• Parmi les signatures régulières que nous affectionnons et auxquelles nous prêtons grande attention sur le net, il y a celle du russe Dimitri Orlov. • Il est le créateur d’une forme de pensée que l’on pourrait désigner comme une “science de circonstance”, une “science” suscitée par les circonstances même que nous traversons et que nous décrivons et désignons nous-mêmes comme la Grande Crise de l’Effondrement du Système (GCES) : la “collapsologie”, ou “science de l’effondrement”. • Nous pensons que suivre régulièrement ses écrits est d’un intérêt qui rencontre complètement l’orientation de dedefensa.org : cela peut être fait grâce à nos excellents rapports avec Le Sakerfrancophone, qui reprend systématiquement les textes d’Orlov (en général deux par semaine) et les traduit en français. • Avec l’accord du Sakerfrancophone, que nous remercions bien chaleureusement, nous allons donc reprendre les textes d’Orlov dans cette rubrique propre intitulée “Le monde d’Orlov”. • Son fonctionnement est régi par les mêmes règles que celui d’Ouverture Libre mais cette rubrique a désormais une place structurelle dans dedefensa.org. • Le premier texte, une interview d’Orlov par Le Sakerfrancophone du 15 juin 2016, à l’occasion de la sortie en français du livre d’Orlov (Les cinq stades de l’effondrement aux éditions Le retour aux Sources) sert parfaitement de présentation de cet auteur.
La semaine dernière, un articleque j’ai écrit il y a un an, « Les barbares envahissent le cimetière européen », a connu un regain d’intérêt. J’y décrivais comment la dégradation constante des pays occidentaux est accélérée par l’arrivée de migrants issus de groupes ethniques incompatibles. Ce qui a provoqué ce regain d’intérêt, c’est un articlede Paul Craig Roberts dans lequel il a décrit mon essai comme « la nécrologie de l’Europe et de l’Amérique ». Je maintiens tout ce que j’ai écrit – peu importe le nombre de personnes qui ont du mal à l’avaler – mais au cours de l’année écoulée, j’ai fait des recherches qui m’ont aidé à comprendre pourquoi exactement le projet occidental a déraillé, et il s’avère que j’ai beaucoup plus à dire sur ce sujet.
Il y a une tendance médiatique à dénigrer ce qu’on appelle le “déterminisme biologique”. Des facteurs tels que notre sexe biologique (et non notre genre, me direz-vous), notre reproduction (le résultat des pressions environnementales auxquelles notre ascendance a été soumise) et nos réactions et pulsions organiques instinctives (dont notre esprit conscient essaie de rendre compte en créant des histoires fictives et en concoctant des justifications après coup) sont dénigrés.
La nature humaine est traitée comme infiniment malléable et façonnable sous n’importe quelle forme imaginable grâce à l’endoctrinement et à l’éducation. L’instinct maternel de prendre soin des jeunes en toutes circonstances (ou pour toute espèce) et l’instinct paternel de s’opposer aux menaces extérieures et de repousser les agressions extérieures, même au prix de sa propre vie, sont considérés comme résultant du conditionnement social et de rôles sexués fixes et restrictifs, qui sont considérés obsolètes et nuisibles, et non de l’instinct. Lorsque cela se manifeste chez d’autres espèces de mammifères, c’est bien sûr de l’instinct, mais nous ne sommes pas des animaux (c’est du moins ce que nous nous disons). Selon certaines personnes, les seuls comportements instinctifs qui nous sont accordés sont la respiration, la tétée et, bien sûr, la masturbation. Selon eux, c’est le seul comportement où notre nature instinctive doit régner librement. Et c’est, bien sûr, grotesque.
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Il n’y a pas grand-chose à signaler que je n’ai pas déjà signalé. Ce qui se passe est plus ou moins une redite, mais les attitudes semblent avoir changé. Il y a un nouveau développement qu’on désignera “faire les Vrais Gros Yeux” et, à ce rythme, cela pourrait bientôt devenir un sport olympique.
Les États-Unis sont en pilote automatique, en mode de croisière vers l’effondrement, submergés par la dette et politiquement dysfonctionnels, mais toujours en train d’essayer d’intimider le monde. En réponse, le monde s’est mis à faire les gros yeux de manière coordonnée à l’échelle mondiale : les Américains (et/ou leurs mandataires) endommagent certains pétroliers dans le golfe Persique et accusent l’Iran d’avoir fait le coup. Comme cela n’a pas eu l’effet escompté, les Américains (et/ou leurs mandataires) … ont décidé qu’il fallait endommager d’autres pétroliers dans le golfe Persique et blâmer l’Iran – c’est le moment de refaire les gros yeux. Pendant ce temps, il y a beaucoup de navires de la marine américaine qui naviguent dans le golfe Persique, et c’est un signe certain que les hostilités ouvertes avec l’Iran seront évitées parce que ces navires sont très chers, qu’il n’y a pas d’argent pour les remplacer. Étant donné les capacités très avancées en missiles et torpilles diverses de l’Iran, ils sont des cibles faciles.
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Il y a cinq ans, lorsque Angela Merkel – à l’époque leader respecté de la plus grande économie de l’Union européenne – a été interviewée au sujet des plus grands problèmes auxquels le monde était confronté, elle a estimé qu’il s’agissait des trois suivants :
• Annexion de la Crimée par la Russie
• Épidémie d’Ebola
• ISIS en Syrie
Je suis heureux de vous annoncer qu’au cours de la période qui s’est écoulée, les trois problèmes les plus importants auxquels Mme Merkel était confrontée dans le monde ont été résolus et qu’elle peut maintenant prendre sa retraite en paix. Ironiquement, aucun d’entre eux n’a été résolu par elle, son gouvernement, sa nation, l’UE ou l’Occident dans son ensemble.
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Après avoir passé un bon moment à m’émerveiller des résultats des récentes élections du Parlement européen, je suis parvenu à une conclusion quant à l’orientation de tout cela. Dans le passé, le mot anglais “party”avait deux significations distinctes :
• Un rassemblement social d’invités, généralement autour d’un repas, d’une boisson et d’un divertissement ;
• Un groupe politique officiellement constitué, opérant généralement sur une base nationale, qui se présente aux élections et tente de former un gouvernement ou d’y prendre part.
Par le passé, les partis politiques étaient fondés sur une idéologie qui leur permettait de formuler des programmes et des plans d’action. Toutes ces choses étaient discutées au cours de débats au sein des partis et de polémiques entre partis dans la presse. Il s’agissait d’institutions durables, souvent à la limite de l’austère, qui ont persisté pendant des décennies. Les fêtes sociales, d’autre part, étaient des occasions joyeuses où les gens se réunissaient pour essayer de s’impressionner mutuellement par leur esprit, leur style, leur sens de la mode et leurs connaissances, où les discussions politiques animées étaient fortement découragées, et qui ne duraient que très rarement plus de deux semaines et se terminaient souvent le soir même lorsque les invités se séparaient en deux ou trois groupes avant de prendre congé.
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La politique étrangère américaine a toujours eu pour but de détruire tout ce qui n’était pas jugé suffisamment américain et de le remplacer par quelque chose de plus acceptable, surtout si cela permettait aux richesses d’affluer aux États-Unis depuis sa périphérie. Des compromis étaient réservés à l’URSS, mais même là, les Américains essayaient constamment de tricher. Pour tous les autres, il n’y avait que la soumission, habituellement déguisée avec tact, sous des abords positifs, une place à la grande table qui offrait de meilleures chances pour la paix, la prospérité et le développement économique et social.
Bien sûr, il était assez simple de percer ce voile de politesse hypocrite et de souligner que les États-Unis, vivant bien au-dessus de leurs moyens, n’ont réussi à survivre qu’en pillant le reste du monde, mais quiconque osait le faire, était ostracisé, sanctionné, changé de régime, envahi et détruit – quoiqu’il en coûte.
L’establishment américain s’est fâché contre quiconque a osé s’y opposer idéologiquement, mais il a réservé ses formes les plus extrêmes de malice à ceux qui ont osé commettre le péché capital de tenter de vendre du pétrole contre autre chose que des dollars américains. L’Irak a été détruit pour cette même raison, puis la Libye. Avec la Syrie, le géant s’est enlisé et embourbé ; avec l’Iran, il est peu probable qu’il puisse même jamais commencer.
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Avant d’aborder les implications contemporaines très importantes de la théorie de l’ethnogenèse de Gumilëv, j’aimerais présenter, sous forme condensée et sommaire, les données sur lesquelles repose cette théorie. Selon cette théorie, le phénomène biogénétique qui sous-tend toute l’histoire humaine est déclenché deux ou trois fois par millénaire, apparemment de façon aléatoire, et toujours le long d’une bande de quelques centaines de kilomètres de large qui ne couvre qu’un côté de la planète et suit le grand cercle (qui est le plus court chemin entre deux points sur une sphère). Ces bandes sont orientées différemment et se trouvent à l’extérieur du plan du système solaire, ce qui suggère que les rafales de rayonnement mutagène proviennent de l’extérieur du système solaire. Après le bombardement par ce rayonnement d’une population humaine qui se trouve dans la bande étroite, il s’ensuit une période d’incubation de plus d’un siècle au cours de laquelle le gène mutant se répand dans la population ; c’est alors seulement que le spectacle commence.
Tout cela rend le sujet très difficile. Un vulcanologue pourrait être satisfait de la fréquence de deux ou trois événements majeurs par millénaire, mais ne serait pas aussi satisfait de l’absence totale de preuves géologiques ; tout ce qui reste, c’est de l’histoire et de l’archéologie. Un biologiste de l’évolution dirait que quelques milliers d’années, c’est trop peu de temps pour travailler (toute l’histoire de l’humanité tient à peine sur 40 siècles). Et comment un généticien chercherait-il des marqueurs dans le chromosome Y d’hommes morts depuis de nombreux siècles qui sont en corrélation avec le trait de « volonté de mourir pour une cause abstraite » ? Mais ce n’est pas parce qu’une théorie ne peut être attestée sur la base de preuves physiques qu’elle est automatiquement invalidée. Il y a une autre méthode, celle de la prépondérance des preuves circonstancielles, et c’est là que Gumilëv brille vraiment. Il a rassemblé 40 siècles de données historiques et archéologiques en une seule carte qui montre qui a été bombardé par les rayons spatiaux, où et quand, et a discuté des résultats de chacun de ces événements en détail.
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Selon les analyses de beaucoup de commentateurs intelligents et bien informés, une guerre entre les États-Unis et l’Iran pourrait éclater à tout moment. Leur preuve en faveur de ce point de vue consiste en quelques porte-avions américains qui sont censés être en route vers le golfe Persique, que l’Iran a menacé de bloquer en cas d’attaque. Pour ce faire, l’Iran n’aurait pas à faire quoi que ce soit de militaire ; il suffirait que ce pays menace d’attaquer certains pétroliers pour que leur couverture d’assurance soit annulée, les empêchant de charger leur cargaison ou de prendre la mer. Cela bloquerait les livraisons de près des deux tiers de tout le pétrole brut transporté par mer et causerait des dommages économiques vraiment stupéfiants, – si stupéfiants que les économies pétrolières des pays importateurs de pétrole (et même de certains des pays exportateurs de pétrole) pourraient ne jamais s’en remettre.
Examinons d’abord ces quelques éléments de preuve. À mon avis, le fait de voir des porte-avions américains près d’un adversaire potentiel bien armé comme l’Iran, la Chine ou la Russie est une indication très claire qu’il n’y aura aucune escalade militaire. Le calcul ici est simple. Pour être efficace, un porte-avions américain doit se trouver à moins de 500 km des cibles que ses avions vont bombarder. C’est la portée aller-retour typique d’un avion sans ravitaillement en vol. Mais si ledit porte-avions s’approche à moins de 1000 km dudit adversaire potentiel, il peut être coulé à l’aide de toute une série d’armes modernes contre lesquelles il n’a aucune défense. Évidemment, dans de telles circonstances, le commandement du porte-avion évitera de faire quoi que ce soit de provocateur tout en faisant tout son possible pour afficher son absence totale d’intention hostile.
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Nous avons tous tendance à nous laisser berner par une perspective : se rapprocher d’eux fait paraître les objets qui nous sont plus proches relativement plus grands que ceux qui sont plus éloignés. C’est également vrai de l’histoire : notre vision tend à être obstruée par les événements récents, ce qui nous fait accepter comme l’ordre immuable des modèles de création qui peuvent n’être qu’une aberration temporaire et transitoire.
Il n’est pas utile que l’Histoire ne soit généralement qu’un ensemble d’histoires, concernant surtout des personnes remarquables et des événements importants, et pas du tout le genre de données très travaillées et abstraites qui nous permettraient de voir des modèles immuables. Pourtant, ces modèles existent, ils peuvent être perçus en regardant plusieurs milliers d’années d’archives archéologiques et d’histoire collectée, et ils nous en disent long sur ce qui se passe aujourd’hui et sur ce que l’avenir nous réserve probablement. Et la caractéristique la plus frappante de tout cela est que l’histoire est faite d’humains mutants alors que les humains normaux subsistent juste généralement selon ce que la nature et leur environnement local permet, sans laisser beaucoup de traces.
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Certaines ironies sont trop précieuses pour passer inaperçues. Les élections présidentielles américaines de 2016 ont accouché de Donald Trump, une star de la télé-réalité dont le célèbre slogan de son émission The Apprentice était« Vous êtes viré ! » Concentrez-vous sur ce slogan ; c’est tout ce qui est important dans cette histoire. Certaines personnes subissant des troubles du comportement lié à Trump pourraient ne pas être d’accord. C’est parce qu’elles traînent certains malentendus : que les États-Unis sont une démocratie ; ou qu’il importe de savoir qui est président. Ce n’en est pas une et ce n’est pas le cas. À ce stade, le choix du président importe autant que le choix du chef d’orchestre de la fanfare qui joue à bord d’un navire alors qu’il disparaît sous les vagues.
Je n’ai cessé d’insister sur ces points avant que Trump n’entre en fonction. Que vous pensiez ou non que Trump a été élu, il a été élu, d’une manière ou d’une autre, et il y a des raisons de croire que cela avait quelque chose à voir avec son titre racoleur « Vous êtes viré ! », qui est merveilleusement rafraîchissant. Ce qui a motivé les gens à voter pour lui, c’est leur ardent désir que quelqu’un vienne et vire tous les mécréants qui infestent Washington, DC et les régions environnantes. Hélas, cela il ne pouvait pas le faire. Les leaders n’ont jamais le pouvoir de démanteler les établissements politiques qui les installent. Mais cela ne veut pas dire que cela ne peut en aucun cas être fait.
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Une élection présidentielle s’est récemment tenue dans ce pays troublé connu sous le nom d’Ukraine. Certains espèrent que, grâce à l’arrivée d’un nouveau président, l’Ukraine pourra enfin se remettre sur pied, prendre au sérieux la lutte contre la corruption et inverser sa tendance à la misère et au crime. D’autres y voient en quelque sorte une optimisation de l’ordre oligarchique existant : au lieu d’avoir un oligarque (Porochenko) comme président, il est moins cher d’avoir un animal de compagnie personnel (Zelenski) comme président, sinon pourquoi un oligarque qui se respecte (Kolomoiski) devrait s’occuper des élections ?
L’Ukraine est intéressante pour moi parce qu’elle constitue un cas d’effondrement merveilleux : elle s’effondre depuis qu’elle a obtenu son indépendance de l’URSS. C’est un cas curieux, parce que son désordre congénital particulier l’a rendu morbide, et sans un système de survie externe tel que l’URSS (qui a, heureusement, disparu) ou l’Union européenne (bonne chance avec ça !) tout ce que les Ukrainiens sont susceptibles de faire, c’est de cannibaliser leur pays jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Plutôt que de s’effondrer d’un coup (après quoi une reprise est théoriquement possible), ce que nous avons en Ukraine, c’est un effondrement progressif – un épuisement et une paupérisation inexorable et systématique.
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La nouvelle de l’arrestation et de l’emprisonnement de Julian Assange vous est probablement parvenue, mais, au cas où, voici un résumé. Julian Assange est un journaliste australien ; en tant que tel, il est un géant imposant parmi un petit groupe de nains. Googlez “grands journalistes australiens”et vous obtenez son nom à lui et ceux d’un tas de gens dont personne n’a jamais entendu parler, beaucoup d’entre eux étant déjà morts.
C’est aussi un personnage qui compte à l’extérieur de l’Australie. Alors que d’autres journalistes occidentaux tentent de faire plaisir à leurs propriétaires, en vendant de l’espace publicitaire ou pour éviter d’être bannis par l’œil attentif des corporations derrière les médias sociaux, Assange est à la fois courageux et mu par des principes. Par l’intermédiaire de son média Wikileaks, il a dévoilé les sales secrets du Département d’État américain et les crimes de guerre du Pentagone, les méfaits des entreprises et la corruption politique, permettant à tous de voir le linge sale de nombreuses personnes influentes et puissantes. Cela a fait de lui une cause célèbre : Le magazine Time l’a proclamé Homme de l’année et il a reçu des prix sur le thème des droits de l’homme, nageant dans le même panthéon que Nelson Mandela et le Dalaï Lama. Mais les vicissitudes de la fortune sont telles qu’il est maintenant martyrisé, victime de la vérité, injustement accusé et persécuté par une race de menteurs invétérés.
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Le Saker-US : Comment évalueriez-vous la situation actuelle en Ukraine en termes d’effondrement social, économique et politique ?
Dimitri Orlov : L’Ukraine n’a jamais été viable en tant qu’État indépendant et souverain ; on peut donc s’attendre à sa désintégration. La pertinence du concept d’effondrement repose sur l’existence d’une entité autonome, intacte et capable de s’effondrer, ce qui n’est absolument pas le cas avec l’Ukraine. Jamais au cours de son histoire, elle n’a été en mesure de rester une entité souveraine stable et autonome. Dès qu’elle a acquis son indépendance, elle est tombée. Tout comme les pays baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – elle avait atteint son apogée en matière de développement économique et social au moment même où l’URSS était sur le point de s’effondrer. Depuis, elle dégénère et perd sa population. Ainsi, le bon modèle pour en discuter n’est pas celui de l’effondrement soudain, mais celui de la dégénérescence et du déclin continus.
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Le père d’une de mes vielles amies était à un moment donné un peu comme un guerrier de la Guerre froide : il a fait une chose ou l’autre pour l’establishment de défense américain – lié à un sous-marin nucléaire, si je me souviens bien. Cette activité professionnelle l’a apparemment conduit à développer une forme particulièrement virulente de russophobie ; pas tant une phobie qu’une aversion prononcée pour tout ce qui est russe. Selon mon amie, son père parlait compulsivement de la Russie en des termes trop négatifs. Il éternuait aussi beaucoup (allergies, peut-être), et elle disait qu’il lui était souvent difficile de distinguer ses éternuements de son utilisation du mot “Russie” comme explétif. Mais peut-être qu’elle essayait de faire une distinction d’une équivalence : son père était allergique à la Russie, son allergie l’a beaucoup fait éternuer et lui a aussi fait développer une touche de syndrome de Tourette, ainsi ses éternuements sont sortis en sonnant comme “Russie !”
Qu’est-ce qui l’a poussé à développer une telle vision maladive de la Russie ? La raison est facile à deviner : son activité professionnelle au nom du gouvernement l’a forcé à se concentrer sur ce que ses supérieurs qualifiait de “menace russe”. Un peu développé, il s’avérerait sans doute que ce que la Russie menaçait, c’était la fiction d’une supériorité militaire écrasante que les Américains avaient créée eux-mêmes. Contrairement aux États-Unis, qui avaient élaboré un certain nombre de plans pour détruire l’Union soviétique (dont rien n’est jamais sorti à cause de ce manque de supériorité militaire écrasante), l’Union soviétique n’avait jamais élaboré de tels plans. Et c’était tout à fait exaspérant pour certaines personnes aux États-Unis. Était-ce vraiment nécessaire ou s’agissait-il d’un accident ?
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C’est certainement ce que ce pays semble faire, et le rythme s’accélère. Le fait d’avoir passé les trois dernières semaines dans un endroit discret, loin d’Internet, m’a permis d’observer l’augmentation de la montée des eaux dans les cales. Il y avait du Wifi à l’aéroport et j’ai téléchargé trois semaines d’articles que j’ai lus pendant le long vol vers la civilisation. Ce que j’ai lu a été un peu choquant, surtout après trois semaines de surf, d’oiseaux de mer, de crabes en ballade et de gens heureux et amicaux qui ne perdaient pas leur temps à se soucier des États-Unis.
Depuis quelque temps, les gens me disent que je devrais regarder le film Idiocratieparce qu’il montre ce que les États-Unis sont en train de devenir. Eh bien, je ne suis pas sûr qu’un film sur l’idiotie puisse éviter de devenir idiot, alors je vais passer mon tour, mais il y a une augmentation certaine du niveau de stupidité affiché par ceux qui font partie de l’establishment américain. Cela ne devrait pas être une surprise ; après tout, pourquoi quelqu’un qui possède de la sagesse et de l’intégrité voudrait-il avoir quelque chose à voir avec ce truc en ce moment ? Des sommets de stupidité – si stupides qu’on se fait du tort rien qu’en les regardant – sont tout autour de nous en ce moment. Permettez-moi d’en souligner quelques-uns parmi les plus importants.
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Les capitalistes détestent-ils le socialisme ? Si vous lisez certaines publications capitalistes – qui sont presque toutes des publications privées, plus toutes les publications financées par le gouvernement – à moins que le gouvernement ne soit un gouvernement socialiste vous en sortez inévitablement en pensant que le socialisme est quelque chose de mauvais. Les raisons invoquées pour expliquer cette situation varient : le socialisme donne de mauvais résultats économiques ; le socialisme produit de graves effets moraux ; le socialisme finit par échouer. Rien de tout cela n’est convaincant. Le capitalisme est tout à fait capable de produire des résultats économiques inférieurs aussi et, en regardant autour de la planète, il le fait avec une certaine régularité. Le capitalisme produit un effet moral catastrophique, – faire passer l’argent et la propriété avant les gens – plus grave et plus socialement destructif que tous ceux créés par le socialisme. Et même si les régimes socialistes finissent par s’effondrer, il en va de même pour tous les régimes capitalistes, car rien ne dure éternellement. Ce ne sont évidemment pas les vraies raisons. Quelle est la vraie raison ?
Eh bien, ça pourrait être aussi simple que ça : les capitalistes détestent le socialisme parce qu’il n’est pas capitaliste. Par conséquent, il ne donne pas la priorité aux souhaits des capitalistes – pour accumuler une richesse et un contrôle illimités, pour créer des élites financièrement corrompues et prêtes à perpétuer des systèmes de gouvernance oligarchiques, pour ignorer les besoins sociaux et pour traiter la population comme une ressource naturelle à exploiter à des fins privées... – en oubliant les souhaits ou les besoins de la population.
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Au cours de mes voyages, je revisite parfois des endroits où j’ai eu des connaissances, et il est toujours tentant d’aller les voir et de leur rendre visite en cours de route, même si je suis certain qu’entre-temps elles ont dégénéré à un point tel qu’elles ne sont plus adaptées comme simple compagnie. Un de mes parents éloignés a toujours insisté sur le fait que « les choses peuvent toujours être pires », et cette idée semble avoir infecté mon esprit comme un parasite du cerveau. Au lieu de l’accepter simplement comme axiomatique, je me consacré à des missions dangereuses juste pour confirmer que pour tout facteur négatif “n” il y a toujours un “n-1”. Mais alors je ne suis guère le seul : la curiosité morbide est à la fois courante et populaire. Beaucoup de gens aiment apprendre des choses qui sont vraiment mauvaises, et quand elles le sont, ils se demandent : “À quel point le sont-elles vraiment ?”
Il y a quelque temps, mes voyages m’ont emmené dans une ville médiévale de la Nouvelle-Angleterre qui était autrefois un endroit très prospère. Elle possédait une usine de textile qui fournissait un bon travail stable à tous les habitants de la région, mais depuis lors, la production textile s’est déplacée au Pakistan. La maison que j’ai visité était autrefois un logement ouvrier : l’ouvrier travaillait à l’usine textile et subvenait aux besoins de toute la famille tandis que sa femme, peut-être avec les parents et les beaux-parents, restait à la maison, prenait soin des enfants et cultivait peut-être un peu de nourriture. Ce fut à l’époque une demeure modeste mais bien tenue, bardée de planches à clins peintes et décorées d’un peu de dentelle. Elle donnait sur une rue bordée d’arbres avec un parc, des jardins potagers de l’autre côté ; des tramways longeant la rue, des diligences et des calèches passant périodiquement sur la chaussée pavée avec ce bruit de sabot si caractéristique.
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Un article que j’ai publié il y a près de cinq ans, « Poutine aux élites occidentales : Le temps de jouer est terminé », s’est avéré être la chose la plus populaire que j’ai écrite jusqu’à présent, ayant recueilli plus de 200 000 lectures au cours des années qui ont suivi. J’y écrivais sur le discours de Poutine à la conférence du Valdai Club en 2014. Dans ce discours, il définissait les nouvelles règles selon lesquelles la Russie mène sa politique étrangère : ouvertement, à la vue de tous, en tant que nation souveraine parmi d’autres nations souveraines, affirmant ses intérêts nationaux et exigeant d’être traitée en égale. Une fois de plus, les élites occidentales ne l’ont pas écouté. Au lieu d’une coopération mutuellement bénéfique, elles ont continué à parler un langage fait d’accusations vides de sens et de sanctions contre-productives tout autant qu’inoffensives. Ainsi, dans son discours [du 20 février] à l’Assemblée Nationale de Russie, Poutine a fait preuve d’un dédain et d’un mépris total pour ses “partenaires occidentaux”, comme il les appelle habituellement. Cette fois, il les a traité de “pourceaux”.
Ce discours annuel du président est une affaire d’importance. L’Assemblée Nationale de Russie n’a rien à voir avec, par exemple, celle du Venezuela qui n’est en réalité qu’une non-entité obscure du nom de Juan enregistrant des vidéos Youtube dans son appartement. En Russie, le discours rassemble un who’s-who de la politique russe, y compris des ministres, des membres du personnel du Kremlin, du Parlement (Douma d’État), des gouverneurs régionaux, des chefs d’entreprises et des experts politiques, ainsi qu’une foule énorme de journalistes. L’un des points saillants de l’allocution de cette année a été le niveau de tension très élevé dans la salle: l’atmosphère semblait chargée d’électricité.
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La liberté d’expression est une valeur plutôt importante. Si les gens ne se sentent pas libres d’exprimer leurs pensées, alors tout ce qu’ils peuvent faire, c’est répéter sans cesse ce qui a été dit auparavant, créant une chambre d’écho qu’aucune nouvelle compréhension ne pourra jamais pénétrer. Ce qu’ils répètent peut avoir été un tissu de mensonges dès l’origine, ou peut avoir été vrai ou pertinent à un instant T, mais avec le temps, être devenu désuet et aussi bon qu’un mensonge.
Le mensonge engendre l’ignorance. L’ignorance engendre la peur. La peur engendre la haine. Et la haine engendre la violence. La capacité de dire ce que nous pensons et d’écouter les autres – même ceux que l’on dit être nos ennemis – est ce qui nous sépare des bêtes sauvages. Dépouillons-nous de ce droit et, aussi sûr que la pluie tombe, nous dégénérons en sous-hommes qui s’agrippent au sol, hurlant à la lune et mangeant de la chair humaine crue… ou quelque chose comme ça.
La pratique de la liberté d’expression est un art assez exigeant. Le simple fait de pouvoir émettre des sons intelligibles avec la bouche ou d’appuyer sur le clavier d’une manière qui plaît au correcteur orthographique ne fait pas de vous un praticien expert de la liberté d’expression, pas plus que la capacité de se lever de sa chaise et d’aller aux toilettes ne fait de vous une danseuse de ballet. La liberté d’expression englobe l’expression des faits et des opinions. Les faits ne peuvent pas être faux, ou vous pouvez être accusé de diffamation ou de diffusion de désinformation. L’opinion ne peut être pas incendiaire, ou vous pouvez être accusé de porter atteinte à l’ordre public.
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Au cours des derniers mois, je me suis plongé dans la technologie nucléaire afin de comprendre ses implications pour l’avenir de l’énergie. C’est un sujet important parce que l’avenir de l’énergie est l’avenir de la civilisation : si l’énergie fossile ne peut être remplacée par une autre énergie, il n’y aura plus de civilisation. Le retour à la combustion du bois de chauffage signifiera simplement qu’il n’y aura plus d’arbres non plus. Si vous pensez que les éoliennes et les panneaux solaires sont la solution, non : ils ne peuvent être construits ou entretenus sans combustibles fossiles.
C’est un sujet assez difficile à aborder en raison de toute la confusion semée par les différents “négationnismes” : négationnistes du pic pétrolier, négationnistes du changement climatique, négationnistes de la dette… Il y a aussi de vains espoirs semés par des technophiles qui pensent que la fusion nucléaire est proche d’aboutir ou qui rêvent de miroirs géants dans l’espace, d’une économie basée sur l’hydrogène ou d’autres technologies qui n’existent pas encore. Pour faciliter la discussion sur ce sujet, je formulerai certaines hypothèses. Je suppose que la technologie inexistante… n’existe pas, donc il n’y a rien à discuter. Veuillez emmener vos réacteurs à fusion, vos réacteurs au thorium, vos miroirs spatiaux et vos moteurs magiques à mouvement perpétuel ailleurs. Je ne m’intéresse qu’aux technologies existantes et éprouvées qui peuvent être mises à l’échelle.
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Le 1er mars 2018, le monde a appris l’existence des nouveaux systèmes d’armes de la Russie, qui seraient fondés sur de nouveaux principes physiques. S’adressant à l’Assemblée fédérale, M. Poutine a expliqué comment ils en étaient arrivés là : en 2002, les États-Unis se sont retirés du Traité sur les missiles antibalistiques. À l’époque, les Russes ont déclaré qu’ils seraient forcés de répondre, et on leur a essentiellement dit “Faites ce que vous voulez”.
Et c’est ce qu’ils ont fait, développant de nouvelles armes qu’aucun système de missiles anti-missiles balistiques ne pourra jamais espérer arrêter. Parmi les nouvelles armes russes, il y en a une qui est déjà en service dans des unités de combat (Kinzhal), une qui est en cours de préparation pour sa production en masse (Avangard) et plusieurs qui sont actuellement testées (Poséidon, Burevestnik, Peresvet, Sarmat). Leurs caractéristiques, brièvement, sont les suivantes :
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