Le Journal dde.crisis de Philippe Grasset, qui a commencé le 11 septembre 2015 avec la nouvelle formule de dedefensa.org, l’accompagne et la commente en même temps qu’il tient la fonction d’être effectivement un “Journal” pour l’éditeur et directeur de la rédaction de ce site.

Ma nostalgie et leurs $500 millions

  vendredi 18 septembre 2015

J’ai procédé ce matin à un exercice qui pourrait paraître étrange, ou bien qui paraîtrait finalement tout à fait logique dans le sens d’être humain ; c’est selon qu’on se situe par rapport aux habitudes qu’on n’a aucune raison de changer ou par rapport à l’intensité affreuse des pressions que fait peser sur nous cette époque maudite (j’y reviendrai). D’un côté, comme je fais chaque matin, je parcourais les nouvelles, à droite et à gauche, d’une source l’autre... Celle-ci m’a arrêté un instant, dont je vous donne la référence renvoyant à RT (peu importe la source) et qui concerne une audition devant la commission des Forces Armées du Sénat des États-Unis, certainement très solennelle comme sont ces choses, du général de l’US Army Lloyd J. Austin, qui est à la tête du puissant commandement CENTCOM (pas mal sur la sellette en ce moment, CENTCOM). Je donne ici quelques bribes de sa déposition où Austin se sentit fort mal à l’aise et qui donna l’occasion aux sénateurs de s’exclamer et de s’esclaffer à propos de la formation d’une force militaire syrienne (les fameux “modérés” opposés à Assad et destinés à combattre Daesh, et qui plus est extrêmement démocratique tout cela)...

Austin a dû « confesser que seuls “quatre ou cinq” combattants syriens formés par les Etats-Unis combattaient actuellement sur le terrain. Nous sommes bien loin de l’objectif de 5 000, initialement annoncé par le Pentagone en début d’année. Seuls 54 combattants ont été formés jusqu'à maintenant et la plupart d'entre eux ont été attaqués par un groupe lié à Al-Qaïda dès leur arrivée en Syrie. Une centaine de combattants seulement sont actuellement en cours de formation, selon les chiffres fournis par une responsable du Pentagone, Christine Wormuth. Ce chiffre ridiculement bas est en mettre en rapport avec le coût estimé du programme. Pas moins de 500 millions de dollars. De quoi en énerver certains. Kelly Ayotte, sénatrice républicaine, a qualifié ces résultats de “blague”. “Un échec total” pour son collègue Jeff Sessions. » (“Quatre ou cinq”, est-ce une erreur, ou bien une traduction traîtreusement erronée de RT ? Pourtant, voici AP : « No more than five U.S.-trained Syrian rebels are fighting the Islamic State, astoundingly short of the envisioned 5,000, the top U.S. commander in the Middle East told angry lawmakers on Wednesday. They branded the training program “a total failure.” »)

Je n’ai pas envisagé, dans l’immédiat, de faire précisément un texte là-dessus dans nos rubriques habituelles (peut-être l’humeur changera-t-elle ? On verra) ; je veux dire par là que la sottise et l’incompétence sont si répandues par les temps qui courent tellement vite, essentiellement dans le chef des pays du bloc BAO, qu’elles ne sont plus un objet de mobilisation immédiate pour la verve commentatrice du chroniqueur, s’il en a, dans les rubriques courantes du site. (Ils ont 4 ou 5 soldats qui se battent : à la fois la précision, les chiffres de 4 et de 5, et l’imprécision, c’est 4 ou 5, sont touchants dans le ridicule ; et à côté la précision très-comptable sur le programme qui a coûté $500 millions, ce qui fait autour de $100 millions par combattants, non ? On peut tellement trouver à en rire dans ces sottises contrastées que cela n’est plus vraiment drôle, que cela en devient effrayant.) Était-ce un peu d’agacement, de la lassitude puisque la sottise elle-même finit par lasser ? Je suis passé pour une petite heure à un autre travail, la suite d’une correction approfondie de la conclusion du deuxième tome de La Grâce de l’Histoire.

Pour ce cas, comme dans pas mal d’autres dans l’entreprise de La Grâce, le travail se nourrit de lui-même et devient gigantesque en excitant l’esprit et en sollicitant l’âme poétique : la correction prend très vite des allures de réécritures tandis que le thème de la conclusion, qui devrait être de conclure et que l’on n’en parle plus, s’est transformé en une exploration d’une orientation conceptuelle qui m’est devenue extrêmement chère. Elle s’insère dans le propos général, en prétendant annoncer le troisième tome autant que terminer le second, et elle implique le plus profond de moi-même dans cette énorme architecture qu’est devenue La Grâce. Il s’agit de l’idée, que je décris comme surgie de ce que je nomme “l’âme poétique” (expression déjà utilisée), de l’importance fondatrice pour moi de la nostalgie, comme un sentiment de l’esprit et un composant du caractère alimentés par la mémoire qui joue son rôle de Grand Mystère, pour percevoir avec une force de plus en plus grande et de plus en plus riche ce que j’identifie comme une conception de l’éternité. Tout cela est vite dit, au contraire de l’éternité, mais il ne s’agit ici que de résumer une démarche pour illustrer un contraste de la pensée en présentant la forme que peut prendre l’un des deux extrêmes que j’envisage ici.

Car pensez, justement, à la solennité de l’audition du brave général Austin, premier Africain-Américain à détenir ce rôle stratégique essentiel de la puissance américaniste qu’est le commandement de CENTCOM, et chargez-là du surréalistissime ridicule de ces 4-5 soldats en action en Syrie, à $100 millions le soldat ; et comparez cela avec une recherche de l’esprit tentant d’exposer cette idée qu’il a conçue de faire de la nostalgie une manifestation de l’éternité... Pensez aux deux occurrences, soupesez l’une et l’autre, et comparez. Il ne s’agit pas de solliciter l’appréciation, de s’attacher au contenu, – de susciter la dérision évidente quoique fatiguée dans un cas, l’attention admirative et interrogative dans l’autre ; il s’agit bien de soupeser ces deux formes de pensée comme l’on fait deux mesures et rien d’autre, sans juger de la signification du contenu mais en jugeant de la substance et de la forme du contenu ; cela fait, il s’agit d’apprécier les différences de l’apparat des lieux et de la solennité des circonstances par lesquels sont accueillis respectivement ces deux démarches... Partout règne le contraste, l’exceptionnelle inversion qui caractérise tous les actes possibles de notre vie intellectuelle et des circonstances sociales qui en rendent compte dans notre époque, dans cette époque maudite.

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La stratégie “Abracadabra”

  jeudi 17 septembre 2015

Je me rappelle encore combien j’avais été frappé par cette intervention du général Breedlove, commandant en chef suprême des forces alliées en Europe, en avril 2014, concernant l’investissement de la Crimée par les Russes... Voilà ce que disait le texte, très court (et en anglais), mais vraiment très expressif, – je veux dire qu’on a envie de dire “Abracadabra”...

«“We saw several snap exercises executed in which large formation of forces were brought to readiness and exercised and then they stood down,” [Breedlove] said. “And then…boom—into Crimea…with a highly ready, highly prepared force,” he said. [...]

»The general said it was clear that Russia had significantly improved its capabilities since the 2008 Georgia war. “The incursion of Russia into Georgia…was probably not the smoothest,” he said. “By way of comparison, the incursion into Crimea went very much like clockwork, starting with almost a complete disconnection of the Crimean forces from their command and control via jamming and cyberattacks and then a complete envelopment by the Russian forces inside of Crimea.”»

Ce qu’il m’importe de faire comprendre, c’est d’abord que je veux m’exprimer dans ce cas particulier en tentant de m’abstraire complètement de tout parti pris, de toute position politique ; et cela bien entendu, et qu’entendront effectivement ceux qui pensent que ce Journal est d’abord marqué par la bonne foi et la loyauté intellectuelle. Ces conditions posées, je dis alors mon sentiment qu’il y a vraiment dans cette affaire et dans l’inévitable domaine de la communication, dans le chef  des Russes, une singulière habileté, une remarquable souplesse, presque une tactique de caméléon d’une étonnante efficacité. On doit réaliser, surtout pour ceux qui en ont l’expérience, le contraste assez peu ordinaire, absolument radical, que cela forme avec le sentiment qu’on éprouvait d’un comportement d’une lourdeur incroyable, empesé, marqué d’une dialectique insupportable de mensonges grossier, encombrée d’une lourdeur bureaucratique, corrompue et pleine d’image de gaspillage et d’inefficience qu’on éprouvait lorsque l’Union Soviétique (celle du temps de Brejnev, par exemple et surtout !) “faisait” de la communication. (En effet, nous parlons vraiment ici de communication, c’est-à-dire de batailles dialectiques à ciel ouvert où il s’agit de convaincre une opinion générale, et non pas des manœuvres feutrées et secrètes des actions du renseignement pur.)

J’ai commencé par la Crimée parce que cet épisode est évidemment un précédent tout à fait remarquable dans la façon dont il s’est déroulé, – encore une fois, objectivement considéré, qu’ils (les Russes) aient raison ou pas : personne n’a rien vu venir, tout s’est passé avec une rigueur d’horloger tandis que la communication russe dosait ses déclarations en adoucissant constamment le débat, – et hop !, comme dit Breedlove, on découvrit qu’ils avaient terminé leur opération “en douceur“ et l’affaire était entendue... Mais le principal sujet de mon propos, c’est évidemment le Syrie et le déploiement de forces russes en Syrie, – si c’est le cas, ce déploiement, – ou bien non, après tout, même s’il n’est pas fait et en projet, – ou bien non encore, s’il est en train de commencer ; comme on le voit déjà, on ne sait pas très bien, une fois c’est sûr, une autre fois c’est sûrement le contraire et ainsi de suite ; tout le monde parle d’autorité, de bonne ou de mauvaise foi c’est selon et l’énigme russe reste impossible à percer sans que ce caractère d’énigme soit imposé par la fermeture complète mais au contraire que l’énigme subsiste dans une atmosphère qui sonne très ouverte et qui l’est effectivement, où tout le monde, selon ce mot magique qu’adorent nos communicants, entend agir en complète “transparence”.

Je dis cela presque avec une admiration objective qui n’aurait aucun rapport avec le jugement politique que je pourrais porter sur le comportement réel des Russes, comme on dit “Chapeau, l’artiste”, sans vraiment savoir, moi non plus, s’ils y sont vraiment, un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout... C’est d’ailleurs le but du processus mené de main de maître, “sans vraiment savoir”

Poutine est énigmatique. Parfois, il a l’air de détenir de lourds secrets mais “désolé, sincèrement, je ne peux rien vous en dire puisqu’il s’agit de secrets” ; parfois il a l’air de pouffer en-dedans lui, comme s’il nous faisait une bonne blague, et comme s’il le disait presque : “vous savez, c’est une bonne blague”. Depuis le 1er septembre, lorsqu’un deuxième article (celui de Ynet.News après celui de Meyssan une semaine plus tôt) a été publié et a ouvert véritablement la polémique, l’on s’interroge, et nous (moi) les premiers. Je n’écris pas ici pour dire que je crois qu’ils y sont ou le contraire, pour dire que c’est bien qu’ils y soient ou que c’est bien qu’ils n’y soient pas, etc., mais simplement pour rendre compte de l’extraordinaire imbroglio dans lequel ils nous emmènent, sans forcer et sans douleur, avec une sorte d’habileté de prestidigitateur, pour nous faire croire qu’ils n’y sont pas tout en nous conduisant à accepter l’hypothèse qu’ils y sont. On dirait qu’ils nous disent, ou qu’ils disent aux gens concernés dans les pays concernés : “Ah, vous voulez faire la guerre de la ‘com.’, eh bien allons-y messieurs et mesdames...”, – pour ajouter aussitôt, par une autre voie et un autre voix : “Allons allons, qu’est-ce que vous allez chercher, il n’y a pas de guerre de la com’ entre nous, tout se passe bien et il ne se passe rien...”. Vous vous dites : “Mais enfin les Russes confirment, c’est sûr” ; et vous vous apercevez que c’est plutôt deux fois qu’une, mais selon la technique “un pas en avant-un pas en arrière”, sans jamais rien dire de définitif, sans nul besoin de mentir finalement, ni même de faire de la propagande... D’abord ils se sont tus ; puis ils ont démenti les nouvelles les plus audacieuses et les plus farfelues ; puis ils ont signalé qu’effectivement ils livraient des armes et envoyaient des conseillers ; puis ils ont précisé qu’ils ne faisaient qu’honorer des contrats vieux de près de 10 ans et que ces livraisons et autres avaient lieu depuis des années ; puis ils ont observé que si la Syrie leur demandait plus maintenant, eh bien là ils verraient bien, et que le regard serait plutôt favorable nous fait-on comprendre ; puis ils ont conclu que s’ils disaient ça c’est que rien de nouveau n’avait eu lieu ; et puis, et puis... Et ainsi de suite, une espèce de tactique au goutte-à-goutte mais utilisé à très grande vitesse, un compte-goutte utilisé sans compter si vous voulez.

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Gustave Le Bon-1915

  mardi 15 septembre 2015

J’ai commencé à lire un livre fort peu couru de Gustave le Bon, dont on connaît la popularité comme le théoricien des psychologies collectives et du maniement des foules (justement par la psychologie collective) comme instrument de pouvoir. De Le Bon, on connaît principalement, mondialement dirais-je, le fameux Psychologie des foules de 1895 et divers autres ouvrages du même genre. On s’intéresse moins à son Psychologie de la guerre, publié en 1915, et publié à nouveau, presque un siècle plus tard (en 2006), aux éditions du Trident. C’est celui-là qui m’intéresse.

Je n’en suis qu’à sa première partie, disons au premier quart, il s’agit manifestement de l’une des parties les plus intéressantes, les plus passionnantes pour moi, et une partie qui fait que ce livre fut un peu oublié, – selon la méthode moderniste de la mise à l’index réalisée par le silence. Cette partie est presque entièrement occupée par l’analyse de la psychologie allemande, son histoire depuis la renaissance de la Prusse à Iéna, sa formation, sa conceptualisation, son adaptation à la modernité, au monde industriel, sa “conscience hégémonique”, enfin tout ce qui la prédisposait à la guerre. La thèse qui en ressort, – nullement sous forme d’hypothèse puisqu’exprimant un sentiment général de l’auteur, – est que l’Allemagne a voulu cette guerre, irrationnellement et irrésistiblement, avec ses tripes, avec une psychologie déchaînée, alors que, justement, l'analyse rationnelle de cette ambition lui eut signifié qu’elle n’y avait aucun intérêt parce que “la marche du Progrès” se faisait incontestablement à son avantage hégémonique.

Cet appel à l’irrationalité est absent de toutes les analyses “sérieuses” de la Grande Guerre, particulièrement dans l’époque depuis les débuts de la Guerre froide, et encore plus que jamais aujourd’hui, quasiment selon une partition absolument totalitaire. (Imaginez-vous ce qu’est une musique totalitaire, – non pas “totale”, ce qui confine au grandiose, – mais bien “totalitaire », ce qui vous enferme dans une prison privée de tout extérieur à elle ? Voilà la marque de notre époque, et En avant la zizique [Boris Vian].) Cette consigne impérative, hein, cela n’est pas indifférent et la chose explique la mise à l’index par le silence dont est l’objet ce livre. Pour mon compte, cette référence complète et sans discussion à l’irrationalité me convient parfaitement tant elle correspond à cette interprétation dans La Grâce de l’Histoire d’une Allemagne emportée par le vertige de l’idéal de puissance, marquée, et cela d’une manière historique qu’on préfère également oublier, par l’activisme hégémoniste extrême du pangermanisme dans les trois ou quatre décennies avant 1914. Cette irrationalité se retrouve parfaitement dans le destin des USA après 1919, comme il éclate aujourd’hui dans un vertige belliciste incompréhensible si l’on ne fait pas appel résolument à une psychologie totalement subvertie comme Le Bon fait pour l’Allemagne ; entretemps, le flambeau de l’idéal de puissance est passé de l’une à l’autre, de l’Allemagne à l’Amérique.

Cette vision a comme conséquence, absolument sacrilège pour la pensée postmoderne, de faire du nazisme non pas un accident indicible de l’histoire-Système, une monstruosité hors des normes qui ne concerne aucun des acteurs-Système du temps présent, et surtout pas l’Allemagne-Système de la chancelière Merkel, mais comme une progéniture naturelle quoique monstrueuse de l’Allemagne originelle devenue impériale et pangermaniste, de sa chevauchée jusqu’en 1914-1918, c’est-à-dire de l’Allemagne expansionniste absolument appuyée sur le Progrès et la postmodernité, de cette Allemagne injustement arrêtée dans son élan par une victoire “volée” en 1918 et qu’elle n’aura de cesse de rétablir dans sa justesse jusqu’en 1939 ; et au-delà alors, après 1945 et l’effondrement du nazisme, pourraient s’interroger des esprits malveillants, qui vous dit que l’Allemagne a changé jusqu’à n’avoir plus rien de ce qu’elle fut pendant un siècle et demi ?

Cette sorte de raisonnement, qui fait la part si maigre à l’influence des seules idéologies qui apparaissent plutôt comme des instruments de forces supérieures, qui se défie de l’analyse de la raison-seule surtout lorsque règne la raison-subvertie, renvoie complètement à l’analyse de La Grâce et de son auteur et contredit évidemment l’histoire-Système dont on nous abreuve à la louche, plus que jamais “histoire-narrative”, et même “histoire-narrativiste” par référence à ce concept opérationnel du déterminisme-narrativiste. (Ce concept qui ne cesse de me paraître toujours plus d’une importance fondamentale pour décrire, non pas l’histoire-narrative qui en résulte mais la façon dont la modernité dans sa section science historique aidée de la communication récrie constamment la narration des évènements qui se trouvent derrière elle, à la manière de ces gros camions répandant le goudron brûlant par l’arrière sur la route qu’ils refont conformément aux consignes des entrepreneurs en travaux publics.)

Cette façon d’emboîter les deux guerres, – car Le Bon ne cesse dès cet ouvrage et dans d’autres encore plus précis (Les Incertitudes de l'heure présente, 1924) d’annoncer déjà la suivante, jusqu’à y voir précisément le moyen dans le développement des dictatures, – est relevée  justement par son éditeur de 2006 (JGM) comme un jugement “politiquement incorrect” qui fait les livres maudits : « On remarquera également ici un parallélisme très fort entre les deux guerres mondiales : on est tenté de considérer que, de ce point de vue, elles en forment une seule, comme si la seconde était un prolongement de la première dont elle accentue les traits » ; c’est-à-dire, et c’est bien là l’essentiel du sacrilège, – comme si le nazisme était évidemment en germe dans le pangermanisme de l’Allemagne de 1914 et dans tout ce qui a suivi d’allemand, y compris la démocratie de Weimar, jusqu’en 1933-1939, – ce qui est, par ailleurs, une fois débarrassée des entraves-Système, rien de moins que l’évidence aveuglante.

Là-dessus, Le Bon se détache également de nombre de ses contemporains, y compris de ceux qui eurent une vision assez similaire de l’enchaînement des deux guerres en devinant celle qui suivrait mais en s’en tenant aux évènements politiques et économiques (Bainville, Keynes). Lui, Le Bon, va à l’essentiel, – je veux dire selon mon goût, selon ma façon d’en juger, selon mon ouverture intuitive telle que je l’ai fortement ressentie depuis des années, et particulièrement depuis mes aventures de Verdun (ce que je nommerais pour mon compte, – et gardons cette expression désormais, – “l’intuition de Verdun”). Il garde l’irrationalité sans la cantonner à l’hystérie ou à l’épisode maniaque, éventuellement pour la faire monter, avec la psychologie, au-delà du mysticisme vers la spiritualité, et lorsque cela s’impose, la transmuter à mesure. Ainsi observe-t-il que la Grande Guerre, dans le déchaînement de laquelle il se trouve lorsqu’il écrit ces lignes, ne peut être comprise par la raison, – on redécouvre régulièrement cette évidence depuis 100 ans, chaque fois s’abstenant d’aller au-delà, – mais qu’en raison de cela, justement, il faut encore plus chercher à la comprendre et utiliser pour cette tâche les outils et les références qui se rapportent à l’événement et qui sont d’une même nature. Le Bon sait parfaitement que la Grande Guerre est un événement métahistorique que les historiens-Système ne savent et ne sauront jamais expliquer parce que leurs lanternes se garde bien d’aller éclairer sous les tapis, dans les débarras et dans les caves, et au-dessus des toits où se trouvent les étoiles. Je cite pêle-mêle quelques-uns de ses jugements, quelque remarque ou l’autre, qui se trouvent rassemblées dans son introduction sur L’étude psychologique de la guerre et concernent donc l’essentiel du propos de son étude, – et l’on mesure aussitôt la dimension dont il habille la psychologie.

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L’Art de la Fugue-en-forêt

  dimanche 13 septembre 2015

Comme l’on peut voir un peu partout ou bien ici et là c’est selon, nous sommes dans le temps des crises et même dans le temps des signes du ciel. C’est seulement ce matin, c’est-à-dire aux premières heures de mon petit matin bien avant l’aube, que j’ai appris ceci : pendant que nous bouclions dans la fièvre la nouvelle formule de dedefensa.org, le Ciel et le sapiens terrestre, et sans doute les deux combinés, multipliaient les signes de connivences avec le “tourbillon crisique”, comme pour fêter dignement l’anniversaire du 11 septembre 2001. Laissant là ce texte que vous lisez et avant de poursuivre plus tard dans la journée, alors que s’en développait un autre, plus sérieux pour le “site des crises” qu’est dde.org, – il a été bouclé entretemps et l’on s’y référera pour une appréciation plus circonstanciée, – je suis allé, à la fine pointe de l’aube, faire ma coutumière promenade en forêt avec Klara, cette impériale beauceronne qui a suivi l’héroïque Margot dans la lignée de nos chères compagnes. (Je tiens au “K” de Klara, elle-même étant née dans une “année des K”...)

J’avais l’oreille aux aguets et, pénétrant dans la forêt, je me suis demandé si l’atmosphère n’était pas celle de la Fin des Temps, frappé par le silence qui y régnait ; mais non, j’étais le jouet de mon imagination impressionnée par les derniers évènements que j’avais brusquement découverts ; nous entendîmes bientôt quelques chants d’oiseau et, la promenade poursuivie, Klara faillit s’étrangler (et m’emporter avec elle, moi qui suis au bout de la laisse) à la vue d’une biche que je n’avais pas vue, moi, et qui disparut avec une grâce naturelle mais un peu pressée dans la profondeur des taillis complices. J’ai crié à la biche que nous étions des amis mais on sentait bien qu’elle tenait d’abord à vérifier certaines choses ; la prochaine fois, peut-être, qui peut le dire... Quant à moi, j’étais rassuré sur la marche du monde.

Ce curieux incident d’une banalité courante mesure l’embarras où l’on se trouve parfois, de devoir faire son métier de chroniqueur, dans des temps aussi évidemment extraordinaires. Il est vrai que le détachement complet de mon travail pour la “nouvelle formule”, de mercredi à samedi, m’a complètement détaché des évènements courants, ne gardant “sous la main” qu’un texte ou l’autre, en composant un autre de circonstance, etc. Pendant ce court laps de temps où je fus moins attentif aux nouvelles, je n’ai plus suivi la marche du temps comme je fais d’habitude et j’ai pu constater avec quelle rapidité extraordinaire on se trouve séparé de la vérité de situation qu’on a décidée de suivre. Les sources des nouvelles sont si nombreuses, si variées, – je parle de celles qu’un chroniqueur responsable se constitue pour son travail, – qu’elles forment une sorte de “bruit de fond” qui tient vos sens éveillés pour pouvoir saisir la chose importante (que vous jugez importante), pratiquement au vol ; pour la soumettre aussitôt au tribunal de votre raison avant de tenter de l’éclairer de la clarté de l’intuition, – si vous disposez de tout ce “matériel”-là. Ces conditions sont absolument spécifiques à notre époque totalement submergée par la communication, dans des conditions qui n’ont jamais existé auparavant, au centième, au millième du volume de communication dont nous disposons. Cette richesse exceptionnelle se transforme instantanément en une terrible pauvreté si vous vous éloignez de votre source vive. D’un point de vue intellectuel, je dirais de soi-même par rapport à soi-même et hors de la dimension sociale, vous passez brusquement de l’abondance où il faut débusquer son miel au dénuement le plus brutal, qui va jusqu’à l’angoisse de la famine quand vous en mesurez l’ampleur.

Observant cela, je ne m’en félicite nullement ni ne m’en réjouis, ni d’ailleurs ne m’en plains plus que de mesure ; je constate et j’apprécie la chose pour ce qu’elle est, et rien d’autre. C’est à la fois l’opportunité unique et le calvaire insensé de cette époque qui n’est semblable à aucune autre, définitivement et décisivement. Car là-dedans, dans cette époque, aucune certitude, aucune règle, aucune référence objective n’existe plus, et c’est pourquoi si votre destin courant vous fait perdre la voie que vous vous êtes tracée, surtout si elle est buissonnière, vous êtes à la dérive et en grand danger d’être pris dans les rets de ce qu’on nomme sur ce site “le Système”, et de voir votre pensée brusquement se glacer, s’immobiliser, devenir informe et méprisable, emprisonnée dans les commandements des gardiens de la prison.

Certains pourraient dire, arguant de l’antique sagesse : mais contentez-vous donc de votre promenade avec la sublime Klara, et un jour la biche acceptera de vous écouter, et peut-être même consentira-t-elle à vous parler. Cela, je le sais bien, mais il est vain d’y songer. Si l’on peut tracer sa voie buissonnière, y compris dans la forêt, on ne peut pas bouleverser son destin qui reste une loi immuable d’une vie, qui est au-dessus de vous, qui est votre seul espoir de vous hausser si vous vous en montrez digne. (Même dans cette époque complètement déstructurée, où plus rien d’immuable n’existe ? Justement, dans cette époque, parce qu’elle est complètement déstructurée et qu’il n’y a plus rien d’immuable en elle.) Je continuerai à faire fuir cette biche et cela m’attriste, mais avec l’espoir, simplement, qu’elle m’ait entendu dans sa fuite : “Nous sommes des amis” ; je veux dire, pour qu’elle s’en souvienne, elle, et pour me préparer, moi, dans un autre monde, à une autre existence avec un autre destin où la sagesse aura toute la place qu’elle mérite.

Puis nous rentrâmes, Klara et moi, notre promenade terminée. La Fugue faisait entendre ses dernières notes ; il est temps de se remettre au travail, me dis-je, à la manière d’un héros d’un “poème philosophique” de Vigny, c’est-à-dire revigoré par la perspective de l’épreuve.

Leur inculture m'épouvante

  samedi 12 septembre 2015

... Inculture comme l’on dit “rupture” et il se comprend bien que c’est avec le passé, donc avec tout ce qui a existé, comme l’on suggère “absence de racines” puisque refus de la culture, au propre et au figuré, mais surtout au propre comme une plante qui refuse ses propres racines ; “inculture” comme l’on dirait d’une terre morte qu’elle est inculte... L’inculture de ceux qui se prétendent nos élites par leurs fonctions, leurs notoriétés sociales, leurs vies publiques, cette inculture-là m’épouvante, me glace, fait naître en moi autant de fureur que de mépris, et parfois, si je ne me prenais par le collet pour me raisonner, une complète désespérance amère. Je ne dis pas cela pour pérorer dans le désert, à moins de considérer, ce qui n’est pas insensé, que ces gens-là sont complètement des créatures de type désertique. Leur inculture est une infécondité mortelle, l’indice de la Fin des Temps ; j’ajoute, soudain plein d’espérance, que c’est sans aucun doute la fin de leur temps car on ne peut survivre longtemps dans un tel état de dénuement intellectuel, une telle glaciation de la perception, une telle absence complète de caractère...

Mais venons-en au fait puisqu’il importe de se justifier. Je prendrais deux exemples récents, car l’affaire des migrants-réfugiés est, elle, au contraire, féconde quoique ce soit de ces manifestations d’inculture, comme le ventre mort de la bête qui crache ses rejetons mort-nés. Considérant ces deux exemples, on pensera que j’exagère dans mon propos, et l’on n’aura pas raison car ces deux exemples sont parfaitement ce que dit le mot : une manifestation (ou deux) d’une situation générale de la totale perdition intellectuelle sinon spirituelle d’une civilisation dont il y a tant d’autres manifestations par ailleurs... Les deux exemples prétendent être des parangons de moralisme, et c’est d’ailleurs ce qu’ils sont, – la morale érigée en idéologie, c’est-à-dire la morale torturée dans tous les sens pour la faire correspondre à l’idéologie qui vous dévore de l’intérieur, comme une bête impitoyable.

Le premier exemple vient du premier nominalement d’entre nous, c’est-à-dire de notre président-poire. Il y a quelque jour, Hollande tenait conférence de presse, sur le ton ferme et décidé qui est le sien. Il a consacré un passage aux “quatre de Visegrad”, d’après ce que j’ai compris, puisque s’adressant aux pays de l’Est du continent qui rechignent à recevoir des réfugiés. Il a dit ceci (voir notamment sur RT-français du 7 septembre 2015 le film du passage en question) :

« Il y a des pays qui voudraient faire des critères ethniques, qui voudraient accueillir certains réfugiés et pas d'autres au nom de religion, qui voudraient bâtir des murs et ne pas prendre un réfugié, mais qu'est-ce que ces pays auraient pensé si nous avions agi ainsi il y a 30 ans, si, au moment de la chute du mur de Berlin, nous avions dit, non pas tout de suite, pas comme ça, prenez votre temps, restez là où vous êtes ? »

D’abord, me dis-je, pourquoi “il y a 30 ans”? S’il voulait faire approximatif, ce Président-là, il aurait pu dire, d’ailleurs de façon fort majestueuse, “il y a un quart de siècle” (de 1989 à 2015, calculez...). Les communicants qui écrivent pour lui ont-ils confondu “chute du Mur“ (il y a vingt-cinq ans) avec “arrivée de Gorbatchev au pouvoir” (il y a trente ans) ? Difficile à croire puisqu’il ignorent qui c’est, ce Gorbatchev ... Enfin, passons, non sans observer qu’ils ne sont pas d’une rigueur impitoyable dans la connaissance, dans ce troupeau-là.

Ce qui est plus grave, si c’est possible, c’est tout le sens du propos du président-poire, alternant faux-sens et contresens ; car effectivement, nous leur avons bien dit cela  non pas tout de suite, pas comme ça, prenez votre temps, restez là où vous êtes »), pendant un ou deux ans, quand nous nous sommes aperçus de ce qui se passait. Quand nous découvrîmes le pot-aux-roses de la désintégration complète de l’Europe de l’Est (il nous en a fallu du temps), nous fûmes terrorisés à l’idée de ce qui était en train de survenir, particulièrement Mitterrand et Thatcher. (D’ailleurs, on peut concevoir que leurs craintes se justifiaient, là n’est pas la question.) En décembre 1989 encore, Mitterrand allait voir la direction communiste moribonde et pulvérisée de la RDA (Allemagne de l’Est), dans un vain effort de retarder l’effondrement de la dite-RDA... Là-dessus, on peut ajouter, pour achever la démonstration de l’extraordinaire contresens sorti de l’incertaine bouche de notre président, qu’il ne fut ni question, “il y a 30 ans” c’est-à-dire 25 ans, de migrants ni de réfugiés, mais de la part de ces gens d’Europe de l’Est d’installer la liberté dans chacun de leurs pays, ce qu’ils firent sans notre aide ni notre permission mais plutôt celles de Gorbatchev, et sans d’ailleurs que nous n’ayons rien eu à dire puisque nous n’y comprenions rien, et sans que l’événement leur donnât la moindre envie de se réfugier chez nous en flots impétueux de migrants. Notre rôle dans cette affaire (celui de l’Europe comme celui des USA, y compris dans les causes originelles qui ne doivent qu’au seul Gorbatchev) fut strictement nul et non avenu et nous n’aidâmes personne, à aucun moment. Qu’une telle autorité de l’État (je parle d’Hollande) fasse une analogie historique si faussaire, si invertie, si sotte et si bouffie d’inculture, nous éclaire sur l’imposture qui lui tient lieu de caractère, et ce simulacre qui lui tient lieu de souveraineté, – et imposture et simulacre comme par inadvertance, par indifférence, comme allant de soi selon l’administration des affaires courantes, comme bassesse médiocre dans sa pratique coutumière.

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Bienvenus à bord...

  vendredi 11 septembre 2015

Certes, ces lignes sont écrites alors que dedefensa.org-nouvelle version (New Age, si vous voulez) est toujours en radoub, encore interdit de vision à ses lecteurs. Elles n’en expriment pas moins l’annonce de ce qu’il faut espérer être un élément nouveau important de la pérennité du site : ce Journal dde.crisis dont ce texte sonne le premier jour de son existence, – un 11-septembre, comme cela été proclamé (voir le 19 août 2015), en même temps qu’il salue la nouvelle formule du site. (J’en profite, cela s’impose, pour rendre grâce à Sébastien Beuken pour son travail, pour son inspiration, pour sa capacité à trouver ce qu’il faut de “modernisation” nécessaire en évitant le piège de la modernité complète dont il sait bien l’horreur où dedefensa.org la tient, – je veux dire où dde.org tient la modernité... Bref, il fait du beau travail.)

Ce petit mot du principal protagoniste de la chose est aussi pour préciser les plus importantes modalités de cette nouvelle aventure buissonnière de dedefensa.org. Chaque fin de semaine (à partir du 19 septembre), en page d’accueil, dans le cadre du Journal dde.crisis de Philippe Grasset, on trouvera un texte décrivant les principales tendances de la semaine qui vient de s’écouler, telle que perçue par dde.org, notamment au travers de certains de ses articles mis en ligne pendant la période. Cela constituera un texte à part, qui restera affiché tout au long de la semaine, jusqu’à être remplacé par le suivant de la semaine écoulée, – comme Lapalisse lui-même n’aurait su dire mieux, aussi tranchant je veux dire. Le reste sera fait d’interventions de PhG soi-même, c’est-à-dire moi-même il faut bien le révéler, qui porteront sur autant de choses qu’il y a de sujets intéressants dans le monde, qui constitueront un peu mon “école buissonnière”, car l’on est élève à tout âge, et l’on continue toujours à apprendre, toujours et encore, avec le goût de faire part aux autres de ses étonnements, de ses passions, de ses réflexions, jusqu’au bout, sans désemparer.

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