Théo Ter-Abgarian
10/02/2022
Bock-Coté est surcotté. Dans l'affaire du Convoi de la Liberté, ce n'est pas une surprise qu'il ne saisisse pas la complexité des oppositions en France, il reste avant tout un Nord-Américain ayant peu de connaissances profondes de l'histoire des idées de notre pays, radicalement différente d'avec l'Amérique du Nord. Il a le réflexe des universitaires d'outre atlantique (n'oublions pas qu'il a le handicap d'avoir une formation en sciences humaines, sciences subjectives par définition…). Quand le peuple (ils pensent populace) se soulève, ils pensent red-neck, beauf, cow-boys, chauvinisme country, etc… il n'y a rien à faire, c'est comme ça, c'est spontané. D'où l'évidence de la réaction de Bock-Coté quant au Convoi pour la Liberté. Il n'y a pas de liberté humaine, ce n'est pas à un sociologue que je vais apprendre que l'individu est socialement déterminé ! Certes, il y a peut-être de jésuitisme (vieux tréfonds québécois), qui est de vouloir plaire, malgré tout, aux dominants.
J'ai tout compris de Bock-Coté quand il descendit, avec des arguments du régime (on dit "éléments de langage"), le malheureux Laurent Wauquiez, qui avait du, après son échec électoral de juin 2019, démissionner du poste de dirigeant du Parti LR. L'argumentation tournait sur le thème Wauquiez est un has been dans ce monde politique, nouveau, qui a sacré roi Kéké Ier.
Mais Bock-Coté n'avait pas eu la présence d'esprit de déceler que Kéké Ier était has been. Voilà la jobardise des commentateurs qui pensent petit et ne poussent pas la réflexion. Kéké Ier colle à la médiocrité pharisienne ambiante comme les morpions aux génitoires des sous-offs. Et Wauquiez ne parlait pas aux actionnaires, aux rentiers, aux prébendiers et aux retraités… Il planait. Et, sans doute, croyait-il, avec une naïveté absolue, qu'il fallait donner un souffle au peuple pour se fixer un horizon, ce qui échappait complètement à Bock-Coté, lui aussi pharisien jusqu'à la moelle. Certes Wauquiez se lançait dans un pari pascalien qui, cela sautait aux yeux, était voué à l'échec. Mais, au moins, le défi était honorable face aux horizons prosaïques, louis-philippards jusqu'à la veulerie, que nous proposent les macronistes.
Mais, il y a le fond. Cela a surgi au grand jour par la bouche de Marine Le Pen et de son second couteau, Sébastien Chenu, l'Aurélien Taché du Rassemblement National, qui ont lancé l'anathème sur l'équipe (gratinée) de Zemmour, sur le thème de la chasse à la bête immonde catho voire nazie puant les idées répugnantes ; il y a deux droites en France : celle du "vivre ensemble" , gay-friendly, etc… celle du RN, et l'autre rabougrie, sentant le renfermé et les fumets nauséabonds, la droite des "cathos traditionalistes", celle des Zemmouriens… Revoilà donc le Kulturkampf, celui de Bismarck contre les curés, les sabres contre les goupillons. L'histoire se répète. Je note que, contre toute attente les présidentielles ne se joueront pas sur la résistance à l'Islam, la lutte contre la délinquance, mais pour le combat final contre l'Eglise qui cristallise toutes les haines des "progressistes" (se nomment-ils)... Contre cette église en fin de course qui en rajoute pourtant en soumission au régime, ambulance aux pneus crevés et criblée de balles, dont on sait qu'elle ira sous peu à la casse ; car les macronistes entendent se débarrasser de madame Pécresse sur le seul argument (fallacieux) qu'elle est la droite de Versailles, des curés, des messes en latin, de l'islamophobie, de l'homophobie, de la transphobie et tutti quanti . Voilà comment, en 2022, on gagne une élection, chose possible, il est vrai, quand on a les médias pour soi. C'est bien le cas, non ?
jc
12/02/2022
PhG : “Platon disait à Diogène qu’il n’avait pas l’‘organe’ nécessaire pour voir les ‘idées’, et Plotin savait que la vérité n’est pas ‘un jugement obligatoire pour tous’ : Pour voir la vérité, enseignait-il, il faut ‘survoler’ toutes les choses obligatoires, il faut s’élever ‘au-delà’ de la raison et de la conscience”... On comprend bien que je me range derrière cette noble cohorte lorsque je parle, par exemple, – car je change de désignations pour personnaliser ces choses que je ne connais pas mais en l’influence et à l’inspiration desquelles je crois, – de ces “fameuses forces suprahumaines”. ».
J'aurais plutôt attendu un "m" et non un "c" à l'avant-dernier mot de cette citation : formes et non forces.
Les forces précèdent-elles ontologiquement les formes ou est-ce l'inverse ?
Thom : "La forme est une entité visible, mais, en principe, statique. La force, elle, est une entité invisible qui produit parfois des effets dynamiques et visibles. (...) Au regard de cette définition des qualités respectives des formes et des forces, on peut distinguer deux grands types de philosophie que le couple Platon-Aristote symbolise parfaitement ...".
Selon moi, la citation de Daniel-Rops à propos du Balzac de Rodin, citation de la conclusion du tome II de "La Grâce…" dont PhG dit qu'il fera un symbole décisif pour une ouverture sur le tome III, apparaît ici de manière cruciale : "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice…".
Pour moi il y a là une aporie fondamentale à propos de laquelle nous ne pouvons faire qu'une chose : essayer de la considérer des deux points de vue. C'est ce qu'en Physique moderne Einstein a fait à la fin de sa vie avec le point de vue de la forme (la relativité générale), en opposition avec le point de vue de la force qui valait précédemment (Newton, Maxwell, Einstein de la relativité restreinte).
Thom :
1: "Cette opposition entre une singularité créée comme un défaut d'une structure propagative ambiante, ou une singularité qui est source de l'effet propagatif lui-même pose un problème central qu'on retrouve pratiquement à l'intérieur de presque toutes les disciplines scientifiques. La Physique contemporaine admet plutôt le deuxième aspect : la particule est source d'un champ qu'elle génère ; Einstein, en Relativité Générale, verra plutôt dans la particule la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On retrouve ici cette aporie fondamentale du continu et du discret qui est au cœur de la mathématique. On retrouvera cette même aporie jusqu'en psychologie : est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou au contraire est-ce que nous pensons parce que nous parlons ?" ;
2: "(.) on pourrait rapporter tous les phénomènes vitaux à la manifestation d'un être géométrique qu'on appellerait le champ vital (tout comme le champ gravitationnel ou le champ électromagnétique) ; les êtres vivants seraient les particules ou les singularités structurellement stables de ce champ ; les phénomènes de symbiose, de prédation, de parasitisme, de sexualité seraient autant de formes d'interaction, de couplage entre ces particules… La nature ultime dudit champ, savoir s'il peut s'expliquer en fonction des champs connus de la matière inerte, est une question proprement métaphysique ; seule importe au départ la description géométrique du champ, et la détermination de ses propriétés formelles, de ses lois d'évolution ensuite. Depuis Newton, la physique n'a fait aucun progrès dans la connaissance de la nature ultime du champ de gravitation. Pourquoi exiger a priori que le biologiste doive être plus heureux que son collègue physicien ou chimiste et aboutisse à une explication ultime de la nature des phénomènes vitaux, alors qu'on a renoncé depuis des siècles à semblable ambition dans l'étude de la nature inerte ?" .
Personnellement, pour des raisons d'intelligibilité, je privilégie ontologiquement le continu sur le discret, et par suite, la force (et le fond) sur la forme.
jc
14/02/2022
Qu'entend-on par forme ? La distinction entre εἶδος et μορφή n'est ni nouvelle ni évidente (1). Thom donne sa position de mathématicien dans un échange -en complément à ES- avec l'aristotélicien Bruno Pinchard. Mon impression est qu'il voit la forme-εἶδος comme de la forme-μορφή en puissance (et, inversement, la forme-μορφή comme de la forme-εἶδος en acte). De ce point de vue le fossé entre force et forme-εἶδος est alors beaucoup plus étroit (nul?) que celui entre force et forme-μορφή.
Pour avoir une idée de ce qu'écrit Thom ci-après, il faut d'abord rappeler que pour Aristote et lui un homéomère est un anhoméomère en puissance (2) :
"Si vous soutenez la centralité de la figure (μορφή), alors la notion d'homéomère doit faire difficulté pour vous, car, par définition un homéomère n'a pas de bord proprement dit, et une figure est définie -au moins en partie C'est pourquoi, en tant que mathématicien, pour définir l'homéomère, je dois multiplier l'espace substrat par un espace invisible, un espace (interne) de qualités -un espace de genre-, pour y définir le bord de ma qualité homéomère. si l'on se refuse à cette construction, alors il subsiste un hiatus infranchissable entre le logique et le morphologique. Car la "materia signata" qui est support de la quiddité d'un homéomère n'a pas de détail visible qui en fasse une figure. La forma substantialis n'a pas de forme (au sens ordinaire du terme en français), et la materia formalis n'exhibe pas son caractère formel.".
Pour en revenir à la citation de Daniel-Rops ("Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice…"), je la vois comme une lutte entre l'εἶδος-matière et la μορφή-forme, l'instant prodigieux étant celui de l'étincelle qui relie une forme intérieure en puissance à une forme extérieure en acte -ou à réaliser. Thom a eu cette étincelle en visitant un musée à Bonn en 1962 ou 1963 où se trouvait un modèle en plâtre représentant les différents stades d'un œuf de grenouille en train de gastruler, et c'est en voyant ça qu'il s'est aperçu qu'on pouvait peut-être expliquer l'embryologie par des modèles catastrophiques, et il a passé le restant de sa vie à "coucher" cette vision sur le papier (comme Rodin a "scuplté" sa propre vision de son "Balzac" dans le marbre ou la glaise?).
1: https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_2005_num_103_1_7998_t1_0187_0000_2
2: "L'anhoméomère est le siège de "travaux et d'activités" ( ἔργα καὶ πράξεις) (...) Les homéomères, eux, n'ont que des propriétés potentielles (δύναμεις) et n'existent qu'en vue des anhoméomères. L'opposition homéomère-anhoméomère recoupe donc -en un certain sens- l'opposition centrale de la physique aristotélicienne, celle de la puissance et de l'acte." (AL, p.255)
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