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Article : La mémoire de l’histoire soviétique à l’aune de l’éditorial américaniste courant

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Les deux antinazismes : gauche résistancialiste contre droite antitotalitaire

Misanthrope modéré

  05/11/2007

>>> Le hasard (?) historique faisant bien les choses politiques du moment, observons que la démarche intellectuelle permet en l’occurrence de mettre en accusation implicite l’actuel gouvernement russe (Poutine) pour ne pas avoir mené à bien ce “devoir de punition”; observons également que cette accusation est de pratique courante du temps de Poutine alors qu’elle ne le fut guère du temps d’Eltsine (1991-2000), alors que la chose pouvait sembler encore plus urgente et nécessaire. Le gouvernement d’Eltsine était beaucoup plus “ouvert” aux thèses et intérêts occidentaux que le gouvernement de Poutine, on sait bien cela. Cela mesure la relativité arrangeante de ces variations de la vertu de notre jugement moral.

Cela fait terriblement penser au reproche fait à la France de n’avoir pas assez “regardé son passé en face” avant le discours du Vel d’Hiv. Jusqu’en 1958, alors que la politique française était pro-israélienne, considérer que Vichy n’était pas la France, et que cette dernière était à Londres puis en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre Mondiale ne paraissait ni scandaleux ni incongru.

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>>> La première est la mise sur le même pied de la punition des crimes du communisme et de la punition des crimes du fascisme (du nazisme), pour observer que la première n’a pas été menée à bien au contraire de la seconde. C’est une démarche intellectuelle qui pourrait paraître logique à première vue. Elle se révèle assez étonnante, ou révélatrice de la façon dont on peut manipuler le raisonnement, lorsqu’on a à l’esprit quelle violence est souvent mise dans le rejet de l’équivalence des crimes eux-mêmes, au nom du caractère unique affirmée pour définir les crimes du nazisme (particulièrement ce qu’on nomme “Holocauste”, ou “Shoah”, qui est la liquidation des juifs par le régime nazi).

ça, c’est le paradoxe de l’anti-nazisme : si la Shoah est “le Mal absolu”, alors comparer quoi que ce soit avec la Shoah, c’est “banaliser le Mal”, ce qui est bien sûr interdit. Si, donc, il est certain que rien ne pourra jamais égaler la Shoah, tout ce qui pourra désormais se passer, quelle que soit sa gravité, ne sera que broutille par rapport au nazisme. Mais alors, à quoi sert l’antinazisme, à quoi servent la Licra, le MRAP, etc. dans ce cas ? Contre quoi s’agit-il d’être “vigilant” ? On observe d’ailleurs l’existence de plusieurs variétés d’antinazismes : celui de la Licra n’est pas le même que celui du MRAP. Ces deux organisations ne semblent pas d’accord sur les voies que voudraient emprunter les “vieux démons” pour se manifester à nouveau.

En fait, bien que le nazisme soit “le mal absolu”, ce qui devrait impliquer l’absence de tout nuancier entre lui et le “non-nazisme” (comment pourrait-il exister un intermédiaire entre l’infini et le fini ?), toute force politique semble aujourd’hui tentée de montrer que son adversaire se situe sur un axe entre elle, la bonne force politique, et le nazisme, le Mal absolu. Sans doute l’adversaire n’est-il pas tout-à-fait nazi, mais il est très insouciant sinon complaisant par rapport au nazisme, lorsque même il ne s’en rapproche pas sur de nombreux aspects.

Nous avions un exemple de cela avec le “résistancialisme” : les communistes - et la gauche en général - ont installé les “acquis sociaux” avec le Conseil National de la Résistance, mais la droite revancharde intrigue sans relâche pour revenir sur de telles conquêtes. Autrement dit, les bourgeois réactionnaires veulent rogner les bienfaits de la défaite du nazisme (parce qu’au fond, ils ne l’ont pas acceptée). La gauche peut ainsi “nazifier” (ce qui est bien confortable) des forces et des tendances qui n’ont pas grand chose à voir avec le nazisme, aussi funestes soient-elles par ailleurs (on trouve une trace de ce réflexe avec la pétainisation de Sarkozy par l’extrême-gauche).

Mais cette paresse intellectuelle se paye. La droite a vite rendu à la gauche la monnaie de sa pièce, grâce au concept de “totalitarisme” : les amis de la liberté, les partisans de la société ouverte, ont vaincu le nazisme, puis le communisme, les deux grands totalitarisme du XXème siècle. Mais, dans la vieille Europe - qui s’est toujours lâchement accommodée des idéologies mortifères - les dirigistes, ennemis de l’ouverture et arqueboutés sur leurs corporatismes rancis, n’ont pas désarmés. Les souverainistes et altermondialistes, comme leurs ailleux pétainistes et communistes, haïssent toujours l’Amérique.

L’on trouve une occurrence à peine subtile de cet argumentaire libéral dans un article du blog de Jean Quatremer, un journaliste de Libération qui trouve Sarkozy trop jacobin et protectionniste. Dans cet article, Quatremer entend démontrer à quel point le discours anti-libéral est semblable au discours pétainiste. Il se défendra ensuite d’avoir atteint le point Godwin en insistant sur les différences entre nazisme et pétainisme, un phénomène purement français (bien sûr !).

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2007/10/quelques-rflexi.html

La gauche comprend donc soudain que la droite lui a dérobé le monopole de la bonne conscience. Certains, à gauche, le réalisent amèrement, comme le montre cet extrait d’un article de la Revue Permanente du MAUSS (une mouvance certes en marge de la gauche productiviste classique) :

“La vision du monde des “dominants” s’est consolidée avec une continuité impressionnante. Ils peuvent - de bonne foi - croire à leur double victoire, contre le fascisme (triomphe de la liberté) et le communisme (triomphe de la propriété privée). Mais cela va beaucoup plus loin. Pour comprendre la force subjective de ce point de vue, il suffit de se mettre mentalement à la place d’un membre de l’establishment britannique supposé parfaitement “self conscious” (je veux dire conscient de sa position dans l’Histoire). On peut alors se dire que l’on a constamment été du bon côté - et victorieux - depuis deux cents ans. Songeons que dans l’esprit de Bush et de Blair (et dans l’esprit de beaucoup de ceux qui les suivent), des mots comme “alliés”, “coalition”, “nations unies”, de même que “libre entreprise” et “libre-échange”, évoquent une continuité historique totale face à une série d’adversaires vus dans la même perspective, depuis Napoléon jusqu’à Saddam Hussein et Ben Laden, en passant par Guillaume II et Hitler !”

http://www.journaldumauss.net/spip.php?article167