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Article : Comment l’américanisme s’exclut lui-même d’Asie et y renforce la puissance chinoise

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La perte d'influence US en Asie

Loïc

  12/12/2005

Pour renforcer le point de vue de P. Grasset, sur le discrédit US en Asie, voici une analyse parue sur http://www.questionchine.net.
La question à se poser est ? Y at-il encore une diplomatie US ? >>>>>>>>>>>>>>>>

Bush le Texan, les bureaucrates chinois et les intérêts américains
 
(6 décembre 2005)  •  François Danjou
La bureaucratie chinoise, qui observe d’un œil froid les agitations du Président américain venu faire en Asie du Nord-Est et en Chine quelques provocations très anti-chinoises a de quoi être un peu interloquée. Non que les sujets évoqués par le fils Bush soient nouveaux. Ce sont au contraire toujours les mêmes : déficit commercial, droits de propriété, Tibet, Taiwan, libertés politiques et religieuses et depuis quelques années taux de change du Yuan. Ils sont depuis des années au cœur des différends qui opposent la Chine et l’Occident.

Tout le monde rêve en effet d’une Chine qui serait complètement conforme aux discours de Pékin et rejoindrait les aspirations de Bush : pacifiste dans sa montée en puissance, conciliante dans les différends commerciaux, ouvrant son marché sans restriction aux exportations américaines, inventive dans ses efforts pour améliorer les droits de l’homme, appliquée pour mettre oeuvre cette démocratie aux caractéristiques chinoises que tout le monde attend, rassurante sur la question taiwanaise etc. Mais voilà, les dirigeants chinois qui disent avancer à leur rythme sur la route des réformes politiques et vers la solution des différends commerciaux, font des promesses mais n’en font qu’à leur tête. Ils connaissent la rhétorique occidentale sur le bout des doigts et, forts de leur puissance nouvelle, savent parfaitement y répondre. Ils s’y préparent toujours avec cette sorte de fatalisme un peu mécanique, caractéristique des grosses machines administratives, alternant si nécessaire le chaud et le froid, mais cédant rarement sur l’essentiel.

Mais, bien plus que les sujets évoqués qui ne changent jamais, ce qui étonne les dirigeants chinois ce sont les modifications du ton et de la manière de Bush Junior à chacune de ses visites. Car au fond ils savent bien que rien ne justifient ces errements, puisqu’en dehors de la sphère socio-économique, les choses évoluent si peu et si lentement en Chine.

En 2001, lors de sa première visite le tout nouvel hôte républicain de la Maison Blanche, récemment élu de justesse, voulant se démarquer de Clinton, avait inventé la formule « strategic competitor », (concurrent stratégique). La visite avait été courtoise, sans plus, et l’atmosphère assez proche de celle de la guerre froide, Bush ayant rappelé que les Américains défendraient Taiwan contre une agression chinoise « quoi qu’il en coûte ».

En octobre 2002, un an après les attaques terroristes contre New-York, les problèmes de fond entre la Chine et les Etats-Unis n’avaient évidemment pas disparus. Ils avaient même pris un tour dramatique lorsqu’en avril 2001, un avion de reconnaissance américain EP-3 avait été heurté par un chasseur chinois et obligé de se poser en catastrophe à Hainan, où son équipage avait été retenu en otage pendant plus de 10 jours. Mais cette fois, la politique intérieure américaine était entièrement focalisée sur les tensions avec l’Irak. Le Président Bush, dont la cote était très élevée dans les sondages, était serein. Résultat : le ton fut amical et presque chaleureux, Bush affirmant alors que les « Etats-Unis recherchaient sincèrement une relation de coopération constructive avec la Chine ». L’année suivante on était encore sur cette ligne très positive puisque Colin Powell déclarait le 5 septembre 2003 que les relations sino-américaine étaient à leur meilleur niveau depuis 30 ans.

Mais deux ans plus tard l’atmosphère est à nouveau tendue. Il est vrai que la Maison Blanche est sur la sellette, malmenée par des scandales, tandis que la guerre en Irak est sous le feu des lourdes critiques de plusieurs sénateurs. Il en résulte que le « petit Bush » comme l’appellent les Chinois, n’est pas serein, c’est le moins qu’on puisse dire. A Pékin cette tension n’est pas passée inaperçue puisque le Président a, pendant tout son périple en Asie du nord-est, traîné comme un boulet les critiques contre la guerre en Irak qui ont même fait l’objet du principal discours qu’il a prononcé en Corée.

Quant à la Chine, devenue un exutoire, elle avait rarement fait l’objet d’un tel matraquage avant une visite officielle. Le président américain a cru bon de recevoir d’abord le Dalai Lama. Circonstance aggravante, les attaques ont commencé au Japon, où, pour faire bonne mesure, Bush a cité en exemple aux dirigeants communistes la démocratie taiwanaise. A Pékin, la bureaucratie au pouvoir restait de marbre, répondait de manière laconique aux comparaisons avec Taiwan et se prêtait de bonne grâce aux exigences médiatiques insolites du Président. Elle lui a organisé une sortie en VTT et un office religieux dans une église protestante contrôlée par le pouvoir, une première pour une visite d’Etat dans ce pays encore largement athée.

La continuité prudente, lourde et appliquée de la politique chinoise est donc confrontée à une diplomatie américaine qui change de ton et d’humeur en fonction de la situation interne aux Etats-Unis. Parfois tentée par la confrontation, notamment quand la Maison Blanche est sous le feu de critiques ou pressée par ses lobbies, elle a tendance à s’adoucir quand le pouvoir est serein. C’est en tous cas de cette façon que les dirigeants chinois voient leurs relations changeantes avec Washington. Dans cette ambiance, leur stratégie est de garder le cap. C’est bien ce qu’en substance Hu Jintao et les porte-paroles du régime ont dit à Bush dans des discours préparés à l’avance, convenus et sans surprises, qui auraient pu servir à toutes les visites de présidents américains depuis au moins 10 ans : la Chine se développe à son propre rythme et elle ne tolère pas que d’autres s’en mêlent. Ce qui ne l’empèche pas de faire des gestes d’amitié, comme l’annonce de l’achat de 70 Boeing 737 par la Chine, pour faire passer la pilule des 200 milliards de dollars de déficit commercial. Peut-être s’agissait-il aussi de rappeler que, sur le plan économique, Pékin possède quelques redoutables outils de pression, tels que son marché intérieur et ses considérables réserves financières qui, avec celles du Japon, financent le déficit budgétaire américain et maintiennent le dollar à son niveau.

Quant à la dernière visite de Bush, au style insolite, on peut se demander si ces initiatives de stratégie directe assez simplistes, bravaches et narcissiques sont bien utiles à la cause des droits de l’homme, aux relations sino-américaines et même aux intérêts américains. La messe protestante n’a pas été diffusée par les médias d’Etat, et fut assez peu commentée sur Internet ; les militants religieux ont fait l’objet de tracasseries avant la visite, notamment dans la province du Hebei où un évèque de l’église dissidente a été arrêté. Aucun des prisonniers dont Washington réclamait la libération depuis des années n’est sorti de prison. Les déclarations sur les droits de l’homme ont eu peu d’écho dans un pays où le contre pouvoir politique est faible et trop éclaté, alors que l’obsession des élites et des intellectuels reste la croissance et la réduction des inégalités sociales, la démocratie à l’occidentale étant considérée avec une méfiance de plus en plus grande.

Alors que les militaires américains auraient souhaité renouer des contacts avec l’APL, il semble que les tensions de la dernière visite n’aient pas permis d’aller bien loin dans cette direction. Au plan international les critiques publiques adressées à la Chine depuis Tokyo et Séoul pourraient décourager les bonnes dispositions de Pékin sur la question nord-coréenne et confirmer la Chine dans sa position de soutien à Téhéran.

A Séoul le discours sur l’Irak, prononcé à Osan par un Président s’exprimant comme s’il était chez lui, n’a pas été apprécié par la classe politique coréenne, de plus en plus sensible aux mouvements de protestation anti-américains. A Taiwan, on commence à s’agacer de servir de levier de manœuvre à Washingon : « Les Etats-Unis devraient comprendre que la question taiwanaise ne doit pas être considérée comme un appendice de la question chinoise » écrivait le Taipei Times dans son éditorial du 18 novembre. Quant à la relation avec le Japon, réaffirmée avec force au cours de cette visite, elle est tellement univoque et ostensible aux côtés d’un allié plutôt controversé en Asie, qu’elle risque à la longue de limiter la marge de manœuvre de Washington dans la zone.

C’est bien ce que soulignent aux Etats-Unis, les spécialistes du Japon qui pointent du doigt les tensions sino-japonaises provoquées par les visites répétées de Koizumi au sanctuaire Yasukuni. Ils indiquent en même temps qu’au delà des apparences, les relations Tokyo-Washington restent plombées par l’attitude ambiguë du pouvoir nippon qui, empétré dans les blocages traditionnels de la société japonaise et les pressions du monde des affaires, tarde lui aussi à réformer le pays et à répondre aux incitations d’ouverture de la Maison Blanche.