Alain Vité
12/11/2014
Les conclusions de B. Benjelloun rappellent une observation récente, faite en France.
Il y a les résistants contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, ceux contre le barrage de Sievens, et d’autres.
En fait, on en voit essaimer un peu partout, souvent à bas bruit, suivant la pauvreté en frisson de la récolte médiatique. Autour de Grenoble, c’est contre un futur Center Park qui comme usuellement, prévoit de détruire la nature par un quelconque investissement pharaonique d’utilité et de légalité douteuses.
De petites affiches A4 d’instructions simples et claires sont publiquement posées bien en vue sur les boîtes postales et le mobilier urbain. On y voit plusieurs choses intéressantes.
- C’est un groupe organisé, pondéré et déterminé (pour “raisonnables” ou “lucides”, on verra à l’oeuvre)
- Ils ne font pas appel à la violence, mais au sabotage, le mot en clair
- Ils considèrent sans ambigüité que nos dirigeants sont des terroristes, et ce genre de projet immobilier/industriel des attentats.
- Ils communiquent entre eux (Notre Dame des Landes, Sievens, etc.) et se coordonnent
- Et sûrement d’autres choses.
C’est une génération de jeunes combattants, engagés contre des projets concrets et locaux, mais communicants entre eux, voyageant et échangeant, un bon nombre d’entre eux réellement prêts à se battre. Des points communs avec les hippies des années 70, informels, déconnectés des ambitions sociales, vivant d’expédients, solidaires et débrouillards, construisant une société à eux.
Avec en plus l’absence de futur, l’amertume quasi-congénitale en partie héritée de leurs parents, et une colère profonde contre ce que leurs aînés - nous - avons fait du monde. Et Internet et les drones. Grosses différences avec les hippies d’origine, lesquels ont été absorbés dans les canapés à crédit et les perspectives de chef de bureau et ont intégré notre monde de bandits au col immaculé - du manque de désespoir comme un obstacle au changement.
La presse a parlé de Tarnac, de NDL, de ceci et cela, ponctuellement et sans aborder leur structure de rhizome, dont les diverses pousses sont reliées entre elles souterrainement par un même réseau de racines, comme les fraises ou les fougères. Et comme semble le montrer le petit bosquet grenoblois contre Center Park, il y a un essaimage et une consolidation du réseau, de ses moyens, de ses ambitions et de sa détermination, en même temps qu’il se gonfle d’étudiants, de travailleurs précaires et de nouveaux chômeurs sans avenir, dont certains très qualifiés. Et avec, encore, les moyens technologiques d’internet, des drones, des imprimantes 3D, du retour d’expérience mondial et instantané, etc.
L’aveuglement des gouvernants étant ce qu’il est - en partie obligé par le manque de moyen d’y réagir, vu l’asséchement en budget et en cerveaux frais et préparés, en partie induit par les ambitions de potentats locaux, qui ne veulent surtout pas qu’on prenne la claire mesure des choses, afin de préserver leur petit pré carré, et prétendent que tout est sous contrôle et pas bien grave, en partie le fruit de la mondialisation abstractisante et uniformisante d’élites devenues incapables de réalisme concret - cet aveuglement étant ce qu’il est, on peut s’attendre à ce que le terreau d’insurgés soit gravement sous-estimé en nombre, en moyens et en talents.
Ce qui augure de plusieurs effets à moyen terme : la gravité de prochains affrontements, leur possible extension incontrôlée - attisée par des media frénétiques et quasiment psychotiques - des rapports de force inattendus, un impact peut-être fatal sur un gouvernement instable et usé jusqu’à la corde, et donc des graves risques de troubles violents, vus comment les autorités sont à cran et vifs de la grenade.
Dans une perspective plus longue, on peut envisager que ces insurgés en puissance auront en eux quelque chose du Conseil National de Résistance d’après guerre, même un tout petit peu : une force de proposition, de conviction et de mise en oeuvre concrète et fort peu disposée aux conneries technocratiques. Dans le monde mouvant et informe qui est le notre, ça sera sûrement flou et bourbeux, mais lorsque l’effondrement ne pourra plus être maquillé, on pourrait bien voir d’agréables surprises provenant de là bas. Ou pas. Nous verrons, tant d’autres choses peuvent arriver.
Ce qui est clair, c’est que ça fait un considérable foyer d’instabilité supplémentaire. Des fois qu’on aurait pu en manquer.
lionel périchon
12/11/2014
pour cet excellent article, plein de vie, fort bien écrit et pertinent.
Cordialement
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