Didier Favre
10/07/2019
Un système créé sur la base de la méthode cartésienne ne supporte pas la contradiction.
Si ses défenseurs sont au pouvoir, ils écraseront en toute bonne conscience leurs opposants. La bonne conscience des premiers en devient sans limites et leur permet absolument tous les actes qu’un esprit fertile peut imaginer. Aller contre ces gens est aller contre la méthode.
Comparer à cela, le blasphème le plus atroce est comparer une blague d’un goût légèrement douteux à la Shoah dans le pire sens du terme. C’est aller contre tout le progrès humain établit par cette fameuse méthode. Le seul blasphème de cette importance connu dans la religion chrétienne est le blasphème contre l’Esprit.
La méthode de Descartes est l’Esprit-Saint de la Modernité. Dans les deux cas, le système de pensée s’effondre totalement. Dans les deux cas, son auteur se met en dehors et même en opposition totale avec les défenseurs de ces idées. Dans les deux cas, les esprits humains sont inspirés par la méthode ou l’Esprit Saint. Dans le premier cas, René Descartes joue le rôle du Christ. Dans le second cas, le Christ a envoyé l’Esprit. Nous sommes dans le même schéma de pensée.
Un homme donne le premier schéma. C’est, à mon avis, de la gnose de très haut niveau. Son porteur du savoir se pose en guide pour toute l’humanité. Dans le second cas, une personne, l’Esprit-Saint, se pose en guide pour toute l’humanité. Dans le Christianisme, cette personne est Dieu.
Le Dieu qui oriente la pensée humaine dans le second cas a été remplacé par une création d’un esprit humain, de très grande qualité mais humaine, qui se pose assez grand pour remplacer Dieu. Il a même tenté par sa méthode de connaître Dieu et son existence. Il en a résulté un être abstrait et totalement lointain des humains que Descartes nommait Dieu.
Descartes a remplacé une personne proche des hommes par une façon de réfléchir en la supposant si bonne que tous les humains sensés pourraient l’employer et résoudre les problèmes réels que nous rencontrons tous.
Les dégâts de cette méthode se voient dans la situation de notre Occident.
L’un d’eux est l’invention de la guerre totale. Le niveau auquel se situe la pensée cartésienne autorise ses acteurs à commettre tous les crimes contre leurs opposants.
Un autre est la division radicale des humains en partis irréconciliables. Les deux partis se donnent un système par la méthode. Ils leurs sont si importants qu’ils ne peuvent pas y renoncer sans renoncer à ce qui leur sert d’identité.
Cette division radicale peut se répéter à l’infini entre les humains. Nous sommes proches d’une expression qui me sidère « la guerre de tous contre tous » qui en devient imaginable.
Un troisième dégât est la technologie la plus poussée associée à la guerre. Verdun illustre bien ce problème. Je retrouve ici le problème de l’affrontement des principes avec le système de PhG.
Un quatrième est la perte de tout sens de la vie. Chacun peut, en appliquant la méthode, créer avec certitude sa vie et celle de toutes les personnes sous leurs ordres. La vie du créateur est sa création. Pourquoi n’en vivre qu’une ? Pourquoi choisir telle ou telle vie ? Ses subordonnés cessent d’avoir une influence sur leurs vies. Ils sont aux ordres.
Un cinquième est le fait que l’auteur du système soumet tous les humains qu’il peut et détruit tous les autres. Le système étant parfait selon son approche de la réalité, tout opposant est fou ou maléfique car il refuse le progrès certain que le système apporte.
Un sixième est que le système est une création humaine, donc imparfaite. Il va échouer à plus ou moins brève échéance. L’échec ne peut pas être admis dû à une cause interne comme une incohérence. Il ne peut qu’être dû à des agents externes qui sapent l’efficacité du système. Je salue ici Staline.
Un septième est qu’un système ne peut pas accepter être la cause de malheurs. Ils en deviennent simplement insolubles. Quand il s’agit d’une pollution radio-active, il serait souhaitable d’en être averti pour pouvoir au moins prendre quelques précautions. Dans le système, cela est impossible.
Un huitième est que le système ne peut pas accepter une interférence du monde extérieur à lui-même. Nous sommes proches ici de ce que PhG nomme simulacre. Nous en sommes encore plus proches si je considère que le système aboutit à des reconstructions de la réalité. Elles se font généralement avec un minimum d’observations de terrain et en négligeant les détails gênants.
Un neuvième est la croyance délirante (à mon avis) que tout objet créé par ce système est bon, vertueux et positif. Quand je pense aux moyens les plus récents de faire la guerre, un doute me saisit. La dernière est l’idée de bombe au cobalt. Elle anéantirait l’humanité si elle était utilisée.
Un dixième est la croyance que la nature contient des ressources infinies et qu’il est impossible de l’altérer gravement. La méthode est un travail fait par un esprit isolé qui considère que les lois scientifiques sont valables dans toutes les circonstances qu’il peut imaginer. Par exemple, l’air est respirable. Cette proposition fort acceptable est battue en brèche par une importante pollution. La première entre dans la méthode de Descartes. La seconde n’est pas considérée quand l’industrie associée est bâtie par la même méthode. Elle ne fait pas partie du problème.
Un onzième est donné par la vision moderne de l’argent. C’est le moyen d’avoir de relations humaines rationnelles, positives, équilibrées, inclusives, sans racisme ou toute autre ségrégation. L’argent donne une mesure facile à définir de tout ce qui est humainement connu. L’argent est donc rationnel. Il faut tout soumettre à l’argent. En plus, il rejette par lui-même toutes les distinctions irrationnelles basées sur la couleur de la peau, l’origine, la religion et les habitudes sexuelles.
Un douzième est le fait que tout ce qui n’entre pas dans le cadre de la méthode est autorisé. Il n’y a plus de limites. Nous avons ici une définition très moderne de la liberté. Tant que l’irrationnel est limité aux individus, tout va bien dans ce monde.
PhGr parle du déchaînement de la matière. J’interprète cette idée comme une application sans bornes morales des technologies inventées grâce à la méthode et qui détruit tout ce qui n’est pas issu de cette méthode.
jc
11/07/2019
Dans mon rangement des choses, le "classique" idéal de perfection rime avec légitimité et naturalité alors que le "moderne" idéal de puissance renvoie à légalité, voire à artificialité. Pour moi, la puissance "moderne" doit être considérée comme une dégénérescence de la puissance aristotélicienne, cette dernière étant perçue par Aristote -je crois…- comme étant en attente -en stand by, diraient les anglais- en vue de l'acte, comme la matière est en attente en vue de la forme qu'elle va prendre, ou comme les homéomères sont en attente en vue des anhoméomères. C'est l'idéal de puissance, cause finale qui donne sa raison d'être à la puissance aristotélicienne, alors que l'idéal de puissance moderne est devenu une fin en soi.
La citation à suivre de Talleyrand, trouvé sur ce site, renvoie pour moi à la théorie des lieux naturels d'Aristote, la France ayant grâce à lui regagné son lieu naturel après les péripéties directoriales et napoléoniennes: “La maison de Bourbon seule, pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon, la France cessait d’être gigantesque pour devenir grande. Soulagée du poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule, pouvait la replacer au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système social ; seule, elle pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient amoncelées contre elle.”
Je crois que dans le rangement thomien les forces naturelles -celles répertoriées par les physiciens n'étant que la partie émergée de l'iceberg- sont naturellement structurantes. Ce sont ces forces qui sont au principe de la forme -et non l'inverse-; pour Thom c'est l'airain qui devient anneau d'airain sous l'action de forces structurantes ((je crois qu'en ce sens on peut dire que Thom est matérialiste).
Pour lui ces forces structurantes agissent sur tous les substrats: "Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés." (SSM, 2ème ed., conclusion)
PhG vers une théorisation de l'Histoire?
Dans son article "Thèmes de Holton et apories fondatrices" (AL), Thom note p.481 que l'histoire "est fondamentalement aporétique parce qu'elle est essentiellement descriptive. C'est seulement lorsqu'elle se soucie de théoriser en tant que matériau de la sociologie qu'elle rencontre des problèmes: ainsi du rôle de l'individu dans le devenir historique." Je subodore que ce n'est pas le cas de l'Histoire (majusculée) telle que PhG la conçoit.
Dans son article "Révolutions, catastrophes sociales?" (AL) Thom oppose le gouvernement par le pouvoir de contrainte (physique, économique, etc.) au gouvernement par le pouvoir sémiologique et défend la thèse "qu'aucune société stable ne peut exister sans une certaine forme de pouvoir sémiologique." (p.437)
Quelle aporie fondatrice pour l'Histoire (majusculée)? (Pour la sociologie Thom propose "l'opposition entre la permanence de la société -en particulier la structure du pouvoir- et la fluence continuelle des individus qui fait problème.")
Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier