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• Les Carnets de Nicolas Bonnal sont tenus par l'écrivain, essayiste et commentateur dont on peut trouver une présentation dans le Journal-dde.crisis de Philippe Grasset, le 2 octobre 2016. • Les livres de Nicolas Bonnal sont disponibles sur sa page Kindle/Amazon à l'adresse URL suivante:
La vieille dame transie européenne rêve donc d’écraser comme en 1941 l’Amérique et la Russie et se suicide une nouvelle fois (voyez encore le livre de Laurent Guyénot sur la malédiction papale) pour comprendre) en se pendant au premier joueur de bite venu, le nommé Zelenski. On ne sent aucune opposition autre que minoritaire poindre dans le vieil incontinent et on se demande si on rêve. Non, on fait on vit dans un continent zombi depuis longtemps, fils de Kafka, de Kubin et de Céline (autre auteur fantastique), et on ne fait qu’attendre la fin de la pièce. La société mortifère décrite par Chateaubriand après 1815 finira bien par crever et on laisse de vraies grandes puissances, l’Amérique ou la Russie, le soin de remodeler le monde, même si le résultat n’est ni brillant ni ragoutant.
Une nouvelle fois le cinéma permet de bien saisir les choses. L’Europe est depuis longtemps, depuis très longtemps même la terre de la prostration en matière de cinéma. On aime l’ennui, l’existentialisme, le sexe cheap, la bonne déprime, la pleurnicherie humanitaire, bref on se plonge dans le « qu’est-ce qu’on peut faire ? » du Pierrot le fou de Godard quand la gourde Karina arrive au bord de l’amer et commence à casser les pieds à son Jules.
Dans les années soixante Raymond Aron, toujours aussi peu inspiré, avait publié un pensum universitaire de plus (les livres universitaires sont ceux qui vieillissent le plus vite dans l’Histoire, n’en ayant jamais fait partie) intitulé Plaidoyer pour l’Europe décadente. Mais ayant matériellement récupéré de la guerre, l’Europe était déjà moribonde sur le plan humain, culturel, philosophique : on relira avec intérêt Chevaucher le Tigre et l’Arc et la Massue de Julius Evola pour s’en rendre compte.
A cette époque on a le cinéma d’Antonioni qui en inspira beaucoup d’autres. Prenons Blow up qui montre un Londres décadent, gauchiste, drogué, hagard, vide, politiquement correct, débauché, rocker et ennuyé. Une histoire encore plus ennuyeuse nous retient pendant une heure et demie. C’est l’époque où la cinéphilie qui était un émerveillement durant l’âge d’or hollywoodien (voyez mes livres !) devient une corvée : j’ai donné dans ma jeunesse.
(Suite)
Boris Vian traducteur de Marlowe et de Chandler écrit après la guerre quatre parodies de romans noir : le plus connu est le plus mauvais, J’irai cracher sur vos tombes. Le meilleur est Et on tuera tous les affreux, ouvrage méconnu qui pastiche plusieurs genres : le film d’aventures dans les îles, le porno, le roman noir et la SF.
Rappel : dans une île perdue du Pacifique un savant fou nazi nommé Schutz (et non Schwab) « fabrique » du vivant et des stars et surtout des politiciens pour diriger le monde. Parodie géniale de roman noir, d’érotisme et de SF surtout, Et on tuera tous les affreux annonce notre futur…
(Suite)
Rebelote avec Jean Parvulesco et le cinéma qui loin de sa marotte était sa Fin ultime : voyez son texte sur David Lynch, le cinéma comme révélation et comme dévoilement de ce monde... Je rappelle qu’il fut émerveillé par Eyes Wide Shut, dernier film du monde, qui annonçait notre post-monde (élites hostiles folles et génocidaires, masse complice et aveugle) : il découvrait Kubrick.
Mais parlons de la Nouvelle Vague. Moi aussi elle me rendit prodigieusement nostalgique, comme s’il s’était agi d’une époque, les sixties, d’ailleurs assez agréable à vivre, et où l’on touchait du doigt le cinéma via la cinéphilie, ce culte nouveau mais bref. Tout s’effondra dans les années 70, assez brutalement je dois dire : mai 68, France défigurée, pornographie, télé, bagnole, gauchisme, crise du pétrole, destruction de Paris : voir notre texte sur Mattelart car cette destruction se fit sur ordre US.
Fin 1998. Nous sommes à Paris à la Rotonde. Comme toujours Jean est arrivé en avance. Il me dit tout joyeux qu’il allait se faire éreinter dans la revue 1895 (voyez le film de la femme de Coppola, un étrange voyage vers Paris, une traversée de la France en cabriolet 504, et qui passe par une curieuse visite au musée du cinéma à Lyon) par une certaine universitaire nommée Hélène Liogier : du temps de sa jeunesse folle Parvulesco avait écrit dans une revue de droite espagnole que la nouvelle vague était « fasciste. » Rappelons d’abord que si ce mot est une insulte fourre-tout pour la gauche, il est un vocable fourre-tout pour une certaine droite !
Le texte était évidemment enflammé et hyperbolique, bien dans son style. Il était surtout attrape-tout. Il est évident que ce petit monde qui fut acheté ensuite par les subventions de la culture et de Jack Lang n’allait pas rester longtemps provocateur : il attendait sa retraite sur fond de Kali Yuga français (voyez l’excellent Rebelle de Gérard Blain, acteur de Howard Hawks tout de même, qui exprime le désespoir de cette fin des années Giscard).
(Suite)
J’ai déjà insisté sur Booth Tarkington, romancier essentiel et oublié, rendu célèbre par le « gauchiste-progressiste » Orson Welles dans la Splendeur des Amberson – Welles le met au-dessus de Mark Twain. « Sous la rude écorce de marin se cache une âme de grand enfant un peu naïf », dit génialement la Castafiore de son capitaine Haddock : ici c’est la même chose, et c’est un peu comme avec Trump qui caricature brutalement le message. On aime rêver de l’Amérique jadis grande, qu’on ne sait comment définir du reste. Certains la voient impuissante avec le temps, d’autres la regrettent innocente (découvrez l’école picturale de Hudson). Le slogan MAGA est écrit tel quel dans Taxi driver : car l’homme politique que veut tuer Robert de Niro fait déjà de la nostalgie et du Trump. On a vu ici que même Fenimore Cooper faisait de la nostalgie et regrettait le bon vieux temps qui passe et les invasions européennes à forte connotation socialiste (revoir Tocqueville).
Mais voilà que le prince Orson Welles vient à ma rescousse : il ne s’en cache pas de cette nostalgie des origines qui nous enchanta avec Mircea Eliade (professeur à Chicago et donc voisin relatif du natif du Wisconsin), nous qui n’avons pas connu le monde d’avant la merde – un peu en Tunisie, le monde d’avant la technologie, les machines et les services comme on dit, revoyez Farrebique pour comprendre. On sait que dans Apocalypse now (Welles rêva d’adapter le récit de Conrad Heart of Darkness avant la paire Coppola-Milius) le colonel Kurtz (sublime Brando pendant quelques secondes) évoque cette descente de la rivière Ohio, et cette plantation de gardénias qui lui rappelle l’âge d’or et le paradis, « sous forme de gardénias ». On sait du reste que Trump dans sa tentation néo-païenne évidente (on en reparlera) a célébré un âge d’or à sa façon dans sa cérémonie d’inauguration. On n’en a pas fini avec Trump : la vraie révolution politique, c’est le retour aux origines. Ses gardes du corps vont avoir du boulot.
(Suite)
Un génie visionnaire apparaît en Allemagne au moment de la révolution française et de l’étrange épopée napoléonienne ; il y a Beethoven, les poètes, tous les philosophes et toutes ces visions des grecs et du déclin occidental : pensez à Hölderlin, Hegel, Novalis, à Humboldt, à une dizaine d’autres. Une génération miraculeuse : car après Nietzsche et Heidegger seront bien seuls, sinon en tant que philosophes du moins en tant qu’allemands. La grandeur allemande fut d’avoir perçu avant les héritiers aristocratiques Français (Tocqueville, Chateaubriand, Vigny même) la chute de notre civilisation devenue trop technique et administrée : il lui aurait fallu retomber à l’état naturel ou remanger de l’arbre de connaissance (wieder von dem Baum der Erkenntniß essen), comme dit Kleist dans son texte sublime sur le théâtre des marionnettes qui annonce notre bouffon transhumanisme. Et le sibyllin Hölderlin pleure lui « les dieux qui sont peut-être passés dans un autre monde.»
J’ai évoqué les textes où Goethe, surtout dans ses entretiens avec Eckermann, évoque le déclin de la force vitale chez nos hommes occidentaux devenus modernes. Je rappelle deux brefs extraits pour rafraîchir la mémoire à mes lecteurs les plus attentifs.
Le premier sur les unités administratives et économiques :
« …si l’on croit que l’unité de l’Allemagne consiste à en faire un seul énorme empire avec une seule grande capitale, si l’on pense que l’existence de cette grande capitale contribue au bien-être de la masse du peuple et au développement des grands talents, on est dans l’erreur. »
Le deuxième sur le déclin de la poésie vitale :
« Et puis la vie elle-même, pendant ces misérables derniers siècles, qu’est-elle devenue ? Quel affaiblissement, quelle débilité, où voyons-nous une nature originale, sans déguisement ? Où est l’homme assez énergique pour être vrai et pour se montrer ce qu’il est ? Cela réagit sur les poètes ; il faut aujourd’hui qu’ils trouvent tout en eux-mêmes, puisqu’ils ne peuvent plus rien trouver autour d’eux. »
(Suite)
On va parler de Spengler mais je voudrais faire quelques rappels pour expliquer pourquoi les Européens sont morts depuis longtemps. Nietzsche en a parlé, et Yockey et Drieu…
Dans mon recueil sur les penseurs allemands j’ai souligné cette haine et cette peur du monde moderne et de la catastrophe qu’il amène ; on les retrouve chez tous les grands penseurs allemands ou autrichiens, y compris les juifs.
Dans son petit texte sur la guerre, voici ce Freud écrit sur la culture :=
« Et voici ce que j’ajoute : depuis des temps immémoriaux, l’humanité subit le phénomène du développement de la culture (d’aucuns préfèrent, je le sais, user ici du terme de civilisation.) C’est à ce phénomène que nous devons le meilleur de ce dont nous sommes faits et une bonne part de ce dont nous souffrons. Ses causes et ses origines sont obscures, son aboutissement est incertain, et quelques-uns de ses caractères sont aisément discernables.
Voici les conséquences de ce développement culturel si nocif à certains égards, et auxquelles nos élites actuelles se consacrent grandement :
Peut-être conduit-il à l’extinction du genre humain, car il nuit par plus d’un côté à la fonction sexuelle, et actuellement déjà les races incultes et les couches arriérées de la population s’accroissent dans de plus fortes proportions que les catégories raffinées.
Goethe lui rêvait déjà du paysan, pas encore trop pollué par la civilisation :
(Suite)
Il y a quelques mois Glenn Diesen parlait de cet occident qui vivait sans honte et sans humiliation. A ce jeu il ne reste que l’Europe : comme à l’époque nazie, mais toujours dirigée par des Allemands (Schwab, Leyen, BCE-Francfort, Scholz, en attendant Merz que Vance va essayer de briefer cette semaine), l’Europe se retrouve contre l’Amérique et la Russie, et dans une position matérielle et surtout morale toujours aussi inadmissible : elle est criminellement liée aux nazis de Kiev depuis son non-respect des accords de Minsk, et comme les nazis elle cherche à détruire ses propres populations avec une dictature bureaucratique abominable, des vers et des cafards dans les assiettes, une presse de propagande comme au temps de Goebbels (et ce dans tous les pays), des vaccins meurtriers obligatoires, un racisme à rebours pratiqué contre des populations blanches vieillies, avilies et avachies, et un pataquès de mesures wokistes qui évoquent les personnages nazis sexuellement détraqués des films de Luchino Visconti. Fermez le ban ou plutôt ne le fermez pas, car on n’est pas sortis de l’auberge. Désarmée et désindustrialisée, privée d’énergie et de sens commun (pour parler comme Donald), nos euro-nazillons veulent toujours l’anéantissement de la Russie comme le 22 juin 41 et maintenant désirent suivre le reptilien fils Barrot et occuper le Groenland pour anéantir au nucléaire l’ennemi ricain.
J’avais rappelé que dans notre Europe nazie 2.0 (ce Villepin qui ose parler de cette Amérique qui se moque du monde !) tout le monde déteste Trump comme tout le monde déteste Poutine. Les médias-BHL ont constamment travaillé à cela depuis les années Obama et même avant, et on est placés en France pour savoir que depuis les années Mitterrand, la gauche social-démocrate et le centrisme catho-bourgeois-cabri s’allient pour créer une nomenklatura génocidaire européenne et un troupeau de moutons qui a progressivement tout accepté : vivre sans eau, sans énergie, sans bagnole mais surtout pas sans vaccin et sans propagande. Comme dans les années quarante finalement. Le culte de la personnalité imposé par des médias fonctionnarisés fait le reste. En Amérique, on a une tradition d’information libertaire, survivaliste, antiétatique, antisocialiste, en Europe non. Donc on suit le train fou jusqu’à la mort.
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Entre Spartacus, héros communiste (et excellent ballet), 2001 et les cosmonautes russes (dirigés par des femmes) et l’argot russe des voyous d’orange mécanique – sans oublier bien sûr la Lolita de Nabokov ou Dr Folamour – Kubrick semble obsédé par les russes – et pas négativement. En musique aussi : pensons à Chostakovitch (EWS), à Khatchaturian (2001)…
Citons notre livre sur Kubrick alors pour balayer le problème et offrir quelques pistes de réflexion. On n’évoquera pas son frère Raoul membre du parti communiste…
Kubrick et les russes. En voilà une question pour le directeur de Folamour ! Mais commençons par le Commencement, par 2001, qui aurait des origines …russes.
Nous avons évoqué Solaris, un des plus célèbres et élitistes films de science-fiction du monde. Cela pose la question soviétique et Dieu disait qu’elle se pose dans le monde de Kubrick, surtout au cœur des années soixante ! Kubrick filme Spartacus, Folamour, il adapte un grand auteur russe dans Lolita,
Kubrick filme l’argot russe dans Orange mécanique, Kubrick enfin organise une importante rencontre avec des savants russes dans 2001 ; et ces derniers ne sont pas le moins du monde tournés en ridicule, ils sont juste privés d’information comme dans tout le monde dans ce film finalement habité par la conspiration. La science-fiction s’étant surtout développée dans un contexte de guerre froide, et la conquête spatiale aussi finalement (elle a pris fin avec la guerre des étoiles du président Reagan,
aussi farcesque que le film du même nom !), il nous semble important de reposer la question russe – d’autant qu’à l’époque les russes multiplient les films spatiaux.
La SF des empires, des jeux vidéo, des super-héros et des jeux galactiques n’étant pas celle de Kubrick, d’où pouvait venir son modèle ?
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L’Europe se retrouve soumise à une dictature technocratique et socialiste, mais aussi à une dictature de « manipulateurs de symboles » (Robert Reich) qui usent de l’informatique pour réordonner le monde un peu comme la théologie fut usée jadis. Voyons quel inspirateur peut nous expliquer ce projet.
Je j’ai rencontré en 1984-85 quand je découvrais joyeusement ces thèmes. D’un manière amusante, cet écrivain collaborateur, extrémiste (comme tous les anciens socialos) pendant la guerre, marginal, trempé d’ésotérisme, de sexualisme, de socialisme, d’européisme et de « communisme sacerdotal », ancien précepteur du fils Mitterrand, et tireur de cartes pour les filles de Mme Claude (ne le niez pas, je les ai vues) dans son studio de la rue des Bauches (sic) face au cimetière de Passy, a titillé mes souvenirs récemment ; car tout comme son disciple et ami Parvulesco, Abellio (alias Georges Soulès), était un partisan enjoué des grandes phrases, de romans du huitième jour (j’en écrivais alors…), des grandes constructions, de la métapolitique européenne et de la néo-grande synthèse hermétique post-guénonienne.
On n’en parle plus beaucoup d’Abellio. Il a fatigué son monde comme tous les ésotéristes (René Guénon n’est finalement qu’un historien décalé de la pensée comme Barzun ; son symbolisme peu chrétien de la croix et ses états multiples de l’être font fuir tout le monde, sauf la poignée résiduelle de cinglés propre à toute secte). Mais je suis tombé sur ces lignes d’un site plus vulgarisateur que mes propos, et qui vont j’espère rappeler quelques bons souvenirs à certains :
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Je dirais que la correspondance de Flaubert est le plus grand livre du monde moderne, devant même le Zarathoustra de Nietzsche, et qu’il est gratuit, à télécharger en plusieurs volumes sur le site Gallica de la bibliothèque nationale, dont on saluera le travail. Il y a des milliers de pages, alors perdez-vous y. Flaubert a compris le désastre impérial de Napoléon III, désastre métaphysique et moral avant tout.
En 1853 il écrivait déjà à Louise Colet cette sentence définitive sur notre modernité désastreuse et notre présent permanent :
« 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. »
Ceci on a pu descendre plus bas, notamment en 1870, en 1940, en 1968, ou sous le binôme Macron-Hollande. Comme dit un ami nommé Sylvain, et prof d’informatique dans une fac privée américaine (essayez, cela ouvre l’esprit) : « en France quand on touche le fond on creuse encore ».
Mais voyons 1870. J’en ai parlé citant Maxime du Camp (qui souligne la légèreté française face au sérieux prussien) ou Renan (qui vaticine une victoire russe après celle allemande en Europe). 1870 ouvre la porte de la rapide décadence matérielle, morale et culturelle de la France, jadis modèle et âme de cette Europe. La république sera pire que l’empire, et le bilan de la troisième république fut à tous égards désastreux, y compris sur le plan moral avec entre autres les crimes du colonialisme inutile.
1870… L’époque est déjà assez nihiliste et Flaubert écrit du reste :
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Quelqu'un a dit un jour : "Le cinéma c'est Gary Cooper à cheval." Pour nous, le cinéma c'est Gary Cooper tout court, et j'espère le montrer en quelques lignes. De tous les acteurs de l'âge d'or, Cooper est le plus complet, bien plus par exemple que John Wayne ou Cary Grant. Seuls peuvent lui être comparés Gregory Peck ou Kirk Douglas, mais il les écrase. Gary Cooper incarne l'homme parfait, le père idéal (et non le gendre), on ne l'imagine pas commettre un acte mauvais. Il est ce château de pureté dont parle Mallarmé, cet Igitur rejeton des anciennes lignées que pleurent Villiers, Wilde ou Lovecraft. Ce n’est pas un hasard si Henry Hathaway, le plus sous-estimé des Maîtres, fut un aristocrate européen et même belge. C’est sans doute aussi le meilleur œil du cinéma. Personne ne filma l’Afrique ou le Mexique comme lui.
1935 : en quelques mois, Henry Hathaway, de son vrai nom marquis Henri Léonard de Fiennes donc, dirige Gary Cooper dans les deux plus beaux films du cinéma : les Trois Lanciers du Bengale et Peter Ibbetson, inspiré du roman rebelle et anar de George du Maurier, lui aussi d'origine française (à cette époque, comme disait Nietzsche, tout ce qui était d'essence aristocratique était d'origine française).
Les Trois Lanciers du Bengale (film préféré d’Hitler, dit-on, et on comprend vite pourquoi), écrit par un Francis Yeats-Brown, écrivain proche d’Oswald Mosley, sont le plus beau film de guerre de tous les temps, qui évoque en outre la guerre éternelle contre des musulmans alliés aux russes (Kipling…) et commandés par un chef afghan, Mohammed Khan (qui a dit que l'histoire ne se répétait pas ?). Cooper incarne un saint à cheval, un vrai templier qui veut à tout prix sauver le fils inexpérimenté de son colonel désespérément british. La camaraderie militaire, pour ceux qui l'ont connue, est sans égale. On l'a faite disparaître d'ailleurs. La scène centrale du film est d'une portée symbolique incroyable : la chasse au sanglier, animal druidique entre tous, pig-picking en anglais, qui constitue bien sûr dans ce cadre précis une insulte aux musulmans (la révolte des Cipayes n'est pas loin). La chasse au sanglier, comme celle à l'ours ou au cerf, a toujours eu une portée royale, alchimique presque. Quant à la fin du film, elle est tout simplement géniale : Cooper va se sacrifier, et il doit lancer une fusée pour faire sauter le dépôt de munitions ; il lui faut un mot pour sauver le monde. Et il le trouve : Poésie. Il lance et il meurt. Le film vaut aussi pour l'interprétation de l’irrésistible Franchot Tone, lui d'origine française.
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On a la tyrannie européenne (avec l’euro tout sera terminé), la guerre, le terrorisme climatique, l’invasion migratoire, on a et tout ce que la masse réclame c’est plus de censure ici, ou de lutte contre Trump et Poutine et Elon Musk là-bas. Revenons à Bernanos alors, qui croyait avoir tout vu et tout subi en 1945.
Bernanos avait rêvé au début juste après la Libération, et ça donne la légendaire France contre les robots, livre dépassé un an ou deux après. Le grand esprit déchante vite (« votre place est parmi nous ! » lui chantait de Gaulle qui part vite aussi) et cela donne ensuite les prodigieuses conférences de « la Liberté, pour quoi faire ? », où le grand esprit pragmatique et non visionnaire remet tout le monde à sa place : la démocratie vaut les dictatures et le christianisme est crevé, surtout celui qui veut se moderniser. On relira mon texte fondamental (je pèse mes mots, car on est en enfer, on y est vraiment) sur Bruckberger qui va plus loin que Bernanos quand il découvre que l’Inquisition est la source et le prototype des méthodes totalitaires modernes. Les chrétiens via Leyen, Barnier ou Bayrou sont aujourd’hui aux avant-postes du terrorisme néo béni par Bergoglio.
On commence par « cette masse affreusement disponible » qui vote pour l’Europe, pour Macron-antifasciste-républicain-humaniste, pour la guerre, pour le vaccin, pour l’Europe, pour l’Otan, pour le mondialisme, pour le Grand Reset, pour le totalitarisme informatique, pour tout.
Or cette masse bascule de Pétain à de Gaulle comme cela, par mouvement mécanique, par mouvement de balancier ; et Bernanos écrit donc :
(Suite)
David Lynch est mort et il ne tournait plus depuis dix-sept ans. Les larmes de crocodile des uns (dont Spielberg) ne doivent pas nous faire oublier l’avarice des autres : qui a cessé en effet de le financer, et sur quel ordre ? Ce n’est certes pas parce que ses films ne rapportaient rien, malgré leur dimension de film-culte qui ne concernait qu’une chapelle peu éclairée. On a sciemment laissé crever son cinéma. D’un autre côté j’ai assez fréquenté Kubrick pour savoir qu’un long silence au cinéma est parfois préférable à une myriade d’opus ratés. Perte d’inspiration, disent les idiots ? D’autres savent qu’il vaut mieux se taire et mirer l’écran blanc. Certains maîtres dépérirent sous le nombre de leurs films sans inspiration : Godard, Resnais, Ridley Scot… Roule, torrent de l’inutilité, comme dit Montherlant.
Imdb.com a dit un jour que les trois plus grands cinéastes étaient Hitchcock, Kubrick – j’ai écrit sur les deux – et David Lynch, sur qui j’ai hésité d’écrire : je me demande en effet s’il y a tant à dire sur lui. Et comme en plus il y a selon moi du politiquement incorrect…
Soyons brefs et synthétiques :
-Lynch est le témoin de la montée de l’horreur dans les années Kennedy-Johnson. Le bon vieux temps va être remplacé, que MAGA pleure encore (l’américain est plus nostalgique que l’apathique froncé qui a laissé son pays se dézinguer sans réagir, même culturellement). Le pays se désintègre sur tous les plans sous la poussée étatique et migratoire (voyez entre autres Paul Johnson ou l’excellent Jonah Goldberg sur le fascisme libéral). Ses personnages les plus célèbres, l’homme-éléphant et la tête à effacer, montrent une horreur suinter, celle de la Révolution industrielle, puis de l’écroulement de la société américaine dans les années soixante, dont tous les gens de droite ont parlé, et même John Wayne dans sa fameuse interview dans Play boy. C’est la fin de la race blanche (disons-le nûment), de sa famille, de ses traditions, l’ouverture exotique des frontières entre autres voulue par les frères Kennedy (voyez l’extraordinaire Alien nation de Peter Brimelow), la montée de l’insécurité et de l’orange mécanique (Vivian Kubrick soulagée de quitter New York pour gagner la campagne anglaise, dixit Vincent Lo Brutto) : société multiraciale, drogue, violence ultra, racaille toute-puissante, horreur des paysages urbains, tout ce que décrit Kunstler dans sa Long Emergency. Aux cowboys vont succéder des obèses ahuris de drogues autorisées et de télé, cowboys enfermés dans des territoires protocolaires autoroutiers interminables. C’est la fin de la petite ville blonde de Jane Powell (Small Town Girl, une de mes comédies musicales préférées, voyez mon livre).
(Suite)
C’est l’étonnant théologien Jorge-Luis Borges qui dit que les vikings ont inventé la littérature européenne et que c’est un Normand, Flaubert, qui liquide cette littérature – dans Bouvard et Pécuchet (on y reviendra). Amateur des Kennings, Borges s’enflamme avec les périphrases et les métaphores des poètes : ô toit de la baleine (mer), pluie de la bataille (sang) ! Mouette de la haine (le corbeau), assemblée des épées !
Et puis les vikings nous font rêver depuis Kirk Douglas et la fin majestueuse du film de Fleischer (magique musique de l’italien Mario Nascimbene).
Mais voilà que je relis Egill en Livre de Poche quarante ans après l’avoir comme tout le monde ou presque découvert en anglais dans les librairies oxfordiennes quand, usé par le froncé déjà socialiste j’allais respirer en Angleterre (liquidée depuis), celle de Boorman, Sir Ridley et des chariots de feu. Et je découvre que les vikings et Snorri ont découvert justement avant Flaubert la fin de la littérature : c’est la vieillesse, le naturalisme, l’autre côté (un peu celui de Kubin), le gâtisme et la tristesse qui règnent déjà en Scandinavie comme dans un film d’Alexander Payne (Nebraska) ou de Jim Jarmusch (Broken flowers). Borges s’est gouré : les grands ancêtres vikings doté d’un QI aussi fort que leur bras ont aussi pressenti la fin de l’Histoire et des temps héroïques. Le futur n’est pas à l’épopée, mais à l’EHPAD.
Il suffit de ne pas mourir au combat et de ne pas servir de pâture aux corbeaux (pour rester dans le ton). On lit la fin d’Egill :
(Suite)
eir Starmer est certainement l’homme le plus dangereux et fascisant du monde. En repensant au Prisonnier que je revois sans cesse je me dis que cette série n’était pas une parabole ou une allégorie sur le fascisme-totalitarisme-stalinisme-qui-ont-toujours-bon-dos mais bel et bien un DOCUMENTAIRE sur l’Angleterre travailliste des sixties, que rejoignait le bloc soi-disant conservateur (Heath virant Enoch Powell du parti). Comme le disait l’excellent Duroselle dans mon livre de première en histoire les partis dans ce pays démoniaque n’annulent jamais une réforme dangereuse votée par le parti adverse ; ils la complètent. Voter est donc vraiment pour les cons, pour parler comme Sartre (plus de guerre, plus de chasse au Trump ou au carbone, plus de politiquement correct génocidaire et dément pour satisfaire le bourgeois local, déjà tancé par Hogart dans sa gin Street). On a eu un hindou comme PM, puis un fou local (Starmer donc) qui élève – férocement, on s’en doute, voyez Dickens - ses enfants dans le judaïsme, enfin on aura une noire nigériane comme future PM conservatrice. Comptez sur le légendaire flegme britannique (qui n’est qu’un mot poli pour désigner ce peuple extraordinairement soumis, docile et désinformé – et ce depuis toujours, voyez McLuhan) pour digérer tout ça. Les rares mécontents iront se faire vacciner en Australie (paradis des nouveaux riches anglophones) ou au Canada, le reste crevant de froid.
L’Angleterre et ses dominions orwelliens paraissent aujourd’hui les entités administratives (il n’y a plus d’Etat) les plus totalitaires du monde; difficile de savoir quelle élite, locale ou globale, a décidé de l’édification du cauchemar british, carbonique ou antiraciste. Un épisode raconté par Tocqueville va nous rappeler qu’en la terre d’Utopie, de Bensalem (Bacon) et de 1984 tout a toujours indiqué un inquiétant cauchemar bien éloigné des libertés vantées ici ou là par les agents de l’Empire. Hugo semble s’en être rendu compte dans l’Homme qui rit, qui dénonce d’une façon inédite et géniale les méfaits de la kleptocratie la plus dure et résiliente du monde. Mais on y reviendra.
Les émeutes britanniques montrent que le pauvre anglais est toujours d’aussi mauvaise qualité. L’élite ne vaut guère mieux (Todd a expliqué pourquoi) mais ce n’est pas notre problème aujourd’hui. Là elles se sont trouvées un adversaire à leur hauteur ces élites britanniques, et c’est le pauvre anglais contre lequel elles s’acharnent depuis Hastings, et qui finira l’année numérisé, avant nous donc; car cette bataille de Hastings (1066 donc, avec son livre du Jugement dernier à la clé) est la bataille qui sert de modèle à la globalisation: une élite néo-féodale aura toute la terre, le reste crèvera. Guillaume avait fait détruire des centaines de villages pour étaler ses territoires de chasse. Il chassa aussi le clergé saxon avec l’aide papale (ce fut la première croisade en fait, et c’est dommage qu’on ne le comprenne pas) et une élite ORTHODOXE trouva refuge à Constantinople.
(Suite)
« C'est la saison, c'est la saison, la rouille envahit les masses, /La rouille ronge en leurs spleens kilométriques/Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe. »
On a tous connu son poème à l’école, poème publié en 1886. Je suis retombé dessus grâce à Google et à « l’hiver qui vient » et j’ai été stupéfait. Mon présent permanent est là, plus fort que jamais, aussi présent que chez Sorel, Bloy, Drumont ou Maupassant. Sauf que c’est en poésie, une poésie qui liquide la poésie. La France liquide le vers, l’alexandrin, la rime, les thèmes nobles, tout le bataclan. Le je-m’en-foutisme littéraire est déjà là, les grands textes sont derrière nous. On est dans la chansonnette et on ne s’autorise même pas la nostalgie : car comme a dit Simone Signoret, elle n’est plus ce qu’elle était.
On a la maladie, la solitude, la mauvaise santé, le mauvais temps, la laideur du paysage industriel moderne :
« Blocus sentimental ! Messageries du Levant !...
Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
Oh ! le vent !... »
(Suite)
« Maintenant qu’ils savent lire et écrire, la bêtise latente se dégage ».
C’est dans Les Dimanches d’un Bourgeois, bref roman totalement anar et génial. Déjà, nous dit le maître, il faut être fou pour aller voter (cf. Mirbeau à la même époque ou même Bloy) :
« En effet, livrer des millions d’hommes, des intelligences d’élite, des savants, des génies même, au caprice, au bon vouloir d’un être qui, dans un moment de gaieté, de folie, d’ivresse ou d’amour, n’hésitera pas à tout sacrifier pour sa fantaisie exaltée, dépensera l’opulence du pays péniblement amassée par tous, fera hacher des milliers d’hommes sur les champs de bataille, etc., etc., me paraît être, à moi, simple raisonneur, une monstrueuse aberration. Mais en admettant que le pays doive se gouverner lui-même, exclure sous un prétexte toujours discutable une partie des citoyens de l’administration des affaires est une injustice si flagrante, qu’il me semble inutile de la discuter davantage. »
Un des personnages (ce sont tous des fonctionnaires) de Maupassant se déclare anarchiste :
« Autrefois, quand on ne pouvait exercer aucune profession, on se faisait photographe ; aujourd’hui on se fait député. Un pouvoir ainsi composé sera toujours lamentablement incapable ; mais incapable de faire du mal autant qu’incapable de faire du bien. Un tyran, au contraire, s’il est bête, peut faire beaucoup de mal et, s’il se rencontre intelligent (ce qui est infiniment rare), beaucoup de bien.
Entre ces formes de gouvernement, je ne me prononce pas ; et je me déclare anarchiste, c’est-à-dire partisan du pouvoir le plus effacé, le plus insensible, le plus libéral au grand sens du mot, et révolutionnaire en même temps, c’est-à-dire l’ennemi éternel de ce même pouvoir, qui ne peut-être, de toute façon, qu’absolument défectueux. »
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« …nous ne faisions que répéter d’âge en âge une fête druidique survivant aux monarchies et aux religions nouvelles. »
Sylvie a émerveillé des générations de lectrices et de lecteurs de sensibilité médiévale et romantique. C’est que ce bref roman conte la fin de la France initiatique et irréelle. Ce qui avait pu rester va être détruit (cf. Balzac qui décrit le processus dans toute son œuvre, du passage de cette France des druides et des chevaliers à celle des Macron) ou réduit à l’état de spectacle ou d’illusion (cf. cette fascination pour le théâtre ou les actrices qui caractérise Nerval).
L’arrivée du chemin de fer, machine apocalyptique dont Dostoïevski a si bien parlé dans l’Idiot (voyez mon livre) va tout modifier ; c’est la fin des distances, c’est la fin du mystère et du pèlerinage de la vie :
« Senlis est une ville isolée de ce grand mouvement du chemin de fer du Nord qui entraîne les populations vers l’Allemagne.
– Je n’ai jamais su pourquoi le chemin de fer du Nord ne passait pas par nos pays, – et faisait un coude énorme qui encadre en partie Montmorency, Luzarches, Gonesse et autres localités, privées du privilège qui leur aurait assuré un trajet direct. Il est probable que les personnes qui ont institué ce chemin auront tenu à le faire passer par leurs propriétés. – Il suffit de consulter la carte pour apprécier la justesse de cette observation. »
Citons cet extrait de l’impeccable Théophile Gautier, que nous avions repris déjà (de son Voyage en Espagne) :
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Notre utopie technognostique remonte à la Renaissance. Elle est d’origine anglaise et Engels lui a consacré, à cette origine, des lignes essentielles sur le socialisme utopique.
Francis Bacon, ministre de la reine Élisabeth, est le père de I’Intelligence au sens anglais du terme, c'est-à-dire de l'espionnage. Il était chargé de l'information auprès de l'ambassadeur d'Angleterre à Paris dans les années 1576-1577. Il est surtout l'inventeur du cryptage des messages diplomatiques au moyen d'un code binaire - chaque lettre de l'alphabet est transformée en une simple combinaison de deux symboles, et à chaque symbole correspond une typographie différente.
Bacon voit dans les Anglais un grand peuple de marins. Il fait un usage habile d'une prophétie de Daniel : « Multi pertransibunt et multiplex erit scientia », « nombreux seront ceux qui navigueront plus loin, et la science augmentera », phrase promise à un grand avenir et que dans une de ses lettres Descartes présentera comme « la prophétie du chancelier d'Angleterre ». Cette orientation de l'esprit anglais vers la technoscience et la navigation trouve un écho surprenant chez ... la Fontaine : « les Anglais pensent profondément ... Forts de leurs expériences ... ils étendent partout l'empire des sciences. »
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« A mesure que nous avancions, le but de notre voyage semblait fuir devant nous.»
Tocqueville n’a pas fait que de l’analyse en voyageant en Amérique ; il a aussi fait du tourisme avec son ami Beaumont et son bref journal de voyage est un des plus beaux et plus durs qui soient ; car le style incomparable de notre artiste romantique se heurte au mur de briques du puritain américain qui va détruire le monde.
Chercher la nature façon Thomas Cole et Alfred Bierstadt (découvrez l’école de Hudson) est déjà dur ; en effet :
Les extrêmes limites de la civilisation européenne
« Une des choses qui piquaient le plus notre curiosité en venant en Amérique, c’était de parcourir les extrêmes limites de la civilisation européenne, et même, si le temps nous le permettait, de visiter quelques-unes de ces tribus indiennes qui ont mieux aimé fuir dans les solitudes les plus sauvages que de se plier à ce que les blancs appellent les délices de la vie sociale ; mais il est plus difficile qu’on ne croit de rencontrer aujourd’hui le désert. A partir de New-York, et à mesure que nous avancions vers le nord-ouest, le but de notre voyage semblait fuir devant nous. Nous parcourions des lieux célèbres dans l’histoire des Indiens, nous rencontrions des vallées qu’ils ont nommées, nous traversions des fleuves qui portent encore le nom de leurs tribus; mais partout la hutte du sauvage avait fait place à la maison de l’homme civilisé, les bois étaient tombés, la solitude prenait une vie. »
Les Indiens eux-mêmes sont déjà des êtres qui rétrécissent, comme dans le film éponyme de Jack Arnold. Tocqueville ajoute sans concession :
« Les Indiens que je vis ce jour-là avaient une petite stature; leurs membres, autant qu’on en pouvait juger sous leurs vêtements, étaient grêles; leur peau, au lieu de présenter une teinte rouge cuivré, comme on le croit communément, était bronze foncé, de telle sorte qu’au premier abord elle semblait se rapprocher beaucoup de celle des mulâtres. Leurs cheveux noirs et luisants tombaient avec une singulière raideur sur leurs cous et sur leurs épaules. Leurs bouches étaient en général démesurément grandes, l’expression de leur figure ignoble et méchante. Leur physionomie annonçait cette profonde dépravation qu’un long abus des bienfaits de la civilisation peut seul donner. On eût dit des hommes appartenant à la dernière populace de nos grandes villes d’Europe, et cependant c’étaient encore des sauvages. Aux vices qu’ils tenaient de nous se mêlait quelque chose de barbare et d’incivilisé qui les rendait cent fois plus repoussants encore. »
Le contact avec l’Occident souille. On ne saurait être plus guénonien. Et pourtant on n’a pas affaire à des inconnus :
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