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Article : Est-ce que ce fut leur «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles…»?

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Réponse de M. Paul Valéry au discours de M. le maréchal Pétain, 31 janvier 1931.

Lambrechts Francis

  12/09/2006

http://www.academie-francaise.fr/immortels/discours_reponses/valery.html

Comment résister à l’évocation de P.Valéry dont la lecture réactualise la pensée, avec ses ‘flash’ de poésie, quelle tentation de transposer ces extraits dans notre époque :

( NB : évoquant ici les polémiques sur 14-18 ... 9/11) ...  voici que nous assistons au pénible enfantement de ce qui sera la vérité, et que nous sommes les témoins assez divisé de la formation difficile de l’histoire. C’est en quelque sorte l’avenir du passé qui est en question, et qui se trouve disputé, même entre grandes ombres. Ceux qui s’unirent et qui s’admiraient dans le péril se font éternels adversaires. Des morts illustres parlent, et les paroles d’outre-tombe sont amères.

... L’avenir, - s’il est permis de l’inventer un instant, - nous serait donc assez favorable dans l’hypothèse où la puissance utilitaire reposerait bien moins sur l’énormité des effectifs et sur l’action des grands nombres d’hommes que sur la valeur individuelle, l’audace et l’agilité intelligente du personnel. L’aviateur, les servants d’une mitrailleuse donnent déjà l’idée de ce que pourront être les agents humains des conflits. Les engins nouveaux tendent à supprimer indistinctement toute vie dans une aire toujours plus grande. Toute concentration est un danger, tout rassemblement attire la foudre ; on verra, sans doute, se développer les entreprises de peu d’hommes choisis, agissant par équipes, produisant en quelques instants, à une heure, dans un lieu imprévus, des événements écrasants. - Voilà ce qui est possible, et qui donnerait aux qualités personnelles une valeur incomparable.

... La guerre ne peut plus être le drame précipité et convergent qu’elle fut une fois et que l’on pensait qu’elle serait encore. Il va falloir épuiser 1’adversaire en détail, division par division ; et viser dans la profondeur des nations, derrière les lignes, le dernier homme, le dernier sou, le dernier atome d’énergie. La guerre n’est plus une action ; elle est un état, une manière de régime terrible ; et elle est domiciliée, mais hélas, elle l’est chez nous !
... Mais le combat est l’élément de la bataille générale ; l’exécution tient la conception en état. Si la stratégie veut ignorer la tactique, la tactique ruine la stratégie. La bataille d’ensemble gagnée sur la carte est perdue en détail sur les coteaux. Ici, comme dans tous les arts, - que dis-je, comme dans tous nos actes jusqu’aux plus simples, - la vision, qui est prévision, et le geste qui exécute ne valent que l’un par l’autre. 
    Précisions de vos idées, connaissances longuement acquises, conclusions claires et nettes, aurez-vous quelque jour l’occasion de les voir à l’épreuve ? 
    La guerre existera-t-elle quelque jour ?
   
... Jamais, dans aucun temps, rien de comparable à cette longue guerre, absente et présente, ardente et imaginaire, sorte de corps à corps technique et intellectuel, avec ses surprises et ses ripostes virtuelles, ses créations d’engins et de moyens, dont la nouveauté trouble parfois les théories en vogue, modifie un instant l’équilibre des forces, déconcerte les routines.
    Toute une littérature spéciale, et toute une littérature de fantaisie, parfois plus heureuse que l’autre dans ses prévisions, donnent à imaginer ce que sera 1’événement du cataclysme dont l’Europe est grosse. Quelle étrangeté, quel trait nouveau que cette extrême conscience, celte longue et lucide veille ! …    La « Guerre de demain » ne sera point une de ces catastrophes auxquelles on n’a jamais pensé.
   
... Mais les peuples insouciants jouissent d’une splendide saison. Jamais le ciel plus beau, la vie plus désirable et le bonheur plus mûr. Une douzaine de personnages puissants échangent, sans doute, des télégrammes ou des visites. C’est leur métier. Le reste songe à la mer, à la chasse, aux campagnes.
    Tout à coup, entre le soleil et la vie, passe je ne sais quelle nue d’une froideur mortelle. L’angoisse générale naît. Toute chose change de couleur et de valeur. Il y a de l’impossible et de l’incroyable dans l’air. Nul ne peut fixement et solitairement considérer ce qui existe, et l’avenir immédiat s’est altéré comme par magie. Le règne de la mort violente est partout décrété. Les vivants se précipitent, se séparent, se reclassent ; l’Europe, en quelques heures, désorganisée, aussitôt réorganisée ; transfigurée, équipée, ordonnée à la guerre, entre tout armée dans l’imprévu.

etc.