D. M.
03/06/2018
Je vais vous confier une petite anecdote. Peu de temps après le Nouvel An, après que j'eusse offert, disons par courtoisie, quelque présent à une dame, cette dernière se mit alors en tête, sur un instant d'enthousiasme, de m'offrir un livre en retour, connaissant un peu mon goût pour la chose. Mal lui en a pris! Où donc trouver un livre qui fût digne qu'on pût l'acheter? Quel auteur? Quel best-seller de la philosophie? Quel Maître de la pensée? Après bien des recherches, me confia t-elle en même temps qu'un autre et joli petit présent, elle dut se résoudre à renoncer à la folle entreprise, ne voyant visiblement dans les « nouveautés » que des médiocrités qui ne méritaient pas qu'on prît le risque de les offrir. "Que lisez-vous en ce moment?" m'interrogea t-elle après m'avoir présenté ses excuses embarrassées. « Un Philippe Grasset », pensai-je en moi-même, comme pour répondre à cette autre question de savoir quel était l'auteur dont il fallait se procurer les livres, tandis que je l'assurais de ma compréhension et que je me confondais en remerciements, en lui disant qu'il était fort ardu de trouver un auteur digne de ce nom à notre époque, et que je me tournais plutôt vers les classiques, « source inépuisable… »
....Plus on a de talent, plus on a de génie ou "d'intuition haute", pour reprendre votre expression, et plus on est condamné à cet exil intérieur, à cette solitude, à cet abandon, à devenir même un étranger dans son propre pays…. C'est terrible, mais c'est grand, c'est noble, c'est beau.
Et c'est normal non? Dans une société sans esprit… Où sont les Mozart, les Praxitèle, les Victor Hugo, les Einstein, les Lavoisier, les Pasteur? Où est Socrate, où est Aristote? Et quel triomphe cette société pourrait-elle leur offrir? Un flash télévisé entre deux réclames? Un mélange du plus haut et du plus bas, comme après qu'une bombe eût brisé un chef-d’œuvre dont les fragments se mélangeraient finalement à ceux du mur?
« Vous ne vivez pas dans le siècle d'Alexandre... » aurait pu vous dire Plutarque.
… « Archestrate, poète agréable, vivait pauvre et méconnu :
« Si tu avais vécu du temps d'Alexandre », lui dit quelqu'un, « il t'aurait donné pour chacun de tes vers une île de Chypre ou une Phénicie.»
mumen
03/06/2018
Votre pensée n'est pas en cause ici. Votre style, oui (j'en suis ici l'horrible critique dévoué), qui va jusqu'à abriter la première d'un rempart infranchissable, on se demande pourquoi, ou bien alors on se demande comment.
Qui peut ici témoigner avoir *su* lire les Grâces de Grasset ? Qui ? C'est une vraie question.
Pas moi, ce n'est pas faute de m'y atteler, avec attente et même attente prédisposée très favorablement, presque gourmande, attente de clarté, d'angles différents, de visions fulgurantes comme j'y suis accoutumé sur dedefensa, mais sur un vaste pan de l'histoire, à distance méta, comme on peut s'y attendre. Mais c'est désolant, au bout de quelques phrases, même pas quelques pages, je ne sais pas ce que j'ai lu, pourtant aucun mot ne m'est inconnu, aucune tournure ne m'est étrangère.
Ce n'est pas comme ça qu'on emmène un lecteur sur le long chemin de centaines de pages de concepts décalés et construits. Comprenez qu'un livre difficile se laisse quand même aborder par la lenteur, pour moi ce peut être une page ou deux par jour. Mais là, non, une page ne me dit rien. Parfois un éclair surgit, comme au hasard, aussitôt refermé dans ce que je perçois comme confusion. J’ai rarement vécu cela par ailleurs, cette lecture décourageante qui n'a pas l'excuse d'un hermétisme de protection. Voici pourquoi la deuxième Grâce s'est si peu dépotée : la première est imbitable. J'ai fini par l’acquérir, la seconde, puisqu'elle contient, réfère sans ambage, ce qui m'importe, je l'ai su par un extrait - parfaitement lisible, lui. Le découragement est le même. Suis-je un lecteur velléitaire, incapable d'adaptation, de concentration dès que ça se corse ? D’où la question à vos lecteurs. Et ainsi, quid de la troisième Grâce à venir, que pourtant je persiste à espérer malgré cela ? Je le répète, la pensée n'est pas en cause, c'est elle qui est espérée.
Ceci dit, votre roman est d'une autre trempe d'écriture. Il est lisible et parfaitement agréable, témoin d’une époque presque disparue, nous rapprochant de certaines atmosphères très particulières, pour aller vite, de Le Carré à Maltèse, le marin, tout en restant, comme eux, ancré dans cette sale petite réalité. Dommage pour mes conceptions de lois de l'attraction de la pensée, un roman admet l'étayement par le vide. Le vôtre n’y coupe pas. La lecture de romans est un passe-temps qui peut éventuellement apprendre des choses, et FNK est de ceux-là, de ceux qui apportent des choses. Comment faire la part du vrai dans un roman ? C’était mon premier depuis deux décennies, et la réponse est toujours la même : on ne peut pas.
Je ne parle pas des Âmes. Je ne suis pas attiré par des photos avec des textes. Peut-être que, par affection et pour combler une incertitude, il viendra un jour tenir compagnie à quelques autres épaisseurs de feuilles reliées ensembles et encartonnées pour faire sérieux, qui sont entassées sans ordre sur mes étagères.
Une chose est certaine, sur ces dernières le meilleur de ce Mr Grasset ne trône pas, ne peut trôner tant il est improbable que quelques immatériels méga-octets de billets, aussi mémorable fussent-ils, ne puissent jamais tenir en équilibre sur elles, ne puissent résister à l'infime souffle d'air qui se produit simplement lorsque l'on marche à côté d'elles. Vous êtes fait de cela, Mr Grasset, ces quelques méga-octets d’immatière, subtilement organisée en billets, selon un schème inventif, original, qui n'appartient qu'à vous, qui est vous. Peut-être que vos trois Grâces sont en puissance, qu’elles seront un jour comprises, et, en quelque sortes "traduites" ou commentées quand votre flux électronique sera éteint, ce qui arrivera sans doute, vous devinant, peu après que le soit votre souffle.
Je me suis fâché un jour, je suis revenu vous soutenir un autre jour. Sans doute je vous trouve parfois trop "ceci" ou pas assez "cela", mais en tout cas, le plus souvent indispensable et à votre digne place, celle que vous avez créée de toutes pièces, à votre mesure, c'est assez unique et rarissime pour le mentionner.
jc
03/06/2018
1. Je pensais naïvement que la signature Semper Phi signifiait "Philippe pour toujours", signature qui ne me choque pas de la part d'un guénonien.
2. Je ne connaissais pas la devise des "Marines". Rien à dire si elle a émergé de la base mais ça m'étonnerait. Si elle est venue du sommet de la hiérarchie, ce qui me semble très probable, ledit sommet doit également faire attention à se l'appliquer avec grande rigueur. Car si la base est envoyée au casse-pipe alors que le sommet se gave des profits du lobby militaro-industriel…
(Cela vaut bien entendu aussi pour le "Honneur et Patrie" de notre "Royale".)
3. J'aime bien la devise "Tant que l'eau n'est pas par dessus le marin tient le bon bout", version marine de "Tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir". Loin encore du "la vie est plus forte que la Matière"? Peut-être une réponse dans les "Âmes de Verdun" (que je viens de commander)?
D. M.
04/06/2018
Juste un mot que je me permets de vous envoyer.
Ne vous inquiétez pas trop des remarques désobligeantes que l'on peut vous faire. Elles contiennent une sorte de grossièreté particulière, qui est très propre à notre époque, la grossièreté de celui qui ignore même qu'il est devenu grossier. Le vrai moyen-âge, « le moyen-âge comme le nôtre », si je puis dire, ce moyen-âge qui fait que l'on a la nostalgie du passé, c'est lorsque des connaissances disparaissent sans que personne ne sache qu'elles disparaissent; des attitudes de bienséance, d'élémentaire courtoisie, qui ont disparu sans que personne ne sache plus ce qu'elles étaient.
Puissions-nous toujours avoir des auteurs comme vous l'êtes.
D. M.
jc
04/06/2018
@ Mumen
Si l'on veut rentrer dans l'univers PhG il faut quitter le cadre de la pensée moderne. Il faut parcourir les quelque trente dialogues entre Philippe Grasset et Jean-Pierre Baquiast (JPB) en 2010 et 2011. J'ai lu et relu ces dialogues avec toute l'attention dont je suis capable. Ma conclusion est que ce furent des dialogues de sourds, à cause du refus de JPB de faire exploser le plafond de verre de l'expérimentalisme et du positivisme, de son choix (conscient ou non, je ne sais pas) de considérer que science et intuition sont irrémédiablement inconciliables.
Aussi, pour moi, si vous êtes consciemment dans l'état d'esprit du JPB des dialogues, et si vous désirez y rester, je crois que vous ne comprendrez jamais rien de PhG, vous ne comprendrez jamais pourquoi PhG fait la distinction entre la cathédrale de -disons- Reims et la tour de Dubaï (alors que JPB ne la fait pas).
Vous déduirez peut-être de ce qui précède qui faut "avoir la foi" pour comprendre PhG, ce "avoir la foi" renvoyant au "théologique".
Je suis convaincu que si l'on veut comprendre ce qu'écrit PhG il faut absolument nécessairement aller au-delà de la physique, il faut "faire" de la métaphysique. Faut-il nécessairement "monter" jusqu'à la théologie?
Notre univers n'est pas un chaos. Tout individu sensé est d'accord avec ça. Alors de deux choses l'une:
1.Ou bien vous pensez qu'il s'auto-organise, sans intervention d'un "au-delà" (ce qui est, grosso merdo, la position de la science moderne -que Guénon qualifie de scientisme);
2. Ou bien vous pensez qu'il y a nécessité d'un "au-delà" pour penser cette organisation.
Si vous acceptez le point 2. il faut être conscient de la difficulté suivante: il risque fort (très fort même) de n'y avoir aucune validation expérimentale de votre façon de voir le monde.
Mon problème à moi est: "Quelle est une (unique si possible) métaphysique minimale qui permette de dire à la fois: d'une part je fais une hypothèse, une expérience mentale dont, dans mon intime conviction, je sais qu'elle ne sera pas validable par expérimentation (c'est-à-dire par les sens -éventuellement "augmentés" par la quincaillerie) et d'autre part je fais néanmoins de la science?
Le postulat fondamental de la science moderne -le scientisme pour Guénon- est selon moi le "Hypotheses non fingo" ("Je ne feins pas d'hypothèses"), que je traduis par "Je me fous des hypothèses métaphysiques parce que ma théorie est validée par l'expérience".
Et dans ce cadre, qui est le cadre actuel, les mathématiques sont les serviteurs de la physique moderne, les mathématiques sont en position ancillaire, la physique moderne est une métamathématique.
Le postulat que j'explore à la suite de Thom* est: c'est la physique moderne qui est en position ancillaire, la mathématique est "au delà" de la physique moderne, la mathématique est LA métaphysique. Et tout récemment m'est venu un renfort, totalement inattendu de moi, du philosophe Alain Badiou, philosophe politique qui me paraît a priori complètement opposé à l'option "métaphysique", déclarant: "l'ontologie c'est les mathématiques" (ou "les mathématiques c'est l'ontologie" -je n'ai pas ma doc ici), déclaration d'un philosophe non-mathématicien qui rejoint et conforte la très irritante position "impérialiste" du mathématicien (de formation initiale mathématique) Thom: "Il n'est de théorisation possible que mathématique", "Selon beaucoup de philosophies, Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu."
Il ne viendrait à l'esprit d'aucun individu sensé que les mathématiques ne sont pas une science.
La métaphysique dissimulée derrière quelques définitions, symboles et "règles du jeu" mathématiques?
Badiou: "L'ontologie c'est les mathématiques".
Pour moi la ligne de démarcation entre science "moderne" et science "hors du temps" passe entre Prigogine (et Roddier*) et Thom.
Comment lire "La Grâce de l'Histoire"?
Si vous avez une sensibilité mathématique, je pense que vous pouvez vous inspirer de ce qui précède**.
2. Si vous ne l'avez pas je crois que "travailler" les sources d'inspiration de PhG, en particulier Guénon, est incontournable.
C'est ce que je commence à faire, un peu à reculons à cause de la platitude de son style. Style tellement différent du style "pétillant" de PhG: le style "Vittelloise", qui chante et qui danse.
* Il s'agit de principes (et chacun sait que PhG est très attaché aux principes -moi aussi!-). Ceci n'empêche pas Roddier de faire les mêmes analogies que Thom et d'en tirer les mêmes conclusions (non-croissantisme). La différence est que Thom s'appuie sur une théorie mathématique de l'analogie (la sienne il est vrai…) alors que Roddier s'appuie sur les principes de la thermodynamique. Opposition de type Platon/Aristote?
** si vous avez d'autres idées je suis preneur.
jc
04/06/2018
Il faut lire:
"la mathématique est une méthaphysique, la mathématique est LA métaphysique MINIMALE"
(au lieu de "la mathématique est LA métaphysique)
jc
04/06/2018
Ci-après la fin de la conclusion de "Esquisse d'une Sémiophysique", que je commence à digérer (je crois…) et qu'il me semble opportun de rappeler ici. (La phrase interrogative sur le langage ainsi que le contrôle des hypostases abusives me paraissent encore bien nébuleuses…)
"La Science moderne a eu tort de renoncer à toute ontologie en ramenant tout critère de vérité au succès pragmatique. Certes, le succès pragmatique est une source de prégnance, donc de signification. Mais il s'agit alors d'un sens immédiat, purement local. Le pragmatisme -en ce sens- n'est que la forme conceptualisée d'un certain retour à l'animalité. Le positivisme a vécu de la peur de l'engagement ontologique. Mais dès qu'on reconnaît aux autres l'existence, qu'on accepte de discuter avec eux, on s'engage ontologiquement. Pourquoi alors ne pas accepter les entités que nous suggère le langage? Quitte à contrôler les hypostases abusives, c'est là la seule manière d'apporter au monde une certaine intelligibilité. Seule une métaphysique réaliste peut donner du sens au monde." (ES p.225)
jc
04/06/2018
1. "du mathématicien (de formation initiale mathématique) Thom"
Il faut lire "du philosophe (de formation initiale mathématique) Thom".
2. "Hypotheses non fingo" est de Newton ("Principes mathématiques de la philosophie naturelle"). (En confrontant le titre et la citation, on a pratiquement toute la façon "mécanique" de penser "scientifiquement la nature jusqu'à nos jours)
Nb pour la modération:
Désolé mais je tiens à rendre ici "un truc le plus propre possible", genre copie d'examen (de conscience!), genre "Ce qui se conçoit bien…
Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier