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Article : Glossaire.dde : Virtualisme (Narrative)

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violence virtuelle et violence réelle: ça ne sent pas pareil

Michel DELARCHE

  31/10/2012

il me semble utile et important de souligner la relation entre ce processus de re-création de la réalité, ou plus exactement de création d’une réalité virtuelle, qui n’a plus que de précaires points d’adhérence avec la réalité réellement vécue par les peuples, et le déversement contemporain de la violence, elle aussi copieusement virtualisée.
Il y a dix ans déjà, nous avons entendu abondamment expliquer que les immenses dommages de guerre subis par l’Irak n’étaient que “collatéraux” du fait de la précision prétendument “chirurgicale” des frappes aériennes…
Aujourd’hui nous sommes à l’ère de la guerre (non officiellement déclarée) menée à distance par ces drones qui interposent des milliers de kilomètres entre le point d’application de cette violence et ceux qui sont chargés de l’infliger.
La réalité “réelle” est évidemment toute autre: la violence n’est pas aussi inodore et insipide qu’un jeu vidéo ou un reportage télévisé, même si le discours officiel s’essaye à nous le faire croire.
Voici ce que dit de l’irruption de la violence réelle l’écrivain espagnol Javier Marias (dans le second tome “Baile y sueño” de son roman “Tu rostro mañana” (“Your face tomorrow”, un emprunt à W. Shakespeare):
La majorité des gens de nos sociétés a vu trop de violence, factice ou réelle, sur les écrans. Et ils la prennent pour un mal mineur, pour pas grand chose. Mais c’est parce qu’aucune violence n’est véritable, là, sur l’image plate, aussi terrible soit ce qu’on arrive à leur montrer. Pas même la violence au journal télévisé.  “Oui, quelle horreur, tout cela s’est réellement passé”, pensent-ils, “mais pas ici, pas dans ma chambre”. Si cela se produisait dans nos salons, comme ce serait différent: le respirer, le sentir, il y a toujours une odeur, ça pue toujours. Quel effroi et quelle panique. Les gens trouveraient ça insupportable, ils ressentiraient la peur à l’intérieur d’eux-mêmes, la leur propre et celle d’autrui, l’effet et la commotion sont semblables, et en plus, rien n’est davantage contagieux.”  (ma traduction d’après l’original en espagnol.)
Et voici ce qu’écrivait Don DeLillo dans son roman “Falling Man” à propos du 11 septembre:
“He smelled something dismal and understood it was him, things sticking to his skin, dust particles, smoke, some kind of oily grit on his face and hands, mixing with the body slop, paste-like, with the blood and saliva and cold sweat, and it was himself he smelled, and Rumsey”
(Rumsey est un voisin de bureau décédé dans l’attentat.)
Heureusement qu’il subsiste quelques grands romanciers (ces deux-là que je cite sont d’ailleurs chaque automne rituellement évoqués comme faisant partie des “nobélisables” mais je ne crois pas qu’ils l’auront jamais…) dont les fictions paradoxalement nous rapprochent de cette “réalité réelle” de la violence.