation sur l’emploi du mot “terroriste” par la tweeteuse Kyra).

Je crois qu’ils se trompent, il n’y a pas complot... Il y a, pour le cas, dans le système de la communication US, cet événement extraordinaire par rapport aux temps passés que je connus bien qu’un événement non-US qui ne soit pas absolument impératif (les crises pullulent, Paris 13-novembre n’a pas écrasé le reste) puisse prendre le pas sur tout ce qui se passe aux USA de cette façon. On est alors conduit, ou dirais-je pour plus de sûreté et ne compromettre personne que je suis conduit à observer qu’il y a la formidable force d’attraction de ce qu’on a coutume de nommer sur ce site la Grande Crise, ou la Grande Crise d’effondrement du Système, – vous voyez à quoi je fais allusion, parmi les tics innombrables de dedefensa.org ? (Ce qui induit, je le reconnais, que je fais mienne la thèse que l’évènement parisien de vendredi dernier est un événement majeur, une étape importante de cette Grande Crise ; pas la première, d’étape, bien entendu et quant à savoir s’il s’agit de la dernière, de l’ultime... On verra plus loin et on verra bien.)

Cette formidable force d’attraction de la Grande Crise transitant par le 13-novembre se marque d’abord dans le système de la communication. La “couverture” médiatique et de communication (moi, j’appellerais ça plutôt “l’édredon”) des attentats de Paris a été, est et sera encore pendant quelques jours tout simplement phénoménale. Tiens, comparez avec ceci, dont vous pourriez vous souvenir, c’est-à-dire la “couverture” dérisoire par comparaison de la série d’attentats de Madrid du 11 mars 2004, également montés comme une opération minutieusement coordonnée sur le réseau ferroviaire de banlieue, qui fit tout de même (oups) près de 200 morts et 1.400 blessés. Cela ne signifie nullement que la qualité du point de vue de la communication soit à la mesure de cette quantité si extraordinairement amplifiée pour le 13-novembre, surtout si l’on considère l’état de détresse avancée de ce qui est nommé, également sur ce site, la presse-Système, et j’affirmerais même : “tout au contraire”... Mais l’intérêt est dans ceci que la force et l’effet de masse dans la communication sont là, et il est alors tout aussi d’un réel intérêt de savoir s’il ne s’agit pas d’un événement en soi, qui semblerait alors, si c’était le cas, avoir une grande et forte signification, et qui pourrait, lui, recéler un effet qualitatif indépendant de l’extrême bassesse du contenu de la communication.(C'est un peu la thèse du globalisme selon laquelle le tout est, dans certaines conditions dynamiques, d'une autre substance que l'addition de ce qui le compose.)

(Je dis tout cela, je m’en avise exactement à l’instant, sans prendre en compte l’hypothèse d’autres attentats à venir, ou d’autres évènements de crise, hors de France et même hors d’Europe, également à venir, peut-être dans les prochains jours ; alors que le 13-novembre a eu lieu sans que nous ayons pu “digérer” cet autre évèement colossal d’il y a 45 jours, que fut l’intervention russe en Syrie … Et disant ceci et cela, justement, me vient à l’esprit l’idée en forme d’hypothèse, aussitôt écrasante par son évidence, et sur laquelle on reviendra sans aucun doute par d’autres rubriques et méthodes d’écriture sur ce site, que nous sommes entrés dans la phase de perte totale de l’illusion du contrôle de notre Grande Crise. Il faut bien avoir à l’esprit l’importance du mot “illusion” ; la perte, ou l'absence de contrôle humain de la Grande Crise est d'évidence puisque c'est l'essence même de la chose d'être hors de notre portée, mais ce que nous avons perdu le 13-novembre c’est l’illusion que nous contrôlions encore quelque chose d’elle. C’est peut-être cela, essentiellement, que salue ce déluge de communication.)

Nous vivons des heures étranges, écrasés sous la force diluvienne de la communication qui tient la perception sous son empire, transformant démesurément l’événement, comme une de ces ombres immenses de son Nosferatu que Murnau, au sommet de son art expressionniste allemand, projetait sur les murs de la ville terrifiée, dans le film du même nom ; pendant ce temps, Assad, l’innommable Assad, le président-qui-ne-devrait-pas-exister, nous dit qu’il est désolé pour ce qui survient à Paris, mais que la Syrie, vous savez, vit cela chaque jour, depuis cinq ans. Quoiqu’on pense d’Assad, si on peut appeler “penser” pour la plupart de ceux qui émettent l’avis standard-Système à son propos, ce qu’il dit est vrai et laisse à penser. Et pourtant, je m’y tiens... Malgré l’évidence, je ne crois pas une seconde que cette fantastique disproportion de la communication, de la perception, de l’appréciation, soit simplement un accident technique ou une aberration de nos sens, ou bien encore une disproportion épouvantable de notre attention pour nous-mêmes et de notre inattention pour les autres ; il y a de cela, mais il y a aussi dans cet aspect de l’événement, tapie, une profonde vérité-de-situation qui nous parle de notre Grande Crise arrivée à un moment historique, ou métahistorique puisque nous sommes sur ce site, de son évolution. C’est simple et pure intuition, dire cela, mais l’on sait l’importance que j’attache à l’intuition ; et de la traduire aussitôt en une question pratique : ne sommes-nous pas dans la possibilité aujourd’hui proche, mais que nous ne sommes pas encore assurés de voir menée à bien, que la cuirasse que le Système nous impose pour la perception du monde soit en train de céder ?

(Suite)

Archives : Rétrospective du 02/11/2015 au 08/11/2015

  lundi 16 novembre 2015

Voici un document pour vos et nos archives, la rétrospective de la semaine du 2 novembre au 8 novembre 2015, présentée sous forme d'éditorial d'introduction à la lecture du site pendant cette semaibe. Les grands thèmes en sont dégagés, ainsi que les principaux textes publiés sur le site, comme références.

« • La crise, comme à l’habitude, suit un tracé insaisissable et court de l’un à l’autre foyer, pour rallumer les ardeurs éteintes et en enflammer d’autres. • La crise syrienne n’est pas de Syrie seule, mais phase d’un ensemble plus vaste qui, cette semaine, touche de plein fouet les USA avec le débat dit-des Boots on the Ground (des soldats à terre, voir le 3 novembre 2015). • Le caractère de cette phase crisique se confond avec le caractère du président des États-Unis, indécis, incertain, plein de demies-mesures, qui enrage le Pentagone si bien qu’on parle d’une “crise” (quoi d’autre ?) entre la Maison-Blanche et le Pentagone (voir le 7 novembre 2015). • Pendant ce temps, l’affaire de l’avion russe qui a explosé en vol au-dessus du Sinaï entraîne vivement l’Égypte dans la crise (le 6 novembre 2015), tandis que le Congrès des États-Unis débat comme au Café du Commerce de la possibilité d’une Troisième Guerre mondiale (le 5 novembre 2015). • Dans ce désordre tout entier marqué par la démence, notre recommandation est de suivre les chemins de l’inconnaissance (voir le 5 novembre 2015), un peu comme Gustave Le Bon le reconnaissait sans l’identifier, déjà en 1915 (voir le 4 novembre 2015), tandis que notre chroniqueur-rêveur invoque “la puissance bienveillante du monde” (le 6 novembre 2015). » 

« Les loups sont entrés dans Paris »

  samedi 14 novembre 2015

La guerre c’est une chose sérieuse, qui vous apprend à vivre et vous apprend que la vie ce n’est pas “se laisser vivre”, et que la vie c’est aussi la mort brutale apprise et survenue dans le quotidien des vies. Je le sais bien, ayant vécu dans les premières dix-huit années de ma vie, huit années de guerre, de 1954 à 1962 en Algérie. C’était justement la sorte de guerre qu’on affronte aujourd’hui (voir la bataille d’Alger de 1956-1957, la vraie pas le film), et qui vient de frapper durement Paris alors que Paris se refusait à la vivre vraiment (l’épisode “Je-suis-Charlie”, vécu comme un symbole malgré le sang répandu, n’a absolument pas la signification du carnage d’hier soir, justement à cause de cette dimension de carnage). C’est aussi la chanson de Reggiani, celle de 1967, dont notamment le premier quatrain, quelque signification qu’on ait voulu donner à la chanson (d’une façon générale, anti-fasciste ou bien pour célébrer la lutte contre l’Allemagne nazie), dit ceci qui ressemble tant à la situation de nos contrées civilisées, celles que nous avons l’habitude de regrouper sous l’expression de “bloc-BAO :

 

« Les hommes avaient perdu le goût

» De vivre, et se foutaient de tout

» Leurs mères, leurs frangins, leurs nanas

» Pour eux c’était qu’du cinéma

» Le ciel redevenait sauvage,

» Le béton bouffait l’paysage… alors...»

 

“Alors” ? Devant tant d’abandon où s’abîme notre monde, certes, les loups ont jugé tout à fait naturel et de la meilleure occasion du monde d’entrer dans Paris et de faire ce qu’ils nous ont avertis qu’ils feraient... Les élites-Système n’ont pas versé une larme sur les 224 personnes tués dans le vol 9628, notamment parce que c’étaient des Russes, et que les Russes, hein, après tout... C’était bien mal à propos et une impolitesse insensible et inutile, parce que le désordre frappe partout.

La chanson citée ci-dessus se nommait, on s’en souvient, Les loups sont entrés dans Paris. Quelle pensée secrète, quelle impulsion venue d’on ne sait où, m’a conduit à écrire hier, dans ce Journal dde.crisis, un texte sur Paris, gloire & nostalgie, qui célébrait le Paris qui n’est plus, le Paris d’avant  cette “guerre totale” qui est en vérité l’enfant du désordre absolu, universel, mondialisé et globalisé qu’ils ont tant contribué à mettre en place, à entretenir, à couvrir de leurs vœux. Bouleversé très certainement et très profondément, inutile d’en douter, sans avoir à suivre les consignes de son conseiller en communication, le pathétique président-poire a dit toute son horreur et annoncé la première mesure d’urgence : la France a fermé ses frontières, gommant d’un seul trait rouge du sang des victimes l’un des principes fondamentaux d’un demi-siècle de la politique qu’on sait. Si la France n’avait pas suivi cette “paix européenne” qui s’ouvre sur le monde,  ce qui s’est passé hier se serait-il passé hier ? Je ne retirerais évidemment pas un seul mot de ce passage du texte d’hier, qui concerne le Paris d’aujourd’hui, soudain éclaboussé de sang ; j’ajouterai simplement, parce que les évènements vont si vite qu’on ne peut tout écrire, que ces évènements vont ainsi obliger la “presse-Système” à parler des “bruits excessifs” du monde de feu et de sang qui est le nôtre, et “des carnages” qui vont avec, qu’elle dissimule en général avec un brio qu’on retiendra comme sans précédent...

« [La France] est entrée dans l’ère de la “paix européenne” qui s’avère, dans la mesure de la profondeur des choses et si l’on a assez de force de caractère pour écarter les geignements de l’affectivisme (spécialité des commémoration des champs de bataille), infiniment pire que les pires des carnages puisque l’enjeu en est simplement la destruction du monde, sans bruits excessifs (la presse-Système y veille), sans carnages (la presse-Système veille à ne pas nous en informer), sans rien du tout (ce qui est la définition de la presse-Système), – par déstructuration silencieuse et dissolution à peine chuintante, – par pure entropisation des choses, c’est-à-dire l’effondrement diluvien dans le trou noir du rien et qu’on n’en parle plus pour leur éternité. Dans ce contexte où la France s’est inscrite avec la prise du pouvoir par les hordes énervées et hystériques de ces étranges zombies postmodernistes qui tiennent la place, la logique que j’illustrai plus haut par des exemples d’époques diverses n’a plus de raison d’être... »

Je ne retirerai pas un mot parce que, tous comptes faits, ce ne sont pas vraiment “les loups” selon-Reggiani qui sont entrés dans Paris. L’histoire du terrorisme de ces dernières années, et notamment de celui de Daesh (voir le général Flynn que n’a pas vu la presse-Système, cet ancien chef de la DIA qui vous disait tout sur ce qui nous attendait, et principalement comment nous l’avons créé nous-mêmes), vous dit tout à cet égard ; c’est “Le désordre [qui] est entré dans Paris”, ou bien “Les loups du désordre” qu’il aurait fallu écrire, que sais-je, car le terrorisme est bien l’expression même du désordre, de la déstructuration et de la dissolution de nos sociétés, l’abjection de cette “contre-civilisation” dont nous avons hérité. Bien entendu, ils vont renforcer leur pseudo-État policer, leurs régiments de surveillants de l’ordre public dont on sait bien les arrière-pensées mais qui se trouvent soudain placés devant l’affreuse évidence du désordre du monde auquel ils ont tant contribué.

Le choc psychologique de la soirée du 13 novembre (11/13 dira-t-on désormais, avec la malédiction du chiffre 11), par l’ampleur  inimaginable encore quelques heures plus tôt de l’attaque, le caractère aveugle des tueries, – cette attaque de la sorte de celles que subissent dans l’indifférence de la presse-Système depuis des années et des années tous ces gens en Afghanistan, en Irak, en Syrie et dans tant d’autres lieux, et même en Russie qui en a eu son lot, – ce choc va bouleverser les psychologies. Il va secouer l’Europe déjà agonisante au milieu de la crise des migrants avec les liens qu’on imagine, comme aucun autre événement ne l’a fait avant durant cette séquence ; il va faire trembler sur leurs bases toutes ces conceptions qui ont fabriqué ce monde de désordre absolu et eschatologique d’où naissent des choses comme Daesh auxquelles nous prêtons à peine discrètement main forte lorsqu’il s’agit de faire de la fine politique-Système. Nous n’avons pas fini d’en subir les contrecoups qui sont de l’ordre du psychologique et de tout ce qui va avec et s’inscrit sans nul doute dans le courant de l’accélération de la crise générale d’effondrement du Système.

Bien sûr la grande lutte contre le terrorisme va prendre une nouvelle dimension, et nous nous trouverons alors devant nos incroyables contradictions. Ce n’est pas Bachar qui a fait ce qui s’est passé à Paris, mais ceux dont on espérait qu’ils auraient la peau de Bachar, et c’est Bachar que nous n’avons cessé de maudire comme ennemi de l’humanité. Les spécialistes du contre-terrorisme vont venir nous dire que Daesh et ses amis sont terriblement bien organisés ; qu’il va falloir s’y mettre pour en comprendre tous les dédales... Qu’ils aillent donc voir la CIA pour les détails des dédales, cela leur fera gagner du temps.

La réaction dans l’anathème contre la barbarie, à la mémoire des victimes de ces crimes odieux, les serments d’une lutte sans merci, tout cela ne va pas manquer dans les jours et les semaines qui viennent. Leurs symboles (drapeaux en berne, bandeau noir, marche républicaine, unité nationale) seront partout au rendez-vous, comme ils ont l’habitude de faire, – mais même le symbole s’use et se fane. Ce n’est rien par rapport à la profondeur du choc dans les psychologies. Nous avons désormais à nous attendre aux effets de cette profondeur du choc sur tout le dispositif de notre monde, sur tout le Système, – d’autant que Daesh & Cie ne s’en tiendront pas là.. On ne subit pas un choc pareil sans qu’un ébranlement, une réplique comme l’on dit des phénomènes sismiques, ne se fasse sentir à un moment ou l’autre dans le terme des semaines et des mois qui viennent, d’une puissance et d’un sens qu’on ne peut imaginer.

Paris, gloire & nostalgie

  vendredi 13 novembre 2015

Vu, il y a quelques jours, un documentaire sur la chaîne Histoire, dont le titre est Paris la nuit, cela faisant partie de toute une série sur Paris. Le documentaire embrasse la période 1945-1950 (plutôt 1950) jusqu'à 1965-1970, bref ce petit quart de siècles qui vit le monde nocturne parisien et même international devenir absolument germanopratin, de la période du swing, du Tabou, de Boris Vian et de Claude Luther, à celle surtout des cabarets minuscules et extraordinairement chaleureux, où toute une génération (Brassens, Ferré, Catherine Sauvage, Rochefort, Noiret, Mouloudji, Aznavour, Gainsbourg, Barbara, Lama, Brel, Cora Vaucaire, etc.) trouva son public restreint puis, pour certains, sa gloire au-delà de la Seine (Bobino, l’Olympia, les studios). Ma nostalgie, dont on sait qu’elle est chez moi un sentiment si intense et extrêmement significatif, qui va bien au-delà du souvenir, qui constitue en soi le défricheur du souvenir pour la tâche indicible de l’éternité, ma nostalgie était intense.

Durant cette période, dans le milieu des années 1950, j’étais à l’aube de l’adolescence et, pour chaque “grandes vacances”,  nous nous rendions à Paris (mon père devait faire sa visite annuelle à la haute direction de l’Alsthom, qu’il représentait en Algérie). Nous allions vers la capitale, venant de Mennecy où ma grand’mère avait une maison de campagne héritée de sa cousine, la femme du professeur Béal (du vaccin contre la tuberculose BCG) et pour autant non moins redoutable et terrible suffragette féministe ; l’arrivée vers la capitale, sans autoroute (inconnues à l’époque), par des routes bordées d’alignements arbres sans fin, ces routes souvent solitaires qui semblaient se perdre dans l'horizon, c’était comme si je tenais la promesse d’entrer dans un monde merveilleux et hors du temps mais c’était surtout, – je ne m’en avisais pas encore, – le pittoresque et le style, et je dirais même l’équilibre et l’harmonie de la tradition survivante. La perspective de Paris me fascinait comme par une magie sans exemple, et je me tenais muet d’émotion et d’admiration à l’entrée dans la grande ville sans exemple ni équivalent.

Certes, je ne connus rien de cette vie parisienne de la nuit, mais un peu par des échos, par mon oncle Jules. Homme de cabinet ministériel, d'abord proche du ministre Jacquinot dont il était “le compagnon” attitré dans les premières années d’après-guerre, mon  oncle était un homosexuel d’une chaleur et d’une drôlerie incomparables, d’un charme fou ; ses nombreuses sœurs (dont ma mère) ne cessaient de l’entourer pour pouffer avec “le petit Jules”, avec lequel elles partageaient une complicité si chaleureuse. Il faisait partie de l’escadron nocturne de “la bande de Versailles”,  du nom de Louis Amade, parolier de Bécaud et préfet de Versailles, et aussi avec Gilbert Bécaud, Jean-Claude Pascal et d'autres, constitué pour écumer les nuits parisiennes.

Paris était magique, vous dis-je. Les Américains qui avaient conquis le monde y venaient avec vénération, comme s’il s’agissait du centre du monde. Les milliardaires US, les “un peu plus de 1%” d’alors, se regroupaient en association pour dégager des centaines de $millions et sauver gracieusement le château de Versailles alors en ruines, pour la plus grande gloire de la France comme une part importante de la gloire du monde... J’ai noté cela dans La Grâce de l’Histoire, par une simple anecdote dont l’héroïne était une personne de grande qualité :

« Pourquoi sinon pour saluer une évidence qui transcende les modes, les politiques et les siècles – pourquoi penser à cette autre image restée au fond de ma mémoire, comme la mère nourricière dispose sa terre fertile, de l'actrice américaine Lauren Bacall, plus vieille de tout le temps de sa carrière et à peine vieillie, et devenue une autre femme, devenue véritablement une femme internationale, qui passe à l'émission ‘Inside the Actor's Studio’ en 1999, où la question lui est posée, extraite du rituel où l'on déroule le “questionnaire de Bernard Pivot”, selon la présentation immuable du présentateur et réalisateur de l’émission James Lipton : “Qu'est-ce qui vous fascine par-dessus tout ?” De cette voix brève et qui semble métallique mais qui se révèle être une voix de gorge, sans trembler ni ciller, Bacall répond comme cela va de soi, comme une flèche se fiche dans la cible et au cœur, sans un souffle, presque sans un mot, comme si la réponse était inscrite dans le vent et dans l’histoire du monde :

— Paris. »

(Suite)