David Cayla
19/03/2020
Je voudrais faire quelques remarques :
En premier lieu, si effectivement pendant longtemps les prises de position "short" - vendre par avance un titre qu'on ne possède pas dans l'espoir que cela conduise à des mouvements de vente qui pousseront les prix à la baisse et permettront aux "shorteurs" d'encaisser de copieux bénéfices - ont pu pousser à la baisse le cours des actions des entreprises visées, ce n'est plus le cas depuis quelques années.
En effet, le principe est tellement éculé qu'au contraire, les véritables détenteurs d'actions attendent tranquillement que l'échéance des options "short" se rapproche. En effet, pour chaque option "short" prise par un acteur financier, il y a nécessairement une option "longue" prise en face par un autre acteur financier. Généralement, lors de l'échéance, l'un et l'autre comparent le prix effectif des actions à ce moment-là, et en déduisent qui devra verser combien à l'autre. Par exemple, si l'option a été prise à une valeur de 100 € et qu'au moment de l'échéance l'action vaut 90 € le "long" devra verser au "short" 10 € pour solder la transaction. Mais inversement, si l'action vaut 110 €, ce sera au "short" de verser au "long" 10 €. Les mouvements sur les marchés financiers ne sont pas forcément à sens unique !
Or, et c'est là que les choses deviennent "intéressantes", dans le cas d'entreprises en difficultés, les "short" s'attendent assez logiquement à ce que le cours dévisse. Aussi, pour reprendre l'exemple précédent, ils vont prendre une option short à 50 €. Seulement voilà, au moment de solder la transaction, les "long" peuvent dans tous les cas exiger la livraison impérative des actions demandées. Les contrats "short" sont des engagements de vente impératifs… sauf si les "long" se contentent d'un arrangement financier. Mais si beaucoup de contrats "short" ont été souscrits et que pas grand monde n'est disposé à vendre d'actions, et que les "long" font savoir qu'ils exigeront la livraison, les "short" sont alors forcés d'acheter les actions promises à n'importe quel prix.
C'est ainsi que depuis la dernière grande crise financière de 2008, les "short" ont été le plus souvent pris à contre-pied. Au plus ils souscrivaient des contrats "short" sur des entreprises en situation financière catastrophique, au plus ils ont été contraints d'acheter leurs actions pour de bon, faisant flamber le cours des actions de ces entreprises. C'en était au point où la hausse du Dow Jones s'expliquait largement par la hausse des actions des entreprises le plus en difficulté.
Conclusion ? L'interdiction des prises de position "short" va au contraire contribuer à l'aggravation de la dynamique de chute des marchés financiers. Par ailleurs, dans des temps "normaux", et même si cela peut paraître étrange, tous les "shorteurs" n'étaient pas des voyous. A l'origine, il s'agissait pour des détenteurs d'actions de souscrire de telles options de manière à ce qu'ils puissent au besoin se défaire de leurs actions à une échéance déterminée à un prix convenu d'avance. Ce pouvait être alors une manière de se prémunir contre une éventuelle chute des cours. Dès lors qu'il est proscrit de souscrire de telles options, la seule manière de s'en prémunir est de vendre tout de suite.
En second lieu, l'idée d'une fermeture des marchés financiers flotte de plus en plus dans l'air. Mais cela risque d'avoir strictement les mêmes effets qu'un Bank Run.
Comment commencent les Bank Runs ? Lorsque des gens ayant entendu que leur banque serait en difficultés se précipitent au guichet pour retirer leurs fonds avant qu'elle ne soit mise en faillite et qu'ils soient rincés de tout ou partie de leurs avoirs (le "haircut" imposé aux Chypriotes étant un exemple de méthode de "résolution" d'une crise bancaire) . Malheureusement, plus les gens se ruent aux guichets, et plus cela accroît la détresse de la banque qui subit le "Bank Run".
C'est ce phénomène qui pousse les gens les mieux informés à se ruer au guichet en premier. Mais comme cela accroît la détresse de la banque, d'autres personnes en ont alors vent, qui se ruent à leur tour au guichet, et cela se termine en un effet boule de neige avec une ruée panique des gens qui auront été les derniers à avoir eu connaissance des difficultés que traverse leur banque. A cours de liquidités, la banque est alors fermée, et les comptes soldés.
Les marchés financiers ne sont pas exactement des banques, néanmoins ils sont tout de même des lieux où des gens ont placé des avoirs financiers sous la forme de titres financiers. A cet égard, la dégringolade des cours de bourse témoigne d'une situation de stress bien réelle et dissimulée depuis trop longtemps à grands coups de versements de dividences et de rachats d'actions financés par emprunt à taux bas qui ont artificiellement soutenu les cours des actions dont Boeing est l'exemple emblématique.
Mais donc, plus il sera question d'une fermeture des marchés financiers, et plus ces gens, ces investisseurs seront tentés d'en sortir ce qu'ils peuvent tant qu'il est encore temps, au prix qu'ils pourront en tirer. Ce qui pourrait très bien conduire, comme dans le cas des Bank Runs, à ce qu'une fermeture des marchés financiers soit décrétée "le temps que les esprits se resaisissent". Les marchés financiers n'étant pas des banques, il ne sera pas nécessaire de "solder les comptes", cependant les fonds qui n'auront pu en être retirés avant la fermeture seront susceptibles de demeurer indisponibles indéfiniment.
De quoi accroître le mouvement de ventes "paniques" jusqu'au point où la décision de fermer les marchés sera prise ? C'est très possible. (Les fameuses "anticipations auto-réalisatrices chères aux économistes).
Enfin, je souhaitais aborder le sujet de la fréquence des cotations. Effectivement, absolument rien ne justifie le principe de cotations en continu. Rassembler tout au long de la semaine les offres et les demandes d'actions pour fixer un prix hebdomadaire et régler les transactions serait tout à fait indiqué. D'ailleurs, il y a tout un pan du marché français des actions pour lequel (le second marché si je ne dis pas de bêtises) cela se fait à une échelle mensuelle.
Pourtant, ce n'est pas le cas, et il doit bien y avoir une raison. La raison, c'est que les investisseurs sont ainsi invités à prendre la décision d'acheter ou de vendre sur une impulsion. Ce faisant, ils n'ont plus à rendre compte des raisons qui les ont poussé à acheter ou vendre. Et si jamais ils se rendent compte qu'ils ont pris la "mauvaise" décision au vu de l'évolution des cours postérieurement à leur décision, ils peuvent réagir "par impulsion".
S'ils pensaient faire une bonne affaire en se délestant de titres qui ne leur inspiraient plus confiance et qu'ils se sont manifestement trompés en vendant, tant pis pour eux ! Pareillement s'ils pensaient faire une bonne affaire en achetant des titres à ce qu'ils croyaient être des prix bradés, et que les cours ont continué de dégringoler, tant pis pour eux ! Il convient de souligner ici que pour tout autre type de transaction, par exemple la vente d'une maison, la vente d'une voiture, s'empresser de revendre le bien qu'on vient d'acheter parce qu'on se serait rendu compte de l'existence de vices cachés est proscrit. On peut se retourner contre le vendeur, mais pas essayer de se défaire du problème en trouvant un autre acheteur.
Et, à bien y réfléchir, c'est également la logique des marchés à règlement hebdomadaire ou mieux encore, mensuel. Les "mauvaises surprises" sont susceptibles d'avoir une incidence telle sur la prochaine cotation qu'il n'est alors plus possible de se débarrasser de ses titres "sur impulsion". En revanche, vous pourrez demander quelques explications aussi bien au vendeur qu'à l'entreprise car si le vendeur était déjà au courant, il y aura eu escroquerie.
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